Elle avait toujours été comme ça, Malee. A presque tout garder pour elle, jusqu’à être au bord de l’explosion. Elle savait très bien que ce n’était pas bon, que ce n’était pas bien, mais elle n’y arrivait pas. Elle avait l’impression de se mettre à nue, de perdre toutes ses barrières, tous ces barrages qui l’aidait à rester debout. Et elle avait peur, aussi, de déranger. De gêner. Que ses amis la fuient parce qu’ils ne voulaient ou pouvaient pas l’aider et du coup ils n’avaient pas envie d’écouter ses problèmes. Au fond, même si elle ne le montrait pas, la thaïlandaise vivait dans une peur quasi constante. Elle était terrifiée à l’idée de perdre ses proches, sa nouvelle famille, à l’idée qu’on ne veuille plus d’elle. Elle ne voulait pas se retrouver seule à nouveau. Elle ne voulait plus jamais vivre ça. Et il fallait avouer qu’Alexis réussissait plus ou moins bien à la rassurer. Malgré son ton autoritaire, il y avait une certaine douceur dans la manière dont elle avait attiré la wonsungi contre elle. Alors cette dernière s’était blottie entre ses bras, les yeux plissés, quasiment fermés. Elle avait envie de s’y perdre, l’espace d’une nuit. Elle avait relevé la tête, affrontant le regard de son amie, l’écoutant, mais sans vraiment réagir tout de suite, la bouche close, ne réussissait pas à dire quoique ce soit sur le moment. Elle se contentait d’écouter. Elle comprenait tout ce que lui disait sa camarade. Évidemment qu’elle comprenait. Mais lui obéir, c’était autre chose. Cette pensée était ancrée dans sa tête depuis bien trop longtemps. Elle y avait été incrustée par la force et les cris, par les regards méprisants et les crises de colère de ses parents. Alors évidemment, s’en débarrasser d’un coup n’était pas si facile. Bien au contraire. Elle ferma totalement les yeux cette fois quand son amie lui embrassa le front, et resta un instant silencieuse. Un petit moment passa, le calme seulement rompu par le bruit de leur respiration. Qu’y avait-il à dire de plus ? Malee savoura un instant le silence, si agréable après un tel déchaînement d’émotions. Elle en profita pour tenter de calmer son cœur, qui battait décidément trop vite, de le calmer pour reprendre la maitrise de ses sentiments. Et finalement elle rouvrit les yeux. « C’est pas évident d’être une combattante. Parfois j’me dis que ce serait mieux de tout simplement déposer les armes… d’arrêter de m’acharner. » Elle parlait, mais elle savait qu’elle continuerait. Parce qu’elle était trop lâche pour abandonner. Elle voulait une vie meilleure, elle était prête à sortir les griffes et à se frayer à la force de ses poings, pour finalement se trouver enfin une place au soleil. Mais ce n’était pas facile. Elle persévérait, parce qu’elle était comme ça, parce que son rêve était d’être heureuse, de faire ce qu’elle voulait, d’avoir un bon métier, d’accéder au bonheur. « J’ai grandi dans l’esprit que j’étais anormale, » reprit-elle. « Mes parents me l’ont dit et répété tellement de fois que c’est impossible pour moi de penser le contraire. J’ai essayé tu sais. J’ai cru que ça allait mieux. Mais j’me suis rendue compte que c’était pas le cas, que je me voilais juste la face. » Enormément de gens la soutenait, beaucoup lui montraient, au quotidien, que l’homosexualité n’était pas anormal ou monstrueux, qu’elle était, au contraire, tout à fait normale. Mais il lui suffisait d’un seul et unique commentaire dans le sens inverse, pour que tous ses efforts s’effondrent. Quand elle avait rencontré Hoseok, elle était retombée dans ce cercle vicieux et sans fin. A chaque fois qu’il émettait des propos homophobe, elle n’arrivait pas à le contredire. Parce qu’au fond, elle ne pouvait pas mentir sur le fait qu’elle était partiellement d’accord avec lui. Voire totalement. Elle releva la tête. Elle regarda Alexis et lui sourit. « Mais ça va aller, je vais me reprendre. Je voulais juste tout lâcher l’espace d’un instant…  Merci d’être là. Je te promets de faire des efforts. D’arrêter de tout garder pour moi. » Et elle lui adressa un nouveau sourire, pour la rassurer, avant de la serrer un instant dans ses bras. Puis son regard dévia vers sa coupe de champagne, vide, toujours posé sur la table de chevet.