L'espace d'un instant, je m'étais senti seul. Terriblement seul. A regarder à travers cette fenêtre ce que jamais je ne parviendrais à comprendre. Je ne savais pas pourquoi je laissais ces démons intérieurs me gagner. J'étais de nature confiant, serein avec moi-même et là... Je venais bêtement de me confier à Bo Won qui n'avait probablement pas besoin d'être un appui pour le nouveau président que j'étais. Je sentais un lourd poids s'abattre sur mes épaules et c'était une sensation désagréable. Je me sentais seul, mais jamais trop longtemps, car les bras réconfortants de la jeune brune m'enlacèrent sans attendre et j'appuyai ma tête contre la vitre pour supporter son poids contre mon dos. Je fis le vide dans ma tête un instant, afin de reprendre du poil de la bête. Instinctivement, une main se posa sur les siennes se croisant sur mon buste. J'entrouvris mes yeux lentement, alors que j'assimilais progressivement les paroles douces mais apaisantes de la jeune femme. Je ne les décevrais pas. De toute façon, comment pourrait-il en être autrement ? J'osais vouloir baisser les bras alors que rien n'avait commencé encore. Alors je pris une grande inspiration et me tournai à la hauteur de Bo Won, et j'attrapai la coupe qu'elle me tendait dans un petit sourire, pour la remercier. Puis je hochai vivement de la tête et je portai à mon tour la coupe à mes lèvres pour boire quelques gorgées. Ensuite, je m'éloignai de la fenêtre pour revenir au bord du lit. « Tu sais quoi ? Tu as raison. Ce soir on s'amuse. » Je ne pouvais pas me permettre de faiblir une nouvelle fois, surtout devant Bo Won. J'étais devenu un leader, un homme à suivre. Si j'abandonnais dès le début, je n'étais pas crédible du tout. Alors je me ressaisis rapidement. Et j'entendis qu'on toquait à la porte. Je me permis alors d'ouvrir la porte et je découvris le livreur de pizzas que je gratifiai d'un sourire. Je le payai, je récupérai les pizzas, et je refermai la porte derrière son passage. « Et bien, c'est l'heure de manger miss Bae. » Je déposai les pizzas sur la table et je me frottai les mains, soudain impatient. Quoi, j'avais plus faim qu'elle peut-être ? Je ne savais pas. Et je pensais ne pas avoir envie de le savoir. Du moment que nous étions ensemble, elle et moi, qu'est-ce qui importait de plus ?

C'était vraiment étrange de voir Bo Won se remplir autant le ventre. Étrange, mais plaisant. Parce que pour une fois, elle envoyait valser toute cette pression qu'elle ressentait de la part de son agence de mannequinat. Je la connaissais très à cheval sur les portions alimentaires, alors la voir engloutir trois grosses parts de pizza, sans demander son reste, ça relevait du miracle. C'était une soirée à marquer d'une pierre blanche, définitivement ! Enfin, je pouvais remarquer que Bo Won prenait du plaisir à manger. Parce que les rares fois où je la croisais au dortoir ou au réfectoire, elle faisait toujours du tri inutile dans ses assiettes et n'excédait jamais la moitié de ce qu'elle avait préparé. Un véritable gâchis. Et ça me mettait toujours en rogne de la voir se priver inutilement alors qu'elle avait une silhouette quasi parfaite. Oui, j'avais vraiment ce pressentiment que ce soir était le commencement d'une toute nouvelle ère. Que nos nouveaux postes allaient nous changer, en bien évidemment. Je le sentais. Et je le savais. Et je voulais m'y accrocher le plus possible.

Pour ma part, j'avais mangé un peu plus vite que Bo Won, et plus surtout. Je n'avais rien mangé de la soirée comme elle. J'avais fait exprès d'attendre la fin de son service et ce petit tête-à-tête tout ce qu'il y avait de plus amical pour me remplir la panse avec elle. Je ne lésinais pas sur le champagne, non plus, même si je tenais assez mal l'alcool. Il m'en fallait peu pour partir en cacahuète. Restait à savoir si Bo Won en serait malheureusement témoin. Je remplis ma coupe déjà vide presque au maximum, buvant encore quelques gorgées comme si mon estomac n'était jamais rassasié, de même que mes ardeurs, puis je posai le verre sur la table, rejoignant rapidement Bo Won sur le lit et m'essuyant les mains avec la serviette qu'elle me tendait. Je la remerciai et appuyai mon index contre son nombril, taquin. « Je te préfère quand tu as les yeux plus gros que le ventre. » dis-je en toute sincérité. Puis, je dégageai légèrement son visage de ses cheveux et je caressai sa joue du revers de ma main, calme. Je m'allongeai sur le côté et me contentai de la regarder, tout simplement, comme s'il s'agissait de la plus belle chose sur terre. Pour moi, tout était merveilleux. La vie était merveilleuse. Courte, mais merveilleuse. J'esquissai un petit sourire, l'esprit un peu embrumé par l'alcool. « T'es belle. » me contentai-je de déclarer, serein. Je ne savais pas où cette soirée allait mener, entre nous. Je n'en attendais pas trop évidemment, je n'étais pas là pour autre chose que de m'amuser et manger avec Bo Won. Mais on pouvait s'amuser de bien des manières, n'est-ce pas ?

Finalement, la vie était si simple. Là, allongé sur ce lit avec l'estomac rempli de pizzas et le cerveau échauffé par les coupes de champagne ingurgitées. Tout était devenu tellement plus simple, quand je posais mes yeux sur ceux quelque peu embrumés de Bo Won. Combien de temps pourrions-nous rester allongés comme ça, à nous regarder et à nous échanger des petites confessions ? L'alcool faisait des ravages, et c'était maintenant difficile de raisonner avec toute ma tête, surtout quand mon coeur faisait des siennes. Bo Won avait toujours eu ce petit plus que je recherchais chez les filles. Je fréquentais beaucoup la gente féminine, et bien qu'on pourrait croire que je suis un gars facile, à changer de partenaire comme de chemise, ce n'était qu'à s'y méprendre. J'avais juste un coeur difficile à satisfaire. Un coeur incapable de comprendre le véritable sens du mot amour. Un coeur qui avait déjà été tellement déçu par les autres que redonner sa confiance relevait maintenant de l'exploit. Mais avec Bo Won, je prenais de plus en plus de facilité à m'ouvrir à elle. A l'apprécier, encore et encore, même quand il arrivait de nous disputer surtout en cours de soutien. C'était indéniable, il y avait quelque chose de plus fort qu'on croyait entre nous.

Mon regard dériva sur ses lèvres entrouvertes. Elles étaient légèrement humides par le champagne qu'elle avait fini de boire, et je remarquais bien que son esprit s'échauffait autant que le mien. Je resserrai donc l'écart entre nous, mon nez frôlant le sien, et je passai quelques mèches de cheveux derrière son oreille. Regarder Bo Won était simple. L'admirer l'était d'autant plus. Mais désirer encore plus d'elle, c'était inhumain. C'était lui manquer de respect. C'était confirmer qui nous paraissions auprès des autres. Mes doigts s'attardèrent sur sa joue et je murmurai pour qu'elle soit la seule à entendre: « Est-ce que t'embrasser... est simple, aussi ? » Je ne m'engageais pas. Au contraire, je restais statique, près à me recevoir une gifle pour oser user de mes charmes ou alors à ce qu'elle initie le premier pas dans ce que nous ne devrions jamais expérimenter tous les deux. Quand la vie paraissait si simple, et que le cœur battait plus fort que la normale, pourquoi ne pas tenter l'impossible ?

Juste un baiser. Ce ne serait juste qu'un baiser. Où était le mal ? Partout. Le mal était partout. Il guettait, aussi vicieux qu'invisible. Quoiqu'on faisait, ça avait toujours des répercussions sur nous. Bo Won était victime de mauvaises rumeurs à son sujet, et moi aussi. Nous étions considérés comme des parjures, des personnes faciles à qui l'amour ne pourrait jamais sourire. Nos coeurs ne savaient pas aimer, ils se confondaient entre le désir de s'attacher et le désir de la chair. Je l'avouais, moi-même j'étais parfaitement hermétique à cet étrange sentiment. Je ne le captais, je ne le prenais pas en considération, et voilà pourquoi mes anciennes relations étaient toutes vouées à l'échec. Je ne savais pas aimer, et probablement je ne saurais jamais aimer.

Alors un baiser, qu'est-ce que c'était au fond ? Pour nous, aux coeurs si libertins et si confus ? C'était peut-être le déclencheur de quelque chose grand, de fort et d'indescriptible. Si j'allumais la mèche, qu'allait-il arriver ? Le mal allait-il prendre le dessus sur nous ? Je posai mon regard perdu dans le sien, en proie à un grand doute. L'alcool brouillait mes pensées, mes réflexions. Si j'embrassais Bo Won, je donnais raison à toutes ces langues de vipère qui s'amusaient à ternir ma réputation. Fraîchement élu président des pyobeom, je ne devais en aucun cas entâcher cette nouvelle responsabilité. Et encore plus si je devais m'accoquiner avec ma vice-présidente. C'était mal. Définitivement mal. Et pourtant, je voulais aller contre la raison. L'alcool m'y aidait grandement, et Bo Won ne s'y opposait apparemment pas. Alors ce baiser, au final, qu'était-il ? Je rapprochai mon visage du sien, lentement, ne quittant pas son regard du mien. Nos lèvres s'effleurèrent. C'était comme si la mèche s'était déjà allumée. Pas de retour en arrière. Je l'embrassai et mes mains glissèrent d'elles-mêmes dans son dos pour presser son corps juvénile contre le mien. Douces lèvres, douce peau, douce tentation... Le mal était partout. Et ses yeux nous jugeaient avec le plus de conviction possible. Comme quand le serpent agitait la pomme devant Eve. J'avais mordu dedans. Car un mystère éternel était une tentation éternelle.