La terre avait tremblé. C'était aussi simple que cela, et pourtant, cela paraissait fou. Ou plutôt, c'était les conséquences qui paraissaient totalement hors contrôle. Voyant cela, Hansa avait prévu de sortir un carnet et un bic, d'aller interviewer les survivants, de profiter du scoop du siècle. C'était son boulot après tout, ce qui lui permettait de survivre. Oui mais voilà, rapidement, elle avait changé d'avis. Voyant tous ces gens en détresse, elle s'était décidé à aider. De toute façon, si la moitié de la ville mourrait, qui lirait son article ? C'était l'excuse qu'elle avait trouvé.

Au gymnase, ça lui paraissait être le chaos le plus complet, un bordel monstre que son éducation militaire réprouvait au plus haut point. En parlant de militaires, comment allaient ses cousins ? Non parce que très franchement, son oncle pourrait crever qu'elle n'en aurait rien à foutre mais ... que ferait-elle si Sae Hee venait à mourir ? Ou même Hyo Jin ... Pas qu'ils s'entendent particulièrement bien, loin de là, mais tout de même. Elle n'avait pas envie de devoir aller à son enterrement, s'habiller en noir tout ça. Excuses, à nouveau, bien sûr. C'était simplement que la vie sans ce bijoutier pisse vinaigre risquait de lui paraître bien insipide.

Cette journée me paraissait aussi longue qu’une éternité. Elle avait commencé par un tremblement de terre qui avait fait plus de dégâts que je n’aurais pu l’imaginer. Je n’osais pas penser à quoi pouvait ressembler la bijouterie en ce moment-même. Depuis ce matin, c’était la folie. J’avais eu la chance de m’en sortir indemne. J’avais juste une ou deux égratignures, mais rien de bien grave. Ce qui n’était pas le cas de Bok, qu’on avait dû sortir des débris et transporter jusqu’au gymnase. Puis, j’avais retrouvé Sunah blessé aux genoux, que j’étais entrain de soigner. L’imbécile n’avait pas voulu qu’on l’emmène à l’hôpital ou voir un médecin. J’avais du dialoguer longuement avec elle pour la persuader de rester sans bouger le temps que je regarde à ses blessures. Elle voulait partir à la rechercher de ses frères. Moi aussi, je me demandais où était Sae Hee et Hansa… est ce qu’elles allaient bien ? Étaient-elles seulement encore en vie ? Je ne m’étais autorisé à céder à la panique que maintenant. La boule au ventre, je les cherchais du regard dans le gymnase. J’avais un mince espoir de les voir débarquer de nulle part. Et c’était ce qui se passa avec ma cousine. Elle était là, entrain d’aider d’autres personnes. J’avais l’impression de rêver. Je ne pus m’empêcher de me pincer pour voir si j’étais bien réveillé. Je me précipitais vers elle, lui empoignant les épaules de mes mais recouvertes de sang séché qui n’était pas le mien. « Tu vas bien ? » Ma voix trahissait la tension et l’inquiétude qui s’étaient accumulé en moi jusqu’à maintenant, ainsi que le soulagement de la voir saine et sauve. Je la tournais dans tous les sens, l’examinant avec minutie pour repérer la moindre blessure. Je la pris enfin dans mes bras. « Tu m’as fait peur, j’ai cru que … » Une fois n’était pas coutume. J’avais beau ne pas l’apprécier depuis ma plus tendre enfance, je ne souhaitais pas sa mort non plus.

Aider n'était clairement pas dans ses habitudes. On l'aurait plutôt imaginé en train de profiter de la situation, des gens, récupérer ce qu'elle pouvait. Seulement, en voyant les blessés, voir les morts, elle s'était rendue compte qu'elle aurait pu être à leur place. Aurait-elle supporté mourir en se disant qu'elle n'avait jamais rien fait de bien ? Oh, ç'aurait été un mensonge de toute façon. Elle a sauvé un garçon un jour, Hwang Tasyr. Mais aujourd'hui, c'était différent. Elle s'occupait d'inconnus, de gens qu'elle n'avait jamais vu, et qu'elle ne reverra sans doute jamais. Néanmoins, il y eut plus surprenant encore. Voir son cousin se précipiter vers elle pour prendre de ses nouvelles. « H-Hyo ? » elle le regarda un instant, penaude, pendant qu'il s'assurait qu'elle n'avait rien. « C'est bon, je n'ai pas une seule égratignure ... » Et c'était un miracle. En dépit du sang et de la poussière sur ses vêtements, elle était réellement une miraculée. L'étreinte fut ce qui l'acheva. Maladroitement, elle serra Hyo contre elle, avant de se reculer, mal à l'aise, tâchant de se cacher derrière un rictus « Cru que ? que j'étais morte ? Aigoo, tu deviens sentimental Hyo Jin ... » Mais son regard trahissait son soulagement, à elle aussi, de le retrouver. Il semblait aller bien, et elle devina rapidement que le sang sur ses mains n'était pas le sien. Il était médecin après tout, c'était normal qu'il soit venu en aide aux blessés. Finalement, d'un geste nerveux, Hansa passa une main dans ses cheveux, les rejetant en arrière. « Tu as l'air en forme, compte tenu des circonstances... Je suis contente. Su-Tes proches vont bien aussi ? » Elle avait voulu demander des nouvelles de la fameuse Su Nah dont il lui avait parlé la dernière fois, mais elle avait eu peur de le braquer. Pourtant, pour une fois, elle était sincère. Au fond, peut-être qu'ils étaient comme frères et soeur ?

Je n’avais qu’une seule envie en voyant tous ces blessés, tous ces gens si prêt du seuil de la mort, les aider. C’était dans des moments comme celui-ci que je me disais que j’avais bien fait de choisir médecine. Même si je n’avais pas fini mes années d’études, j’avais déjà eu des stages pratiques et j’avais quelques petites expériences. Bien entendu, je ne me permettais pas de m’aventurer dans des cas trop dur. Je n’étais qu’un interne après tout. Je n’avais pas encore le permis d’exercer sans l’aide d’un médecin qualifié. Je me contentais de faire ce que je savais faire. Désinfecter les plais, bander les blessures, arrêter des hémorragies externes, ou tout simplement réconforter des personnes paniquées… j’étais beaucoup moins doué pour ce dernier point. Les relations humaines, ce n’était pas trop mon truc. Puis, j’avais choisi médecine pour pouvoir sauver la vie de gens, pas pour leur dire que tout était rose bonbon et que la vie était belle. Je voulais agir là où ces gens ne le pouvaient pas. Rester devant un proche sans pouvoir l’aider, il n’y avait rien de pire. Savoir ma cousine en vie, me soulagea plus que je ne pouvais l’admettre. Je m’accrochais à elle un instant comme si c’était une bouée de sauvetage. J’avais besoin d’une accroche au milieu de tous ces gens perdus, j’avais besoin d’un visage familier à mes côtés. Juste un instant. Je préférais ignorer sa tentative de sarcasme. Je voyais bien qu’elle aussi, était d’une certaine manière, contente de me voir en vie. Je me séparais d’elle, reprenant un peu de contenance. Sa question me surprit, mais je lui souris en guise de réponse. Pour la première fois, je lui souriais comme le petit garçon que j’avais été au début, celui qui prenait des risques pour lui amener un petit déjeuner, celui qui lui ramenait des plats que sa mere lui préparait, celui qui avait voulu la réconforter une fois. C’était le sourire que mes proches avaient l’occasion de pouvoir bénéficier. En clair, celui qu’elle avait eu droit il y a si longtemps qu’elle l’avait déjà dû l’oublier depuis. « Sae Hee est indemne, elle est près de notre pèr… » J’hésitais un instant avant de reprendre. « son père. Sunah a les jambes égratignées, mais rien de grave. Par contre, son poignet foulé m’inquiète un peu plus … j’ai peur … j’ai peur qu’elle ne puisse plus faire de bijou ou même jouer de son instrument de musique … » Franchement, je ne sais pas pourquoi je lui disais cela. On avait jamais été assez proche pour que d’un coup, elle devienne ma confidente. Passons ca sur la confusion de la situation. « Pour ce qui est de Kong Mee et Jina … elles sont introuvable… » J’espérais que rien de grave leur était arrivé. Elles étaient deux piliers pour moi, si il leur arriverait quelque chose, je n’étais pas sur de m’en remettre. « Et toi ? … tes proches… ca va ? » Franchement, je ne connaissais pas du tout les gens qui l’entouraient ou même si elle tenait à quelqu’un.

C'était étrange. Étrange de parler sans arrière-pensée, étrange de s'inquiéter sans feindre, étrange de ne pas se haïr. Avais-je seulement le souvenir d'un tel sentiment ? Non. Aussi loin que je me souvienne, Hyo Jin m'avait toujours détestée, même s'il n'avait pas toujours été mauvais avec moi. J'ignore à quand remonte les premiers mots blessants, les premiers regards noirs, mais au final rien n'avait été plus logique. Que l'on se soit inquiété l'un pour l'autre l'était en revanche. Si ç'avait été Sae Hee, elle m'aurait probablement sauté au cou en pleurant de joie, et ça ne m'aurait pas étonné. Je l'aurais serré jusqu'à ce qu'elle se calme, jusqu'à ce que se tarissent ses larmes. Cette gamine m'appréciait, même si je n'avais réellement compris pourquoi. Quelque part, je suppose que je devais bien l'aimer aussi, même si je ne l'estimais pas réellement. Elle était plutôt comme un chaton à mes yeux, sympathique, mais sans plus. pas une amie, mais pas vraiment une étrangère. Je savais en revanche qu'elle représentait bien plus aux yeux de Hyo Jin. Je l'écoutai me faire le récit de ses proches, de ses amis. Je l'écoutai avec toute la sincérité qu'il m'était possible, hochant la tête à certains moments. « Ne t'en fais pas pour Su Nah, laisse lui le temps de guérir, ça ira. » Hyo Jin était un futur médecin, c'était dans sa nature de s'inquiéter, d'imaginer les pires scénarios. Moi, les pires scénarios, je les avais vécu. J'avais vu un gamin se vider de son sang juste en bas de chez moi, je l'avais entendu me dire avoir peur de la mort pendant que la fièvre l'emportait, je l'avais vu s'en remettre doucement mais sûrement. Je ne connaissais pas Su Nah, mais si Hyo Jin l'aimait, alors ce devait être une battante. Quant à sa question, je me contentai d'hausser les épaules « Je suppose oui. Je n'ai pas encore eu de nouvelle, je suis ici depuis .. depuis que ça a arrêté de trembler à peu près. » J'enfonçai mes mains dans mes poches, avant de poursuivre « Je pensais pas être utile, mais au final il semblerait que cette ville manque de personnel soignant ... » Hyo Jin savait que je m'y connaissais un peu. Je savais soigner, désinfecter, je savais même recoudre même si en général j'évitais. De ce fait, j'étais l'une des rares personnes à m'en sortir dans ce chaos, entre les blessés, et les gens affolés.

Cela me semblait étrange, presque irréel d’entendre Hansa me réconforter. Entre nous, c’était plutôt de la haine à l’état pure, ca m’étonnait encore que l’on puisse ressentir quelque chose de doux comme de la sympathie, de l’inquiétude ou encore du soulagement l’un pour l’autre. C’était pourtant le cas en ce moment même. Je ne me souvenais plus exactement depuis quand les mots qu’on se lançait, étaient devenus tel des épines de roses. Mais, ca n’avait pas toujours été ainsi. Je ne savais comment l’expliquer, mais j’étais d’une certaine façon reconnaissant. Reconnaissant qu’elle s’inquiète pour moi, pour Sunah, alors qu’elle ne la connaissait à peine, tout simplement reconnaissant qu’elle soit toujours en vie. « Merci d’être en vie, Hansa. » Ces mots étaient sortis de ma bouche sans que je me rende vraiment compte. Me voilà bien sentimental d’un coup. C’était fou comme quand on passait aussi près de la mort, nos émotions envers une personne pouvaient changer du tout au tout. Je hochais la tête, comprenant ce qu’elle me disait. J’avais des proches dont je n’avais aucune nouvelle, mais je ne pouvais pas me permettre de craquer maintenant. Beaucoup de personnes avaient besoin de nous. Le fait que ma cousine m’avoua qu’elle s’était rendue utile en se portant volontaire pour aider, m’étonnait un peu. Je savais qu’elle connaissait les basses des premiers secours, mais de là à les mettre en pratique. Je l’aurais presque félicité. Elle me montrait d’une certaine facon, qu’elle n’était pas une sans cœur comme je l’avais longtemps pensé. « Viens avec moi, alors ! » Sans lui demander son avis, je la tirais par le poignet, l’emmenant vers une réserve de médicaments, désinfectants, bandages et autres… Je lui fourrais un sac entre les mains que je remplis de tout ce dont j’avais besoin. « On va faire le tour du gymnase et voir ceux qu’on peut aider. Par chance, on trouvera peut-être tes proches ou les miens parmi eux… » Je m’avançais peut etre un peu vite en me disant qu’elle allait dire oui, qu’elle allait m’aider, mais j’avais encore de croire qu’on pouvait faire équipe et s’entendre au moins une fois dans nos vies pour le bien des autres. Je lui tendis un brassard blanc avec une croix rouge comme celui que je portais déjà autour du bras. « Mets-ca … » Pour la convaincre, je pointais du doigt une petite fille seule, non loin, qui ne cessait de pleurer à chaude larme. « On a pas encore retrouvé ses parents… elle a une jambe déboitée, et aucun infirmier n’est libre pour s’occuper d’elle en ce moment…. Il y a trop de cas plus graves auxquels se consacrer… j’allais revenir vers elle quand je t’ai croisé… j’ai besoin de quelqu’un pour m’aider à la maintenir en place le temps que je remette sa jambe en place… » J’avais débité ses mots à une telle vitesse qu’il était presque difficile de me comprendre. Je n’aimais pas voir une enfant pleurer de douleur, je pense que c’était le pire pour moi dans le monde médicale. Les enfants étaient sans doute ma faiblesse. Je ne pouvais pas tous les aider, mais elle, je pouvais la soulager. Le temps pressait. Mon cœur se pinçait rien qu’en imaginant la souffrance que sa petite jambe pouvait lui procurer…

La mort était un couteau à double tranchants. Elle avait tout aussi bien le pouvoir de séparer que de réunir. De détruire ou bien de guérir. Je n'avais connu que la première situation, la mort m'avait tout pris, jusqu'à mon âme. Pourtant, aujourd'hui, de voir la peur et la désolation tout autour de moi m'avait fait prendre conscience à quel point la vie pouvait être précieuse. Je ne répondis pas à ses remerciements, j'étais mal à l'aise en vérité. Qu'étais-je censée dire, censée penser ? Étais-je seulement censée ressentir ? Hyo Jin ne me laissa pas le temps d'y réfléchir, m'attrapant par le poignet pour m'emmener dans la réserve à médicaments. Je restai un instant béate, l'écoutant, le regardant s'affaire. Je compris alors pourquoi cet homme étudiait la médecine. Lui que j'avais longtemps pensé ne pas avoir de cœur se préoccupait réellement des autres. En silence, j'arrangeai les affaires qu'il me tendait, afin de ne rien laisser tomber. Je n'avais jamais été bavarde, mais pour une fois, le silence entre nous n'était pas lourd, il n'était pas oppressant. Pour une fois, je l'écoutais sans grincer des dents. J'enfilai le brassard de la croix rouge, un léger sourire sur les lèvres. Qui l'aurait cru ? Soudain, mon regard s'attendrit, et mon sourire s'évanouit lorsque Hyo Jin me désigna une jeune enfant « Comment est-elle arrivée seule ? » je n'attendis pas vraiment de réponse, tandis que je me dirigeai vers elle. Cela pouvait paraître cliché, mais j'avais une faiblesse toute particulière quand il s'agissait d'enfant. D'autant plus quand ceux-ci semblaient être livrés à leur sort. Peut-être parce que je savais mieux que personne les dommages que cela pouvait causer ? Oui, autrefois je dus ressembler à cet enfant. Me l'avouer me fit vaciller. Mais j'étais forte, cela faisait longtemps que j'étais passée outre mes malheurs. Et pour une fois, mon expérience peut-être allait-elle payer. « Salut toi, comment tu t'appelles ? » Je me rendis compte que je prononçais les mêmes mots que l'on m'avait dit, voici tant d'années. Je réalisai alors qu'elle ne m'entendait pas, elle n'entendait que l'écho de sa propre douleur. Je posai ma main sur son petit bras, me concentrai afin de trouver les mots que j'aurais voulu entendre « Moi je m'appelle Hansa, et lui c'est mon cousin, Hyo Jin. On va t'aider, tu es d'accord ? » Elle posa sur moi un regard noisette noyé de larme qui eut tôt fait de me fendre le coeur. Elle avait l'air si faible, si vulnérable. « Ils sont bizarres tes cheveux ... » Je m'attendais à tout, sauf à cela. Je jetai un regard à Hyo Jin, lui indiquant que je m'occupais de la distraire, et de la maintenir en place. « M'oui, c'est parce que petite, on m'a jeté un sort. Hyo Jin va remettre ta jambe en place, ça va faire mal, mais après ça ira mieux, d'accord ? » Elle hocha la tête, avant de poursuivre « Pourquoi elle t'a jeté un sort ? » Bonne question tiens, pourquoi une sorcière pouvait-elle bien me jeter un sort ? Je regardai Hyo Jin, espérant qu'il puisse me sortir de cette situation. Je m'attendais à quoi moi aussi ?

Je crois que ce sont des personnes se rendant ici qui l’ont trouvé sur le bord de la route… » Je ne pus finir ma phrase que j’aperçus Hansa s’éloigner de moi, se rapprochant de la petite fille. Il semblerait que l’on avait bien un point en commun finalement : notre faiblesse était les enfants. J’allais la rejoindre, mais je m’arrêtais à mi-chemin, l’observant un instant. J’avais beau ne pas la supporter, crier haut et fort qu’on ne sera jamais frère et sœur, pourtant, à cet instant précis, j’étais fier qu’elle fasse partie de ma famille. Elle savait y faire avec les enfants, et cela m’attendrit, changeant un peu le regard hautain que j’avais toujours réservé à sa personne. Elle n’était pas la personne sans cœur qu’elle voulait bien laisser paraitre en temps normal. Et je venais seulement de le comprendre. Un instant, je me dis qu’il était peut etre possible qu’on recolle les morceaux qui s’étaient brisé entre nous deux. On avait mal commencé étant petit, mais maintenant que l’on pouvait réfléchir par nous-même et non plus via mon père, on pouvait tenter un nouveau départ, non ? J’offris un sourire rassurant à la petite quand Hansa me présentait. Malgré la situation, je faillis pouffer de rire à la remarque de la gamine, tout en me rapprochant et m’accroupissant à leur côté. Je compris le regard que Hansa me lançait comme si cette complicité avait toujours existée, lui répondant par un geste de la tête, lui faisant comprendre que j’avais compris. Alors que Hansa lui expliquait ce que je m’apprêtais à faire, je tâtais sa jambe, à la recherche de l’os déboité, lançant des regards furtifs à la petite fille, me rassurant qu’elle ne se rende compte de rien. Hansa servait d’antidouleur. La distraire avait le même effet, elle pensait à autre chose et oubliait la douleur. Alors qu’elle continuait de poser des questions à ma cousine, j’empoignais sa petite jambe aux points que j’avais déterminés et la tordis d’un coup sec pour la remettre en place. On entendit un léger bruit de craquage qui se noya bien vite dans le brouhaha environnant. « C’est parce qu’elle a volé quelque chose et la vilaine sorcière n’était pas très contente… » Je lançais un regard à Hansa, un de ses regards bienveillant qu’un grand frère avait pour sa sœur quand il était fier d’elle. « Elle a volé quoi ? » Demanda la petite fille, intéressée par cette histoire. « Elle a volé le don d’enlever la douleur à quiconque que possédait la sorcière qui ne voulait pas le faire partager. » Je souris, lui montrant sa jambe. « Regarde, tu n’as plus mal n’est-ce pas ? Et si tu me laissais te soigner ses petites blessures sur ton visage et sur tes bras maintenant ? qu’est-ce que tu en dis ? » Je souriais toujours, utilisant le ton le plus doux et rassurant que je pouvais pour éviter de l’effrayer. Je foulais dans le sac que j’avais donné à ma cousine un peu plutôt, cherchant le désinfectant.

Le pouvoir de retirer la douleur ... Quelle ironie. Si seulement j'avais été capable de me retirer ma propre douleur, je n'en serais probablement pas là. Je pouvais encore sentir le poids des larmes sur mon coeur, moi qui avait tant essayé de me battre avant d'abandonner. Je priai pour que cet enfant, à qui je parlais de sorcière et de magie serait plus forte que moi, ou moins malchanceuse en tout cas. Il le fallait à tout prix. Pour elle, j'étais prête à essayer d'ôter la douleur, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Je souris à Hyo Jin, d'une façon qui était presque irréaliste. Était-ce de la complicité ? J'en savais trop rien, il n'y avait jamais rien eu de tel entre nous, mais après tout, cela se pouvait. En ce jour où la terre avait tremblé, les choses perdaient de leur sens pour en prendre un nouveau. Je me mis en retrait, le temps que Hyo Jin soigne l'enfant, le regardant prendre soin de ses blessures. Il était formidable, et ça me surprenait de le penser. Finalement, je pris conscience que j'aurais aimé avoir quelqu'un comme cela pour s'occuper de moi. Tout aurait été différent alors, si quelqu'un avait pu être doux et aimant avec moi, si quelqu'un avait veillé à panser mes blessures comme il le faisait. « Excusez-moi un instant... » Je me redressai, et me dirigeai vers la sortie, esquivant comme je pouvais les gens qui se bousculaient. J'avais besoin de prendre l'air, respirer ne serait-ce qu'un instant, sentir l'air frais sur ma peau.

Une fois à l'extérieur, j'inspirai profondément, tâtant fébrilement la poche arrière de mon pantalon. « Merde ! » jurai-je en me rendant compte que j'avais oublié mes cigarettes. Les sensations du manque commençaient à se manifester. Ou plutôt, elles me distrayaient afin que je ne repenser pas au regard égaré de l'enfant. Dans ma poche avant, j'effleurai un petite boite métallique. Je la sortis du tissus, l'observant un instant avant de l'ouvrir et d'en dévoiler le contenu. Car la seule réponse que j'avais trouver à la douleur, c'était l'autodestruction que m'apportait la drogue. C'était le seul don que je connaissais, le seul que j'avais trouvé efficace. Pas de sorcière, pas de sort, seulement de la chimie.

Je trouvais enfin le désinfectant et quelques compresses. Je pris d’abord soin de déposer un peu de mercurochrome sur un bout d’ouate et le montrais à la petite fille. « Regarde, je vais mettre un peu de ce liquide rouge sur tes blessures, ca risque de piquer un peu, mais après, je te promets que tu n’auras plus mal… » Elle me demanda si c’était du sang. Je ris doucement, lui expliquant que c’était un produit qui l’aiderait à aller mieux. Elle me laissait faire, grimaçant de temps à autre. Je finis par lui mettre quelques pansements là où il était nécessaire d’en mettre. « Et voilà, c’est fini ! Tu as été très courageuse. Tient. » Je lui sortis une friandise de la sacoche des premiers soins et lui tendis. Elle s’en saisit avec gourmandise avant de me regarder de ses grands yeux noisette. « Ils sont où papa et maman ? » Sa question me brisa le cœur. Je ne savais que dire. Je ne pouvais pas lui promettre qu’on allait les retrouver. Enfin si. Mais seraient-ils vivant ? J’allais me retourner avec Hansa pour lui demander de l’aide du regard, mais je la voyais s’éloigner de loin déjà. Elle avait vécu un événement tragique étant petite, qui l’avait marqué à vie. Je ne savais pas de quoi il s’agissait exactement, car mon père était resté évasif et je n’avais pas cherché plus loin, non plus. Mais j’aurais espéré qu’elle lui dise ce qu’elle aurait aimé qu’on lui dise à elle, à ce moment-là. Ce qu’elle aurait aimé entendre. Je lui caressais doucement les cheveux, me voulant rassurant. « Je n’en sais rien ma puce, mais je te promets que dès que j’ai des nouvelles, je viens te prévenir, d’accord ? » Elle hocha la tête, ravalant ses larmes. Ca me brisait tellement de la voir ainsi. J’avais envie de lui annoncer que ses parents étaient vivant, qu’ils l’attendaient de l’autre côté du gymnase. Mais je ne pouvais pas, parce que ce n’était pas la vérité, mais je ne voulais pas lui dire non plus. Je ne voulais pas être celui qui allait lui apprendre la mauvaise nouvelle qui changerait toute sa vie. Je déposais un baiser sur son front. « Tu m’attends là ? Je reviens vite. » « Tu vas voir la princesse. » Je lui souris, attendris une nouvelle fois. « Oui, je vais voir comme va la princesse. » Elle me tendit les bras comme pour la prendre avec moi, qu’elle ne voulait pas que je la laisse seule. J’hésitais un instant, avant de faire demi-tour de marcher dans les pas de ma cousine.

« Si tu touches à ca maintenant, je ne te laisse plus entrer la dedans. Et je devrais expliquer à cette gamine pourquoi la princesse qui l’a sauvé ne lui a pas dit au revoir avant de partir. » Lâchais-je sur un ton sévère. Je l’observais un instant. « T’as tous les symptômes de quelqu’un qui est en manque… » Je reportais mon intention sur la boite qu’elle tenait, lui arrachant des mains, je la portais à mon nez. « Sérieusement, Hans ? c’est de ca que tu es en manque ? » Je refermais la boite, hésitant à la lancer dans les décombres ou la lui rendre. Je choisis de la garder. Pour le moment. Je la fourrais dans une de mes poches, ne me gênant pas pour lui confisquer. « Bordel, Hans … » Je ne savais même pas quoi dire pour lui montrer ma frustration. Tout ce que je trouvais à faire, c’est de sortir un paquet de cigarettes de mon autre poche et de lui lancer. Mieux vallait fumer que de se droguer, non ?