Moon n'avait jamais prévu un tel retournement de situation. En général, tout marchait dans son sens et qu'importe le nombre de rendez-vous arrangés que ses parents avaient l'intention de planifier, elle arrivait toujours à imposer ses idées. Fut-il un temps où cette sordide idée de pousser un homme au hasard à passer la bague au doigt à leur fille s'étouffa jusqu'à être réduite à néant, ce stratagème poussa même la jeune coréenne à baisser ses gardes, pensant ainsi qu'ils avaient enfin compris que sa liberté était l'un de ses principes fondamentaux et que personne ne pourrait l'entraver mais... Si tout c'était passé comme elle l'avait entendu alors elle ne serait sans doute pas là, devant cette bijouterie, à choisir la bague de son futur époux. Et pourtant ô combien avait-elle essayé de faire tomber ce rendez-vous à l'eau mais rien ne fut, à croire que l'autre parti se plaisait dans l'idée de perdre à jamais la possibilité de vivre une vie meilleure avec une personne qu'il aimerait sincèrement et qui la traiterait sans doute mieux que Moon ne pourrait le faire elle-même et ce, au nom de l'économie de l'entreprise familiale. Son avenir était maintenant scellé et elle n'avait pas d'autre choix que de l'accepter, à sa plus grande désolation.

C'est avec un long soupir qu'elle se décida enfin à entrer dans la bijouterie, faisant ainsi tinter la sonnette de l'entrée. Un léger bonjour filtra entre ses lèvres malgré son esprit divaguant dans un autre univers comme elle avait tant l'habitude de faire. Non, elle n'était pas motivée, c'était comme si toute son énergie s'était subitement volatilisée, s'échappant à mesure qu'elle gonflait les joues, soupirait ou simplement traînait les pieds d'un bout à l'autre de la pièce. Elle avait l'air sans doute perdue, mais la vérité c'était qu'elle gardait encore au fond d'elle la possibilité que quelqu'un la prenne en pitié et lui dise "rentre chez toi, Moon, et oublie ce mauvais rêve. Demain, quand tu te réveilleras, tu n'auras plus à te soucier de rien." Mais c'était trop beau pour être vrai, n'est-ce pas? « Je pourrais voir celle-ci? » Sa voix cristalline résonna timidement dans la boutique, à l'opposé de son geste qui semblait visiblement plus firme alors qu'elle pointa du doigt la bague en question.

J’avais enfin terminé l’inventaire de ces deux derniers mois. Je déposais la dernière boite en carton sur l’étagère en inox, les mains posées sur la taille, j’observais mon dur labeur, fier de moi. Les fêtes de fin d’année ne nous avaient pas laissé beaucoup de répit entre les commandes en trop grand nombre et les clients retardataires qui étaient toujours à la recherche de la perle rare pour offrir à leur belle. Mais, les recettes étaient réussis, la boutique avait bien tourné, même mieux que l’année dernière. Sans doute que les nouvelles créations de Sunah y était pour quelque chose. J’avais profité de cet après-midi calme, pour faire du rangement, congédiant les deux jeunes femmes avaient qui je travaillais. Elles avaient bien mérités un jour de repos.  Je revins dans la boutique principale pour reprendre mon poste de vendeur. Je pris place sur le haut tabouret, derrière le comptoir. Personne. Comme si tout le monde se reposait après avoir fait la fête jusqu’au bout de la nuit. Puis, je vis une jeune femme à travers la vitrine, dont le regard vagabondait parmi les bagues de fiançailles. Je levais un sourcil, signe de surprise. C’était rare que des jeunes femmes habillées en garçon s’intéressent aux bijoux, surtout ceux-là. Ce qui m’étonna d’autant plus, c’était qu’elle entra dans la boutique. Instantanément, mon sourire de vendeur bien heureux se dessina sur mes lèvres. Garçon manqué ou non, c’était une cliente comme les autres. Je sifflais un bonjour poli, mais elle n’avait pas l’air emballé d’être ici. Je n’avais pas eu le temps de lui demander quoi que ce soit qu’elle me pointait déjà une bague du doigt. Au moins, elle savait ce qu’elle voulait. J’ouvris la vitrine avec la clef qui pendait autour de mon cou et pris la bague et le lui donnais délicatement. « C’est une de nos dernières créations … nous avons la bague pour femme assortie … » Je la lui présentais également. « Nous pouvons aussi faire une création personnelle, si vous préférez… » C’était à ce moment-là, que j’aperçus pour la première fois le pendentif qu’elle portait autour du coup : une capsule de canette. Original. Je souris à sa vue, me rappelant brièvement un souvenir d’enfance. J’avais moi aussi, utilisé une capsule de canette comme bijou quand j’étais gamin. A la différence que je m’en étais servi comme bague et non comme pendentif. « Votre fiancé est original pour vous avoir offert un pendentif en forme de capsule … il fallait y penser… »

La bague sortie de son écrin, Moon la scanna du regard avec une attention particulière, son index placé sur son menton alors qu'elle  retroussa ses lèvres d'une manière pensive. En effet, elle était bien trop belle pour le genre de type qu'elle allait devoir épouser. Il ne méritait pas celle-ci, au grand désarroi de la jeune femme qui avait visiblement un petit faible pour ce bijou si unique. Elle leva soudainement la tête, un air interrogateur embrassant son visage avant qu'il ne s'efface par un léger rire qui venait de se frayer un chemin entre ses fines lèvres. « Honnêtement, je pense qu'il ne mérite pas une telle création. Serait-ce-t'il, par contre, possible de jeter un coup d'œil à sa version féminine? » Aucune honte à se faire plaisir de temps en temps. Et puis personne ne lui avait dit qu'elle n'en avait pas le droit, n'est-ce pas? « Vous auriez quelque chose avec un design assez simple pour homme? » Demanda-t-elle alors qu'elle finit par scanner de nouveau les différents modèles présentés autour d'eux. Son premier réflexe fut de saisir le bijou qui pendait à son cou, une manie qu'elle avait une fois qu'elle commençait à s'égarer dans ses pensées, mais la voix du vendeur la rappela sur terre et, tout en murmurant un 'hein?', Moon se retourna vers lui, un peu surprise par la remarque qu'il venait de lui faire. C'est ainsi qu'elle réalisa qu'il parlait de la capsule qu'elle avait accrochée autour de son cou. Un nouveau rire cristallin fut soupiré. « Mon fiancé... » Prononcer ces mots fit naître un rictus au coin de ses lèvres. « Si cela venait de lui, elle aurait sans doute fini à la poubelle. Ce cadeau vient en fait d'une personne que j'ai rencontré il y a de cela une vingtaine d'années. » Elle trouvait cela bizarre de se remémorer un tel souvenir, d'autant plus qu'elle n'en a jamais véritablement parler à quiconque. Ce n'était pas tant par manque d'opportunité que Moon n'a jamais osé se confesser à personne mais plutôt par manque d'envie. Il faisait parti de son jardin secret, une des choses qu'elle gardait précieusement pour elle et dont elle n'a jamais réellement oublié. Beaucoup de personne avait pourtant été intrigué par ce bijou que Moon gardait toujours avec elle, et elle pouvait les comprendre. Ce n'était pas vraiment commun de croiser une personne se baladant avec une capsule de cannette autour du cou, mais elle mettait ceci sur le dos du "vintage" et, étrangement, tout le monde la croyait, mais la vérité c'était qu'il y avait une valeur sentimentale cachée derrière. Rare furent ces moments où Moon s'attachait à des objets, qu'importe leurs valeurs, mais ceci était l'une des choses qu'elle chérissait le plus. « Cela va vous paraître stupide mais il a une valeur sentimentale pour moi. Il représente une promesse de longue date et même si elle n'est plus valable maintenant, garder cette capsule me redonne de l'espoir quand j'en ai le plus besoin. » Pourquoi en parlait-elle à cet homme qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève alors que, dans son entourage, personne ne connaissait la réelle histoire derrière ce bijou? Elle n'en savait rien, et pourtant..

Au vue de la réaction de la jeune femme, elle ne devait pas porter son fiancé dans son cœur. Ou bien s’étaient-ils disputé ce matin-même et elle serait venue choisir une bague, se vengeant sur le choix de celle-ci ? Pour le coup, je trouverais cette réaction presque mignonne. Les disputes de jeunes mariés me manquaient. Elles étaient douces et innocentes. Rien avoir avec la violence de celles que j’avais avec Soo Ah. Mais bon, ca ne servait à rien de ressasser le passé inutilement. Je lui montrais donc la version féminine de la bague. Plus fine. Plus détaillée. Plus ciselée. A la hauteur de la mariée qui la portera. Son sourire cristallin me fit sursauter, me replongeant un instant dans le souvenir de cette petite fille. Et ses mots ne firent qu’accentuer ce sentiment de nostalgie. « Vingt ans dites-vous ? Que c’est étrange… » Je fronçais les sourcils avant de rire de bon cœur. « Quelle coïncidence ! J’ai moi-même offert ce genre de babiole à un petite fille … a l’époque, j’avais voulu faire comme les grands et offrir une bague, mais je n’avais pas assez d’argent pour en acheter une alors j’avais fait avec ce que j’avais sous la main. » Je ne savais pas vraiment pourquoi je lui racontais tout cela tout à coup. Je n’en avais jamais parlé à personne, même pas à Kong Mee ou Jina. Ca remontait il y a si longtemps maintenant. Je hochais la tête, plissant les yeux en l’écoutant raconter son histoire. Je ne prêtais en général aucune attention aux anecdotes que les clients radotaient. Au contraire, j’avais même tendance à fuir la chose, laissant la besogne à Sunah. Mais cette fois-ci, c’était différent. Cette demoiselle m’intriguait. Je ne savais pas si c’était cet objet insolite que nous avions en commun dans nos passés respectifs ou son rire qui me rappelait quelque chose, mais j’avais envie d’en savoir plus sur elle. ca allait pourtant contre l’éthique. J’étais bijoutier, j’étais là pour vendre mes créations, pas pour m’occuper de la vie d’une jeune demoiselle, fiancée d’autant plus. Son histoire me touchait malgré moi. J’avais l’impression de me retrouver dans ce qu’elle racontait. J’avais fait cette promesse de mariage à cette petite fille, une promesse à laquelle je n’avais pas tenu parole, vu que je ne l’avais pas épousé. J’ignorais même ce qu’elle était devenue. C’était d’ailleurs depuis ce jour que je m’étais promis de toujours tenir parole, quoi que ca puisse en couter. Son prénom fusa à travers mes lèvres sans que je m’en rende vraiment compte « Moon » Chuchotais-je, le regard fou, perdu dans mes souvenirs de gamin. Je secouais la tête pour chasser tout ca, pour reporter mon attention sur ma cliente. « Pardon. Vous me rappeliez la petite fille de mon passé qui se prénommait Moon… c’est absurde n’est-ce pas ? Un instant, je l’ai revu à travers vous … » je passais une main dans mes cheveux pour les ébouriffer, comme je le fais toujours étant nerveux. Je ris, un peu crispé. « Vous devez me prendre pour un fou… revenons à cette bague, vous en pensez quoi ? » Je reportais la discussion sur le bijou. Elle était venu pour cela au départ non ? Pas pour entendre mes divagations.