J'ignorais à quel moment j'avais perdu le contrôle, à quel moment il avait pris le dessus. Quand j'avais senti la situation m'échapper, plutôt que de fuir, je m'étais accrochée, comme persuadée que je pourrais tenir le coup. Avec le recul, j'ignore encore si c'était de la naïveté, ou de l'idiotie. Probablement un peu des dents. Au moment où Tasyr se penche vers moi, c'est mon monde qui s'arrête de tourner. Mon coeur est douloureux, et je tente de me fondre dans le miroir derrière nous. Jusqu'où mon orgueil pouvait-il aller ? Je l'ignorais. Je tournai légèrement la tête, juste assez pour pouvoir me plonger dans son regard d'encre. « Tu n'es qu'un enfoiré Tasyr, une raclure de la pire espèce, un jour tu regretteras tout ça... » Et ce même si ce n'était pas moi qui lui ferait payer ses actes. C'était probablement idiot, mais je croyais dur comme fer à une espèce de loi divine, une sorte de karma. Je n'étais pas fière des actes que j'avais pu poser par le passé, et toutes les merdes qui pouvaient m'arriver, c'était comme cela que je me les expliquais. Pourtant, aujourd'hui, mon karma aurait été le moindre de mes soucis si j'avais pu me débarrasser de lui. « On en revient donc toujours au même point ... je te plais ? Tu sais, il y a d'autres façons pour se faire une fille. » Il se moquait, je le provoquais. Tout cela n'était que jeu, rituel, en attendant de sentir s'abattre sur moi ses poings rageurs. Néanmoins, tant que je pouvais repousser le moment fatidique, je le ferais. Je n'étais pas prête, pas encore. Je ne le serai probablement jamais.

Je sentais mon corps vaciller, ma respiration se faisait de plus en plus laborieuse. À cet instant, si j'avais pu m'enfuir, je n'y serais pas parvenu. Mes jambes étaient en coton, parvenant à peine à supporter mon propre poids. Ma gorge était nouée, réduite au silence devant le bourreau. Démon dans mon enfer. Chaque battement de coeur était un peu plus douloureux que le précédent, tandis que je priais tous les dieux de me venir en aide. Et je m'en voulais, oh, m'en voulais tellement. Soudain, ses lèvres contre ma gorge me paralysèrent. Jamais il n'avait été si loin, jamais il n'avait osé. Je restai interdite, des larmes silencieuses roulant sur mes joues si pâles. Ses mots me réveillèrent, et un sursaut de conscience me permit de me dégager, faisant deux pas sur le côté pour lui échapper. Mais j'étais perdue, déstabilisée. Dans cette fuite improvisée, je basculai en arrière, heurtant douloureusement le sol. Sur ma gauche, mon reflet, déchiré, torturé. Je n'étais plus qu'une ombre, paniquée et tremblante. « Ne m'approche pas, monstre. » Car c'était tout ce qu'il était. Ce n'était même pas une insulte, simplement un qualificatif. C'était ce qui le décrivait le mieux à mes yeux. Mais je savais que mes mots ne changeraient rien à la situation. Tel un prédateur, il en profiterait. Je n'étais qu'une proie entre les griffes d'un félin. Je n'avais rien fait pour mérité cela. Tout mais pas ça. Mes ongles raclaient le parquet, mes doigts cherchant à serrer quelque chose, mais rien. Le néant. Et j'avais peur, oh, si peur.

La peur était partout autour de moi, dense, lourde, pesante. Je me sentais plus vulnérable que jamais, les larmes coulant à flot sur mes joues laminée. Mes yeux piquaient, des résidus de maquillage se répandant sur mon visage. À ses paroles, je réprimai un hoquet de surprise, avant de me redresser le plus dignement possible. De toute façon, quelle importance celui pouvait-il bien avoir ? Il ne faisait que jouer. C'était son but, de me voir tremblante, tétanisée par la peur. Mais il avait trouvé une faille, et il l'exploitait. Je levai les yeux vers lui, serrant les poings si fort que mes ongles traçaient de petits arc de cercle sur ma peau. « Va te faire foutre Tasyr, va au diable. » Je ne sais où je trouvai cette force, mais je crachai à ses pieds, consciente que c'était aggraver mon cas. Mais ça m'était également, car au fond de moi, il y avait cette ridicule fierté, celle d'avoir tenu bon aussi longtemps que possible. Il ne lui faudrait pourtant pas plus de quelques minutes avant de me réduire en miettes. En mènerais-je encore si large une fois qu'il en aura fini avec moi ? Non. Non, certainement pas. Mais je gardais pour moi ce petit fragment de courage, ou bien de folie, selon le point de vue.

Un coup, un seul. L'air quitta mes poumons, comme cherchant à prendre la fuite. Mon genou heurta le sol dans une douleur aiguë tandis que je réprimai un cri. Une souffrance tant physique que moral se propagea dans mon corps, mes muscles, alimentant la peur et la colère. Je cherchais à retrouver mon souffle, une main maintenant mes côtes, l'autre au sol, m'aidant à me relever. Mon âme criait à l'aide, pendant que mes yeux étaient partagé entre l'angoisse et la haine. Probablement les deux, au fond. Le crachat n'arrangea rien, je me sentais sale, souillée par tant de sentiments. Pourtant, il m'en faudrait plus pour rester au sol. Peut-être pas beaucoup plus, mais je ne capitulerais pas après un seul coup. « Tu t'attendais à quoi ? Que je te remercie ? » Le ton était acerbe, malgré la peine sous-jacente. Pour une fois, juste une seule fois, je voulais prouver qu'il n'avait pas réussi à me briser, pas complètement, qu'il restait en moi la force de me battre. Je voulais lui prouver que ses coups étaient vains, et que ce qu'il haïssait chez moi jamais ne disparaîtrait. Je voulais lui montrer qu'il n'était pas aussi fort qu'il le pensait, pas aussi puissant qu'il l'espérait.

Foutu orgueil. Foutue fierté. Foutue faiblesse. Foutues larmes. Elles dévalaient le long de mes joues sans que je ne puisse rien faire, impuissante contre la peur et la douleur, en proie à des sentiments que j'aurais souhaité ne jamais connaître. Ce n'était pas une simple douleur physique, c'était mon âme tout entière qui hurlait à la mort, malmenée, torturée, humiliée. Ses mots se font de plus en plus loin, et le coup qui s'abat sans me laisser le temps de me relever. Je me laissai tomber sur le côté mes jambes repliées sous moi, mes longs cheveux bruns masquant mon visage. Passive, patiente, meurtrie. « Tu n'y arriveras jamais, tu le sais ça ? » Il aurait beau me ruer de coups, il ne parviendrait jamais à m'anéantir, jamais complètement. J'avais vécu pire, j'avais connu l'obscurité la plus complète, privée de mon rêve, dans une chambre aseptisée. Quand, au calme, j'y pensais, je me disais qu'il avait dû vivre bien des malheurs pour en arriver là. Rien qui ne justifie ses actes, mais quelque chose qui les expliquait. J'étais persuadée que le mal ne naissait pas, que c'était l'homme qui le créait autour de lui de par ses actions. Quel genre de maux avait-il enduré ce démon au regard rageur ? Cela m'importait-il seulement ? Peut-être un peu, juste pour me dire que les hématomes sur mon corps n'étaient pas vains, pour me rassurer, me murmurer qu'il y avait une explication à tout cela.