Elle l’écoutait parler d’une oreille, sans vraiment y porter attention. Elle préférait ne pas imaginer pourquoi il jurait, ou encore pourquoi les casseroles faisaient tant de bruit… tout ça ne pouvait mener qu’à des pensées négatives. Elle avait envie de se lever et de l’aider à trouver une sortie, mais l’idée de bouger à elle seule lui semblait douloureuse. Lorsque le jeune homme ne fut plus dans son champ de vision, la brune ferma les yeux et prit une grande inspiration, jouant nerveusement avec son briquet. Pourquoi l’avait-elle appelé ? quelle erreur. Elle ne s’était souciée que d’elle-même, alors que ce n’était pas son genre, normalement. Frustrée, elle mordait sa lèvre, se maudissant intérieurement pour tout ce qu’elle lui faisait subir. L’étourdissement commençait à la faire délirer un peu, et si sa jambe prenait tout doucement une couleur blême se transformant bientôt en une teinte bleutée, ses lèvres imitaient son membre blessé, et le froid la fit bientôt frissonner si fort qu’elle fut prise de tremblements. Une autre inspiration. Celle-ci ne fonctionnait pas autant que la dernière. Elle attrapa le paquet de cigarettes jonchant le sol, l’observa sous toutes ses coutures, prête à fumer sa dernière cigarette. Mais le vacarme que causa yuan la fit sursauter, et elle rangea presque illico les cigarettes dans son sac à main, redressant son dos et ouvrant tout grand les yeux. « yuan… arrête… » fit-elle, le suppliant presque de se calmer, se mordant toujours la lèvre en signe de regret. Elle avait du mal à supporter – supporter tant de bruits, son attitude violente, la frustration dans son regard et surtout, surtout, la merde dans laquelle elle les avait traînés tous les deux, pour le coup. Elle posa ses mains au sol et se redressa doucement, venant agripper le bord d’un comptoir pour réussir à se remettre sur pieds. Le changement de position lui fit tourner la tête, sur le coup, mais elle ne fit comme si de rien n’était, s’y appuyant simplement, tentant de tituber vers lui mais se rétractant bien rapidement en réalisant que sa jambe blessée était… inutile. Elle n’arrivait même plus à la bouger, avec ce manque de circulation.

« il y a une trappe qui mène au toit, dans la salle de bain du personnel. » dit-elle enfin, l’idée lui venant dans un moment de lucidité. Elle n’avait jamais compris l’utilité d’une sortie d’urgence dans la salle de bain, mais maintenant, elle remerciait le ciel d’avoir créé cette sortie. Pouvaient-ils se rendre jusqu’à la salle de bain ? probablement. Allait-il être capable de la traîner dehors ? probablement pas, en fait… mais elle s’en fichait. Elle tendit la main vers lui et lui fit signe d’approcher. « je suis certaine qu’elle n’est pas bloquée… » elle réussit à attraper sa main et à le tirer vers elle, se retrouvant un peu plus près qu’elle n’aurait pensé de lui, mais c’était bien comme ça, aussi. Au moins, elle arrivait à le voir, comme ça. « yuan ? » fit-elle en un premier temps, sa tête lui tournant tellement qu’elle n’arrivait même plus à dire s’il la regardait ou non. Elle avait l’impression d’être l’actrice principale d’un film à faible budget, le genre de film où c’est la fin du monde, où tout le monde va crever… non, l’actrice secondaire, plutôt. Yuan était le héros, beau et fort, et il allait survivre, mais pas elle. Cette pensée la fit sourire un peu et elle ferma les yeux, relâchant sa main, les siennes s’agrippant une fois de plus à son haut. Le froid de l’extérieur commençait à se faire ressentir et son souffle s’échappait en petits nuages entre leurs visages. Elle s’était imaginée nombre de fois, comme ça, appuyée à ce même comptoir, avec ce garçon-là tout particulièrement. Seulement… jamais elle ne l’aurait imaginé dans ce genre de conditions. Et tandis que son front brûlait, que le bout de ses doigts se congelait, elle n’eut qu’une pensée : rien d’autre ne pouvait réellement la réchauffer. « tu veux bien m’embrasser une autre fois ? » demanda-t-elle enfin, dans un murmure. Au moins, elle aurait ça, s’il n’arrivait pas à la sortir de là. Au pire, elle se rendrait compte de ce qu’elle avait fait lorsqu’elle aurait toute sa tête, et elle en rirait.

Il haletait pratiquement, ses iris agrandis par la rage qui courrait dans ses veines, mais il n’eut d’autre choix que de se calmer immédiatement quand elle s’approcha, jurant intérieurement alors qu’il se dépêchait de sauter en bas du comptoir, manquant de se ramasser à plat ventre mais se retenant contre une étagère tombée, sursautant en percevant un mouvement du coin de l’oeil. Il se redressa rapidement, tendu, mais se relaxa un très court instant en s’apercevant que ce n’était qu’elle qui se rapprochait. Puis sa tension revint au centuple, réalisant qu’elle était debout alors qu’elle ne devrait vraiment pas l’être, et s’il n’avait pas été encore dans un équilibre plutôt précaire, il se serait précipiter vers elle. Mais il décida de ne pas bouger, ses épaules se soulevant au rythme de sa respiration rapide, et il tenta de se calmer en réalisant qu’elle n’avait pas l’air d’apprécier l’instant de frustration intense qu’il n’avait pas pu contenir après autant de temps à se retenir de faire quoi que ce soit de stupide. Il baissa les yeux, honteux, et passa une main sur son visage, des excuses sur le bout de la langue jusqu’à ce qu’elle lui fasse signe de s’approcher, ses dents s’éreintant à malmener sa lèvre inférieure alors qu’il l’écoutait avec la plus grande attention, sursautant pratiquement lorsqu’elle attrapa sa main pour le tirer à elle. Son esprit se perdit un moment dans les méandres de sa mémoire, ramenant au présent la trappe dont elle parlait et hochant la tête presque inconsciemment, visualisant l’endroit et détournant le regard vers les toilettes avec un léger regard de curiosité. Il ne savait trop comment ils allaient faire pour sortir par là, en toute honnêteté, mais il y avait une nouvelle lueur d’espoir pour lui, et il s’y raccrocha immédiatement. Le point d’interrogation suivant son nom dans la nuance de sa voix finit par atteindre les confins de son cerveau et il retourna ses yeux vers elle rapidement, penchant la tête d’un air questionneur. Son comportement le rendait un peu perplexe, alors qu’elle relâchait sa main, agrippant son haut tâché de nouveau, comme pour l’empêcher de bouger, non pas qu’il en ait la moindre intention pour le moment. Pas lorsqu’elle le regardait ainsi, pas avec la brillance étrange qu’il pouvait percevoir dans ses yeux.

Malgré tous les signes y conduisant, il ne put s’empêcher d’être pris par surprise par sa demande, et il eut pratiquement un mouvement de recul. Il n’avait jamais vraiment reparler de ce qui s’était passé, cette nuit particulière, quand il l’avait ramené chez lui à sa demande et que la finit s’était terminée assez étrangement, dans un baiser qui était loin d’être prévu et au final loin d’être accepté. Il avait passé par toute sorte d’émotion après cette nuit là, passant de l’interrogation à la frustration, en passant par la déception et le regret. Il ne savait trop que faire maintenant, alors qu’il se tendait, son cerveau jouant autour de cette déplaisante sensation qu’elle n’éprouvait ce besoin d’affection envers lui que lorsqu’elle était dans un état anormal. La boisson, puis le tremblement de terre, et il ne savait pas quoi faire de cette information. Il dévia les yeux de son visage, les laissant glisser vers le sol alors qu’il hésitait grandement, ses doigts jouant avec le bas de son propre t-shirt. Elle était tout de même lucide, non ? Ce n’était pas comme si elle ne savait pas ce qu’elle demandait... ou du moins l’espérait-il. Mais c’était difficile pour lui d’accepter lorsqu’il n’était même pas sûr de si elle ne faisait pas simplement ça par désespoir, mais même là, elle n’aurait aucune raison de se “rabattre” sur lui. Il passa une main anxieuse dans ses cheveux en ramenant son regard un peu incertain vers son visage, observant le sang parcourant son visage, l’humidité encore présente dans ses yeux, les sillons de larme apparent ses joues, ses cheveux sales et collés contre ses tempes, les coupures non traitées sur sa peau, et il ne put s’empêcher d’éprouver une sorte d’admiration envers elle, et un besoin plutôt puissant de lui procurer un peu d’affection, après tout ce qu’elle avait vécu dans les dernières minutes, heures. Il n’osa même pas répondre, le souffle presque coupé alors qu’il réalisa avec quelque chose ressemblant à de l’effroi qu’il arrivant quand même a ne voir que sa beauté derrière tout ce qui la recouvrait. Il ne lui répondit même pas, glissant seulement un bras autour d’elle pour la soutenir et l’aider à s’appuyer sur lui plutôt que sur sa jambe, caressant sa joue de sa main libre, et déposa ses lèvres sur les siennes en un chaste baiser, doucement, attentif à leurs blessures -surtout à celles d’Alexis, les siennes lui important peu. Ce n’était pas le moment de partager un baiser, il le savait bien, mais comment lui refuser une telle chose ? Et avec un peu de chance, cela lui donnerait le courage dont il avait bien besoin pour poursuivre cette aventure involontaire dans laquelle ils avaient été propulsé par mère nature.

Ses lèvres étaient chaudes, bien plus chaudes que les siennes, et son corps, aussi, mais ça, ce n’était pas tellement étonnant puisqu’il bougeait depuis déjà de bonnes minutes tandis qu’elle n’avait été qu’une pauvre loque, qu’elle n’avait pu faire autre chose que de rester sans vie au sol, et que tout doucement, elle pouvait sentir sa circulation sanguine ralentir. Elle passait en mode survie, et bientôt, sa tête ne répondrait plus, et c’était vraiment le plus dangereux, en ce moment. Le baiser était chaste, mais suffisant, et elle le fit durer assez longtemps pour pouvoir profiter de ce moment de chaleur – assez longtemps pour s’imprégner de lui, de sa présence et de l’énergie qu’il dégageait. Il mettait un peu de couleur dans son monde, et même s’il avait semblé hésiter au départ, elle avait l’impression qu’il lui procurait un peu de courage, suffisamment d’espoir pour qu’elle ne laisse pas tomber maintenant. Elle se promettait à présent de lui faire comprendre qu’il ne l’attirait pas uniquement lorsque sa tête lui jouait des tours, si toutefois ils arrivaient à s’en sortir tous deux indemnes – ou presque, en tous cas. Était-ce une promesse en l’air ? oui, probablement… mais elle aurait réellement aimé lui faire comprendre que ce n’était pas du tout ça. qu’au fond d’elle-même, elle savait très bien qu’il l’avait toujours attirée. Le seul problème, c’était qu’elle n’était pas prête à l’assumer elle-même. Mais tandis qu’il la tenait contre lui et qu’il lui offrait un peu de chaleur, elle ne pouvait s’empêcher de l’imaginer, tout de même.

Elle ne poussa pas trop le baiser, le fit durer juste assez longtemps pour se sentir un peu mieux, reprendre contact avec la réalité, et lorsqu’elle brisa le contact, elle lui adressa un petit sourire. Voilà, ce n’était pas compliqué. Elle n’avait pas besoin de plus. « merci. » marmonna-t-elle, repoussant l’embarras très loin au fond de sa tête, baissant simplement le regard. Ses pensées s’étaient doucement transformées au travers du contact, contact pourtant si simple, mais elle ne voyait plus la situation sous le même œil. Il devait avoir beaucoup de volonté, pour croire être capable de la sortir d’ici tout de même et lui accorder un vœu si étrange… elle souffla un bon coup et redressa la tête, passant un bras autour de ses épaules. « je suis désolée de t’annoncer ça, mais je crois que tu vas devoir me porter jusque-là… » débuta-t-elle, s’apprêtant à affronter la prochaine étape. Le plus difficile était à venir, mais au pire, mieux lui valait de souffrir un peu pour arriver à en sortir que de simplement se laisser crever au fond du café, non ? et elle préférait justement en souffrir un peu que d’attendre qu’on lui revienne avec de l’aide, seule ici, une fois de plus. Non, elle avait besoin de respirer, de sortir d’ici. « un dernier effort, et on y est. je ferai tout ce que tu voudras, une fois remise. » c’était des paroles en l’air, un peu, mais elle était assez sérieuse pour insinuer qu’elle lui en devrait énormément et qu’elle trouverait un moyen de le lui rendre, un jour.

Un petit effort, c’était bien vite dit. Il ne savait même pas si la trappe n’était pas bloquée pour une raison ou une autre, ni comment il ferait pour la sortir de là, parce qu’il n’était évidemment pas question qu’il ne la laisse seule ici pour quitter les lieux tout seul. Même s’il avait à rester ici pour se faire. L’idée ne lui plaisait pas, bien sûr, mais il ne pourrait pas se résoudre à partir... c’était simplement inhumain. Il hocha simplement la tête légèrement, se mordant l’intérieur de la joue avec nervosité alors qu’il pointa la lampe de poche en direction de la salle de bain des employés, s’assurant que le chemin était assez dégagé pour qu’il puisse l’emprunter avec une charge en plus et une vision limité, fronçant les sourcils pendant un moment alors qu’il s’inquiétait vraiment de la possibilité que tout ça se fasse sans nouvelles encombres, puisque celles-ci avaient une tendance dérangeante à leur tomber dessus au pire moment. Il redirigea son regard vers elle et détacha l’une de ses mains de son chandail pour lui poser la lampe de poche au creux de la paume, refermant ses doigts dessus et s’assurant qu’elle la tienne bien avant de la relâcher. « Tient moi ça, et dirige la vers le sol... ça va aller beaucoup mieux. » Il prit le temps de réfléchir à comment la soulever sans trop lui faire mal et haussa une épaule sans vraiment commenter, prenant sur lui pour arrêter de songer aux détails quand l’important était la vitesse, pour le moment. La méthode princesse ferait l’affaire, décida-t-il sur le coup alors qu’il passait un bras sous son dos et l’autre sous ses genoux, serrant les dents alors qu’il la soulevait, voyant ses muscles se tendre et sachant que sa cuisse la faisait probablement souffrir ainsi, mais c’était sans doute la meilleure façon, puisqu’il n’avait ni brancard, ni deuxième paire de bras. Il évita les obstacles sur son chemin et donna un coup de pied dans la porte de la toilette pour l’ouvrir, pataugeant un peu alors que le robinet brisé fuyait et que l’eau s’était répandu sur le sol. Grimaçant en s’efforçant de ne pas considérer l’idée que la tâche pourrait être plus ardue à cause de l’eau, il la déposa sur le comptoir pour aller tester l’état de ladite trappe. Il dû grimper sur la toilette pour l’atteindre plus facilement, et fut surpris de voir qu’un simple coup réussit à la faire s’ouvrir et pratiquement sortir de ses gonds, qui devaient être rouillés depuis le temps et le manque d’utilisation. Le soleil l’éblouit un moment et il ferma les yeux avec un autre juron un peu trop sonore, mais le soulagement le gagna, faisant picoter ses yeux d’une manière honteuse. « C’est ouvert. On peut sortir... » Il lança un regard brillant et un sourire resplendissant en la direction de la jeune femme, redescendant de son trône temporaire pour aller la saisir par la taille, la soulevant contre lui. « Tu peux t’aider de tes bras pour te tirer hors d’ici ? » Il attendit son accord avant de regagner sa place, soufflant lentement et gardant son équilibre alors qu’il se relevait sur la toilette, attendant qu’elle soit bien accrochée avant de l’aider à se pousser hors de la trappe. Il sauta légèrement et manqua à nouveau de se casser la figure, attrapant les bords de la trappe et se soulevant sans grand problème.

Le reste découla de lui-même. Il y avait évidemment une échelle sur le bord de la bâtisse, qu’il emprunta avec elle bien accrochée à son dos, et il regagna sa voiture, l’installant à l’intérieur. Ils devaient maintenant rejoindre l’hôpital, et bien que les rues soient encombrées et souvent fissurées, dans une telle situation, il lui était permis de se faire lui-même son chemin. Tout était bon; il prit rues, avenues, ruelles et même quelques fois piqua au travers d’un parc pour arriver à contourner les embouteillages majeurs et les accidents importants. Elle était pâle, et il paniquait encore un peu, encore plus en voyant l’état du reste de la ville, songeant à ses parents, à sa soeur, à ses amis, et se mordant presque le poing pour refréner son envie de hurler, encore. Il était pitoyable, un peu, à angoisser comme ça, mais il ne pouvait s’en empêcher. La vue de l’hôpital le rassura mais son apparence, un peu piteuse, le fit sourciller. Heureusement, on vint vite s’occuper de sa blessée, les urgences organisées et le roulement excellent, malgré l’état de crise. Elle n’avait pas pû obtenir une chambre, l’état de ses blessures jugé moins grave que beaucoup d’autre, mais il avait eut droit à une chaise à côté de son lit, dans la grande pièce bordée de lit où ils avaient été guidés. Il avait choisit de rester un petit moment, autant pour reprendre ses esprits que pour s’assurer qu’elle allait être correcte, et son petit moment s’étira, alors qu’il lui parlait à voix basse alors qu’elle somnolait, attendant qu’elle s’assoupisse pour finalement se lever, prêt à retourner vers chez lui pour envisager la possibilité de contacter quelqu’un, et peut-être de recueillir quelques personnes, le temps que l’avis d’urgence ne soit terminé.