A mes yeux, la nuance de ces deux régimes était bien infime. Si bien que je tendais à prendre de façon plutôt extrême tes choix culinaires dès lors qu’une sortie nous effectuons ensemble et, qu’encore une fois, j’hochais la tête comme un enfant. Ou un de ces chiens que certaines personnes mettaient à l’arrière de leur voiture, les deux images étaient possibles. Mais de ton côté, tu semblais si sérieuse… Tellement que me venait l’interrogation quant à tes pensées exactes sur mon régime alimentaire. Je ne consommais n’importe quoi, je variais même ce que je mangeais autant que possible car, si je n’aimais une chose aussi simple que les pâtes, dans les faits, je n’étais bien difficile en matière de nourriture. Mais tu l’apprendrais certainement puisque, rapidement, tu m’informais avec une forme d’enthousiasme que nous n’allions pas seulement manger ensemble certains midis mais également le soir. D’un sourire j’accueillais cette nouvelle, m’en amusant malgré moi puisque je pouvais déjà imaginer ta frustration face à mon impatience en matière de cuisine et mes erreurs qui pouvaient être nombreuses. Le dortoir risquait d’être encore une fois bien agité… « Je sais, j’ai compris. Ma mère sera contente d’apprendre demain que la présidente de ma fraternité va me donner des cours de cuisine pour survivre. » Après m’avoir posé certainement, trois milliards de questions à propos de cette fameuse présidente…. Peut-être devrais-je dire qu’il s’agit d’un homme pour être tranquille ? « Mais si j’apprends à bien cuisiner... ça veut dire qu’on mangera plus ensemble ensuite ? » Car tu me parlais bien de cours après tout, non seulement d’une promesse de temps à passer ensemble jusqu’à ce que changement de plan s’en suive.

À l’instar de ta mère qui serait satisfaite que tu te mettes un peu à la cuisine, je l’étais également d’apprendre qu’elle aussi exprimait quelques inquiétudes en la matière. « Ah ! Tu vois que je ne suis pas la seule perplexe quant à ton alimentation ! » Aussitôt prononcés, ces mots résonnèrent dans mon esprit. Tu le savais déjà que je n’étais seule puisque précédemment, tu avais employé le pluriel à ce sujet. Ce « vous » ainsi exprimé avait-il donc fait référence à ta mère et non à une quelconque petite amie ou ex petite amie retrouvée ? Pourquoi étais-je d’ailleurs tant préoccupée à cette idée ? Après tout, cela ne me concernait. Néanmoins, ce doute persistant donnait naissance à l’appréhension d’avoir été manipulée. Jouais-tu avec moi ? Cependant, tu ne m’avais guère jamais fait de promesse, et tu m’avais bien précisé il y a quelques jours de cela que tu m’aimais juste bien. Je ne devrais te tenir pour responsable des tergiversions de mon esprit et des émois. Tu péchais seulement de générosité et d’attention pour un coeur fragilisé comme le mien. Et là encore, tu l’ébranlais quelque peu. Je ne devais me fier à tes paroles enivrées, mais comment ne pas m’interroger quant à ton envie que nous partagions des repas plus que des ateliers cuisines ensemble. « Nous verrons le moment venu. De toute façon, nous avons de la marge je pense avant que tu ne sois assez débrouillard, » rétorquais-je avec autant de sérieux que de taquinerie dans le fond. « Je ne sais pas si acquiescer te rendra plus rigoureux pour échapper au plus vite au repas en ma compagnie ou si au contraire, tu feras tout pour m’embêter. » La question se posait véritablement. Je te soupçonnais capable des deux.

Tu n’étais la seule en effet à t’inquiéter de mon régime alimentaire en Corée. Mes amis, eux aussi, s’étaient pris au jeu d’ailleurs aujourd’hui, une des raisons m’ayant aussi poussé à consommer tant de nourriture. « Tu dois pas avoir ça en Corée, mange ! » Une phrase, un ordre que j’avais tant entendu cette après-midi de la bouche des uns et des autres, sous le regard amusé de ceux qui n’y participaient mais ne s’opposaient pour autant. Un effet de groupe dont j’avais été victime pour le plus grand plaisir de mes papilles et le plus grand malheur de mon corps qui souffrirait de ces excès par la suite. Mais ces folies culinaires seraient différentes avec toi sans doute ? D’ailleurs… Allais-tu réduire drastiquement mes rations ? Je n’avais besoin de manger de grandes quantités pour survivre mais tout de même, j’espérais que tu ne me pousserais vers un régime trop strict que j’étais bien incapable de tenir. Alors à ton doute sur mes intentions au vu de ma question, un rire m’échappait. Voudrais-je m’échapper ? J’en doutais sérieusement, l’idée ne me viendrait pas d’ailleurs. « Je ferais en sorte d’être le plus mauvais élève que t’aies eu. » Non pour t’embêter – bien que cette partie s’avérait extrêmement tentante et, pour sûr, je m’y afférerais avec soin – mais bien pour que l’on puisse continuer à se voir de cette façon. Jamais je ne t’avais vu enseigner une discipline à quelqu’un, peut-être étais-tu insupportable ou autoritaire, mais rien n’y faisait, j’avais seulement hâte que ces « cours » commencent. « Qu’est-ce que tu aimes le plus manger ? » Tu ne devais être friande de chocolat ou de crème glacée comme bon nombres de femmes, alors quelque chose de plus sain certainement ? Tu semblais être ce genre de femme à mes yeux.

Je ne saurais si je fus satisfaite ou fatiguée d’avance à t’entendre revendiquer que tu t’appliquerais à être un mauvais élève. Cela signifiait que tu n’étais contre ce temps à passer avec moi, au contraire, mais aussi que tu prendrais d’autant plus grand plaisir à m’embêter.  « Je te déconseille vivement d’être le plus mauvais, » te prévins-je néanmoins avant d’expirer lentement. « Enfin, je ne sais pas si je peux considérée ma soeur comme ayant été une élève, mais pour avoir déjà cuisiné avec elle… Si tu représentes un danger pour la sécurité de la fraternité, je devrais annuler nos leçons. » L’idée de déclencher un incendie ne m’enchantait guère, par exemple. « Quant à ce que j’aime… » réfléchis-je. « Je n’établis pas souvent mes repas en fonction de mes goûts. Je dirais qu’ils sont adaptés à la discipline imposée. » Outre mes préférences végétariennes, j’avais toujours vécu sous le joug d’une mère surveillant ma ligne de façon drastique, et désormais mes obligations d’égérie ne m’accordaient guère plus de liberté.  « Néanmoins j’aime différentes spécialités de mon pays surtout. » Bien que nombres se composaient de viandes ou poissons. « Et si je devais nommer un péché mignon, je dirais… » J’hésitais un peu, pas tant par incertitude que par gêne. « Les glaces. » Discrètement, je rougissais et j’espérais que tu ne repenserais à celle que nous avions partagé dans le parc comme je le faisais.

Qu’avais-tu bien pu vivre avec ta sœur pour qu’ainsi tu parles de ses talents culinaires ? Je ne savais qui de Liwei ou de Eun San était la concernée, mais pour sûr, j’aurais aimé assister à cette scène. Mignonne que tu étais plus jeune, cela devait être amusant de te voir t’énerver contre ton aînée incapable de combiner l’utilisation de ses mains avec les outils dont vous disposiez à cette époque pour cuisiner. Mais à choisir entre cette aventure ou tes goûts, ce fut plutôt vers tes préférences que je me portais. L’interrogation posée, j’attendis après ta réponse que, visiblement, tu semblais avoir bien du mal à trouver. Pour finalement m’annoncer la nouvelle la plus décevante qui soit : tu n’en avais. D’une façon ou d’une autre, tu avais fini par ne pas avoir de préférence, seulement des choix rationnels pour ta ligne. Les sourcils froncés, je semblais réfractaire à ce comportement et cet aveu de ta part. Jusqu’à l’évocation d’un pécher mignon, un interdit que je t’offrirais volontiers de temps à autre si je le pouvais. « Les glaces ? » M’étonnais-je, n’ayant pensé que tu puisses être ce genre de personne. Mais je me souvenais, inévitablement, de celle que nous avions partagée à Everland la dernière fois. M’arrachant un souvenir et des yeux brillants d’amusement, je n’étais près d’oublier une telle révélation. « Quel parfum ? Plutôt sorbet ou cône ? » Des questions plutôt enfantines jusqu’à la suivante qui m’échappait malgré moi. « Seule ou à deux ? »

Sur l’instant, je ne pus retenir un éclat de rire alors que tu répétais vraisemblablement surpris le terme de glace. Brièvement, j’oubliais la gêne qui pouvait découler de ce sujet et je me rappelais les différences de perception selon les cultures. À la question sorbet ou cône, j’entrevoyais dans ma mémoire certaines glaces de mon pays. Cet amusement tu altéras néanmoins par ta question suivante. Je rougis, instantanément. Cherchais-tu à me taquiner quant à la glace que nous avions partagé. Quel genre de réponse attendais-tu ? Un déni embarrassé ? Courroucé ? Ou un gage de plaisir que je ne refuserais de réitérer ? D’un revers de la main, je chassais ces interrogations. Je me raclais légèrement la gorge et m’efforçais de passer outre la confusion. « Devrais-je te répondre glace-sandwich arc-en-ciel ? » riais-je, en forçant un peu sur ma gorge avant de reprendre avec sérieux mais douceur. « Non, en vérité, je n’en suis pas très friande. » Pas du tout même. « Néanmoins, je viens d’un pays chaud alors nous ne manquons de spécialités rafraichissantes… À notre façon ! » Quoique chinois que tu étais, tu ne serais peut-être pas tant décontenancé face à la composition de certaines. « Mais à choisir, je dirais plutôt certains, aux fruits tropicaux, quoi que les fruits rouges sont aussi délicieux et bien évidemment, le citron. Entre durian et citron, comment choisir ? » m’égarais-je avec légèreté dans les souvenirs de ces délices ayant exaltés mes papilles. « Quant à partager ma glace, si je le faisais généralement c’était pour écraser la mienne sur l’autre, » t’accordais-je finalement réponse en feignant l’innocence.

Malgré mon esprit embrumé, je tentais de capter l’essentiel de tes propos. Une fois tu m’affirmais que les glaces étaient ton pécher mignon pour ensuite, m’affirmer tout l’inverse ? Sur mon visage, l’incompréhension régnait alors que tu poursuivais pourtant en m’évoquant plusieurs parfums et, même, fruits que tu semblais affectionner tout particulièrement. Dans un coin de mon esprit, je tentais de les graver, espérant qu’ainsi, demain, je serais apte à m’en souvenir. Espoir stupide d’un homme ivre… « Au passé… Dois-je comprendre que c’est un temps révolu et que tu as trouvé une meilleure façon de les partager ? » Si je tentais vainement de t’embêter ? Très certainement. Car te voir embarrassée, timide ou même gênée s’avérait être une vue des plus exaltante de ta personne. « Mais attends… Tu m’as dit que tu aimais les glaces mais après… T’avais l’air de préféré autre chose, des spécialités de chez toi ? » Sur ce point, tu m’avais perdu, totalement. « T’as l’air de beaucoup aimé Singapour… » Ton pays te manquait-il tant ? Retournerais-tu là-bas dès tes études finies ? A quoi ce pays ressemblait-il pour avoir, ainsi, conquit ton cœur ?

Plutôt que de te répondre, je grimaçais. À ton insinuation, tu n’obtiendrais qu’un discret fragment de langue tirée. Je savais parfaitement où tu voulais en venir, mais je ne t’offrirais le plaisir d’évoquer en aucune façon cette glace que nous avions partagé. Ainsi que les aléas engendrés par notre dégustation à l’aveugle, dans le respect des règles du défi à relever. Puisque nulle réponse verbale je ne t’accordais, tu pouvais continuer sur ta lancée dont les interrogations témoignaient qu’au gré de mes mots je t’avais égaré. Je ne pus m’empêcher de me moquer gentiment : « Ce n’est pas que je préfère, mais j’aime aussi. Et disons que… Certaines glaces de ma cité dérogent aux conceptions habituelles. » Si tu ne l’avais compris précédemment, j’en déduisais que tu n’avais vraiment pas idée de ce dont je pouvais parler. La cité-état n’était pourtant pas si éloigner par les airs et pourtant, si méconnu. « Je ne voudrais vivre nulle part ailleurs qu’à Singapour, » appuyais-je ta pensée manifestée à voix haute. J’ignorais si ta volonté fut que j’entende ou si les mots t’avaient échappé, en tout cas, je te les confirmais. « Ma ville est si… je ne sais pas s’il existe de mot pour la définir simplement tellement, elle est extraordinaire. » Sans doute ma voix témoignaient de mes pensées songeuses me remémorant tout ce que j’aimais en ma cité natale.

Mon intérêt fut piqué par ces glaces que tu m’évoquais, particulières et propres à cette cité où tu avais vu le jour. Etaient-elles si spéciales ? Je n’arrivais à imaginer quels genres de nourritures pouvaient s’y trouver mais, pour sûr, je devrais faire des recherches sur le sujet. Non seulement pour m’intéresser à cette Terre dont ton cœur s’était éprit mais également pour mes connaissances personnelles. Si le métier de streamer ne semblait le plus intelligent au monde, il arrivait pourtant parfois de partager des conversations avec les viewers plus ou moins intéressantes, plus ou moins sérieuses ou compliquées selon les sujets. Souvent, j’étais donc amené à apprendre de nouvelles choses et à développer une curiosité déjà accrue de nature. Mais plutôt que de t’harceler de questions, je préférais observer ce visage qui m’était offert, toi qui était devenue si nostalgique à l’évocation simple de ton pays. Savais-tu comme tu pouvais être adorable ainsi, à te remémorer certainement les souvenirs heureux de ton enfance là-bas ? Pour moi qui avais tant déménagé quand j’étais jeune, jamais je ne pourrais comprendre un tel sentiment d’appartenance à un lieu fixe autant que je trouvais cela incroyablement beau.

M’aventurant sur le sujet de ma terre natale, tu ne m’interrompais, alors spontanément, presque inconsciemment, je continuais. « Là-bas, il fait chaud toute l’année. Trop chaud pour certains. Il pleut aussi beaucoup, c’est un fait. Les gens souvent que ce n’est qu’une ville surchargée où la modernité a tout écrasé mais c’est faux. Oui, les architectures de la ville sont parmi les plus gigantesques, extravagantes et exceptionnelles du monde. On y retrouve le summum de la modernité et de la technologie, mais Singapour est aussi verte, très verte. La nature est partout, sur le bâtiment, dans les parcs plus nombreux et étendus qu’on ne le pense, sans parler des réserves naturelles et des îles alentours. Il n’y a pas beaucoup de grandes cités où l’on puisse croiser de la faune sauvage ou vivre en lisière de celle-ci dans une telle abondance. Un jour, avec Iwan, nous avions trouvé un petit singe dans la cour de l’école, et ce n’est qu’un exemple. Et puis, bien sûr, Singapour c’est aussi une porte sur l’océan. Là-bas, je pouvais le voir depuis la fenêtre de ma chambre dès le réveil et au couché… » Ce fut l’une des choses qui me manqua le plus lorsque j’eus quitté ma cité. Évoquer cette dernière me rappelait ce mal du pays latent et persistant, quand bien même s’il s’amenuisait. Mais ces temps-ci n’allais-je pas faire un nouveau un rejet de la Corée ? Avant de me perdre plus loin dans mes pensées, ton silence me frappa. « Yah, tu ne t’es pas endormi ? »