Voyais-tu sur mon visage comme je prenais conscience de mes erreurs ? D’avoir tant mangé sans me soucier de quoi que ce soit, j’allais devoir en payer le prix dans les temps à venir bien que je ne regrettais d’avoir profité de ma journée de la sorte. « Je pense aussi… » Mes narines se retroussaient légèrement à ce constat douloureux. Si je m’étais mis au sport, ce n’était par affinité avec celui-ci, loin de là ! L’origine n’était autre que toi et cette menace quant à mon travail, job que je voulais garder j’avais préféré souffrir à en trouver un autre… Et de toute évidence, je devais être masochiste pour être si insouciant. « Mais pour ma défense ! Je suis pas le plus gros mangeur ! Kang Wei, Zwei et moi, on est ceux qui mangeons le plus mais avec des raisons différentes. Kang Wei a besoin de bien manger avoir son travail, comme il se dépense beaucoup et porte des choses lourdes. Zwei mange par gourmandise et amour de la nourriture. Et moi… »  Comment fonctionnais-je exactement ? Après un instant de blanc, je reprenais rapidement et avec assurance. « Je mange si on me nourrit. » Est-ce que cela avait du sens ? « Je peux ne pas beaucoup manger, mais si on me met au défi de beaucoup manger, je mange. Ou si on fait le tour des vendeurs comme aujourd’hui… »

Tes traits semblèrent témoigner que tu comprenais et prenais conscience du fond de mon sermon. Quand bien même je te taquinais, les rôles de maman et un gamin nous allaient bien. D’ailleurs, j’en soupirais :  « Tu es un enfant… » Je secouais légèrement la tête, désapprobatrice. Tu te défendais en prenant les autres pour bouclier. Dans d’autres conditions, ce serait pathétique, mais actuellement, c’était… Presque mignon. Néanmoins, je ne te démontrerais pas particulièrement t’attendrissement. « Je me fiche de ce que tes amis mangent, ça ne me concerne pas, » continuais-je à feindre de te sermonner sur un ton cependant léger. Brièvement, peut-être tu pus déceler un discret rictus joueur se nicher au coin de mes lèvres. L’instant d’après, il s’effaçait. « Même pour tes gouts et envie, tu ne réfléchis pas ? » t’interrogeais-je plus septique en croisant les bras devant moi. « Et si on ne te donne pas à manger, tu te contentes de grignoter ? » Les traits de mon visage se froncèrent quelque peu. Soudain, un doute avait germé dans mon esprit. « Que manges-tu donc à la fraternité ? Tu changes des pâtes instantanées et des chips parfois ? » À la réflexion, nous ne nous étions jamais croiser dans la cuisine de la fraternité, tout du moins pas pour y manger.

Un enfant… L’étais-je ? Un rire m’échappait à cette pensée, conscient que cela devait être le cas malgré mon âge.  Puis venais l’heure du sermon, celui qui semblait être le même qu’une mère. D’ailleurs, je devais certainement l’avoir entendu plus d’une fois de la bouche de cette dernière, surtout ce week-end où elle eut vision de combien mon talent en cuisine était catastrophique… « Comment tu survis là-bas ? », « tu manges autre chose que tes gâteaux et tes boissons ?! », « Tu manges bien trois repas par jours hein ? » Des questions parmi tant d’autre desquelles j’avais dû me défendre et m’expliquer. Semblerait que ce fut à ton tour de t’y mettre, mère renarde que tu étais… « Pourquoi vous me poser toutes cette question… » Soufflais-je avant de reprendre mon sérieux un tant soit peu, au moins, ne plus rigoler. « La plupart du temps je commande, vu que je peux pas cuisiner. Ou je vais manger dehors si j’ai le temps de sortir et qu’il ne fait pas trop froid… » Cette fâcheuse manie de travailler tard sur mes cours ou mes vidéos aboutissait régulièrement à des repas tard, autant dire qu’en plein hiver ce n’était le plus facile à supporter. « Je ne saurais dire si tu t’inquiètes ou si tu  juges mes habitudes alimentaires… Mais je suis en bonne santé ! » Le fait que je prenne du muscle n’en était-il la preuve ?

Je tiquais légèrement à ton soupir. « Vous ? » relevais-je à mon tour dans un murmure. Qui d’autre te posait de pareilles questions ? Une petite amie ? Non, sinon, tu ne me parlerais pas aussi ouvertement et si longtemps. À moins que ce ne soit la raison pour laquelle tu te permettais de me regarder avec si peu de manière ? Je n’étais que l’amie avec laquelle on peut s’autoriser à discuter, voire relever les atouts physiques sans signification ou conséquence. Il y a deux semaines, tu affirmais n’avoir personne mais peut-être que les choses avaient changé depuis. Peut-être aussi que tu avais retrouvé là-bas, une ancienne petite amie dont tu ne t’étais véritablement détaché et seulement séparé à cause de la distance. Tant de questions qui défilaient dans mon esprit derrière mon visage aux traits figés. Pendant ce temps, tu continuais et me répondais. Des mots qui me permirent de rattraper l’instant présent. « Comment peux-tu gaspiller ton argent comme ça ? » m’étonnais-je à t’entendre expliquer comment tu te nourrissais. « Devrais-je diminuer ton salaire pour que tu le dépenses plus raisonnablement ? » Si je mettais cette menace sous la coupe de la plaisanterie, je réfléchissais néanmoins à un moyen de corriger tes habitudes qui n’étaient pas si saines non plus pour ton organisme. « Ou régler tes repas sur les miens ? » Une main sous mon menton, je formulais ma réflexion à haute voix. « Pour que nous les préparions ensemble, je ne vais pas te faire la cuisine non plus, » précisais-je par prévention en m’extirpant de mes pensées.

Soudainement, mon visage se redressait. En alerte. Ou plutôt en panique ? Mes yeux s’arrondissaient face à ces menaces qui n’avaient, à mes yeux, ni queue ni tête. Comment pouvais-tu penser à diminuer mon salaire pour la simple raison de me faire manger différemment ? Ne savais-tu pas que c’était bien moins cher de manger en extérieur ? Surtout quand on ne savait cuisiner comme moi ? Combien d’aliments allais-je jeter et combien de plats allais-je rater si je devais me mettre à cette activité ? Mais avant que je ne doive argumenter, voilà que tu proposais une tout autre idée : cuisiner ensemble. Je n’étais sûr de vouloir voir ta réaction face à mes capacités en la matière… N’étais-je un homme ayant raté le Nian Gao ? Une recette si simple qu’un enfant pourrait le faire, j’en avais été incapable, alors un repas…. « Je suis vraiment nul pour cuisiner… » Chouinait-je doucement avant de laisser ma joue se poser sur mon avant-bras. Je n’avais le choix pas vrai ? Gagner moins ou cuisiner avec toi… Quelque part cette idée me ravissait également, car je pourrais passer plus de temps avec toi. « Mais mangeons ensemble ! Si tu ne peux pas tout le temps, juste de temps en temps c’est bien aussi. » Sentais-tu l’enthousiasme dans ma voix à cette idée ? Voyais-tu ce sourire heureux orné mes lèvres ? Même si cela impliquait de me faire engueuler pour avoir mal fait les choses et te désespérer, c’est un prix que j’étais prêt à payer.

Tes médiocres capacités culinaires ne m’étonnèrent, mais elles ne suffiraient à me dissuader. Néanmoins, avant d’envisager de nous mettre aux fourneaux tous les deux, peut-être pourrais-je déjà réguler un peu la composition des repas que tu achetais. D’autant que tu ne manifestais d’opposition au contraire. « Où manges-tu le midi ? » te demandais-je dans la foulée, commençant d’ores et déjà à envisager une organisation pour nous retrouver à l’heure de certains repas. « Restaurant universitaire ou à l’extérieur ? » Les pauses étaient généralement trop courtes pour permettre de rentrer jusqu’à la fraternité, en ce qui me concernait en tout cas. « Nous verrons comment accorder nos emplois du temps, » continuais-je dans ma réflexion. Spontanément, nous étions en train de planifier un rituel pour manger ensemble régulièrement. Soir ou midi, nous nous accommoderons du rythme et des disponibilités de chacun. Quand bien même, les miennes s’avéraient parfois fort réduites. Heureusement, ces temps-ci mon rôle d’égérie n’était pas trop preneuse. « Et il te faudra bien un jour que tu apprennes à cuisiner… » N’était-ce pas un comble que de nous deux, je suis la plus expérimentée en la matière ? Certes j’étais femme, mais souvent encore cataloguée de princesse. « Même Namseon a réussi à faire des cookies, alors, je pense que nul défi n’est assez insurmontable pour me faire reculer ! » affirmais-je avec un sourire assuré.

L’idée première semblait être rapidement oubliée lorsque j’acceptais de manger avec toi. Je ne pus qu’esquisser un sourire face à la situation qui s’offrait à nous alors que, déjà, tu semblais prendre ton rôle au sérieux. « Ça dépend de mon emploi du temps à venir. Mais je suis le genre restaurant universitaire à moins qu’on m’emmène ailleurs. » Parce que le restaurant se trouvait plus proche de l’université que n’importe quel autre service de restauration, ce qui me m’évitait d’avoir à courir ou manger trop rapidement pendant la pause. Parfois, j’avais même le temps de coder ou de jouer entre les cours, des pauses bien méritées lorsqu’on vous bourre le crâne de langages informatique à longueur de journée de façon intensive. « Si t’as pu sauver Namseon, j’imagine que je dois pouvoir être récupérable aussi… » Très certainement… Bien que je ne savais exactement quel niveau il avait en cuisine, pire que le mien ? S’en était étonnant. « Mais je sais faire le principal à la perfection ! Le riz. » C’était bien le plus rapide et le plus consistant que ma mère m’avais appris et que j’avais pratiqué sur le long terme grâce à mes encas nocturnes dès le lycée. Libre d’avoir une chaîne Twitch, d’apprendre à coder et, par la suite, faire mon propre jeu ; mais c’était bien mon sommeil qui en avait pâti à défaut de mes études.

Pauvre de notre vice-président et sa réputation d’incurable maladroit, à son seul exemple, tu semblais recouvrer un peu d’espoir quant à ton cas. « Namseon fut un cas moins catastrophique que je ne l’aurais pensé. Il a lui aussi une fierté qu’il faut savoir titiller et ainsi le pousser à s’appliquer et se concentrer. » Certainement ne lui avais-je pas été des plus agréables. Le pauvre avait eu à se frotter à mon tempérament dès son premier jour en tant que vice-président, bien que je me jugerais avoir été modérée ce jour-là. Néanmoins à la finalité, notre affrontement l’avait amené à vouloir me prouver qu’il valait plus que je ne lui montrais le penser. Même avec deux mains gauches, n’importe qui pouvait réussir à cuisiner autre chose que… du riz. « Vraiment, tu n’as jamais essayé de cuisiner autre chose ? Tu n’as jamais voulu faire plaisir à une fille ? Moi, je me suis entrainée et améliorée pour Hyeon… » Et ma voix se suspendit tandis que j’avais parlé un peu trop spontanément. Que son nom m’avait échappé comme s’il était toujours mon fiancé.  Je me raclais légèrement la gorge pour détourner le sujet. « Alors, tu vas  au restaurant universitaire, » repris-je le cours précédent de notre conversation. « Déjeunons-y ensemble dès que nos emplois du temps coïncident. Ce n’est pas le meilleur mais le plus proche et pratique. » Je m’y rendais parfois avec des amis ou camarade de promo, même si généralement, j’optais pour une salade dans un coin calme, ne décollant pas le nez de mes cours.

Ce n’était une mais bien deux lames que tu plantais dans un cœur pourtant si léger et insouciant jusqu’à présent. Quel sujet me mettait le plus mal à l’aise ? Mon ex que je désirais rayer de ma mémoire ? Ou le tien que tu ne semblais avoir oublié ? Alors cette expression sur mon visage perdait de son éclat, n’affichant que malaise et gêne, y compris lorsque tu changeas de sujet. J’étais incapable de passer outre ce soir alors ma tête venait à s’hocher doucement en réponse. « Oui… C’est le plus simple… » Pourquoi avais-je pensé à autre chose ? Tu l’avais dit, tu ne cuisinerais pour moi et visiblement ne semblais disposer à même tenter l’expérience. Le restaurant universitaire… c’était toujours mieux que rien pas vrai ? Même si finalement rien ne changerait trop dans mes habitudes, le soir venu je commanderais ou sortirais pour emporter quelque chose dans un restaurant. Finalement, n’étais-je pas plus déçu et triste qu’autre chose ? Un soupir m’échappait à cette constatation alors que, vainement, je tentais de trouver quelque chose à dire. Quelque chose sur lequel rebondir, t’interroger, une réponse à fournir… N’importe quoi, autre qu’un silence gênant. « Tu… T’arrive à trouver quand même ? Des choses qui vont… avec ton régime alimentaire. Au restaurant universitaire. »

À ces paroles malheureuses, j’eus l’impression d’avoir alourdi l’atmosphère. Te sentais-tu mal pour moi car encore une fois, je venais d’évoquer mon ex fiancé ? Il était vrai qu’il apparaissait beaucoup dans la conversation de ce soir. Plus que jamais depuis notre rupture. Néanmoins, faire de lui un tabou ne m’aiderait pas à avancer. Feindre son inexistence ne serait la solution. Je devais faire avec notre passé commun. Sur mon rebond en arrière, tu semblas d’accommoder de la manoeuvre, bien que je ne te sentis guère enchanté. « Hum… Oui. Ce n’est pas totalement incompatible. Comme je t’ai déjà dit, je suis végétarienne pas végétalienne, même si j’évite la consommation de lactose. » Il y avait généralement bien assez légumes au menu pour satisfaire mon estomac de moineau. « Néanmoins, les choix au restaurant universitaire sont limités alors… » fis-je semblant de continuer à y réfléchir avec sérieux avant de trancher sur un ton plus léger. « Il faudra aussi varier d’adresse ! » annonçais-je avec fermeté certes mais aussi chaleur et bonne humeur dans la voix. « Et ce n’est valable que pour certains midis. » précisais-je à nouveau avec sérieux. «  Ne crois pas que tu vas échapper au cours du soir en cuisine ! » La meilleure façon de veiller à ton régime alimentaire restait de cuisiner de temps en temps ensemble.