Trois jours. Cela faisait trois jours que Malee n'avait pas mis les pieds au dortoir. Trois jours qu'elle avait passé chez une amie, à ne sortir le bout de son nez que pour se rendre dans son lieu de travail. Trois jours qu'elle avait passé à réfléchir. Elle avait eu besoin de s'isoler. Mais sa famille lui manquait. Alors elle avait pris son courage à deux mains pour retourner au dortoir. La miss était une véritable maman poule, elle passait son temps à s'inquiéter pour les autres membres de sa fraternité, alors évidemment, passer trois jours sans pouvoir s'occuper d'eux avait été véritable difficile pour elle. Mais elle était de retour. Elle ne se sentait pas spécialement mieux, néanmoins elle l'était suffisamment pour pouvoir à nouveau afficher un visage serein.
La voilà donc qui prend une grande inspiration, avant d'ouvrir la porte du dortoir et d'entrer d'un pas prudent et calme. Elle avança un peu, s'arrêta devant le salon et salua les wonsungis présents. Certains lui demandèrent où elle était passée, elle leur répondit d'un sourire rassurant. Son éternel sourire joyeux, dont elle usait dès qu'elle en avait l'occasion, ce sourire qui en était presque venu à devenir sa marque de fabrique. Hormis quand elle devait se montrer sérieuse, il était rare de ne pas le voir fixer sur son visage. Elle avait toujours été comme ça, à propager la bonne humeur par cette expression faciale. Néanmoins elle ne resta pas longtemps dans le salon, avant de se rendre à la cuisine et d'ouvrir le frigo. Oui, elle s’inquiétait réellement. Elle passa en revu le contenu de meuble, vérifiant qu'il y avait bien suffisamment d'aliments, qu'aucun wonsungi ne s'était laissé mourir de faim pendant son absence. C'est qu'elle avait pris l'habitude de leur cuisiner de bons petits plats, dès qu'elle en avait l'occasion, c'est-à-dire au moins le matin, généralement. Elle adorait s'occuper du petit-déjeuner, sans trop savoir pourquoi ça lui plaisait autant. Sûrement parce que c'était le repas le plus important de la journée et qu'elle aimait savoir que tout le monde mangeait suffisamment à cette occasion-là. Une fois rassurée par l'état du frigo, elle ressortit de la pièce et se rendit à l'endroit principal pour elle, celui où elle avait l'habitude de passer une partie de ses journées. Sa chambre. Elle espérait ne pas croiser ses colocataires. Du moins pas dans l'immédiat. Elle savait qu'ils avaient forcément remarqué son absence. Et elle ne voulait pas qu'ils la questionnent à ce sujet. Parce qu'elle savait qu'elle ne pourrait, de toute manière, pas leur dire la vérité. Sauf à Hara, sa meilleure amie, évidemment. Néanmoins, alors qu'elle se dirigeait vers la pièce, une rencontre inattendue la fit s'arrêter en plein milieu du couloir. Minhyun. Elle lui adressa un grand sourire et, changeant de trajectoire, se rendit directement vers lui. Minhyun ! Ça fait quelques jours qu'on ne s'est pas croisés. Ça va ? Il ne s'est rien passé de grave ? Se trouvait face à elle la principale personne qui monopolisait son inquiétude. Minhyun. Il lui semblait si timide qu'elle avait souvent envie de le prendre dans ses bras et de le chouchouter jusqu'à ce qu'il se sente suffisamment prêt pour se lâcher un peu. Elle le dorlotait comme elle aurait dorloté un petit animal. Oui, la comparaison n'était pas flatteuse, mais elle était en partie réelle.
 

Hésitation. Elle le fixait avec attention, les yeux légèrement plissés, tentant de vérifier la véracité des propos du jeune homme. Est-ce qu'il allait réellement bien ? Il était dur à cerner, elle n'arrivait jamais à savoir ce qu'il pensait réellement. Néanmoins elle faisait des efforts, elle essayait d'analyser son comportement, de démêler le vrai du faux et de l'aider. Sans vraiment de succès malheureusement. Elle ouvrit donc la bouche, s'apprêtant à émettre un commentaire, quand il recommença à parler, lui clouant le bec. Là pour le coup, elle en restait figée sur place, incapable de parler. Elle se doutait bien que son absence serait remarquée. Du moins par certaines personnes. Elle ne savait pas que ce serait le cas de Minhyun... Mais ça lui faisait plaisir. Un petit peu. Mais d'un autre côté elle se disait, qu'étant donné la manière dont elle se démenait pour lui et le nombre de fois où elle était venue le voir et où avait essayé de l'inciter à se sociabiliser, c'était évident qu'il avait fini par la remarquer. Et donc se rendre compte quand elle n'était pas là. Ça devait être tout de suite plus calme pour lui. Elle eut un petit sourire et agita la main en l'air. Je suis juste restée quelques jours chez une amie, rien d'inquiétant. Et puis j'ai vu que vous vous en êtes sortis sans moi, j'avoue que je craignais le pire. Et elle ponctua ses paroles d'un petit rire. Certains wonsungis étaient très peu débrouillards et même si d'autres l'étaient beaucoup plus, elle ne pouvait pas s'empêcher de craindre le pire pour ceux-là. Parfois, quand elle devait s'absenter quelques temps, elle avait l'impression d'abandonner des enfants à eux-mêmes. Étant donné leur âge, c'était assez perturbant comme impression, néanmoins elle n'arrivait pas à s'en détacher. Elle devait avoir un instinct maternel beaucoup trop développé. Et c'était assez dommage sachant qu'elle n'aura peut-être jamais d'enfants. Elle regarda Minhyun. Lui sourit à nouveau. Elle avait l'impression de le savoir un peu plus ouvert, par le simplement fait qu'il lui aie confié s'être fait du souci, et ça la rendait infiniment heureuse. Elle avait constamment le sentiment qu'il n'allait pas bien et même si elle en ignorait la cause, elle voulait à tout prix qu'il aille mieux. Et selon elle, pour aller mieux, il fallait d'abord se lâcher un peu plus, s'ouvrir aux autres. Elle espérait de tout coeur qu'il y arrive un jour. Et tu n'as pas de soucis à te faire, dit-elle en hochant la tête pour appuyer ses paroles. Mais promis j'éviterai de disparaître comme ça à l'avenir. Je suis contente de te voir en tout cas ! J'ai loupé quelque chose ? En lui posant des questions, elle voulait le forcer à rester, à lui parler. Elle ne voulait pas que, croyant la discussion finie, il en profite pour s'échapper. Elle voulait prolonger la conversation aussi longtemps que possible. Même s'il ne s'en rendait pas forcément compte c'était important pour elle qu'il essaie de communiquer.
 

Malee avait l'impression de se retrouver dans la peau d'une enfant injustement accusée par ses parents, qui la soupçonnait d'avoir volé des bonbons. Bon, effectivement, la comparaison n'était pas tout à fait exacte. Néanmoins les paroles de Minhyun et l'intonation qu'il y mettait provoqua chez la jeune femme un léger malaise qu'elle fit disparaître aussi vite qu'il était arrivé. Elle effaça ce sentiment avec un petit sourire, et haussa les épaules. Elle savait que son camarade n'était pas méchant. Ou du moins elle le pensait de tout son coeur. Mais elle était comme ça Malee, une éternelle optimiste. Je suis sûre que tu en sais plus que tu ne le penses. Et puis les autres sont trop bruyants pour que tu les ignores, même si tu le veux. Elle eut un petit rire suite à ses paroles. C'était vrai tout ça. Et c'était en parti pour ça qu'elle avait l'impression d'être une mère face à une nuée d'enfants. Elle était une des plus calmes de la fraternité donc forcément ils lui apparaissaient tous comme une belle bande d'excités. Mais au fond elle aimait bien ça. C'était divertissant. Elle se sentait tellement bien dans sa petite famille, elle se sentait à sa place, c'était pour cette raison que ces trois jours étaient passés avec la lenteur d'un escargot. Elle ne voulait plus jamais avoir à se séparer d'eux, quoiqu'il se passe. Au final, cet éloignement lui avait ouvert les yeux sur tout ce qu'elle éprouvait pour ses camarades. Elle fit la moue, faussement boudeuse, suite aux paroles de Minhyun, quand le sourire du jeune homme l'arrêta en plein mouvement. Elle cligna des yeux. Le regarda. Un sourire. Il souriait. Comment faire semblant de mal prendre ses paroles quand il faisait cette tête ? Elle l'imita alors, les coins de sa bouche se relevant. Pas de soucis, je te préviendrai ! Ça te fera des mini vacances. Je pourrai même te passer le relai hein ? Tu t'occuperas de la cuisine et tout ? Elle eut un petit rire. Pouvoir plaisanter comme ça avec Minhyun, c'était tellement rare et inattendu, qu'elle en était presque choquée. Habituellement elle faisait des petites blagues dans son coin, sans qu'il participe. Disons que ça changeait beaucoup, ç'en était presque choquant. Elle le fixa d'ailleurs, le sourcil arqué, la mine faussement sérieuse. J'espère que t'as bien profité de ces trois derniers jours en tout cas, parce que je ne compte pas disparaître de si tôt ! Et c'était vrai. Tout du moins ça ne faisait pas partie de son programme. Elle craignait juste le moment où elle devrait quitter l'université, à la fin de ses études. Même si elle avait hâte d'entrer pour de bon dans la vie active, de trouver le travail de ses rêves, elle espérait que ce soit le plus tard possible.
  

Je peux t'apprendre à cuisiner si tu veux, proposa-t-elle en hochant la tête. Elle était une chef derrière les fourneaux. Après une année complète à s'occuper du petit-déjeuner, du déjeuner et du dîner pour ses parents, parce qu'elle n'avait strictement rien d'autre à faire, elle avait fini par acquérir une certaine compétence. Et elle trouvait qu'elle ne se débrouillait pas trop mal. Elle sourit quand il rit, trouvant son rire agréable à entendre. Pourquoi est-ce qu'il n'était pas plus souvent comme ça ? Elle ouvrit la bouche, s'apprêtant à répondre, à lancer de petites piques pleines d'affection sur ses wonsungis, quand Minhyun s'avança vers elle avant de reprendre la parole, lui annonçant une information qui la cloua sur place. Elle cligna des yeux un instant, essayant de comprendre où il voulait en venir. Deux mères ? Immédiatement, elle pensa à un couple homoparental. Évidemment, puisqu'en un sens ça la concernait un minimum. Mais elle savait que ça ne pouvait pas être ça. Elle devait se tromper. Le ton de Minhyun tranchait avec cette idée. Elle ne comprenait pas. Comment ça, deux mères ? Oui elle avait posé la question, elle avait osé. Elle se doutait qu'il ne répondrait pas, au fond il était aussi secret qu'elle, même si elle apparence elle semblait beaucoup plus transparente que lui. Ils n'étaient pas rares, ceux qui pensait la connaître. Mais parmi ceux-là, très peu la connaissaient réellement. En vérité, il y en avait très peu, qui savaient tout d'elle, même parmi ses proches. Parfois elle en éprouvait une pointe de culpabilité. Qui disparaissait bien vite. Parce qu'elle était comme ça, elle n'aimait pas parler d'elle, de ses secrets, elle avait peur de la réaction de son entourage. Alors elle se taisait. Pourtant... pourtant elle avait espéré que Minhyun finirait par se lâcher. Mais visiblement ce n'était pas le cas, à en croire la manière dont il la poussa légèrement, puis les paroles qu'il laissa sortir. Elle était attristée. Elle avait l'impression qu'au lieu de l'index, c'était avec le poing qu'il lui avait donné un coup. Un coup de poing en plein dans le coeur. Elle ne pensait pas qu'elle le prendrait aussi mal. Mais elle cacha ses émotions à la perfection, tout en secouant la tête. C'est dans ma manière d'être, tu ne peux pas me demander d'arrêter d'être ce que je suis. Je serai toujours inquiète, tout le temps, pour tout. Y compris pour toi. Une pause. Son ton avait changé, elle était devenue sérieuse. Disparu le sourire, son sourire si habituel que certains pensaient qu'elle ne savait pas arborer une autre expression. Personne n'était habitué à la voir comme ça, y compris ses camarades de classe. Elle secoua une nouvelle fois la tête, le regarda. Je te dérange tant que ça ? Je peux arrêter d'être aussi envahissante. Je peux arrêter de venir te parler, si ça te dérange autant. Non elle ne le voulait pas. Au bout du compte elle s'était attachée à lui. Peut-être était-ce pour ça qu'elle avait aussi mal. Elle se sentait rejetée.
  

Et d'un coup, tout se fit jour dans l'esprit de Malee. Deux mères. Une qui abandonnait, l'autre qui mentait. Il avait été adopté ? Elle le regarda en penchant légèrement la tête, essayant d'analyser son expression faciale, sa manière de parler, le ton qu'il avait employé. C'était probablement ça. Ça expliquait tout, ça expliquait pourtant la notion de "mère" ne lui plaisait apparemment pas, pourquoi il semblait toujours si blessé, si renfermé sur soi-même. Malee était bien placée pour le savoir, quand on ne peut pas donner sa confiance à ses géniteurs, on imagine ne pouvoir la donner à personne. Si elle avait tout de même réussi à se libérer de ses parents, c'était grâce aux wonsungis, grâce à sa petite famille. Mais Minhyun n'était pas comme elle, lui ne se laissait pas faire, il ne voulait donner de chance à personne. Pourtant voulait-il rester seul ? Elle pouvait peut-être comprendre, mais elle n'adhérait pas à l'idée. S'il avait rejoint une fraternité, après tout, ça devait être pour intégrer un petit groupe soudé non ? Pour en faire partie, pour s'y sentir à l'aise. Comme chez lui. Tout du moins c'était comme ça que la thaïlandaise imaginait les choses. Elle souffla, puis laissa un petit sourire percer sur ses lèvres, essayant de le rendre le plus rassurant possible. Il se confiait à elle et elle en était ravie, mais elle ne voulait pas non plus lui faire peur. Elle voulait qu'il continue à parler, à s'exprimer. S'il n'avait pas été lui, peut-être même aurait-elle poussa le vice jusqu'à essayer de le prendre dans ses bras, pour lui tapoter affectueusement le dos. Mais il savait très bien que Minhyun ne réagirait pas. Alors elle se retint, se contentant de s'avancer un petit peu, réduisant encore plus la distance qui les séparait. Cette distance qui n'était pas que physique, d'ailleurs. Mais tu n'as plus à te débrouiller seul, Minhyun, c'est ce que j'essaie de te faire comprendre. Tu n'es plus seul, tu fais parti de la famille maintenant, que tu le veuilles ou non. Et même si on peut te laisser en paix si tu veux, au fond, tu ne seras plus seul. Elle hochait la tête tout en parlant, fermement convaincue de ce qu'elle disait. Oui les wonsungis étaient toujours présents les uns pour les autres, à se chouchouter, se chamailler, jouer ensemble et s'amuser dans la joie et la bonne humeur. De véritables petits singes. Mais au bout du compte, il suffisait de demander à ce qu'on le laisse tranquille, pour que tout le monde accepte de lui accorder un petit répit. Bon bien évidemment, ce répit ne serait pas forcément très long, après tous ils étaient tous bruyants dans cette fraternité, même quand ils ne le faisaient pas exprès, c'était marqué dans leurs gènes. Mais au bout du compte, c'était ce qui les rendait si attachant. C'était pour ça aussi qu'elle les aimait autant. Je ne peux pas comprendre ce que tu as vécu, ni comment tu peux être comme ça aujourd'hui, mais tu n'as rien à craindre ici Minhyun. Tu peux t'attacher à tout le monde sans aucun soucis. Je te jure. Au fond les paroles du jeune homme lui réchauffaient un peu le coeur. Elle osait penser que s'il la rejetait comme ça, c'était peut-être parce qu'il avait commencé à s'attacher à elle. Même si elle se trompait peut-être. L'espoir fait vivre, comme on dit.