Si ce fut un rire qui accueillait ta taquinerie, car indubitablement cela devait en être une à voir ton comportement, par la suite ce fut une légère, pour ne pas dire infime, grimace qui passait mes traits. Semblais-je si idiot pour n’avoir jamais conscience des choses ? Très souvent je me laissais porter par mes envies sans écouter mes pensées, mais lorsqu’à celles-ci je prêtais oreille et attention, je savais me rendre compte des choses. En règle générale tout du moins. Néanmoins, je ne m’attendais à tes mots suivants, je ne les comprenais et ne savais les interpréter. T’inquiétais-tu pour moi ? N’aimais-tu pas cela ? Ou pensais-tu que j’étais si irresponsable qu’il valait mieux m’en privé avant que la faucheuse ne vienne me faire un coucou ? Instinctivement, ma tête je bougeais de droite à gauche, négativement. « Non. Pourquoi ? » Sans doute étais-je bête de demander, après tout bien que nous ne soyons proches, bien que je ne sache comment qualifier notre relation, nous avions passés presque six mois dans la même fraternité. Six mois durant lesquels je m’étais amusé, jour après jour, semaine après semaine, à t’embêter, te taquiner. Des mois au bout desquels, plus que des blagues, nous avions également partagé baisers et étreintes sans que jamais celles-ci je n’accepte autrement que sans conséquences. Que tu m’apprécie ou que je t’insupporte, mon absence te pèserait-elle alors d’une façon ou d’une autre ? « J’ai jamais été gravement blessé à cause de ça, je fais attention. Je pense pas m’arrêter avant d’avoir une bonne raison de le faire. » Une famille, un travail m’empêchant de le faire ou tout simplement une blessure, une peur soudaine liée à un accident... Il y avait bien des raisons possibles et variées, mais aucune à l’heure actuelle que je pouvais envisager.

Pourquoi ? Alors, sans doute fut-ce la question la plus stupide que tu aies pu poser de la soirée. Et sans doute l’expression sur mon visage traduisit ma stupéfaction. Que tu répondes par la négative c’était une chose. C’était ton choix. Par contre que tu ne puisses même pas saisir le bon sens de mes mots, là, j’en étais abasourdie. Ne serait-ce pas l’évidence même d’envisager de cesser de mettre son corps voire peut-être sa vie en danger lorsqu’on avait conscience des risques au point de se garder de les démontrer. Au moins, tu ne le faisais pour t’en vanter et en tirer une quelconque fierté, c’était un point que je te reconnaissais mais tout de même, là, tu me coupais le sifflet. Un temps tout du moins avant que quelques sons ne parviennent à remonter le long de ma gorge. « Yah, tu… Et puis, laisse tomber, je n’ai pas envie de m’embarquer dans une conversation stérile avec un type bourré. » C’était même stupide de te parler tout court, et pourtant je persistais. Si je levais les yeux sur la pièce vide, je mettrais cette obstination sur ma hantise de la solitude. « Assure-toi seul que si tu es blessé un jour, je n’ai pas à te soigner, » râlais-je. « Sinon, tu découvriras ce qu’est vraiment la souffrance. » Je ne prendrais certainement pas des pincettes pour un inconscient qui cherche à finir estropié.

A mon interrogation des plus stupides tu n’offrais de réponses, après tout : ne pouvais-je la trouver seul ? Pourtant, j’aurais préféré entendre une explication de ta part, aussi rapide et courte que tu l’aurais souhaité. Mais rien. Seulement une plainte quant à mon état qui, cette fois, me révolterais presque. « J’ai pas bu depuis tout à l’heure, comment tu veux que je sois encore dans un sale état ? » Indéniablement si au début j’eus l’impression d’être totalement ivre, à présent l’alcool imprégnant mes neurones semblait progressivement mais lentement se dissiper. Une chance que je ne me demandais ce que nous faisions au téléphone ensemble, preuve que je n’avais lancé cet appel sur le coup de l’éthanol… « Si je suis blessé je viendrais pas te voir. » déclarais-je avec sérieux avant de rapidement poursuivre. « Tu t’inquiéterais probablement et je déteste ça. » Que tu me fasses souffrir davantage ne me faisait réellement peur, enfin pas véritablement puisque je ne le prenais au sérieux, mais l’idée de t’inquiéter, te faire paniquer ou que sais-je encore ; cette idée je ne parvenais à l’accepter.

De ma remarque tu t’insurgeais tandis que de mon côté, bras croisés, je campais sur mes positions. « Les gens ivres affirment toujours ne pas l’être, » rétorquais-je, boudeuse. Mais, ensuite, ce fut à mon tour de m’offusquer. « M’inquiéter ? » Le mot m’avait échappé, comme une aberration à m’en faire cligner des yeux. Mes bras se dénouèrent, ma paume rencontrant le matelas. À tout hâte, mon instinct avait tenu à se défendre d’un sentiment aussi véritable que je me refusais de l’avouer. « Pourquoi ai-je l’impression de me répéter si je te dis de ne pas prendre tes rêves pour la réalité ? »  J’en détournais la tête en redressant le menton. Dans ma poitrine, mon coeur me maudissait. Je sentais le regret de te parler ainsi. J’éprouvais la douleur à l’idée de te blesser. Pourtant, mes mots je n’avais controlé cette réaction défensive pour me protéger. Sans doute. « Je sais me montrer professionnelle et détachée à l’hôpital, je ne montre pas émotive quitte à prendre sur moi ! » Bien que précédemment, je prétendais te torturer, mais les deux ne sauraient être comparés. Et quitte à te savoir blessé, je préférerais savoir entre quelles mains tu te trouves pour être soignés. « Sinon, je n’aurais jamais… Bref. » Cet argument pour te prouver à quel point je pouvais prendre sur moi dans le cadre professionnel, je me gardais finalement bien de l’évoquer.

Comme à ton habitude, tu te défendais de toute inquiétude me concernant. Comme toujours, je m’en amusais bien que cette nuit ta réaction semblait peinée mon cœur autant qu’elle le soulageait. Je n’avais à me soucier de te provoquer du souci car jamais tu n’en aurais par ma faute… et c’était tout autant un problème qu’un remède. « Dans ce cas je viendrais te voir ! Rien que pour t’embêter. » Rien de tel qu’un de tes renards blessé sous le nez après l’avoir mis en garde de ne pas venir pour t’agacer pas vrai ? Au moins t’ennuyer et c’était déjà là suffisant à mes yeux. Mais après l’envie de vengeance c’était ma curiosité que tu faisais naître, pour la énième fois ce soir. « Sinon tu n’aurais jamais… ? » Mon interrogation en suspens, j’attendais après une réponse de ta part. « Je veux savoir… Dis-moi... » Loin d‘être un ordre, ma voix sonnait plus comme une douce demande de ma part. Quel type d’aventures t’était-il arrivé à l’hôpital ? Des choses amusantes ? Ridicules ? Étonnantes ? Tu vivais un quotidien bien différent du mien, alors j’aspirais à le comprendre un peu mieux, rien qu’un peu…

Pourquoi ? Pourquoi avais-je laissé fuser ces premiers mots en référence à un fait que je voulais à tout prix effacer de ma mémoire ? Qui n’aurait jamais dû se produire ! Je voulais croire qu’il ne s’agissait que d’un cauchemar. L’existence même de ce type aurait dû n’être qu’un cauchemar. Je ne savais si ta vision te permettait encore de déceler les changements sur mon faciès mais si oui, alors probablement décèlerais-tu mon teint devenu soudainement blême. Je déglutis à t’entendre manifester ta curiosité à ce sujet. « Non ! » clamais-je soudainement avec une détermination à en faire sursauter Mìngyùn. Le chaton émit un gémissement plaintif avant de s’en aller se rouler en boule au pied de l’oreiller un peu plus loin. Je ne voulais ni en parler, ni m’en rappeler. Malheureusement pour ce dernier, c’était trop tard. Les souvenirs s’imposaient dans ma mémoire. « Non, je ne veux pas le diiiiiire ! » répétais-je en ressentant tout le malêtre à travers chaque cellule de mon corps. Derrière mes mains, j’avais dissimulé mon visage en guise de rideau sur ma honte pour avoir dû… Avoir dû… Et là, je revis ces mêmes mains – bien que gantées – avoir dû toucher le sexe de cet homme et les éloignais instantanément dans un geste de dégouté tressaillant. « C’est trop horrible ! » D’une part pour avoir dû faire ce que j’avais fait, et d’autre part, le pire, parce qu’il s’agissait de lui ! Je le haïssais tellement. Cet incident si humiliant et rabaissant, je n’en avais parlé à personne. Pas même à mon fiancé. M’aurait-il encore accusé de trahison ? Un rire cinglant m’échappa un peu soudainement. Sans doute. Sans doute n’aurait-il vu que les mains et les yeux souillés de sa fiancée plutôt que l’immonde humiliation d’avoir dû panser le sexe de l’homme qui l’avait précédemment brutalisé. Cette information, j’avais fini par lui révéler. Je n’en avais tiré que jugement et rejet. Au souvenir de cette soirée, j’avais toujours si mal… Pus-tu le lire à cet instant dans mon regard vague ?

Si notre chaton sursautait, il ne fut le seul lorsque cette exclamation s’élevait dans les airs. A son instar, mon corps fut secoué d’un soubresaut, et mon esprit agité de trouble. Pourquoi refusais-tu aussi catégoriquement ? Si cela m’étonnait, j’en venais vite à la conclusion que les événements n’avaient dû être plaisant pour toi ; alors ma curiosité je ravalais, de questions je ne te poserais davantage sur ce sujet. Mais si un jour tu désirais m’en faire part, tu savais que tu le pourrais n’est-ce pas ? Rien que pour rigoler d’un souvenir qui, au jour d’aujourd’hui, t’apportait des frissons d’horreur… Et une pointe de douleur ? Ton regard perdu dans le vague m’était impossible à ignorer et, plus que de me laisser porter par la discussion, je réfléchissais activement à détourner celle-ci. Je ne voulais te voir te remémorer des souvenirs douloureux… « Dans ce cas, t’as des bons souvenirs à me raconter de l’hôpital ? Des bêtises que vous pouvez avoir fait… Des événements heureux auxquels t’as pu assister… Ce que tu préfères faire là-bas… » A peu près, tout et n’importe quoi qui pourrait te changer l’esprit.

Impossible de définir si tu n’insistes pas plus à ce sujet par respect, par désintérêt, ou encore si tu avais remarqué ma peine soudaine. « Des bêtises ? L’hôpital n’est pas le lieu le plus propice pour cela. Et je ne suis pas non plus la première personne que l’on vient habituellement chercher pour s’amuser. » Je connaissais mon image : froide, rigoureuse et d’un sérieux excessif. Lorsque quelqu’uns de mes pairs avaient facéties en tête, assurément ne m’en faisaient-ils pas part de craintes que je ne les en dissuade ou empêche de manière bien plus catégorie. Par ailleurs, extrêmement rares étaient ceux qui envisageaient de me prendre pour cible de mauvais tours. Certainement fallait-il au moins être gumiho pour oser une telle folie, et encore. Bien sûr, toi, tu ne te gênais. Et nos ainés de l’hôpital ne m’épargnait pas non plus de leurs semblants de bizutage. « Il n’y a bien que des ainés ou des titulaires pour m’infliger des farces à l’hôpital. Disons qu’en consultation, on peut voir de tout et n’importe quoi et des personnes de tout tempérament, alors, c’est toujours plus amusants pour eux de laisser, pour ne pas dire obliger les stagiaires à s’en charger. » Ce qui me ramenait à nouveau au souvenir que je préférais éviter. Je poussais un profond soupir. « Bon, je vais te le dire ! » Au fond sans doute avais-je envie de pouvoir le confier aussi. « Mais avant, attends-moi deux minutes ! » Le téléphone j’abandonnais sur le lit sous le nez de notre chaton. « Mìngyùn, tiens compagnie à ton père, je reviens ! » Et sur ce, je me dirigeais vers la porte de ma chambre.

De mon seul séjour à l’hôpital je ne retenais que les visites que j’avais reçues. Les infirmières semblaient toujours si nerveuses, préoccupées et les médecins n’en parlons même pas … Si de l’amusement j’avais su trouver quand mes parents –et surtout ma mère– n’étaient dans le coin, cela ne semblait être le cas du personnel médical. Alors je me sentais en droit de me demander : de quoi pouvez-vous vous amusez ? Un foie à la forme étrange ? Un patient qui parlait en dormant ? Je ne savais, du moins jusqu’à ce que tu me parles de la façon dont tes aînés traitaient les stagiaires. Le bizutage était donc l’activité favorite et préférée de ces gens… Il y avait fort à faire à ce niveau, pour sûr ils ne devaient tomber en panne d’idées. « Je veux savoooir ! » chantais-je à peine eus-tu annoncer que tu me révélerais cette expérience qui semblait t’avoir marqué. Mais la seconde suivante… Tu disparaissais et mon enthousiasme je perdais. « Hein ? Tu vas où ?! » Une question qui ne reçut de réponse autre que des bruits de pas qui semblaient s’éloigner. Alors je faisais une moue boudeuse, patientant quelques instants sagement… Avant que le temps ne soit trop long. Dans le lit je roulais alors en soupirant avant de me redresser pour commencer à retirer mon t-shirt car j’avais encore trop chaud… mais je finissais par avoir froid alors j’enfilais mon sweat à nouveau avant que la soif ne me gagne. « Amènes moi à boiiiiiiiiiiiire stppp » fut le message que j’envoyais à Shen sans avoir de réponse pour le moment, sans doute le temps qu’il le voit…

Durant plusieurs minutes, je disparus de l’écran. Pas un son produit par ma personne ne put te parvenir durant ce laps de temps. Si le daigna, Mìngyùn put éventuellement te tenir compagnie, cependant, il y avait fort à parier que le félin ce soit précédemment lassé de jouer avec ton visage apparaissant à l’écran. Notre chaton n’était d’un naturel bien patient. Puis, tu pus sans doute entendre la porte s’ouvrir à nouveau et quelques instants plus tard, je revenais m’asseoir sur mon lit. Le téléphone dans une main, au creux de l’autre je tenais un verre rempli de quelques centilitres d’un liquide transparent, ressemblant à de l’eau. « Si vous les gumis, vous imaginez que je ne sais pas où vous rangez votre alcool. » Les gens en ce dortoir avaient bien moins de secret pour moi qu’ils ne le pensaient. « Je bois ça et je suis à toi ! » Je dirigeais le verre dans ta direction comme si nous trinquions, puis je le portais à mes lèvres et ingérais prestement son contenu d’une traite. « C’est toujours aussi immonde ! » me plaignis-je aussitôt avaler. Au coin de mes yeux, des larmes perlaient. Néanmoins, je savais que j’aurais besoin de ce coup de pouce pour raconter cette histoire dont personne n’avait jamais eu vent jusqu’à présent. Je pris une profonde inspiration. « Ça ne devrait pas tarder à faire effet, » te dis-je en ventilant mon visage après avoir déposé le contenant sur ma table de chevet.