Le coude collé au comptoir, je vois défiler les tournées. Les verres s’enchaînent sur le bar. Je suis pas dans le meilleur des états et mes potes sont pas mieux que moi. Il y a pas de raison d'être bourrés, ce soir il y a rien à fêter. Mais pourquoi faut-il toujours trouver une raison pour s'envoyer des verres, je vois pas. Alors ouais on peut dire qu'on boit pour boire. Et même si on perd notre temps et même si on se nique le foie on aura cette soirée marquée au fer rouge sur le front de notre amitié. On se raconte des histoires autour d'un verre. Autour de beaucoup de verres. Beaucoup d'histoires. Des anecdotes qui tuent le temps, des récits qui construisent une vie. Mais je vois bien que le barman est pas fan. Les mecs je crois que je vais gerber. Et merde, le pote qu'arrange rien. Le barman est vraiment pas fan. Je le sais parce qu'on fait le même métier. Il va nous mettre dehors. Il va pas se gêner. J'utilise le peu de lucidité qui me reste pour calmer les choses. Parce que ce que je sais aussi c'est que mon pote est une grande gueule. « Un petit dernier et on s'en va. » Je négocie, je sais pas comment mais j'y arrive. Alors on boit un dernier coup et on y va. On se sépare dans la rue. Ils partent de leur côté et moi du mien.

Le coude collé au comptoir. Un dernier pour la route. Pensif, je fais tourner le verre dans mes mains. Je sais pas pourquoi j'ai fais un détour dans un autre bar alors que c'est l'heure de la fermeture. Le barman me dit qu'il faut partir. Cul sec. Je commande un autre verre. D'accord mais après il faut partir. Je vais pour me lever mais mon portable s'étale par terre. Putain, je repose mes fesses sur la chaise. Quelle idée de venir seul. Quelle idée de virer toutes les filles qui ont essayé de me parler. Je pose mes bras sur le bar et je prends ma tête entre mes mains. Je remarque pas que mon portable est plus au sol et que le barman est en train d'appeler quelqu'un avec. Il revient devant moi et me serre encore un verre, sourire en coin.

Ce soir, Luz est sérieuse, comme quelqu’un qui n’est pas elle, elle a l’esprit concentré sur ses cours. Est-ce normal ? Sûrement pas. Mais c’est un bon moyen de penser à rien d’autre. De pas penser à Tara qui la rejette, à Kwang Ho qui l’affronte, et à Hee Jae qui ne la voit pas. Il la fruste, ce dernier. Ca n’est pas du rejet, du moins pour le moment elle ne le ressent pas comme ça, elle a juste l’impression qu’elle est invisible pour lui, et dieu qu’elle a envie qu’il ne voit qu’elle, qu’il ne jure que par elle, qu’il la dévore des yeux. Cette pensée l’agace. Elle grogne, se frotte violemment les cheveux et se remet à ses révisions. Son cours ne l’intéresse pas, c’est dur. Elle abandonne et prend son miroir pour s’y contempler. Elle est belle pourtant. C’est pas commun les yeux bleus ici, les cheveux ondulés non plus. Elle a un joli teint, un regard profond. Elle soupire, il semblerait que son physique ne suffise pas à l’attirer. Et son caractère, elle ne sait pas le juger elle-même, comment pourrait-elle savoir s’il plait à Hee Jae. Son cœur se serre, son sang bouiller, la voilà énervée. Il faut qu’elle trouve un moyen, de chasser toutes les pensées qui ne la concerne pas dans l’esprit de ce mec. Il est tard, elle ne s’en est même pas rendue compte. Elle n’arrivera pas à dormir mais que faire d’autre ? C’est à ce moment qu’on l’appelle, un serveur qui râle sur un client, sur un client dénommé Lee Hee Jae. Et puis quoi ? Il tourne autour du pot, ça agace la brune et elle le fait savoir. Elle soupire, elle prend les clés de la chambre et enfile ses chaussures. « Okay j’arrive dans quinze minutes. » Elle resserre sa veste contre son corps, c’est qu’elle est frileuse. La brune arrive finalement dans le bar et soupire en voyant l’état misérable dans lequel son… ami s’est mis. Elle s’assoit à ses côtés avec l’envie insurmontable de le toucher. Alors elle pose sa main sur son dos et le caresse doucement, presque tendrement. Elle attend qu’il la regarde et lui sourit. « Tu t’es pas fait à moitié, tu ressembles plus à rien. » Elle observe le barman, il a appelé la mauvaise personne. Luz a beau avoir le permis, elle a pas d’caisse. Elle retourne son regard sur Jea… Même bourré, il reste beau. Elle s’exaspère. « Pourquoi tu tires la tronche ? »

Un autre verre glisse devant moi. J'ai pas la tête à réfléchir alors je cherche pas à savoir pourquoi le barman me regarde avec son sourire en coin. Mes doigts s'emparent de l'alcool. Il coule et brûle ma gorge. Le verre vide claque contre le comptoir. Le serveur le récupère et fais glisser mon portable vers moi. Échange stratégique ou quoi ? En toute ignorance je range l'appareil dans ma poche. Mes bras à nouveau sur le bar et ma tête sur eux. Je sais que je dois partir. Bientôt je me lève, quand j'aurai quelqu'un à suivre. J'ai pas pour habitude de faire le trajet seul et finir raide mort sur le trottoir. Merde, j'aurai dû suivre mes potes. Si je bois seul c'est à la maison. Jamais à l’extérieur. Je sors mon portable pour appeler. Appeler qui ? Ce soir l'alcool à le goût de la solitude. Je suis pas déprimé, j'ai même l'alcool joyeux. Mais il manque quelque chose. Il manque quelqu'un. Je crois qu'il manque Su Nah. Appeler Su Nah ? Non. Je range mon portable. Je bois pas parce qu'elle est pas là. Je bois pas pour oublier. Je bois pas pour ne plus penser. Je ne bois pas parce que je ne peux pas m'en passer. Je bois c'est tout et bientôt debout.

Une caresse dans mon dos me sort de mes pensées. Je relève la tête. Mes yeux se posent sur le sourire de Luz. Il manquait Luz ? Je suis trop mort pour comprendre pourquoi l'espagnole est là. Limite j'ai envie de demander si je suis pas en train d'halluciner. « Ouais j'suis minable ce soir. Me r'garde pas. » Je déprime toujours pas, jamais. Quoi que j'avoue, mes mots pourraient sérieusement mettre le doute. Et pourtant, j'ai juste conscience de mon état. Je devrai en avoir rien à foutre qu'elle me voit ainsi. Putain pourquoi je m'en fou pas ? J'aime boire ouais mais je suis pas fier de finir la soirée comme ça. On était trois au début, on aurait dû être trois ivres morts à la fin. « Arrête j'tire pas la tronche. » Je prend appui sur le comptoir pour la prendre dans mes bras quelques secondes. Je manque de tomber. « J'suis content de te voir. » Et je reprend ma place comme si de rien était. « Et un verre pour la belle espagnole c'moi qui offre. » Je me marre. Ce soir c'est l'alcool qui parle, ce soir c'est l'alcool qui commande. Si j'étais barman j'aurai tué le client, merde je suis barman aussi.

Elle a pas l'habitude. Ca pourrait être faux ça, elle en a vu des gens bourrés, pathétiques, beaux et misérables à la fois. Mais chez Jae, tout la rend incertaine, tout la déstabilise. Jamais, elle n'avait ressenti cela, cette insécurité si oppressante qu'elle la ronge de l'intérieur, mais surtout cette insécurité causée par lui, et dévastée par lui une fois qu'il pose un regard sur elle. Il est si troublant et si confortant à la fois. Elle aurait bien aimé ne pas le regarder, mais ça lui est juste impossible. Il l'hypnotise, la simple idée qu'il aille mal et qu'elle ne puisse rien faire l'emmerde. Elle continue cette petite caresse dorsale, elle s'dit que ça peut faire que du bien et ça l'empêche de laisser dévier son esprit sur des pensées bien plus dérangeantes encore. Elle hausse un sourcil, bien sûr que si qu'il tire la tronche. « On dirait vas à un enterrement. » Luz ne s'exprime pas encore bien en coréen, son accent réapparait quelques fois et elle s'en trouve gênée. Comment le trouve-t-il cet accent? Il l'agace? Il l'indiffère? Ou le trouve-t-il mignon? Soudainement, ses yeux s'écarquillent, les battements de son coeur se figent. Elle devrait avoir l'habitude de ça aussi, Jae a toujours été tactile, elle-même l'est, mais le moindre de ses gestes envers elle la fait fondre. Elle se laisse aller rapidement dans ses bras, un sourire sincère affiché sur ses lèvres. Sur le coup elle est heureuse. Elle le remercie d'un silencieux signe de tête et prend son verre entre ses doigts. Elle le regarde longuement, hésite. Elle n'osera pas le boire, elle ne se connait pas quand elle boit, elle a peur d'elle-même, elle a peur de faire du mal à ceux qu'elle aime. Elle observe Jae, il a beau rire et sourire, Luz n'a pas l'impression que l'alcool rend heureux. « On devrait rentrer, non? » Elle ose pas, elle pense, tergiverse, réfléchit, perd des neurones, se tâte, a peur, doit-elle lui demander? Pourquoi est-il si pathétique ce soir? Pourquoi tout le monde pense que l'alcool rend heureux? Pourquoi l'alcool fait oublier? Et ne pas oublier, est-ce mal? « Tu bois souvent seul? » okay, c'pas la meilleure question, peut-être pas la mieux posée mais ça n'est pas ce que Luz craint le plus. «Est-ce que tout va bien... Hee Jae? »

A un moment j'ai sorti mon portable. Je voulais appeler quelqu'un. Je voulais plus être seul, j'ai pas l'habitude de l'être. Pourtant j'ai rien fais. Je savais pas qui je voulais voir. Peu importe le contact j'aurai été content de voir quelqu'un de mon répertoire. J'en suis sûr, peut être, je crois. Je sais plus. J'ai vu le nom de Su Nah, je suis pas encore habitué. D'ailleurs, je dois m'y habitué ? Je sais vraiment plus. Et puis c'est le visage de Luz à côté de moi. Son sourire, j'ai plus envie de réfléchir. Sa main dans mon dos et toutes les questions s'arrêtent. J'tire pas la tronche, j'lui dis mais elle me croit pas. Elle me parle avec son accent et à chaque fois je me rappelle qu'elle vient de loin. Le temps passe vite alors on s'habitue à la présence des gens mais on oublie aussi qu'avant ils étaient pas là. J'ai compris qu'elle est là pour Tara mais sera t-elle toujours là pour Tara. La plus grande a toujours vécu ici mais elle non. Peut être que l'Espagne lui manque. Je sais pas. Peut être même qu'elle est plus là et que je vis une putain d'hallucination. Mais non, je la prend dans mes bras et elle est bien là.

Faut fêter ça. Je commande un verre pour elle et le serveur la sert. Je trinque « ¡ A tu salud ! » avec un verre invisible et je me marre encore. Il y a rien de drôle mais c'est pas un truc que je peux contrôler. Elle parle de rentrer. Simple réponse sans grande conviction. « Ouais. » J'envisageai de le faire. Et c'est pas comme si on avait le choix. Un silence s'installe, je jette un coup d'oeil à luz et un sourire flotte encore sur mes lèvres. « Je suis pas seul. T'es là. » On oubliera la réponse conne, c'est la boisson qui veut ça. Un peu plus et on peut croire à une réponse profonde avec un sens cacher. Alors je ris encore. Et du genre inquiète elle me demande si je vais bien. Je vais toujours bien. Même quand j'ai mal je vais bien. Il le faut. « Ouais mais j'mal à la tête. Y a pleeeeeein d'questions qui cognent là dedans. » Mes mots s'illustrent avec mon index qui vient taper plusieurs fois contre ma tempe. Il le faut, pas vrai Su Nah ? Sinon à quoi ça rime tout ça ?

Pourquoi j'suis là? A quoi j'sers sérieux? Luz se sent invisible, maintenant elle se connait un autre rival, l'alcool. Hee Jae prend-il ses questions au sérieux? L'espagnole n'en est pas certaine. Parfois, elle se dit bien qu'elle aurait pas dû quitter l'Espagne, non pas à cause de sa soeur qui la jette à la moindre occasion qui lui ait donnée: Luz a encore quelques idées pour l'attacher à elle. Non, c'est bien parce que jamais elle n'a pensé qu'elle s'attacherait à autant de personne dans un pays dont elle ne connaît rien. Elle ne se sent plus l'âme de tout quitter et cette dépendance l'effraie. Et l'un des plus grands objets de cette dépendance fait face à une lutte sans merci contre les effets de l'alcool pour ne pas paraître trop piteux. Il divague et laisse son corps tanguer, dans cette lucidité fantasque, il rayonne de beauté et de gaieté. Encore une fois, la brune zieute son verre: peut-elle devenir belle et gaie avec cet élixir qui pue le fort et le sec? Ces mots espagnols lui font plaisir, l'accent n'y ai pas, l'intention lui donne chaud au coeur. Un petit rire naïf perse la barrière de ses lèvres arquées. Elle-même en est choquée: sont-ce les vapeurs d'alcools qui lui montent au cerveau? Ou bien l'euphorie contagieuse de Jae qui la touche?

Son coeur une nouvelle fois, crie au scandale, bloque sa respiration et fait faire à son sang un tour de blue fire. Elle ne doit pas tout prendre au premier degré, il est ivre, ce soir, elle se doit de faire un effort et restée calme pour lui. Il n'est pas seul ce soir, en effet, mais se rend-il compte de la raison réelle de la venue de Luz? Certes, elle se doit de le ramener chez lui, mais comprend-il qu'elle a mis en marche tout un plan d'envoûtement? En est-il conscient? Ce soir, sûrement pas alors l'espagnole n'a pas le droit de se mettre dans tous ses états. Finalement, le jeune homme répond à la dernière question de Luz et cette réponse est on ne peut plus intriguante. Luz pose ses mains de parts et d'autres des tempes de Hee Jae et les écarte soudainement en faisant un petit onomatopée: « PSSSSH! Maintenant elles vont sortir comme ça t'auras plus mal à la tête. Allez dit moi Hee Jae. » Elle offre un joli sourire et repose ses mains sur ses propres genoux, elle a peur de ce qui va suivre, mais si elle veut être là pour ce beau garçon qui la fait chavirer, elle se doit de garder la face et de ne pas lui montrer à quel point son prénom trompe les gens sur le taux de luminosité qui se fond en elle.

Tous les verres que j'ai vu défiler ont eu le temps de me monter à la tête. Tout est hors de contrôle, enfin si tout ne l'es pas tout risque de le devenir. L'euphorie me fait oublier dans quel état elle me voit. J'essaye de contrôler mes réponses mais je n'y arrive pas. Je parle déjà sans réfléchir quand je suis sobre, alors là c'est carrément peine perdue. Et l'entendre rire n'aide pas. Vu de l'extérieur c'est pathétique. Je le sais et cette pensée risque d'être noyée sous l'alcool. Mais vu de l'intérieur c'est différent. C'est comme être dans une bulle où on peut pas se prendre la tête. Mais les questions elles percent cette bulle. Elles laissent le dehors s’immiscer, le misérable rentrer.

Ses mains sur mes tempes, je lâche un rire pour l'initiative. « A partir de maintenant t'es mon médicament. » Je dis de la merde mais j'y suis bien dans cette bulle moi. Je veux bien lui dire, mais dire quoi, je sais pas. C'est clair que pour en arriver là je dois pas être au meilleur de ma forme mais il y a tellement pire ailleurs. Depuis quand les questions font aussi mal ? Un sourire de l'espagnole et les mots me manquent ; les questions rampent. Peut être qu'il faut que je dise pourquoi je suis seul, ou pas. J'étais déjà bien entamé en début de soirée et j'étais pas seul. Une fixation sur la solitude ? Peut être. Ça fait mal la solitude. C'est un problème alors ? La solitude c'est Su Nah ? Médicament. Je descend difficilement de la chaise et attrape le bras de l'espagnole. « On devait pas rentrer ? » Je tire doucement sur son bras. « J'ai besoin de fumer. » Après le foie les poumons. Et peut être bien même le cœur dans tout ça.

C'est agaçant, cette sensation de faiblesse: rire quand il rit, s'inquiéter quand il parle. Pourquoi mélanger les deux alors que ça ne fait pas bon mélange? Luz a la petite impression que boire ce verre amplifierait cette bipolarité émotionnelle. La sobre a la ferme intuition que rien ne va comme il le faut, que Hee Jae n'est pas au mieux de sa forme et que dans son crâne, tout s'arrache, fuit et implose. Ses joues rosissent, être un médicament, c'est plutôt flateur non? Dans ce contexte là du moins puisqu'en vérité Luz, ne les porte pas dans son coeur. N'oublions pas cette affreuse peur qu'elle possède envers tout ce qui rend dépendant, les médicaments en font parti. Mais dans ce cas là, si elle en devient un, elle peut rendre alors ce coréen auquel elle s'attache, dépendant à elle. « Tu m'diras si j'fais effet. Histoire que j'me commercialise et que j'gagne plein d'thunes si c'le cas. » répond-t-elle d'un air tout fier.

Il change d'avis? Stupéfaite, l'espagnole se laisse d'abord faire avant de retirer brutalement son poignet de l'étreinte douce de Hee Jae, et ceux sans ne pas le regretter. « T'as pas b'soin de fumer. » Non il n'en a pas besoin. Confondre l'envie et le besoin, c'est une bien mauvaise erreur. Il a envie de se foutre en l'air, Luz peut le comprendre, la vie ne fait que nous rappeler qu'on va crever un jour, tous les jours puisqu'on atteint jamais le bonheur. Mais ça lui fait de la peine, de le voir ingurgiter du goudron. Pourquoi tous ces fumeurs ne peuvent se dire qu'ils avalent des tonnes de goudron, ce qui sert à créer ce sur quoi ils marchent. Ils se créent un sol dans les poumons, une illusion de stabilité, de marcher les pieds sur Terre, mais ça n'est rien qu'une putain de chimère. C'pas grave parce qu'un jour on mourra bien, mais vaut-il mieux mourir un jour ou mourir tous les jours? C'est dans ses moments là, qu'il est heureusement, personne capable de s'introduire dans les pensées de Luz puisqu'il la trouverait bien hypocrite. Mais ça n'est pas le cas, elle ne se rend pas compte, comme ses fumeurs qui ont besoin de manger du goudron, qu'elle se fait mourir jour à jour, un peu plus chaque secondes par son comportement destructeur. Elle le prend par le poignet à son tour et le guide dehors, histoire qu'il prenne le frais. Luz le fait s'assoir sur un banc et s'installe à ses côtés. « J't'écouterai et je te jugerai pas. J'veux juste que t'ailles mieux, alors fuis pas, sois pas lâche. »

Faire effet ? Est ce que Luz peut faire effet ? Me faire arrêter de penser parce que je pense vraiment trop. « Rêve. J'dépose le brevet et ya' qu'moi qu'tu soignera. » Et la thune on s'en fou. Possessif à cent pour cent quand je suis sobre, possessif à deux cent quand je suis bourré. Je me surprend moi même en m'entendant parler comme ça. L'alcool fait vraiment dire n'importe quoi, je crois. Je sais pas, je sais plus. Je sais juste que tout me fait marrer. Même ce qui faut pas. Quoi que le fait qu'elle insiste pour que je parle c'est moins drôle. Et même mort je reste le même. Alors je me lève pour sortir, changer de sujet, gagner du temps, fumer, tout à la fois. J'attrape le bras de l'espagnole qui le retire brutalement. Paraît que j'ai pas besoin de fumer. Paraît surtout que je comprends ce qu'elle dit sans voir où elle veut en venir. Oh dans d'autres circonstances j'aurai compris le second degrés mais là c'est peut être un peu trop demander. Mon cerveau enivré veux juste comprendre qu'elle ne veut pas que je fume. Je lâche un soupir de résignation et recule pour m'asseoir à nouveau. Enfin c'était l'idée parce que l'information n'est pas passée de mon cerveau à mes jambes aussi vite que je le voulais. Entre temps il y à Luz qui attrape mon poignet. C'est que le monde il tourne et je sens qu'il y a pas que les questions qui vont me donner mal au crâne. Je me laisse guider jusqu'à dehors, jusqu'à ce banc pas très loin de nous. Ou plutôt je me laisse entraîner, mes jambes ayant décidé d'aller soit un peu trop à gauche soit un peu trop à droite. Autant dire que je ne marche plus droit. Merci le banc d'être là.

Je m'étale sur le banc, me laissant glisser légèrement pour tendre mes jambes. Ma tête elle tombe doucement en arrière se posant sur le dos du banc. Je regarde en l'air, la vision flou. Je tourne le regard vers Luz quand elle commence à parler. Regard misérable, état piteux « Putain, putain. » et même trois putain soufflés dans un rire nerveux. Je sais que c'est Luz à côté mais l'espace d'une seconde j'ai vu Su Nah. J'ai entendu Su Nah. J'ai le cœur qui va exploser, putain. Je détourne le regard vers le ciel. Immobile, incapable de bouger. Parce que je sais que si je me lève j'aurai même pas la lucidité nécessaire pour rentrer chez moi. Il faut que je fume mais je fais rien parce que je suis bien trop occupé à avoir mal. Ouais maintenant je vais pas bien. Mes doigts s'agitent et cognent sur ma cuisse. Elle doit rien comprendre à ma réaction elle qui a dû dire ça spontanément. Merde, c'est pathétique. Je me tourne soudainement vers elle, relevant ma main comme pour me présenter. Sourire naturel d'Hee Jae alcoolisé. « Enchanté, Hee Jae lâcheur professionnel, spécialisé dans la fuite. T'crois qu'elle aurait quand même voulu d'moi si j'm'étais présenté comme ça ? » Et ça aussi ça me fait marrer. Et bordel que c'est pas drôle.

La réplique de Hee Jae fait l'effet d'une bombe dans le coeur de l'Espagnole. Si seulement, si seulement ces paroles avaient été prononcés sans l'alcool derrière, sincèrement. Si seulement... Luz a soudainement envie de pleurer parce qu'elle sait que Hee Jae est plongé dans un monde vacillant, éphémère et hypocrite, où il croit qu'il peut tout faire et tout surmonter et qu'il a le droit de tout dire. Or, ça n'est pas le cas et il est entrain de briser le coeur de la brune. « C'est toi qui rêve. » Elle se vexe seule et répond assez mal à Jae. C'est qu'elle lui en veut, de lui sortir ce genre de chose, les yeux fermés sur la réalité. Assise sur le banc, elle observe silencieusement Hee Jae qui semble se débattre contre un mal intérieur. Il se redresse, surprise qu'il lève la main vers elle, ses yeux s'ouvrent gros alors qu'une déferlante oratrice s'écrase contre son visage. Son coeur se serre, une vague énorme de jalousie s'empare du corps de la brune aux yeux bleus. « C'est qui elle? C'est quoi cette histoire? » Elle peut pas répondre à la dernière question du jeune homme pour la simple et bonne raison qu'une seule pensée traverse son esprit, trouver le nom de cette fille et la détruire. Elle rage, ça va pas bien et pourtant elle doit garder la face pour lui, même si elle n'en a pas envie.