outfit - N’allez pas croire que parce qu’il avait passé deux ans dans un hôpital psychiatrique qu’il avait pu finir par oublier de grandir. Oui parce qu’on ne pouvait pas dire que les médicaments l’aient aidés en quoi que ce soit à cette époque. Cependant, Soah était plus mature qu’il n’y paraissait. À force d’avoir fréquenté Shanyuan et certains de ses ami(e)s et en plus d’être grand-frère, il avait largement la tête sur les épaules alors ce fut pour cette raison qu’il n’eut aucune peur à prendre son envol et à partir faire ses études sur Séoul.
Il savait qu’on s’inquiétait encore pour lui - il s’inquiétait lui-même pour lui ! - mais une bonne chose au moins qu’il avait appris dans cet hôpital c’était qu’il fallait toujours avancer la tête haute. Il y aura toujours des obstacles sur la route et c’était eux-mêmes qui nous transformaient et nous rendaient plus forts. S’il se terrait, il serait dans l’incapacité de voir ce que cela lui apporterait et ça, il l’avait bien compris à force d’en avoir fait l’expérience.
Aujourd’hui, au moins avançait-il à son rythme. Il avait toujours la sale tendance de précipiter les choses mais il s’y prenait d’une autre manière qui rendait cela plus délicat. Les professionnels de nos jours étaient passés par la même case que lui alors cela était normal que cela prenne du temps. On dit que la patience était une vertu… eh bien, il n’allait pas prétendre le contraire.
Heureusement y avait-il des endroits pour se détendre ; hormis la salle de danse puisque pour lui c’était l’unique chose lui permettant de se détendre complètement. Car Soah restait un étudiant comme un autre qui avait besoin de se couper de l’université. C’était bien d’être studieux et de faire de son mieux chaque jour pour être au top mais il restait un être humain. Il avait bien vu à quoi ça l’avait mené d’en faire trop et pourtant, il avait toujours été ce garçon prêt à aller jouer quand on le lui proposait si ce n’était pas l’inverse. Mais ça, on se posait toujours la question de ce qui l’avait mené à perdre le contrôle de lui-même.
C’était en partie pour cette raison qu’il faisait plus attention désormais parce qu’il était hors de question de retourner là-bas. Autant pour son entourage que pour lui. Alors ce soir il partit rejoindre des ami(e)s dans le quartier sud de la capitale. Ils avaient déniché une boîte de nuit à leurs moyens où ils allaient la plupart du temps et où ils s’amuseraient jusqu’à n’en plus pouvoir. Ce qu’il aimait aussi dans cet endroit, c’était l’ambiance qui y régnait. Place qui regroupait bons nombres d’élèves comme les autres boîtes des alentours mais particulièrement les danseurs et qui disait danseurs, disait battles.
Il n’était pas le plus doué, il le savait. Il y avait toujours meilleur mais c’était ça qui faisait l’excitation, les frissons. Avec quelques verres dans le sang, il se laissait porter par la musique qui se mêlaient aux changements des couleurs tamisées. C’était exaltant. Pourtant, il ne s’était pas attendu ce soir à tomber sur lui. Il le reconnut aussitôt qu’il lui fit face dans ce battle. Il donna tout ce qu’il avait envie en lui mais, au fond, ce fut sa rage par-dessus tout qui prédomina sur tout le reste. S’il y avait bien une personne par-dessus tout qu’il n’avait pas envie de revoir, c’était lui. Lui dont son prénom résonna dans ses oreilles au fur et à mesure de la chanson. Lui pour qui il avait une confiance totale mais qu’aujourd’hui il avait perdu. Lui pour qui il abattit violemment son pied au sol quand sur une dernière note électronique la musique prit fin.
La foule alentour s’exclama, poussa des cris surpris et admiratifs. Ils avaient donné une élégante prestation à tous les deux sans s’en rendre compte. Essoufflé, il avait toujours son regard ancré au sien jusqu’à ce qu’il prenne conscience qu’il n’était pas illusion. Il se retourna  et partit précipitamment.

Shanyuan.

@Koh Shanyuan

ootd / Ça lui prenait à la gorge et sa jambe le lançait. Avec force. Les souvenirs s’égrenaient dans sa mémoire comme un mauvais film dont on ne peut pourtant pas se défaire. Comme collé à la peau. Et plus ça brûlait, plus il essayait de s’en sortir, s’agitant dans tous les sens en espérant hurler pour que tout s’arrête. Épais brouillard. Rideau lourd. Les paupières remuaient à peine tandis que tout son corps était pris d’agitation. Les autres du dortoir devaient parfois le prendre pour un fou. Les images tournaient en boucle, sans le son, mais les horreurs n’ont jamais besoin de son. La vision de l’impensable suffit à traumatiser un homme. Et rien ne partirait jamais vraiment un jour. Néanmoins, il continuait de lutter et finalement son acharnement paya. Assis sur le lit, il sentit la sueur couler le long de ses tempes. Des sueurs froides qui le firent frissonner. Sa gorge était sèche et son cœur battait la chamade, prêt à sortir de ses entrailles. Il glissa une main dans ses cheveux bruns et abandonna un soupir rauque avant de se lever légèrement chancelant. Le réveil n’allait pas tarder à sonner. Au moins, il ne trouverait pas grand-monde dans la salle de bain commune.
Le restant de la journée lui permit toutefois de penser à autre chose. Il avait des cours importants et un examen à passer. Ses pensées n’étaient plus focalisées sur ces maudits cauchemars qui le poursuivait depuis plus de cinq années maintenant. Il était pourtant revenu entier de son service militaire... physiquement. Car son mental en avait pris un certain choc. Quand tout devient réel, affronter la peur en face n’est pas chose aisée. Mais la danse lui permettait de se redresser, de ne pas courber le dos. Il était plus fort que cela, il était capable d’encaisser et de se soutenir. Peu importe ce que pensaient ses parents à ce sujet. Parents qu’il n’avait pas vu depuis un petit bout de temps désormais. Il y passerait un de ces jours, à l’occasion. Il y en avait toujours.

Les lumières tamisées lui tapaient dans la rétine tandis que la musique beaucoup trop forte résonner contre son crâne. Mais l’adrénaline était là. Encore plus grande que tout le reste. Il sentait son corps parcourut d’électricité, prêt à se lancer dans la bataille. Car c’était pour cela qu’il était venu. Un sourire barrant ses lèvres, il regardait les danseurs s’affronter un à un, impatient que son tour arrive. Ses amis se lancèrent et puis ce fut à lui d’y aller. De se mesurer à son adversaire. Et même s’il s’agissait de son meilleur ami d’enfance, il ne se laisserait pas troubler. Du moins, pas longtemps. Que fais-tu ici, Soah ? Et ils dansèrent, dansèrent, dansèrent, jusqu’à ce que leurs mains soient moites et leurs cœurs boitent. Immanquablement. « Pourquoi est-ce que tu t’enfuis ? » Avant-bras saisit au vol et pupilles élevées vers son interlocuteur. Son âme tremblait mais il ne tressaillait pas. Il le relâcha. « Ca fait longtemps. » Il glissa sa main dans sa nuque, quand même gêné par toutes ces années qui avaient défilé. Et dont ils ignoraient tout.

@liu soah

Shanyuan. Toute sa vie. Il se souvenait parfaitement de leur rencontre même si elle remontait à des années. Sourires en coin, gênés, ils s’étaient longtemps regardés avec qu’il ne lui demande de jouer avec lui. Invariablement, ils s’étaient complétés l’un à l’autre et l’un sans l’autre finit par paraître irréel pour leur entourage. Même s’ils grandirent, même si Shanyuan était plus âgé que lui, rien ne les empêchait de toujours se retrouver chaque jour à n’importe quel moment de la journée. Ils étaient inséparables au point que leurs parents ne tardèrent pas à s’en inquiéter.
Foutaises. Qu’est-ce que cela pouvait-il faire qu’ils soient plus proches que deux frères ne le seraient ? Parce qu’ils se permettaient des gestes l’un envers l’autre et ça ne plaisait pas à leurs parents. Ils n’étaient pas bêtes alors ils continuèrent mais en le faisant sous leurs yeux. Sauf qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter car ses gestes ne s’apparentaient qu’à des gestes affectueux qu’ils avaient l’un envers l’autre. Enfin, eux ne voyaient pas en quoi c’était un problème. Mais, au final, avaient-ils été un peu bêtes quand on voyait comment cela avait pris fin.
Elle partit toute seule. La gifle sur la joue de celui qui avait fait sa vie durant des années. Il ne sut pas pourquoi il lui porta ce coup brutal mais ce fut plus fort que lui. Il n’en prit conscience qu’après coup et se surprit lui-même à sentir sa main chauffée d’y avoir mis une telle force. Son coeur tambourinait contre sa poitrine et son corps était parcouru de tremblements. Il ne savait pas comment il tenait debout face à lui alors qu’il était bien la dernière personne qu’il souhaitait voir en ce monde. Pourtant… Pourtant !
Tu m’as manqué. Non, il ne lui avait pas manqué. Je voulais qu’on en parle, je souhaitais te dire que… Non, il n’avait rien eu envie de lui dire parce que cela n’avait pas d’importance. Le passé, c’était le passé et il avait fait une croix dessus. Mais je tenais à toi plus qu’à n’importe qui d’autre ! Puis il avait disparu et il l’avait laissé sans aucun mot, aucune lettre. TU ÉTAIS TOUTE MA VIE !

«  Oops, pardon, finit-il par dire, Non attends, pourquoi est-ce que je m’excuse de t'avoir giflé ? Je n’ai aucune raison de le faire. »

S’il avait agi comme il venait de le faire, c’était qu’il avait des bonnes raisons de le faire. Il savait qu’il était fautif lui aussi dans cette histoire et que Shanyuan n’était pas le seul à blâmer. Après ce qui était arrivé, il n’avait pas cherché à le revoir et il l’avait évité, fui. De peur d’admettre que ce qui le taraudait depuis quelques temps ne soit vrai…! Cependant, ce n’était pas lui qui était parti sans rien dire et qui n’avait même pas cherché à donner de nouvelles dans les années qui suivirent. Lui l’aurait bien fait mais ce qui suivit la fin de son lycée et les leçons qu’il en tira lui apprirent qu’il y avait des moments de notre passé sur lesquels on ne pouvait pas revenir et que parfois, il fallait mieux le laisser là où il était, n’est-ce pas ?
Il planta son regard dans le sien et comprit que cette leçon ce n’était que du pipeau. Tout s’effondrait autour de lui face à ce regard qu’il avait toujours cherché à attirer pendant une dizaine d’années. Il eut envie de crier, de pleurer, de vomir mais ce ne fut que ses poings qui se serrèrent le long de son corps. Est-ce que Shanyuan était-il en colère ? Il lui parut fatigué et incroyablement triste… Est-ce qu’il était content de le voir ?

«  J’ai envie de vomir. »

Il se précipita à l’extérieur et vacilla contre le mur. Il s’y appuya et posa une main sur son torse au niveau de son coeur. Il ferma les yeux pour les rouvrir aussitôt en sentant la présence de Shanyuan auprès de lui. Il était bien là auprès de lui et il n’avait qu’à tendre la main pour le toucher mais il se contenta de le regarder. Il s’était pourtant promis d’être fort s’il le revoyait un jour. Raté.

@Koh Shanyuan

ootd / C'était à l'intérieur que ça brûlait. A l'intérieur de son cœur qui s'était pourtant agréablement réchauffé en apercevant le visage de son meilleur ami ressurgir après toutes ces années de silence et de douleur. La gifle qu'il lui porta le laissa coi quelques secondes, ses lèvres s'entrouvant pour se refermer ensuite, un vulgaire poisson qui ne savait plus comment respirer. Il comprenait autant qu'il ignorait toutes les raisons qui avaient poussé Soah à le frapper et il s'en voulut subitement. Néanmoins, cette soirée lui revenait avec force dans l'esprit et il savait aussi très bien qu'il n'était pas l'unique coupable à toute cette mascarade. L'alcool aidant, ils avaient franchi ce pas qu'ils ne pensaient pourtant pas possible entre eux. Des amis proches existaient, n'est-ce pas ? Avec de l'ambiguïté, mais sans jamais aller plus loin.
Alors il inspira et sortit à la suite de son camarade. Il le vit tremblant malgré la fureur dont il venait de faire preuve et Shanyuan s'avança derrière lui pour l'enlacer de ses bras. La fraîcheur de l'extérieur après la danse, après la gifle, lui donnait ce prétexte pour offrir à son tour un peu de chaleur au blondinet. Parce qu'il savait qu'il en avait besoin. Il savait plus que tout que Soah réclamait un peu de douceur sans en connaître encore une fois les raisons. Il l'avait vu danser, tout droit face à lui, avec cette détermination peinte d'une tristesse incroyable. La flamme avait vacillé dans ses prunelles faiblement éclairées par les néons qui tapissaient le plafond de la boîte de nuit. Il l'avait vu danser, encore et encore, à s'en arracher les songes, à enrager jusqu'à la pointe des pieds. Il l'avait vu ancrer ces derniers dans le sol, fermement pour prouver qu'il existait et qu'il était bel et bien là. Shanyuan avait vu tout cela ; à moins que ce ne fut son propre reflet qu'il eut admiré ?
Sans même s'en rendre compte, il le serrait un peu plus fort contre lui, contre son torse, contre son âme. « Je ne te laisserais plus t'enfuir, Soah. » Une promesse murmurée à son oreille, la brise du vent faible la transportant plus loin encore dans les brumes de la nuit. A l'aube, la promesse ne serait pas rompue ; Shanyuan se le jurait lui-même. Parce qu'ils avaient grandi ensemble, pour tous ces moments qui les avaient forgé, pour toute cette découverte de la danse, leur passion commune qui, malgré les années, les reliait encore, pour tous ces partages qu'ils avaient vécu, la promesse subsisterait autant que Soah en accepterait la véracité. Pourtant, le brun savait que rien n'était jamais aussi simple. Et ne l'avait même jamais été. Ils n'en seraient pas là à l'heure actuelle.
Durant toutes ces années, cela serait mentir que de ne pas avouer qu'il avait pensé à lui. Se raccrochant à son image qui avait disparu petit à petit. Au départ son visage, ses paroles, et puis seulement ses lèvres scellées dont son expression offrait de la détresse et de la rancœur. Sa silhouette gracile de danseur s'était transformée peu à peu en un dos tourné et ses cauchemars n'avaient pas arrangé cela. Laisse-le partir. Un énième murmure à son oreille parmi le sifflement des balles. Et c'était ce qu'il avait fait. Mais ne l'avait-il pas déjà perdu  avant même de s'en apercevoir ? Aujourd'hui alors, peut-être par égoïsme et le cœur serré, il n'avait plus envie de reproduire cette erreur. « Pardonne-moi... » Non pas un ordre, mais une complainte. Une mauvaise mélodie qui se perdait dans le noir.

@liu soah

Aujourd’hui, il avait trouvé une autre raison de vivre. C’était un peu égoïste mais il vivait pour lui. Avant tout, il pensait à lui et à son bien-être. Il avait trop souvent pensé aux autres, trop souvent pensé à Shanyuan. Son prénom avait fait partie de son esprit pendant des années sans qu’il n’en regrette aucune car Shanyuan lui avait apporté plus que n’importe qui d’autre aurait pu faire. Il l’avait aidé de nombreuses façons et il l’avait remercié cela. Cependant, cela serait trop facile s’il ne se rappelait que le bon côté car, malheureusement, le bon n’allait pas sans le mal et ce soir, c’était le mal qui resurgissait en criant rage dans sa tête.
Il se rappelait leurs deux corps pressés l’un contre l’autre. Ce fut une danse à laquelle aucun des deux n’avait pu échapper. Ils s’étaient laissés emporter dans cette ballade fiévreuse et s’en étaient enivrés jusqu’à n’en plus pouvoir. Cela n’aurait pu n’être qu’une aventure d’un soir à laquelle ils auraient fait abstraction sans que cela n’ait d’importance. Cela n’aurait pu n’être qu’un message caché comme quoi ils étaient attachés l’un à l’autre plus qu’à n’importe qui d’autre. Mais si tel avait été le cas, cela n’aurait pas duré une partie de la nuit.
De leurs corps entrelacés n’en seraient pas ressortis mille baisers volés. Ce ne fut pas sur leurs corps qu’ils se firent les plus pressants mais bien sur leurs lèvres auxquelles ils eurent peine à se détacher tout du long de cette folie. Impossible qu’ils ne se détachent sans revenir à la charge l’instant d’après dans ce lit où ils avaient fait la conquête du monde et même de l’univers ensemble. Ce soir-là, c’était un autre chemin qu’ils avaient pris et ce serait mentir que de dire qu’ils n’en avaient pas retiré du plaisir.
Alors, ce corps se pressant contre le sien lui fit simplement se sentir coupable de toute cette mascarade qu’ils avaient seuls engendrés. Il ne fit que déglutir et sentir la respiration légèrement saccadée de Shanyuan dans son n’arrangea en rien la situation. Il lui en voulait mais, par-dessus tout, il s’en voulait à lui. Il avait fui la nuit envolée et l’avait évité soigneusement les jours suivants. Puis, quand il avait voulu tenter de mettre ça au clair, celui qui faisait sa vie avait disparu.

« Ce n’est pas comme ça que ça marche, Yû. »

Eh, mince. C’était bien malin de l’appeler comme ça parce qu’il n’y avait que lui pour avoir eu l’idée de le surnommer ainsi. Il mordilla sa lèvre inférieure et eut envie de crier. Il avait plusieurs fois imaginer leurs retrouvailles sans jamais parvenir à une qui lui plaisait jusqu’à ce qu’il finisse par abandonner. Pourtant, il le sentait bien contre lui et la douceur et la chaleur émanant de son corps lui avaient terriblement manqué. Il ne savait plus où donner de la tête.
Il finit néanmoins par le repousser et planta son regard dans le sien. C’était injuste parce que les années avaient passé et il était encore plus beau qu’auparavant. Il réussit à garder contenance et reprit, d’une voix qu’il voulut ferme et dure mais qui se fit plus douce et tremblotante :

«  Tu as disparu durant toutes ces années. Tu es parti sans même me dire un mot alors comment peux-tu seulement prononcer ces mots ?, dit-il en serrant les poings, Je te déteste. »

C’était sorti tout seul. Trop tard.

« Je te déteste, espèce d’idiot ! Je suis aussi coupable que toi mais je ne serais jamais parti sans te dire au revoir ! »

Il reporta la main à son coeur et se passa une main rageuse dans ses cheveux. Il n’espérait plus rien de cette amitié car elle avait volé en éclats dès l’instant où il avait posé ses lèvres sur les siennes.

@Koh Shanyuan

ootd / Gamins innocents debout devant un fait accompli des années plus tôt. A quel instant étaient-ils moins innocents aujourd'hui qu'hier ? Shanyuan n'avait pas envie de le lâcher. Il n'avait pas envie de le lâcher pour son propre égoïsme autant que pour cette rancœur que vomissait Soah. Il l'avait vu danser, il l'avait observé avec autant de détails et d'obstination qu'il lui avait été permis de le faire en mouvant son propre corps. Comme une réponse à toutes ces années perdues. A ces souvenirs envolés dont ils continuaient encore de se priver. Parce qu'ils ne pouvaient pas se faire face ou parce qu'ils ne le voulaient pas. Il y avait des sujets dont Shanyuan avait encore du mal à parler. Alors il lui offrait sa chaleur, un peu de réconfort dans cette nuit noire faiblement éclairée. Il se permettait de l'enlacer de la sorte pour se donner peut-être le courage de l'affronter. Car même dans les tranchées, il n'avait pas été plus fort qu'en ce moment. Frappé en plein dans la jambe ; rêves éparpillés, cœur brisé en pensant ne plus jamais danser. Il ouvrit les lèvres pour signaler qu'il le savait, qu'il savait bien que ça ne fonctionnait pas ainsi, mais Soah se dégagea avant qu'il n'eut l'opportunité de le faire. Ses pupilles brunes tombèrent alors sur le visage délicat de l'homme qu'était devenu son meilleur ami et il ne put s'empêcher de déclarer : « T'es mignon. » Il était mignon, du haut de son mètre soixante à le juger pour les crimes qu'il avait commis. Mais le détester...
Bras croisés sur sa poitrine, Shanyuan le fixait sans cesse de son regard à la fois dur et triste. N'était-il pourtant pas content de le revoir ? Il le lui reprochait depuis plusieurs minutes sans être lui-même capable d'apprécier ces retrouvailles à leur juste valeur. « Tu es le premier à t'être enfuis cette nuit-là, Soah. » Sans aucun doute dans la provocation, mais aussi dans la vérité. Pour rappeler au blond qu'il n'avait pas oublié. Qu'il n'oublierait jamais cette unique fois où la limite de leur amitié avait été franchi. Plus rien n'avait été ensuite comme avant. Et le monde continuait de tourner, encore plus fort, encore plus vite. Et les revoilà l'un devant l'autre. Qui portait le plus de grief ? Qui portait la plus lourde croix ? Ils n'avoueraient rien ce soir-là. « Quand moi je suis parti, il était trop tard pour les regrets. » Ca le brisait à l'intérieur de s'entendre dire de telles paroles. Il n'avait de cesse de se revoir le dos courbé au-dessus des barbelés depuis des heures, son cœur tapant si fort dans sa poitrine que l'ennemi aurait pu le dénicher, ses seules pensées convergeant vers toutes les fautes qu'il avait commises du haut de ses dix-huit ans. A l'époque, le temps était beaucoup plus maussade. Ses parents avaient réussi à faire de lui un homme, mais à quel prix ?
Et tandis que lui vivait les pires années de sa vie d'adulte, où était Soah ? Continuait-il de danser comme il était si doué pour le faire ? Avec cette grâce et cette agilité dont lui possédait moins. Il se souvint de son ami juché sur le rebord d'un muret, papillon qui déployait ses ailes au monde entier, papillon qui sortait la tête de sa chrysalide et offrait le spectacle de ses incroyables couleurs aux autres. Soah avait toujours rayonné, emportant Shanyuan dans son sillage. Un voile de tristesse se posa dans ses prunelles. « Si tu m'en veux encore autant, pourquoi est-ce que tu ne m'as pas cherché ? » Parce qu'ils étaient tous les deux coupables, ils ne cesseraient de se renvoyer la grenade. Il fallait prendre garde quand elle comptait exploser. Elle était désormais dans le camp de Soah.

@liu soah

Ne pas pleurer. Ne pas pleurer fut difficile car il souhaitait se montrer fort et qu’il avait sa fierté. Autrefois, pleurait-il entre ses bras pour des sottises. De toute façon, il venait le voir pour tout parce qu’il n’y avait qu’avec lui qu’il souhaitait partager ses instants les plus précieux. En cours, il avait du mal à tenir en place tellement il n’avait que l’envie de le rejoindre. À quel moment cela lui était)il devenu indispensable de l’avoir à ses côtés ? Il ne s’en rappelait pas mais il se souvenait de la sensation que cela lui faisait de le sentir loin de lui. De se sentir vide. Mais, aujourd’hui, il avait réussi à combler ce vide…
… C’était ce qu’il pensait la main serrée contre son coeur. Pourtant, ce n’était pas vrai. Il avait dû y parvenir mais, ce soir, il se rendait bien compte qu’il ne pouvait combler que par la présence de Shanyuan. C’était pour cette unique raison qu’il peinait à retenir ses larmes nichées au coin de ses yeux. Il avait pourtant réussi à se détacher de son étreinte mais, désormais qu’il le savait si près de lui, il lui sera impossible de ne pas aller au-devant de lui. Même s’il se retenait, il finirait par perdre le contrôle de son corps, il en était certain.
C’était dur, dur de se confronter face à lui car il n’avait jamais eu la force de le faire. En tant que meilleurs amis, ils s’étaient disputés plusieurs fois mais il finissait toujours par capituler. Que ce soit l’un ou l’autre qui venait pour régler leurs différends. Sauf qu’aujourd’hui, ce différend n’était pas comme les autres et il avait brisé leur amitié. Existait-il seulement une colle assez forte pour recoller les morceaux ? En avait-il envie ? Parce qu’il n’en était pas sûr et il n’arrivait pas à croire que Shanyuan semble prendre ça à la légère. Il le connaissait par coeur, il savait que pour lui le plus important était leurs retrouvailles. Cependant…

« Je n’avais pas envie de te revoir. »

Il releva les yeux et le regarda. Il avait bien compris que Shanyuan, au contraire, en avait eu envie. Il déglutit alors que ses mots résonnaient dans sa tête. C’était trop tard pour les regrets. C’était trop tard pour leur amitié qui aurait pu durer encore tant d’années. C’était trop tard pour…

« Alors pourquoi devrais-je être réjoui de te revoir, Yû ?, continua-t-il en lâchant son haut, Je ne pensais ne plus te revoir, je m’étais fait une raison. Sept ans, Yû… Sept ans se sont écoulées. Ne crois pas que je suis ce même enfant te courant sans cesse derrière. »

Il essayait de soutenir son regard dans le sien et de ne pas craquer. Ce serait bête de prononcer des mots qui auraient pu paraître faux alors qu’ils ne l’étaient pas. Il avait bel et bien grandi et il n’était plus le même. Il avait fini de courir derrière les gens, il ne l’avait que trop fait. Désormais, même s’il tombait, il finissait par se relever sans avoir à trop s’appuyer sur le dos des gens. Cette rencontre inattendue ne changeait donc rien ; Shanyuan était son passé et resterait son passé.

ootd / Paroles cinglantes, d'un côté et puis de l'autre. Sans cesse renvoyer sans jamais obtenir de réponse. L'un comme l'autre continuait de se protéger malgré toutes ces années et c'était sûrement à cause de cela. De toutes ces années qu'ils taisaient, de toutes ces joies et toutes ces peines qu'ils avaient eu sans jamais que l'autre ne le sache. Ils avaient continué de vivre chacun pour soi et néanmoins sur le même morceau de la planète. Sans jamais se croiser jusqu'à ce soir. Il y avait des coïncidences qui ne trompaient pas. Et le cœur de Shanyuan avait l'impression d'étouffer comme si on le pressait, à la fois avec autant de douceur que de violence ; longue haleine. « Alors pourquoi est-ce que tu es sur le point de pleurer ? » Pourquoi est-ce que tu me regardes avec ces yeux meurtris ? Je ne suis pas le seul fautif. Non, il n'était pas le seul fautif pourtant ça lui brûlait dans la poitrine. Alors plus Soah parlait, et plus ça l'agaçait de l'entendre lui mentir sans vergogne. Le détestait-il tant ? Et pour quelle raison dans le fond ? Ils n'étaient que des adolescents, à l'époque.
Tout à coup, il se rapprocha avec rapidité de son interlocuteur, le plaquant au mur tandis que son propre poing venait y taper dedans. Ses pupilles brunes fixant avec intensité celles de Soah, un long moment. Sans rien dire, seulement l'observer et essayer de sonder son âme pour comprendre. Que s'était-il réellement passé pour qu'il lui en veuille avec autant de force ? Il le mettait au pied du mur et Shanyuan était décidé à ne pas se laisser avoir. « Donne-moi la vraie raison, Soah. La vraie raison pour laquelle tu me détestes autant. » En prononçant ces mots, il sentit ses lèvres trembler tandis que le côté de son poing le lançait doucement. Il ne s'était pas fait aussi mal que les mots qui fusaient depuis plusieurs minutes entre eux. A l'évidence, il ne s'était pas attendu à ce que le jeune homme lui saute dans les bras en lui demandant de se remémorer le bon vieux temps, mais il ne s'était pas non plus attendu à tant de rancœur de sa part. C'était pour cette raison qu'il voulait comprendre. Par-dessus tout. Même s'il devait en souffrir par la suite.
« Tu sais que j'ai pensé à toi pendant tout ce temps. Et il n'y a pas eu un seul instant de ma vie où je ne me suis pas dit "et si Soah avait été là". Pourtant tu n'étais pas là, et je n'ai pas été là pour toi non plus. » Alors pourquoi ressasser ? Parce que c'était ce qu'ils faisaient de mieux tous les deux. Cela leur permettait de se dédouaner, d'en parler sans trop en dire non plus. Mais, pour Shanyuan, c'était la vérité. Il se souvenait de ces instants de joie partagés avec de nouveaux visages inconnus, de ces fêtes auxquelles il avait été et de ces relations qu'il aurait aimé partagé avec Soah. De ses prouesses et de son ridicule au cours de son service militaire. Et pour lui, c'était ainsi qu'il avait tout oublié. Le regard bienveillant de son meilleur ami avait été disloqué avec cette maudite grenade.

@liu soah

Bloqué. Tout était bloqué. Ces mots, ces gestes, même son corps contre ce mur. Ce satané mur contre lequel il s’était cogné plusieurs fois, contre lequel il avait visé sans parvenir à se relever. Cela lui crevait le coeur de se retrouver confronter à cette situation et Shanyuan n’arrangeait en rien les choses. Il le regardait avec insistance et son regard le sondait de part en part pour essayer de comprendre pourquoi Soah lui en voulait autant. N’était-ce pas évident ? Il ne sut pas encore comment il réussissait à tenir debout face à lui mais il continua à garder contenance pour ne pas lui montrer que tous ses mots, tous ses gestes le rendaient complètement mal.
Il était désolé. Désolé d’avoir fui cette nuit-là. Il l’avait regardé dormant et avait songé que son coeur était bien plus apaisé que toutes les nuits où ils avaient dormi ensemble. Durant ces nuits, il s’était permis parfois de le regarder dormir car il n’avait pas le sommeil facile et qu’il se réveillait toujours avant Shanyuan. Il était désolé alors de s’être encore réveillé avant lui et de ne pas avoir pu rester à ses côtés car il avait pris conscience que de toutes les personnes présentes dans sa vie, Shanyuan était le seul pour qui il aurait donné sa vie. Ça ne signifiait qu’une seule chose… Il avait été pour une fois incapable d’y faire face parce qu’il savait. Il savait que ça ne marcherait pas car la réciprocité n’était pas présente. La seule personne qu’il eut jamais aimé… Non ! Ce n’était pas vrai ! Qu’il taise à tout jamais ses sentiments.

« Tu ne me parles pas alors pourquoi est-ce que je te parlerais ? »

Il déglutit et essuya rageusement ses yeux où des larmes commençaient à forcer barrage. Il n’avait qu’à tendre les bras pour l’agripper et ne plus jamais le lâcher comme Shanyuan semblait tant le souhaiter. Sauf qu’à la place il le poussa. Il le poussa une fois, deux fois, trois fois… en fait jusqu’à ce que Shanyuan lui attrape les mains.

« ARRÊTE ! LÂCHE-MOI ! »

Il se débattait furieusement et plus il se débattait, plus il avait envie de pleurer. Il savait qu’il se ridiculisait mais il n’en avait rien à faire. Il ne voulait pas qu’il le touche. Si, il le voulait. Il ne voulait plus le revoir. Si, il…

« Tu ne peux pas me dire ça, dit-il, Tu ne peux pas me dire ça comme ça, c’est jouer avec mes sentiments. Moi, commença-t-il tremblotant, je ne veux plus te voir. Je veux que tu disparaisses de ma vie ! »

Shanyuan le lâcha. Il plongea son regard dans le sien et porta sa main à sa bouche. Il l’avait déjà blessé, il venait de le refaire et cela lui retournait les entrailles. Il avait honte et celui qu’il détestait le plus en cet instant, c’était lui. Non, c’était même lui qu’il avait toujours le plus détesté mais cela ne l’empêcha pas de partir précipitamment sans se retourner. Se remettrait-il de cette rencontre ?

@Koh Shanyuan