« HEOL... »

C'était la première et la seule chose qui parvint à sortir de la gorge de Jae Hwan. Les yeux grands ouvert, la bouche en o, le regard mêlant à la fois pitié et tristesse, le jeune homme regardait Su Ah avec un dégoût quasi-évident. Et le voir revêtir d'une telle expression était plus rare que rare , lui qui était d'un naturel extrêmement souriant. Cette scène eut l'effet d'un électrochoc pour le pauvre garçon, qui sembla d'un coup s'éveiller d'un mauvais rêve. L'arrachant sans élégance du royaume des songes.

Les amourettes d'été ne durent jamais bien longtemps ; L'étudiant en art du spectacle le savait, peut-être pas aussi bien que les autres, mais il en était clairement conscient. Peut-être était-il naïf, ou simplement qu'il ne vivait peut-être pas dans la bonne époque, mais était-il un garçon si simple à oublier ? Lorsqu'il aperçut la jeune femme dans les couloirs, le bonhomme s'était avancé vers elle pour la saluer ; question de politesse, principalement. Mais il ne put dire mot que la demoiselle s'était retrouvé quasiment dans les bras de cet autre type – qui évidemment la draguait -. Et ils flirtaient méchamment, à la vue de tous, sans la moindre gêne.
Le sourire gêné du début se transforma donc en rictus mauvais. Il se demanda, l'espace d'un instant, qu'est-ce qu'il avait pu trouver en elle ? Et pourquoi la voir ainsi avec un autre type l'emmerdait autant ? Puis il reprit ses esprits, même s'il ne parvint pas à contrôler son expression et son regard qui fixait l'autre étudiant. Étudiant qui ne tarda pas à remarquer Jae Hwan, puisqu'il lui lança un « Tu veux ma photo ? » provocateur.

« Hein ? Tu veux que j'en fasse quoi, de ta photo ? » Répondit le sino-coréen avec la même agressivité que son interlocuteur. Même s'il ne l'avait pas très bien regardé, le campagnard s'apprêtait à s'en aller et ne pas accorder davantage d'attention à ce « couple ». Mais monsieur ne semblait pas le laisser faire ce qu'il souhaitait. Ils firent tous les deux un pas vers l'autre et l'ambiance s'électrifia soudainement, l'atmosphère devenant tout de suite plus lourde. D'autres étudiants commencèrent à se rassembler en cercle autour des deux « fauteurs de trouble ».

« Écoute, j'ai rien contre toi mais je suis de très mauvaise humeur aujourd'hui. Si tu veux qu'on se mette sur la gueule » Il retroussa ses manches, remit en place sa casquette et s'humidifia la lèvre inférieure « Allons y. »

« M'énerver pour un rien ? » Répondit Jae Hwan, se retournant vers Su Ah qui tentait vainement de le faire reculer. Son regard, extrêmement dur jusqu'à présent, redevint soudainement plus neutre. Quant à la seconde question de madame, elle eut au moins le mérite de lui arracher un sourire du coin. Jaloux ? Était-ce là réellement de la jalousie ? Le sino-coréen fit mine de réfléchir une ou deux petites secondes, puis il haussa les épaules ; « J'suis trop bête, t'as raison en fait. Pourquoi suis-je sensé m'énerver pour ''rien'' ? » Ajouta l'étudiant de sixième année, insistant bien sur le terme ''rien'', souhaitant bien entendu faire comprendre aux autres que ''Su Ah'' = ''rien''. Il secoua ensuite la tête puis remit sa casquette en place une seconde fois. Pour être franc, l'étudiant en art du spectacle était content de l'intervention de son « amour d'été », puisque celle-ci le ramena sur Terre de la plus simple des manières possibles, le faisant comprendre tout ce qu'il avait à comprendre.

Hwannie posa ensuite sa main sur l'épaule de l'autre ''coq'' et lui marmonna, en souriant et sans masquer son sarcasme « My bad. Amuse toi bien avec elle. Faudra juste te dire que t'es passé après beaucoup d'autres » avant de hausser les épaules une nouvelle fois et de faire un petit signe à Su Ah. Le métisse tourna ensuite le dos aux deux jeunes étudiants et s'apprêta donc à partir, alors même qu'il réfléchissait où aller. Peut-être à la salle de réseau, histoire de se défouler sur des jeux styles Starcraft ou Counter Strike. Mais il n'eut pas le temps de faire trois pas qu'il sentit, à son tour, une main sur son épaule droite. Jae Hwan s'arrêta et se retourna, et fut surpris lorsqu'il sentit un coup de poing s'écraser contre sa mâchoire.

La violence du coup lui fit tomber en arrière mais la colère grimpant, il se releva très très vite. Malheureusement, il ne put s'avancer et coller un pain à son agresseur que plusieurs garçons se mirent entre les deux pour les séparer. Au vue de la tension ambiante, cette petite dispute entre amis allait rapidement dégénérer et se transformer en bain de sang. Jae Hwan parvint après quelques secondes à se débarrasser des personnes qui le retenaient mais l'apparition d'un professeur le fit s'arrêter. Ce dernier – offrant au passage au métisse un regard de tueur comme on en voyait rarement – s'avança vers l'autre élève et lui marmonna quelques petites phrases et l'embarqua, sans doute vers le bureau des professeurs.

« Aish... » Grommela le sans-fraternité tandis qu'il essuyait le mince filet de sang coulant le long de sa trempe. Il leva son autre bras, faisant comprendre aux personnes agglutinés autour de lui qu'il allait bien et ramassa sa casquette qui était tombée par terre au moment du choc. Puis, la main droite toujours collée contre sa tête, il s'en alla, se dirigeant cette fois-ci vers l'infirmerie. La salle de réseau, ce sera pour plus tard.

Jae Hwan était un idiot ; s'il y avait un seul mot qu'on devrait utiliser pour désigner le sans fraternité, c'était bien celui là : « idiot ». Il n'avait pas la science infuse ; sa capacité à raisonner avant d'agir était loin d'être au même niveau que tous les autres et il l'assumait. Et puis, que pouvait-il y faire, au fond ? Des tas de proverbes chinois datant de l'époque de Confucius laissent penser qu'il ne pouvait pas changer. Et il puis, il n'avait pas envie de changer.
Pour le reste, tout s'était passé très vite. Bon en bagarre, l'étudiant en sixième année n'eut malheureusement pas les réflexes nécessaires – et puis, qui est-ce qui les aurais eu, ces réflexes ? - pour esquiver la droite qui lui défonça la mâchoire. Il sentit la douleur exploser et sa tête donna l'impression d'exploser. Le jeune homme tomba au sol et, bien que sonné, était prêt à aller au casse-pipe. A ce moment précis dans sa petite tête, tout ce que Jae Hwan souhaitait était de lui rendre la pareille, à ce trou du cul. Mais, heureusement pour lui – et pour l'autre, pour le coup -, les autres étudiants rameutèrent pour séparer les deux coréens. Rapidement rejoint par le professeur qui imposa tout de suite sa présence.

La suite, vous la connaissez. Celui qui avait levé la main en premier fut convoqué dans la salle des professeurs tandis que Jae Hwan, laissé pour compte, se dirigea vers l'infirmerie pour se reposer. Curieusement, il fut rejoint par Su Ah alors que celle-ci avait sans doute bien mieux à faire que de l'accompagner. « Hmph, c'est clair » Marmonna Hwannie, bougeant sa mâchoire à gauche et à droite, espérant bêtement que ça allait soulager sa douleur. Ils arrivèrent finalement devant une des salles de repos et le sino-coréen poussa la porte sans même toquer. La pièce était complètement vide ; la fenêtre était ouverte mais les lits étaient inutilisés. L'infirmière elle-même n'était pas là, laissant ainsi l'endroit dans un silence morose.
« Fait comme tu veux » Répondit le jeune adulte à la jeune femme tandis qu'il fouillait les placards à la recherche d'anti-douleur. « Même si je passerai après beaucoup d'autres ». A la place de Su Ah, il aurait sincèrement dit la même chose ; L'opportunité était trop belle pour ne pas balancer cette phrase, le contexte s'y prêtant parfaitement. Il trouva finalement des comprimés qu'il balança dans sa bouche sans réfléchir, avant d'attraper une bouteille d'eau dont il avala une gorgée, sans poser ses lèvres sur le rond. Puis il se coucha sur le premier lit à sa portée.

« Je vais rester dormir tout le reste de l'après midi, tu peux t'en aller hein. » Ajouta le campagnard, regardant Su Ah les yeux dans les yeux. Avant de s'étouffer en avalant sa salive, comme un idiot.

« NOOOOON, sans blague. Si c'était le cas, je ne serai pas ici à te répondre » Répondit Jae Hwan, tandis qu'il s'étouffait dans sa salive et recracha ses poumons comme s'il avait choppé une mauvaise pneumonie. Non, il ne s'était pas fait assommer – il lui en fallait bien plus que ça pour tomber dans les pommes, lui qui était connu pour être plus coriace qu'un cafard – mais le bougre n'avait pas rien de prévu cet après midi – si ce n'était un cours dont il était plus ou moins exempt de participer – et se voyait bien dormir tout le reste de la journée dans cette salle, au calme. Enfin. « Au calme » à condition que personne ne vienne le gêner, à commencer par la demoiselle ici-présente qui s'esclaffa presque à la vue de l'étudiant suffoquant.
Ce dernier s'était assit sur le lit où il avait levé la couverture dans l'unique but de s'y coucher. Malheureusement, Su Ah ne semblait pas décidée à lui foutre la paix puisque celle-ci, dans un élan de bonté, attrapa une serviette et des glaçons et s'approcha du campagnard, visiblement pour l'aider. « Hein? » Fut l'unique réponse du sino-coréen alors qu'elle fourra la serviette glacée contre la mâchoire du pauvre blessé. La remarque de la renarde, qui aurait du l'énerver dans bien des situations, ne lui fit finalement pas hérisser les poils comme il se l'était imaginé. Il arqua juste un sourcil tandis que sa bouche mimait une grimace risible, lui qui souffrait tout en cherchant à réprimer cette douleur.
« Aish... Aïe aïe aïe aïe attention » Grogna ensuite Jae Hwan, posant cette fois-ci sa main sur la serviette que maintenait la demoiselle à la la généreuse poitrine, la libérant ainsi de ce poids. Cette dernière lui posa finalement une question, à laquelle le métisse ne sut pas vraiment répondre. Il porta son regard vers elle, perplexe et confus, et lâcha : « J'ai quelque chose à te dire ? » Pour être tout à fait honnête, le pauvre ne savait pas vraiment ce qu'on attendait de lui, ni ce qu'il devait dire dans ce genre de situation précis. Il souhaitait la paix et le calme mais mademoiselle ne semblait pas encline à lui offrir ce qu'il voulait.
« Merci ? Pardon ? Ta tenue te va bien ? J'suis d'solé mais je ne vois honnêtement pas du tout ce que tu veux que je te dises, là. » Lança finalement le jeune homme tandis qu'il retira ses chaussures, des pieds, et qu'il les fourra sous la couverture.

Quand on y réfléchissait un petit peu, on remarquait que Jae Hwan était aux antipodes de ce que l'on pouvait attendre du "parfait coréen". Il faisait régulièrement preuve d'une maturité suspecte - alors qu'il pensait, lui-même, qu'il s'agissait d'une de ses plus grandes qualités - et ne savait guère ce que voulait dire délicatesse et subtilité. En plus de cela, il était lent à souhait et ne comprenait pas les choses à la même vitesse que les autres. Alors quand Su Ah lui a demandé si il avait quelque chose à lui dire - en donnant l'impression qu'elle s'attendait à quelque chose de particulier, compte tenu de la manière dont elle avait lâché ces mots -, le pauvre étudiant était coincé. Il aurait pu l'ignorer simplement ou lui demander de sortir de l'infirmerie mais... La situation elle-même était incompréhensible. Il ne savait pas s'il était fautif ou victime dans l'histoire. A vrai dire, il avait l'impression d'avoir le cul entre deux chaises et c'était une sensation particulièrement désagréable. Devait-il agir énervé, ennuyé, ou désolé ? Et quels étaient les mots qu'attendaient la demoiselle patiemment et qu'il était censé, visiblement, connaître ?
Aish ? La passivité - ou la bêtise et l'ignorance - de Jae Hwan semblait venir à bout de la patience de la jeune femme, tandis qu'elle, l'air de rien, se comportait comme si elle était chez elle. L'étudiant en art du spectacle regarda donc, sans rien dire, la flirteuse professionnelle s'allonger sur le lit sur lequel il était lui-même assit, un sourcil arqué défiant littéralement les lois de la gravité.  « Comment ça violent. Jusqu'à preuve du contraire, c'est moi qui me suis mangé un pain. » Répondit calmement – chose rare – le campagnard tandis que mademoiselle reprenait la parole, ironisant sur le fait qu'il était plus « doux » durant cet été. Le type « doux » esquissa un sourire du coin et tourna la tête vers la fenêtre, comme s'il savait qu'il allait s'énerver s'il continuait à avoir l'étudiante dans son champ de vision.
« Je préfère sincèrement ne pas parler de ce qui a pu se passer cet été » Lança le bonhomme à l'accent précaire, avant de continuer : « Je te le demande gentiment cette fois-ci » Sa phrase alliait à la fois la lassitude et sincérité. Pour être honnête, il aurait aimé que cette histoire avec elle soit plus qu'une simple amourette de vacances. Mais, après ce qu'il avait pu voir dans les couloirs, ce dénouement était peut-être un moindre mal. C'était un idiot. « T'as pas cours ? Ca ne me concerne pas, hein, mais je ne veux pas qu'on vienne m'dire que c'est d'ma faute après, hein » Fini par dire Jay tout en imitant la posture de Su Ah.