Ne me pensais-tu pas sérieux lorsque j’évoquais cette envie de grimper sur tes amis les crocodiles ? Pourtant, sobre ou ivre, cette envie était belle et bien là. Pas afin d’en faire un moyen de locomotion à part entière pour explorations les marécages ou océans, mais bien pour, une fois, savoir ce que jouer avec ce type de danger pouvait faire ressentir. L’excitation, l’adrénaline, la peur de voir l’animal nous mordre violemment… Mon cœur s’agitait déjà dans ma poitrine, s’envolait juste à l’imaginer mais, bizarrement, à l’évocation de ce soigneur –proche donc de ces animaux – ayant perdu une jambe, mon envie se trouvait momentanément refreiner. Tu n’arriverais à la calmer définitivement, mais au moins, sur le moment, tu y parvenais. Un sourcil j’arquais à ce détail qui, visiblement, avait tout son intérêt. « Tu étais là par hasard oui… » Soufflais-je avant qu’un rire bien que léger, ne passe mes lèvres. « Qu’avait fait ce pauvre soigneur pour mériter de perdre une jambe ? Il a dit que tu n’étais pas un ange ? Est-ce que je devrais m’excuser d’avoir formulé cette phrase tout à l’heure ? » Face à la caméra je m’inclinais comme je le pouvais. « Désolé, tu es un ange. Le plus bel ange de la planète... Et du paradis. » Je ne tenais à perdre une jambe également car ta générosité j’avais tâché de ce commentaire précédent…

Je hochais de la tête avec une innocence feinte tandis que tu faisais semblant de croire au hasard. Un sacré hasard, un de ceux qui font partie de ces douteuses et pourtant certifiées pures coïncidences pas du tout préméditées et conséquences d’une volonté inavouée ou inassumée. Du tout. Un de ces hasards où nulle personne qui s’en targue ne donne l’impression à son interlocuteur de le prendre pour un lapin de trois jours – histoire de rester poli. Mais ce hasard, si je le prêtais, je ne le cachais quand même, le mensonge qu’il en découlait. Il avait bien plus de saveur ainsi, et tu semblais le comprendre. Néanmoins, si au début je continuais d’acquiescer alors que tu proposais de t’excuser, je me rembrunis ensuite légèrement. Petit rictus désapprobateur au coin des lèvres, je rétorquais. « S’il y a bien deux choses que je détestes, ce sont les flatteries et l’hypocrisie. » Je détournais la tête sur le côté, prétendant bouder. « Ce sont des délits passibles de la peine de crocodiles. » Lentement, sur mes lèvres un sourire renaissait. Du coin de l’œil, je jetais un regard pétillant sur l’écran. « Or, tu as besoin de tes jambes si tu veux continuer à t’occuper de Jethro, n’est-ce pas ? » Pour lui courir après quand il t’échappe ou qu’il te promène au bout de la laisse.

Une fois ma révérence à cet ange que tu étais effectuée, c’était un regard brillant d’amusement que je levais vers l’écran. Une fois encore touché par ta beauté malgré la moue qui s’affichait sur tes traits. Avais-je formulé quelconque idée t’ayant froissé ? Dans mes iris, l’amusement devenait curiosité lorsqu’enfin tu m’éclairais sur ce qui avait changé ton état d’esprit temporairement. « L’hypocrisie ? Je pensais être sincère pourtant. » Soufflais-je pensivement. Je savais que je l’étais, malgré la blague apparente, la légèreté de mes propos, mais c’était bien là ma façon de m’exprimer. Car je ne pouvais le faire sérieusement. « J’en ai besoin pour beaucoup de chose… » Quelques secondes seulement et c’était d’une crise de fou rire que j’étais pris. Comment pouvais-je garder mon sérieux avec une telle pensée exactement ? A m’imaginer seulement avec une jambe, sautant d’un pont ou d’un toit pour faire un saut à l’élastique et… pendre de façon irrégulière à cause de la jambe manquante. « Aah. Mon ventre... »

Je ne crus à ta défense soufflée. Je la relevais pas pour autant non plus. À quoi bon ? Si tu préférais rester cacher derrière ce semblant de mensonge visant à sauver ta peau. Ou plutôt ta jambe. Bien qu’en vérité, j’avais appris à ne plus agir de la sorte. Non pas que j’eus été punie puisque ma culpabilité n’a jamais été prouvé et que si mon père m’expliqua calmement que ce genre d’attitude n’était pas bien, ma mère affirmait mon innocence. Et surtout, cet homme avait eu tort le premier, voilà tout. Pendant ce temps, tu te mis soudainement à éclater de rire. Un rire visiblement irrépressible. « Yah ! Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? » t’interpelais-je alors que tu semblais partie dans ton délire au point de t’en tordre le ventre. « C’est aussi une conséquence de l’alcool sur toi ? » demandais-je, interloquée. « Après une phase mignon, tu deviens hilare sans raison ? » Je te jugeais dubitative  face à ce spectacle. Si parfois le rire pouvait être communicatif, momentanément, je manquais de compréhension pour en être réceptive.

Un instant d’égarement que tu ne comprenais, que tu ne pouvais comprendre à moins que je ne te l’explique bien évidemment. Mais pour cela, je devais encore réussir à calmer le fou rire qui m’eut pris à cette pensée totalement stupide. Alors après quelques moments de plus, un souffle passait mes lèvres et mes yeux un brin humides se levaient vers l’écran, incertain quant à ta réaction face à cette image mentale qui s’était dessinée dans mon esprit. « Mais non voyons… Oh. Mais tu m’as trouvé mignon. » Je ne savais si tu l’avais déjà dit, c’était probable… comme c’était probable que non, amis sur le moment j’étais heureux de pouvoir avoir cette image à tes yeux. « J’ai imaginé faire du saut à l’élastique avec une jambe en moins... Et normalement, tu sais, les liens sont au niveau des chevilles pour te tenir ? Mais si t’as qu’une jambe… ça fait que tu te balancerais dans le vide totalement aléatoirement avec le déséquilibre que ça engendrerait, et… j’ai trouvé ça drôle. » Mais maintenant que je l’expliquais, bizarrement, la scène semblait bien moins drôle. Bien que c’était, finalement, une expérience intéressante… Moins de soutien, plus de liberté… Plus de danger également.

Une fois de plus, je ne relevais tes mots. Mon propos n’avait eu l’intention d’être un compliment et j’avais le sentiment de ne l’avoir déjà que trop dit. Je n’allais pas répéter une fois de plus que l’alcool te rendait mignon pour le bon plaisir de tes oreilles. Je m’interrogeais plutôt sur ton imagination. « Parce que tu fais du saut à l’élastique ? » Si j’éprouvais une pointe de curiosité exaltée, je la masquais derrière un son de scepticisme. « Ou c’est juste un rêve ? » Quelque chose que tu brulais d’envie de faire mais dont l’occasion ne t’avait pas encore été donné. Alors même si une jambe venait à te manquer, tu ne renoncerais. « D’une part, il existe des prothèses désormais, même si je ne suis pas certaine qu’il en existe des adaptées à ce type de pression. » Face à ton esprit qui se perdait dans l’amusement, le mien se plongeait dans une réflexion tout à fait sérieuse. Je cherchais parmi les connaissances enregistrées dans ma mémoire. Les améliorations techniques et technologiques au service de la médecine et des prothèses s’avéraient de plus en plus poussées et intéressantes. Tout comme indéniablement, au cours des deux dernières années, j’avais développé un intérêt réel et sincère pour la médecine. « D’autre part, les sportifs souffrant d’un tel handicap ont aussi appris à gérer et adapter leur centre de gravité. Un saut avec un handicap ne se fait pas sans préparation, alors je pense que tu pourrais être surpris de la rectiligne de certains. » Évidemment, je ne parlais pas du premier clampin venu ayant le minimum de la condition physique et des idées farfelus.

Ne t'avais-je informé de mon amour pour cette discipline qu'était le sport à risques ? Ou l'avais-tu oublié dans l'amas de sujets que nous avions abordés ce soir? Car indéniablement, nous avions certainement discuter comme jamais nous ne l'avions fait auparavant. Incapable de raccrocher, trouvant toujours un nouveau sujet de discussion, je ne savais quel était ce sentiment mais, intérieurement, j'étais tout bonnement heureux de te parler de la sorte. Sans doute, aurais-je préférer être sobre pour le faire... Afin de me souvenir le plus parfaitement possible de ce que nous nous racontions, ne jamais l'oublier... Bien que, de ton côté, tu semblais le faire quant à la plaisanterie qui avait découlé de mes propos. Pourquoi tant de sérieux de ta part? Était-ce là un sujet épineux concernant un membre de ton entourage? Je n'osais m'aventurer sur cette pente glissante de peur de te blesser, alors à la place, j'optais pour revenir à tes premiers propos. Cette interrogation que tu avais formulé... « Quel genre d'homme tu penses que je suis? » A tes yeux, étais-je un simple rêveur? Ou un idiot capable de défier la gravité? « Tu m'crois capable de sauter dans le vide? » La chute libre, le poids du quotidien qui disparaît, l'impression de voler, de flotter, le temps de quelques secondes où rien ne compte, où le coeur se serre autant qu'il se libère, que l'esprit se retrouve amuit, subjugué. Des instants que, maintenant, je désirais ressentir et vivre sans être capable pour autant de le faire. Une nouvelle fois car nous avions bu, indéniablement trop mais surtout, tu étais là, avec moi. Ce moment, je ne voulais le rompre pour un plaisir égoïste de quelques secondes. Cet échange était bien plus important que cette drogue que j'avais rencontré au lycée et dont j'étais devenu dépendant sans que je ne parvienne à  savoir depuis quand.

Quel genre d'homme je pensais que tu étais ? La première réponse aurait sans doute été  : un enfant, pour commencer. Néanmoins là n'était pas le fond de ta question. 《 Hum... Probablement... 》 réfléchis-je à la question. J'essayais de te visualiser dans pareille situation. De ce que je connaissais de ta personnalité, tu étais plutôt fonceur. De toi même tu te définissais allègrement d'irresponsable et insouciant. Sans oublier le goût que tu avais prôner pour l'adrénaline. 《 D'une part, si tu ressembles effectivement vaguement à mon frère, il te faudrait plus que cela pour t'impressionner. 》 Après tout, mon esprit rationnel ne concevait pas non plus ce sport comme une véritable folie. 《 Le saut à l'élastique reste sécurisé. C'est une question de sensations fortes du fait de se jeter dans le vide, mais si le saut est effectué dans de bonnes conditions, ce n'est pas si dangereux.》 Si je raisonnais avec pragmatisme, je ne fus pas à l'abri de l'ombre d'un doute. Du regard, je te jugeais vaguement. 《 En revanche, je pense aussi que tu es le genre de gamins capable de le faire de manière inconsidérément.》 Mon instinct le pressentait. 《 Peut-être même capable de t'en vanter sur le net.》 Me dirais-tu le contraire. 《Dire qu'il suffit pour d'une malheureuse cigale pour t'arracher des cris stridents, 》 soupirais-je en me moquant affectueusement.

« Je suis pas un gamin ! » Une plainte qui s’élevait à peine avais-tu prononcé ce mot à travers ta réflexion  formulée en guise de réponse. Si j’avais commencé relativement tôt le saut, à présent, je ne pouvais me considérer comme un gamin. Du moins pas totalement… « La cigale c’est pas la même chose… » Qu’elle ressemblance pouvait-il y avait entre un truc qui vole et un saut à l’élastique exactement ? Une moue boudeuse s’installait sur mes traits en réponse, silencieux un instant avant de me décider à te répondre en utilisant des mots. « Il m’est arrivé de le montrer sur internet, mais… à l’époque j’étais bien plus sur Twitch que sur YouTube, alors c’était rare. Puis j’ai arrêté de même y penser. » Devais-je m’attarder sur les raisons de cet arrêt malgré mon envie de partage concernant cette passion ? Avant même que la réponse ne parvienne à mon conscient, mes lèvres, s’activaient d’elles-mêmes. « Parce que... Comme tu l’as dit, je peux le faire de façon inconsciente, dans des endroits qui ne sont pas appropriés non plus, et de plus en plus de gens me suivaient. De plus en plus de jeunes aussi qui pourraient vouloir reproduire sans le bon matériel, tout seul et sans préparation préalable alors j’ai préféré arrêté de montrer ce genre de chose.» J’étais de ces  jeunes qui reproduisaient parfois les bêtises de ses aînés, sans forcément me rendre compte de la gravité des choses. Si eux le faisaient, pourquoi ne le pourrais-je après tout ? Un état d’esprit qui frappait bon nombre de jeunes malheureusement. « Les jeux vidéo c’est moins dangereux… » Beaucoup moins bien que plus addictifs aussi pour certains.

Tu pouvais t’en défendre autant que tu le souhaitais, à mes yeux, tu te rapprochais plus de la figure du gamin que de l’homme. D’ailleurs, rien que ta façon de le revendiquer me confortait dans cette idée. Mais tu étais mignon, c’était indéniable. Et tu savais parfois faire preuve de maturité, un minimum. Bien que beaucoup de zones d’ombre et de doutes persistaient, bien que dans mon estime tu semblais te plaire à avancer pour mieux reculer, tu m’avais démontré que tu pouvais être homme sur qui compter. Oui, dans ces moments, je voyais en toi un homme, celui qui préfère rester cacher derrière une façade enfantine car certainement, la vie est plus facile ainsi. Néanmoins, je ne te l’avouerais. J’aimais trop te rendre ô combien tu m’embêtais pour te faire le plaisir de reconnaitre une once de masculinité en toi. « Oh, une prise de conscience de ta part ? J’en serais presque impressionnée, » te taquinais-je en plaçant le bout de mes doigts devant mes lèvres face à l’écran où tu apparaissais. Puis, je les fis retomber. « Néanmoins, ne vaudrait-il mieux pas commencer par arrêter de faire des choses dangereuses plutôt que de les cacher ? » Difficile de définir ce que je ressentais. Je me sentais… mitigée. Plusieurs partis débattaient. Mon côté rabat-joie s’exprimait incontestablement en défaveur de pareilles folies. La part cachée de mon être plus intrépide et aventurière ne saurait te retenir d’assouvir une telle soif de sensation. Quant à ce petit noeud dans mon estomac… éprouverais-je une once d’inquiétude à l’éventualité que tu puisses être blessé ?