could you say goodbye to yesterday ?

Malee lisait son magasine. Dans un ennui soudain, elle venait de l’acheter au magasin. Et maintenant elle lisait, tout en marchant sans but précis. Les jours se suivaient, se ressemblaient, et chaque instant passé la désespérait un peu plus. Elle aurait aimé que le temps s’arrête. Que la douleur disparaisse. Que tout soit comme avant. Qu’elle soit enfin de nouveau heureuse. Comme quand elle était encore en Thaïlande. Bien sûr, elle savait qu’elle idéalisait un peu trop les années qu’elle avait passé là-bas. Elles n’étaient pas aussi belles que les souvenirs que la miss en gardait. Mais elle savait que ce qu’elle avait vécu là-bas était ce qui se rapprochait le plus du bonheur. Alors en cet instant, en ces moments troublés, elle ne pouvait s’empêcher d’y penser tout le temps. Ça l’obsédait. Si elle avait pu, elle aurait pris le premier avion en direction de son pays natal. Sauf qu’elle ne pouvait pas. Alors elle se contentait d’en rêver, quitte à ne pouvoir se concentrer que d’un œil sur le magasine qu’elle lisait. Et pourtant un article l’interpella. C’était une interview d’un jeune homme qui prétendait vivre chaque jour comme si c’était le dernier, ce qui l’avait poussé à faire des choses extraordinaires. Il avait tout fait. Saut à l’élastique, saut en parachute, voyage en sous-marin, dégringoler les chutes du Niagara, monter en haut de la plus haute montagne. Il avait absolument tout fait. Il vivait sa vie pleinement, sans se soucier des autres, sans se soucier du mot « impossible ». Mais il avait l’air heureux. Malee pensait à tout ça tandis que ses pas la guidaient tout naturellement vers son dortoir, dans lequel elle entra sans faire vraiment attention. Elle relisait l’article pour la troisième fois depuis qu’elle l’avait découvert, captivée par toutes les révélations que faisait le jeune homme, captivée par sa manière de penser. En cet instant précis, on pouvait dire qu’elle l’admirait, effectivement. Néanmoins cela ne l’empêcha pas d’entrer d’un pas assez maladroit dans le salon du dortoir, saluant distraitement les personnes présentes. Puis elle s’assit sur le canapé, à côté de Jihae qui se trouvait déjà ici. « Dis, qu’est-ce que tu ferais si demain était ton dernier jour ? » demanda-t-elle d’une voix distraite, alors qu’elle-même se plongeait dans ses pensées. Qu’est-ce qu’elle ferait, elle ? Probablement beaucoup de choses. Ou rien du tout. Ou tout à la fois. Mais peut-être qu’elle arriverait enfin à se lâcher totalement, à oublier les barrières sociales et à vivre comme elle aurait toujours aimé vivre.

could you say goodbye to yesterday ?

Malee quitta des yeux son magasine, levant la tête vers son amie et l’écoutant en hochant la tête. Quel chouette programme que voilà. Ça lui donnait presque des idées. Surtout la partie avec le hamburger, à vrai dire. Pour la thaïlandaise qui avait tant l’habitude de prendre soin de son physique et de son poids, manger quelque chose d’aussi gras la faisait presque rêver. Pouvoir dévorer tout ce qu’elle voulait dans la journée. Le rêve. Elle sourit à cette pensée, tandis que Jihae reprenait la parole, lui retournant sa question. Néanmoins la thaïlandaise prit le temps de la question, se plongeant dans ses pensées, avant de finalement répondre. « Je te suivrais pour le hamburger et les frittes je pense ! Je dirais à tous ceux que j’apprécie à quel point je les aime. Je serais plus honnête. J’irais dire leurs quatre vérités à mes parents. Je… » Petite pause. Un flot de paroles se déversaient de sa bouche, sans même qu’elle n’arrive – ou n’essaye à vrai dire – de le retenir. Elle déversait tout, sans censure ni dissimulations, mais presque sans s’en rendre compte également. « Je chercherais l’amour. Le vrai, le pure, celui qui fait du bien, celui qui guérit, celui qui fait pousser les ailes, qui donne envie de décrocher la lune, celui… » Et elle s’interrompit soudainement, clignant des yeux, puis elle tourna la tête vers son amie, un air légèrement gêné plaqué sur le visage, et un petit sourire tout aussi mal à l’aise. Elle en avait peut-être trop dit. Elle-même se trouvait légèrement ridicule pour le coup. « Excuse-moi, je crois que c’est la saint valentin qui me tourne la tête. » Elle eut un léger rire, pour tenter de faire disparaître l’embarras qui s’était emparé d’elle. Et puis quand Jihae lui prit la main, Malee lui adressa un sourire. Et elle approuva directement sa  proposition. Pour une fois, elle voulait se lâcher. Faire tout ce qu’elle voulait dans la journée. Faire disparaître l’espace de quelques heures les nuages qui encombraient son cœur. Même si elle savait que ça ne tiendrait pas longtemps, même si elle savait que le retour de bâton serait encore plus atroce. Elle se leva, entraînant son amie avec elle. Elle était prête à partir. Pas de préparation à envisager, elle voulait filer tant qu’elle y pensait, tant que l’impulsivité passagère prenait possession de son corps. « Je suis carrément partante ! On y va ? Au salon de tatouage. » Et elle lui sourit. Et elle chopa son sac, avant de prendre la direction de l’entrée, sans cesser de lâcher la main de sa camarade.

could you say goodbye to yesterday ?

Les deux demoiselles se rendirent donc au salon de tatouage, Malee suivant son amie sans discutailler plus. A vrai dire elle était même plutôt contente d’être ici. Elle était contente que sa camarade s’occupe d’elle et l’empêche de ruminer de sombres pensées dans sa chambre en la traînant dehors. Au moins elle n’était pas toute seule. Elle n’allait pas être seule pour affronter cette journée. Alors elle la suivit, sans protester, et elles se retrouvèrent bien vite devant le tatoueur, avec qui la jeune Song discuta, avant qu’elle aille voir le classeur et montra ses deux choix à la thaïlandaise, qui les observa tour à tour. Elle aimait les deux, mais elle avait clairement un coup de cœur. Ce qu’elle n’hésita pas à dire à son amie. « Le deuxième est plus discret mais… je t’avoue que j’adore le premier ! Il est magnifique. Et je doute que la discrétion soit ce que tu recherches hein ? » dit-elle en lui adressant un petit clin d’œil. Ensuite toutes les deux se rendirent dans le box et quand Jihae lui demanda de rester, Malee se tourna vers le tatoueur, lui demandant si c’était possible. Et il s’avéra que ça l’était. Alors la thaïlandaise resta auprès de son amie, s’asseyant sur une chaise que l’homme lui avait amenée. « J’aimerais bien craquer mais je doute avoir assez d’argent, » répondit la jeune femme en se plongeant dans ses réflexions. Il fallait avouer que son compte en banque n’était pas très rempli. Mais il n’y avait là rien d’étonnant, étant donné qu’elle avait été renvoyé il y  a quelques semaines. Elle vivait de ses économies maintenant et de sa bourse. Et elle devait donc se restreindre encore plus pour les conserver au maximum ces deux-là. Sauf que, si ce jour-là était son dernier jour, elle n’avait pas à se soucier de l’argent, n’est-ce pas ? Elle se mordilla la lèvre en se faisant cette réflexion, tandis que le tatoueur s’occupait de son amie. Malee se concentra à nouveau sur ce qui se passait et ne put empêcher une petite grimace de tordre légèrement sa bouche. C’est que ça devait faire mal. Une autre raison pour ne pas s’en faire un, effectivement. Même s’il fallait avouer, ça l’avait toujours attirée. Autant que ça la répugnait. Parce qu’elle ne voulait pas risquer d’avoir mal, sous cette aiguille. Et qu’elle avait entendu des histoires de tatouages ratés ou dont le possesseur faisait une réaction allergique. Et puis… bon elle pouvait trouver des milliards de raisons. Après tout, même si elle avait décidé d’être une autre l’espace d’une journée, elle était trop raisonnable pour se lâcher complètement. « Ça va ? ça fait pas trop mal ? » demanda-t-elle alors à son amie.

could you say goodbye to yesterday ?

Malee hocha la tête suite à la remarque de son amie. Une prochaine fois oui. Peut-être. Même si elle ne savait pas s’il y aurait une prochaine fois. Elle se concentra de nouveau sur Jihae pour oublier ces sombres pensées, lui adressant un sourire destiné à faire partir au moins temporairement les nuages qui encombraient son cœur. Et tandis que l’aiguille du tatoueur s’agitait sur la peau de la coréenne, les deux jeunes femmes continuaient leur discussion, papotant de tout et de rien pendant un peu moins d’une heure, le temps que le tatouage soit fini. Et que les deux demoiselles puissent admirer le résultat du travail de l’homme, Malee ayant quant à elle une vue imprenable sur le dos de son amie – oui, son regard restait fixé sur les omoplates et non pas la poitrine de Jihae, merci. « Oui c’est vraiment beau ! » s’exclama alors la thaïlandaise, sans quitter le dessin des yeux. Il lui donnait presque envie. Presque. Parce qu’elle n’était tout de même toujours pas prête à sauter le pas. Mais il fallait bien avouer que les oiseaux, leurs mouvements, étaient magnifiques. Et la signification symbolique était très belle également même si c’était plus commun et un peu moins original. Quoiqu’il en soit, tandis que Jihae payait, Malee félicitait le tatoueur, puis les deux demoiselles lui dirent au revoir et sortirent du salon. « Le principal c’est que les autres puissent l’admirer non ? » demanda la Kathaleeya en adressant un clin d’œil complice à sa camarade. Et c’est là que la coréenne demanda à la thaïlandaise où elle voulait aller. Cette dernière s’arrêta donc, se plongeant dans ses pensées, se demandant quoi faire. Il y avait tant de possibilités. Tant de choses à faire. Si ce jour-là devait vraiment être son dernier jour, elle ne voudrait même pas perdre de temps en réflexions, elle voudrait filer comme la brise et aller dans tous ces endroits, qu’elle mourrait d’envie de visiter. Alors elle hocha la tête. Et sourit de toutes ses dents. « Le hamburger et les frittes ! » s’exclama-t-elle. Elle avait dit la première chose qui lui passait dans la tête, mais c’était une idée plutôt agréable. Entraînant son amie en direction du fast-food de Digital City, elles y furent relativement vite, n’étant de toute manière pas très loin. Et elles prirent place sur une des assez nombreuses tables libres. Il fallait avouer que ce n’était pas commun de déjeuner à onze heures. Mais tant pis. Malee adressa un nouveau sourire à son amie, un plus petit cette fois. « Par contre je suis jamais allée au fast-food avant, je sais pas trop quoi commander… tu me conseilles quoi ? » Et effectivement, elle n’était jamais allée dans un fast-food. Triste n’est-ce pas ? Mais quand elle était plus jeune, sa mère le lui avait toujours interdit, et avec le temps cette interdiction était restée gravée dans sa tête. Elle ne voulait pas prendre de poids, alors elle évitait de manger gras. Et donc elle n’allait jamais dans ces endroits comme ceux-ci. Voilà tout.

could you say goodbye to yesterday ?

Male étudiait la carte, l’oreille tendue à l’intention des précieux conseils de son amie. Tant de mots inconnus, tant de saveurs à découvrir. Elle ne savait plus où donner de la tête, chaque mot l’intriguait. Elle n’y connaissait rien. Oh bien sûr elle reconnaissait les ingrédients, mais le tout restait néanmoins totalement obscur à ses yeux. Alors elle décida de la jouer à la plouf. Elle découvrirait bien de toute manière. Et elle savait que dans tous les cas elle ne regretterait pas. Parce qu’elle allait enfin pouvoir goûter au fruit défendu, à ces aliments que sa mère lui avait toujours interdits d’avaler. « Bon va pour le Colorado Burger ! Et on verra bien… » Petite pause, tandis qu’elle tournait le menu, regardant les desserts. Elle grimaça. Tant de poids à prendre. Mais elle s’en fichait. Ce jour-là n’allait-il pas être son dernier jour ? Alors elle pouvait très bien se remplumer un peu. « Et en dessert tu me conseilles quoi ? Autant prévoir tout de suite ! » Le serveur arriva alors et les deux demoiselles commandèrent, Malee se limitant tout de même à un hamburger, ne prenant pas d’entrée comme son amie. Il fallait avouer que son estomac n’était pas très grand et elle ne voulait pas se gaver à en avoir trop mal au bide. Même si ça risquait quand même d’arriver vu la taille des hamburgers. Et les frittes qui allait avec, aussi. Mais elle avait hâte, elle avait hâte de goûter à tout ça. Alors elle tourna la tête vers son amie et la regarda en souriant. « J’ai lu un article dans un magazine sur quelqu’un qui vivait comme ça. Et j’me suis dit pourquoi pas ? J’ai toujours été enchaînée, enfermée, interdite d’aller à tel ou tel endroit, de faire telle ou telle chose. Et l’espace d’une journée, je me suis demandée ce que ça ferait de ne plus respecter ces interdits… » Ces interdits que sa mère lui avait fait entrer dans la tête de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus en ressortir. Pendant quatre ans, alors qu’elle avait quitté le domicile familial, ses parents étaient restés presque omniprésents dans sa tête, lui empêchant de s’amuser réellement, de profiter de sa vie, de se défaire de ses chaînes. Ils l’avaient emprisonnée. Mais elle voulait se libérer. Elle voulait se libérer plus que tout. Elle ne savait juste pas comment faire. « Ton mode de vie doit être super agréable tiens. Tout le monde devrait vivre comme ça ! » Surtout elle, peut-être. Même si elle savait qu’au fond elle ne pourrait jamais totalement se lâcher. Elle était comme ça, voilà tout, elle ne pourrait jamais réussir à changer du jour au lendemain. Mais elle faisait du mieux qu’elle pouvait. Elle voulait pouvoir mourir en limitant la casse, en ayant le moins de regrets possibles – même si elle savait qu’elle en aurait toujours. « Je crois que je t’admire un peu, » reprit-elle alors en rigolant légèrement.