Que s’était-il passé ? Hors du canapé je sautais en prenant mon portable, comme si j’avais besoin de confirmer l’évidence. « T’aurais pas dû demander un autre surnom… » « Je pense pas que ce soit le problème. » C’était même certain. Rapidement, bien que la pièce tanguait un brin autour de moi, j’appuyais à nouveau sur le bouton pour te joindre. Un appel, tout ce qu’il y avait de plus simple mais j’avais promis de t’accompagner jusqu’à la fraternité, tu ne pouvais pas rentrer seule. Cette raison me pousserait à t’envoyer des messages même s’il le fallait ! Sautillant sur place, je répétais ces mots inlassablement : « Décroche, décroche, décroche. » Si bien que mes amis finissaient par rapidement se moquer de moi pour être aussi inquiet. Après plusieurs sonneries, tu décrochais enfin. « Hera ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi t’as raccroché ? Tout va bien ? » Tout en formulant mes inquiétudes je quittais le salon une fois encore, restant cette fois-ci dans le couloir, près de la porte.

L’appel coupé, je tenais fermement et nerveusement mon téléphone au creux de ma main. L’envie de le jeter sur le sol ne me manquait. Je luttais. Plus encore tandis qu’accélérant le pas, je tentais d’ignorer ton appel. En vain, décrochant finalement soudainement. Tu fus le premier à parler et tu me fis rire. Jaune. « Pourquoi ? » raillais-je. « Pourquoi j’ai raccroché ? » répétais-je avant de lâcher un rire narquois. J’inspirais profondément, emplissant mes poumons d’ironie. Que de répondre à cela ? Tu t’étonnais que je puisse ne pas apprécier d’être prise pour une conne ? Ah mais, non. C’était naturel pour toi, n’était-ce pas ? « Laisse tomber. » soupirais-je sèchement. « Je raccroche alors ne rappelle pas cette fois ! » Je m’apprêtais à le faire lorsque… « Et puis, non ! » clamais-je avec agacement l’appareil de retour contre mon oreille. « Écoute moi bien, Woo Haneul ! Tu fais bien ce que tu veux de ta vie, avec tes amis, ou tes groupies ou que sais-je encore ! Mais ne t’avise jamais de me mettre dans une case ! Je ne suis pas comme toutes les autres que tu peux t’amuser à embêter juste pour ravir tes yeux égoïstes, flatter ou émoustiller ton égo ! » sifflais-je froidement. « Je ne suis comme personne, encore moins comme une généralité d’idiotes avec lesquelles tu t’amuses ! Je t’interdis de mettre mon nom dans la liste de tes jouets ! » tempêtais-je à tes oreilles.

Mon cœur battait la chamade, plus encore en entendant que tu allais raccrocher de nouveau. « Attends ! Je... » Puis tu décidais de l’inverse, m’inondant de paroles que mes neurones noyés dans l’alcool peinaient à comprendre. Je n’étais totalement bourré, mais… Je n’étais pas prêt pour une discussion de ce genre avec quelqu’un. « Pourquoi tu dis tout ça ? … Ce qu’a dit Kang Wei t’a énervé ? » Je ne comprenais pas ton emportement mais je tendais à vouloir l’apaiser sincèrement, sans te mentir, sans te cacher la vérité ou quoi que ce soit d’autre. Que tu comprennes afin que la situation ne recommence à l’avenir… Bien que je ne sache trop si elle recommencerait un jour, ce serait étonnant. « J’ai jamais admis jouer avec toi et je n’ai pas la sensation de le faire. J’aime t’embêter, t’agacer sans t’énerver pour autant, parce que t’es mignonne quand je le fais. Mais tu crois que j’ai une liste de jouets ? Lundi ce sera la p’tite sango, mardi la pyo, oh tiens mercredi Hera, ça fait longtemps ! Tu crois que je marche comme ça ? » Je soupirais et posais l’arrière de mon crâne contre le mur, les yeux rivés vers le plafond, incapable de croire que tu puisses avoir cette image de ma personne. « Et comment tu veux que je te mette dans une case quand j’ai aucune idée de notre relation ? T’es pas une amie mais t’es pas une étrangère non plus, une connaissance c’est trop peu mais dire que t’es comme une sœur est impossible non plus. Et j’ai pas l’option « jouet » dans mes catégories, désolé mais tu pourras pas la rejoindre même si tu voulais. »

Tu ne semblais comprendre, ou peut-être le prétendais-tu pensant que je t’ai vu pas. « Tu ne connais pas le proverbe : qui ne dit mot consent ? » Toi qui étais resté soudainement muet à la remarque de ton ami, forcé par l’alcool à admettre la vérité. « Parce que tu n’es pas comme ça ? » rétorquais-je plus que sous-entendeur. Tu n’assumais donc plus les propos que tu tenais si fièrement à ton arrivée. Toi qui paraissais tirer tant d’orgueil à tomber les filles. « Et tu crois que je voudrais être ton jouet ? Me connais-tu si mal que ça ? » De tous tes mots, j’ignorais lesquels m’horripilaient le plus. « Oh, j’imagine que pour ta conscience tu dois donner une autre appellation aux filles avec lesquelles tu t’amuses ? Il y a un grade supérieur pour la promotion de celles qui vont jusqu’à ton lit je suppose aussi ? » Mais vraisemblablement, je ne faisais bel et bien pas partie du lot. Non, évidemment, comment pouvais-je être espérée être une femme ? Être regardée comme une femme. « Petite soeur… » Je peinais à croire mes oreilles. Mais après m’être entendue dire que je n’étais pas une amie, ces termes furent bien les plus blessants à entendre. Ils me scandalisaient. « As-tu cru que tu pouvais avoir cette place juste parce que je t’ai appelé Oppa ? » Navrée, ou pas, mais cet statut de frère n’était pas pour toi. Et je voulais encore moins être ta petite soeur. Quand bien même, tu le disais impossible, tu y avais pensé. Tu l’avais envisagé. Tu me blessais comme je n’avais absolument pas envie de l’être. Pas maintenant. Pas après ce que je venais déjà de traverser. « L’alcool ne te rend pas plus intelligent en tout cas. » sifflais-je, glaciale.

Aucune de mes explications et aucun de mes exemples ne semblaient aider à résoudre la solution. Enivré par l’alcool que j’étais, aveuglée par l’énervement de ton côté, notre discussion avait-elle un but précis ? Une utilité ? Au moins… Je continuais de t’accompagner de ton trajet vers la fraternité, même dans notre tumultueuse discussion, cette promesse je gardais. « C’était des exemples. Tu crois qu’après t’avoir embrassé je peux dire que t’es comme une petite sœur ? Je ne suis pas fervent adepte de l’inceste… »  Je ne savais pas trop si l’évoqué était une bonne idée… Mais les mots m’avaient échappés à cause de l’alcool. « T’as déjà rencontré un homme plus intelligent bourré que sobre ? Ça n’existe pas. De plus ! » Ma voix s’élevait légèrement à ces derniers mots, plus fermes avant de retrouver leur douceur habituelle. « J’donne pas de surnoms ou quoi que ce soit d’autres aux femmes avec qui j’ai couché… Elles et moi, on a passé un bon moment, c’était cool, agréable, Fin. The end. Pourquoi je devrais leur donner un surnom, un rang ou j’sais pas quoi ? Je parle même pas d’elles à mon entourage, je repense pas à elles, je les compare pas. Je… Je comprends pas quel genre d’homme tu penses que je suis… J’ai l’impression d’être un enculé quand je t’entends parler de moi, à numéroté les femmes avec qui je couche, à les classer, qui est la meilleure, qui a le plus de seins, qui suce le mieux, à les comparer avec mes potes… Je suis pas ce type d’homme ! J’ai parlé de toi avec respect,  je t’ai appelé par ton nom, je t’ai pas comparé à d’autre… » Je poussais un lourd soupir après ces mots, ne sachant comment continuer.

C’est vrai, nous nous étions embrassés. Et au fond, à la fin de la journée, pas seulement pour le jeu, n’était-ce pas ? Ou peut-être que si. Pour toi si. Parce qu’un baiser ne représentait pas la même chose pour nous deux. Parce que comme tu me rappelais par tes mots suivants, des femmes, tu en avais embrassés des dizaines. Et plus encore. Vous aviez partagés un moment comme tu disais. Pourquoi est-ce que t’entendre parler ainsi me faisait si mal ? Pourquoi la pensée de tous tes ébats, ces choses, ces pratiques que tu évoquais me pesaient ? Parce que l’écart entre nous s’imposait derechef. Je me sentais si mal. Mal dans ma peau. Cette peau dont je voudrais me débarrasser comme si cela m’aiderait à me libérer. Mais de quoi ? De mon complexe. Je ne t’intéressais et quand bien même aurait-ce été le cas, à t’entendre parler de la meilleure, de sucer…etc, je savais que je n’aurais pu te satisfaire alors, à quoi jouait-on exactement ? Tu pus m’entendre soupirer. Un soupir qui répondait au tien. J’inspirais ensuite, sur un ton plutôt doux mais douloureux, je te dis : « Tu sais, Haneul… » J’hésitais puis continuais : « Je te l’ai déjà dit, pour tous ceux qui pèchent d’insouciance, il y en a d’autres qui en payent les conséquences à leur place… » Présentement, j’étais celle qui encaissait les coups.

Je ne savais plus comment me défendre, t’expliquer, te raisonner. Cela semblait aussi laborieux que vain, car finalement tu ne répondais. Un simple soupir en écho du mien pendant de longues secondes. Devais-je continuer ? M’excuser ? Je ne savais comment on en était arrivé à cette discussion, pourquoi nous l’avions même, c’était étrange. Je comprenais que nous ne devrions parler de tout cela au vu de notre probable relation et pourtant, je ressentais également le besoin de te le dire, de te l’expliquer. Que tu saches, tout simplement. Puis tu formulais ces mots, cette phrase que tu m’avais dite peu après notre première rencontre dans le parc. Plus impactant que ce jour-là, une interrogation germait dans mon esprit : avais-je fauté ? Avec toi, avais-je commis une erreur ? Silencieux un moment, en quête de réponses, ce fut avec quelques dizaines de seconde de battements que je te répondais. « Je veux juste que tu sois heureuse… » Soufflais-je tout bas, venant à la conclusion que, certainement, quelque chose devais t’avoir blessé. « Je t’avais dit aussi… parler à mes amis n’était pas une bonne idée… Kang Wei ne réfléchit pas et Shen fait des bourdes à longueur de temps. Désolé que ça t’aies blessé plus que tu t’es amusée... Et… Pour le coup de l’infirmière… » Mes joues rougissaient alors que, de nouveau la timidité me frappait de plein fouet. « L’alcool… Nan pas l’alcool… Le Moutai, fort, a… tendance à… à me faire dire n’importe quoi… ça m’a… échappé… »

Pourquoi voulais-tu me voir heureuse ? Pourquoi cela ne me faisait pas plaisir de l’entendre ? Parce que je comprenais ? Pouvais-je croire en la conclusion qui se dégageait de tes mots ? Entre les lignes. À la croisée de tes contradictions. « L’alcool… Oui, de toute façon, tu l’empestes presque jusqu’en Corée, alors à quoi bon mettre un sens à tes mots ? » soupirais-je. Difficile de cerner si l’alcool avait bon dos ou s’il était le seul véritable coupable. « Néanmoins, tu aurais bien besoin de réfléchir à ce que tu veux, Haneul. » J’avais beau me persuader d’un sens ou dans un autre, raisonner mes espoirs, faire la part de mes potentielles illusions et du rationnel, ton comportement vis-à-vis de moi était incohérent. « Tes oeillères peuvent peut-être t’empêcher de voir mais pas de percuter. » Je m’entendis prononcer ces mots, sur un ton sage et apaisant, mais affecté par ma propre peine. Ils résonnèrent en écho, non pas pour le contenu mais pour la forme. Un éclat de rire ironique m’échappa tandis que je le ravalais en reniflant légèrement. « Ah ! Le rôle de la voix conseillère me manquerait presque ! » Entendrais-tu comme ma voix s’était nouée ? Mes larmes en tout cas, tu ne les voyais pas. « Mais je ne l’avais encore jamais testé sur un individu bourré, » essayais-je de relativiser. Trouver de la force dans une pointe d’humour. Je parlais avec un type ivre. Rien de tes mots n’était vrai, et tout des miens tu oublierais. Quelle conne j’étais.

Un léger rire s’échappait de mes lèvres en t’entendant dire une telle absurdité, néanmoins, peut-être que je devrais arrêter le temps que je t’avais au téléphone ? Désireux d’éviter d’autres faux pas, je me dirigeais vers la chambre pour m’isoler tout en t’écoutant attentivement. Ce que je voulais ? A mes yeux cela était évident : m’amuser. C’était d’ailleurs la première réponse qui me venait en tête avant de me dire que, certainement, si tu me disais de réfléchir c’est qu’il y avait une raison. Mais est-ce que tu espérais vraiment me le faire comprendre de façon si sous-entendue après l’alcool que j’avais bu ? La porte fermée, je m’allongeais dans le lit, le nez à moitié dans les draps, silencieux depuis tout ce temps. « Je suis un rat de laboratoire ? » demandais-je avant de basculer en appel visio une nouvelle fois. Accepterais-tu ? Je voulais m’assurer que ce que j’avais entendu n’était des larmes, tu ne pouvais pas pleurer… Pas à cause de nous qui plus est. « Acceeeptes » lançais-je avec une voix mignonne pour te faire craquer. « Tu voulais pas me voir bourré ? » Tu avais eu l’occasion de le voir mais c’était bien la seule excuse que j’avais à l’heure actuelle. « Je suis encore plus mignon quand je suis seul. »

Te parler dans cet état était inutile, mais peut-être fut-ce pour moi que je le fis ? Pour t’exprimer au moins une fois comme ton attitude pouvait être troublante et malheureusement blessante. Tu agissais comme un homme, intéressé, non même, nous avions flirté c’était indéniable. Que ce soit par sms et peut-être même au parc… Je mordis la lèvre, comment pouvais-tu agir de la sorte sans que cela n’ait aucun sens pour toi. De nous deux, je n’étais finalement peut-être pas la plus cruelle et égoïste. Les yeux levés vers les étoiles à tenter de retenir mes larmes – autres que celles qui roulaient déjà sur mes joues – je fus surprise de t’entendre me demander d’accepter avant de comprendre que tu m’envoyais une demande de visio. Que faire ? Brièvement, je paniquais puis me hâtais d’essuyer toutes traces de perles de sel ruisselant du bord de mes yeux. Je reniflais et acceptais. « Tu as renoncé à être viril, finalement ? » Tu avais probablement raison, mignon te convenait mieux. En apparence tout du moins. « Avant que tu ne fasses le moindre commentaire, il fait froid ici ! » anticipais-je toute remarque quant à mes yeux rougis ou mes faibles reniflement. Si mon visage était bouffi, ce n’était que conséquence du froid et nulle autre chose.