Previously on AMC's The Walking Dead. Il rodait entre les rayons poussant son petit chariot rempli de livres. Emmitouflé dans sa grosse écharpe, on ne pouvait voir que le haut de son visage mais cela suffisait à vous faire peur. Des cernes creusés, violacés, sous des yeux à peine ouverts. Il semblait ne pas avoir dormi depuis des siècles. Le bout de son nez était presque aussi rouge que son pull en mailles tressées. Ses cheveux partaient dans tous les sens, ébouriffés comme s'il venait de sortir du lit. Tous les clients l'avaient remarqué. Ils chuchotaient entre eux que le libraire n'était plus qu'un zombie. Des murmures disaient qu'il faisait une dépression. Personne ne comprenait. Isaac lui-même ne savait pas comment il avait fait pour finir dans un tel état. Ses amis essayaient de l'aider. Il remontait la pente un certain temps puis rechutait aussi sec. Il ne voyait plus ses parents car il craignait leurs questions. Il sentait qu'il allait exploser d'un moment à l'autre et qu'il ne pouvait plus continuer comme ça. La culpabilité le rongeait. Coupable car homosexuel. Coupable car menteur. Il ne supportait plus de mentir aux autres et de se mentir à lui-même. Rejeter sa véritable nature le rendait malade. Cette frustration le bouffait. Il n'arrivait plus à vivre comme ça. Car plus il se sentait mal, plus il buvait. Plus il buvait, plus il sortait. Plus il sortait, plus il faisait n'importe quoi. Il perdait ainsi le contrôle. A ce savant mélange s'ajoutait un ingrédient des plus malsains et qui amplifiait les dégâts. Il pensait tout le temps à lui. Il essayait de trouver une solution, de résoudre le problème. Cela lui valait de nombreuses nuits d'insomnies qu'il n'arrivait à vaincre qu'à coup de whisky ce qui expliquait sa grande fatigue lorsqu'il arrivait à la boutique. Il n'était plus capable de tenir le coup. Il faisait n'importe quoi. Il mettait même certains livres à l'envers. Il répondait par des grognements aux clients. Quand quelqu'un lui demandait un livre, il pointait du doigt la direction de l'étagère où on pouvait le trouver. Bref, il n'était plus lui-même.  Ces jours-ci, la librairie était donc plus calme. Les gens n'osaient plus trop y entrer. Les autres vendeurs ne demandaient de l'aide à leur chef qu'en cas d'extrême nécessite préférant se tenir à distance. Et Isaac, bien, il faisait son boulot comme un automate.
Aujourd'hui, c'était le jour de livraison. L'américain signa le bon sans adresser un seul regard au livreur. Il siffla pour appeler ses employés qui commencèrent aussitôt à ramasser les cartons pour les emmener dans la réserve. Pendant qu'ils travaillaient, Isaac se hissa sur la chaise derrière le comptoir et attrapa son livre du moment ; A Christmas Carol de Charles Dickens. Il ne releva même pas la tête en entendant le petit tintement qui annonçait un nouveau client. Pas qu'il soit particulièrement absorbé dans sa lecture, il devait en effet relire cinq fois la même phrase pour en comprendre le sens, mais il n'avait tout simplement pas envie de parler. Mais à force d'avoir cette sensation d'être observé par quelqu'un qui visiblement attendait devant le comptoir, il jeta un coup d’œil au-dessus de son livre. Hae Jin. Il soupira et posa son livre. Qu'est-ce qui t'amène ? Demanda-t-il de sa voix enrouée et fatiguée. Il baissa un peu son écharpe pour que son visage soit moins caché, parce que sa mère lui avait toujours dit que c'était mal poli, dévoilant ainsi sa mine affreuse. Il était plus pale qu'un mort. Je suis pas trop d'humeur. Autant l'annoncer tout de suite. Hae Jin devait avoir l'habitude. Isaac étant quelqu'un d'assez franc, il n'y allait jamais par quatre chemins quand il avait quelque chose de ce genre à faire savoir.

Ce n'était clairement pas le moment de l'énerver. Déjà qu'il sentait tous ses poils se hérisser à la moindre question d'un client, imaginez un peu ce qu'il se passe quand, même s'il s'agit d'un bon ami, on vient plus ou moins se moquer de lui. Du moins, c'est comme ça que le jeune américain prit les réflexions de l'étudiant qui pourtant n'étaient pas bien méchantes. Il se sentait juste agressé par tout et n'importe quoi. Il avait les nerfs à vif, pas sa faute. Ne pas dormir, sortir beaucoup, boire énormément, un cocktail qui ne lui réussissait pas du tout. Puis il était tombé malade par-dessus le marché. Bien malade en plus. Le nez qui coule -et tout rouge à force de se moucher-, la gorge prise -d'où sa voix cassée- et de la fièvre pour accompagner le tout. Sa mine affreuse avait donc de multiples raisons d'être. Il comprenait la réaction de Hae Jin même s'il ne la tolérait pas et que cela l'horripilait. Il signala son mécontentement par un grognement et fronça aussi les sourcils, ce qui lui donnait encore plus l'air féroce d'un zombie prêt à dévorer sa proie. Je suis fan de Walking Dead, cherche pas. Lui répondit-il dans le but de faire tout de même un peu d'humour mais aussi avec l'espoir de détourner un peu l'attention de son ami coréen. Il ne voulait surtout pas avoir à subir un quelconque interrogatoire. En fait, il n'avait pas envie de parler tout court. Pourtant, il appréciait réellement Hae Jin et indirectement, il était la personne qui en savait le plus sur sa vie sentimentale. Il fit claquer sa langue contre son palais à sa proposition de somnifère et leva son livre comme s'il allait le frapper. Où est-ce que t'as vu qu'on propose des somnifères comme ça à n'importe qui hein ? Tu veux me tuer c'est ça ? Heureusement que t'as pas encore ton diplôme. Parce qu'il faut bien avouer que donner des somnifères à un alcoolique comme lui c'était pas franchement l'idée du siècle mais ça Hae Jin ne pouvait pas le savoir. Ou plutôt si, il savait que le très fameux ami dont Isaac lui parlait tout le temps avait quelques problèmes avec l'alcool.
Finalement, n'était-ce pas un peu étrange ? Il parlait sans cesse au nom de ce fameux « ami » mais savait bien que Hae Jin avait compris. Pourtant, il continuait. C'était juste plus simple de faire ainsi que de se confier réellement. Aussi, quand Hae Jin évoqua cet « ami », il plissa les yeux. Il n'était pas vraiment disposé à discuter de sa situation aujourd'hui. On va dire ça oui. Il a des problèmes. Et si Hae Jin désirait en savoir plus, il allait y avoir du sport. Isaac se renferma aussitôt et se leva de sa chaise pour appuyer lui aussi ses mains sur le comptoir. Je peux t'aider ? T'as plus rien à lire ? Il préférait changer de sujet le plus rapidement possible. Ainsi, il allait peut être pouvoir éviter les questions.

Il ne pouvait pas vraiment le contredire. Lui-même avait eu peur en croisant son reflet dans sa salle de bain. Sur le coup, il s'était même retrouvé à deux doigts d'appeler un de ses employés pour qu'on tienne la boutique à sa place. Mais il tenait bien trop à sa petite librairie pour ça. Il la gérait à la perfection et n'aurait pas supporté de laisser quelqu'un d'autre le faire à sa place. Puis c'était un peu son refuge. Le seul endroit où il se sentait vraiment bien et à l'abri du reste du monde. En général, personne ne venait l'embêter. Sauf Macsen. Ah et sauf Hae Jin aujourd'hui. Car même s'il appréciait beaucoup le jeune homme, il n'était pas du tout d'humeur à papoter avec celui-ci. Il reposa d'ailleurs son livre avec lequel il l'avait menacé et leva les yeux au ciel. Junkie ? Bah merci. Maintenant je sais que je fais vraiment peur. Il grogna encore dans sa barbe. Ce n'était pas pour rien qu'il refusait d'accompagner sa sœur chez ses parents. S'ils le voyaient comme ça il allait subir un interrogatoire bien plus horrible que celui qui lui pendait au nez avec Hae Jin. Ils risquaient surtout de direct l'envoyer chez un psy ou carrément en hôpital psychiatrique. Ils seraient même encore capable de mettre ça sur son homosexualité qu'ils considéraient comme une maladie.
Isaac avait bien conscience qu'il n'allait pas y couper. Il tenta tout de même une esquive. Sait-on jamais. Il comprit immédiatement devant l'expression fermé et déterminé qu'il n'aurait pas dû espérer. L'américain se mordit nerveusement la lèvre et passa la main dans ses cheveux déjà rebelles. Il foudroya du regard son cadet lorsque celui-ci mentionna l'hôpital et haussa les épaules avant de croiser les bras sur sa poitrine tel un gosse qui boude. T'es vachement sympa toi. Mais je suis juste fatigué et très malade, d'accord ? Il se pencha ensuite sur le comptoir et hurla cette fois-ci à travers toute la librairie, histoire d'alerter également les clients. Je ne fais pas de dépression, c'est bien compris ? Il en profitait pour faire taire les mauvaises langues car il les voyait bien chuchoter dans son dos depuis le début de la journée. Ah, ce sale caractère qu'il avait. Amplifié par mille grâce à son immense fatigue et ses problèmes sentimentaux. Comme Hae Jin ne comptait sûrement pas le lâcher avec juste ça. Il baissa un peu sa garde. Il se laissa tomber sur la chaise et en fixant ses chaussures marmonna dans sa barbe. On va dire que mon ami ne sait plus trop quoi faire. Il a ses parents à la con et il n'en peut plus de ne pas pouvoir être lui-même. Isaac s'était inventé un ami avec une histoire identique à la sienne pour pouvoir se confier à Hae Jin et chercher des conseils ou du réconfort auprès de lui. Il se doutait qu'il n'avait plus besoin d'utiliser ce masque pour lui parler mais il n'arrivait simplement pas à assumer. Même ça, ça lui faisait peur.

Isaac leva un sourcil, bien perplexe face à ce que Hae Jin tentait, plus ou moins habilement, de lui faire avaler. Il n'y croyait pas une seule seconde. Bien conscient qu'il faisait peur à tout le monde dans cet état là. Il pensait même qu'il serait capable de faire fuir Macsen comme ça. Il haussa les épaules pour montrer combien ces petits compliments dissimulés le rendaient sceptique. Je pense donc je vais vendre de suite ma librairie et postuler pour jouer dans Walking Dead. Il ne me reste plus que ça à faire. Concrètement, Isaac était déprimant. Il donnerait presque envie de se suicider. En le regardant, on avait juste l'impression qu'il était soit au bord du gouffre, soit qu'il avait déjà sauté et s'était admirablement écrasé contre le bitume. C'était à se demander comment il faisait pour encore tenir debout.

Mais le jeune libraire perdait le contrôle. Il était crevé donc irritable. Malade donc en colère. Et comme il s'arrachait les cheveux depuis de bonnes semaines à cause de sa situation, il subissait une migraine constante. Bref, il pétait les plombs. Il s'affichait même dans sa propre boutique effrayant ses clients. Il fronça les sourcils et pointa du doigt les gens qui se cachaient derrière leurs livres. Je m'en fiche pas moi. Qu'est-ce que je fais si ça arrive jusqu'aux géniteurs ? Je suis bon pour l'asile après. Il venait de manquer d'attention et de laisser échapper un détail assez personnel. Seulement, il était tellement sur les nerfs qu'il ne s'en rendit même pas compte. Devant le calme que le coréen parvenait à garder, Isaac finit tout de même par s'adoucir. Qu'il ne lui pose pas directement de question et qu'il accepte de rentrer dans sa comédie ridicule contribuait énormément à cela. Il se mordit doucement la lèvre n'osant pas vraiment regarder Hae Jin. Dans le fond, il savait que ce dernier avait totalement raison mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Puis, il blesserait ses parents s'il décidait de vivre sa vie comme il l'entendait. J'aimerais bien mais je vais leur faire du mal. Souffla-t-il la gorge nouée, la boule au ventre. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait oublié de se cacher derrière son ami imaginaire. Au bout du rouleau, il essuya les larmes qui commençaient à couler sur ses joues gardant la tête baissée pour éviter que son ami ne puisse les apercevoir. Il renifla bruyamment comme un gosse qui aurait pleuré des heures durant et prit une grande respiration pour se calmer un peu. Je crois que je vais fermer la boutique plus tôt. Sa voix tremblait. Il se leva et fit le tour du comptoir pour demander aux employés de s'occuper des derniers clients. Après leur départ, il ferma la porte et retourna l'écriteau qui affichait maintenant que la librairie était fermé. Il retourna vers Hae Jin. Je te fais un café ? Ou un thé ? Il ne pouvait plus jouer au plus fort. Il avait besoin d'aide et peut être allait-il pouvoir lui en demander ?

Isaac avait tellement de mal à gérer ses émotions ces derniers temps. Il essayait de les enfouir, de les retenir, de les étouffer. Mais cela devenait trop lourd à porter, trop difficile à supporter. L'être humain n'étant pas fait pour être une carcasse vide. Il vit pour ressentir. Alors Isaac ne pouvait pas éternellement fuir. Il venait de craquer. Le fait qu'il hurle comme ça sur ses clients montrait bien qu'il n'en pouvait plus. Noyé dans sa frustration, dans sa colère, dans sa douleur. C'est la réaction raisonnée et posée de Hae Jin qui contribua à le calmer. Il allait doucement sur ses vingt cinq ans et pourtant il était déjà au bout du rouleau. Il luttait tellement contre lui-même, et depuis de longues années maintenant, qu'il se retrouvait épuisé par ce combat qui n'avait pas l'air de trouver de fin. Isaac baissait les bras et par la même occasion, pour la première fois, il acceptait de baisser aussi les barrières. Ce n'était peut être rien mais il s'agissait tout de même d'un bon début. Il n'osait pas regarder Hae Jin parce qu'il était en train de se dévoiler à lui mais que ce dernier ne se moque pas de lui et ne mentionne pas sa ridicule mascarade de l'ami imaginaire lui fit énormément plaisir. Il l'écouta lui répondre de façon naturelle et poussa un long soupir. C'est passer ma vie comme ça ou passer ma vie sans eux, et je veux pas la passer sans eux. Je ne veux pas les trahir. Car la triste réalité était celle-ci. Isaac avait l'impression que s'il se laissait aller à être lui-même, il les trahissait. Il trahissait son éducation, ses croyances, tout. Et s'il n'y avait que ça encore. Macsen était comme la goutte d'eau qui faisait déborder le vase, c'était à cause de lui qu'il pétait les plombs à présent. Parce que sans le vouloir, il le forçait à se remettre en question.

Il sécha ses larmes de crocodiles d'un revers de manche et décida qu'il ne pouvait décidément pas continuer à travailler dans cet état. Il renvoya ses employés chez lui, encaissa les derniers clients et ferma la boutique. Ensuite, il prépara un café à son ami et se fit une tisane en espérant que cela allait l'aider à se calmer. Il adressa un petit sourire à Hae Jin, un sourire pour s'excuser. Je suis désolé que ça tombe sur toi. Tu n'es pas obligé de faire ça. S'il le voulait, Isaac pouvait juste passer à la vente et le laisser partir. La présence de son ami le rassurait pourtant. Il ne savait pas trop comment il allait faire pour se confier car c'était là quelque chose qu'il n'avait pas l'habitude de faire mais cette fois il devait se rendre à l'évidence : il avait besoin d'en parler. Peut être que ce serait mieux de discuter avec un psy mais là tout de suite il n'en avait pas encore le courage. Il posa la tasse de café sur le comptoir et prit sa tisane dont il avala quelques gorgées qui lui brûlèrent la langue. Il se mit ensuite à fixer le liquide dans sa grande tasse n'osant à nouveau plus regarder Hae Jin. Tu sais déjà toute l'histoire dans le fond. Je ne vois pas ce qu'il y a de plus à dire. Et pourtant si, il y avait un million de choses à dire au moins. Hae Jin avait beau connaître l'histoire il ne pouvait pas deviner comment Isaac se sentait réellement par rapport à tout ça mais pour que ce dernier parle il allait devoir le pousser un peu et continuer à lui tendre des perches.