Lorsque Miso s'étire dans ses draps ce matin-là, elle a encore un peu de mal à se familiariser avec ses nouveaux repères. Elle s'apprête joliment, soignant les détails d'une touche de gloss à ses lèvres et d'un parfum à la fragrance fruitée sur sa peau.

Les princesses s'éveillent à l'aurore. Si tôt même que les premiers rayons du soleil émergent à peine derrière la ligne de l'horizon quand doucement, la porte de sa chambre s'ouvre sans l'ombre d'un grincement et qu'elle s'y faufile en prenant soin de ne pas perturber la quiétude de l'endroit.

Parfois, elle se demande si ce garçon avec lequel elle partage l'appartement n'est pas un mirage façonné par les recoins de son imagination pour se créer l'illusion d'un peu de compagnie.

Il est si discret, jamais guère plus de quelques politesses murmurées entre eux et de trop nombreuses courbettes silencieuses. S'il ne lui avait pas été susurré par les propriétaires lors de son emménagement, Miso ne connaîtrait même pas son prénom.

Eunro— quant au reste il n'était que mystère.

Personne ne résiste à la gourmandise de fluffy pancakes. Lorsqu'ils sont surmontés de chantilly, ils en deviennent tout simplement irrésistibles. Aux premières lueurs de l'aube, Miso était sortie. Plus tard, elle avait découpé les fraises en de jolis quartiers et pressé le jus des oranges tout juste achetées en s'inquiétant de savoir si son invité aimerait ou non la pulpe de l'agrume ? La table avait été joliment dressée, spécialement décorée. Elle avait utilisé sa propre porcelaine aux finitions délicates et aux motifs féériques. Sa théière Alice au Pays des Merveilles était de loin sa pièce favorite du banquet. Délicates fragrances de thé blanc aux notes finement fleuries et l'élégance des fleurs de cerisiers du Japon — elle venait tout juste de le recevoir et ne l'avait encore jamais goûté. Pensant alors qu'elle n'en avait pas suffisamment fait, le pain de mie à la façon d'une brioche avaient été tranché en triangles garnis de crème fouettée et de fruits frais par ses soins, parfaitement alignés.

Puis, glissant la pointe de son stylo sur un papier ornementé de nuages cotonneux et de tons pastels, elle avait soufflé dessus pour sécher l'encre avant de plier la feuille en deux et la glisser dans une enveloppe qui ne portait pas de destinataire.

Un simple sticker imitant le sceau royal d'une missive scellait le courrier qu'elle déposa, hésitante, sous le pas de la porte de la chambre aux milliers de mystères.

Elle y avait tout doucement donné trois coups à la prudence avérée, rien que pour s'annoncer, sans pour autant risquer de le déranger.

Alors, aussi vite que sa silhouette était venue, elle s'en était allée et s'il ne venait pas, Miso préférait lui laisser la liberté de refuser son invitation, plutôt que de s'obstiner et lui forcer une réponse qu'il n'aurait pas souhaité lui donner.


⸺ Follow the white rabbit…?
૮꒰ ˶• ༝ •˶꒱ა ♡

Il avait passé toute sa nuit à jouer à ses jeux. Parfois en ligne, parfois hors-ligne. Et c'est quand il a décidé de se mettre à l'un de ses mangas que le sommeil est venu le cueillir. C'est le week-end et Eunro fait ce qu'il a toujours fait : user ses passe-temps favoris. Ce qui le fait très peu sortir de sa chambre. Au moins, de nuit, il ne risque pas d'y croiser sa colocataire. Une jeune femme qu'il ne se donne pas la peine de connaître. Et si elle était aussi peu respectueuse que son ancienne colocation? Depuis longtemps, il ne considère plus cet appartement comme le sien. Ce n'est pas chez lui, c'est chez eux. Et ainsi, il ne parvient pas à identifier l'endroit comme étant à lui. Il y a sa chambre et c'est tout ou presque. Il se sent intrus en tout temps et ne fait rien pour changer ça. Enfin... Peut-être qu'avec Miso, il parviendra à reprendre la confiance de sortir sciemment en sa présence... Pour l'heure, ce sont trois petits coups qui le font totalement émerger de son sommeil. Le jeune homme était déjà réveillé, mais peu motivé à ne serait-ce que bouger, pour le moment. Intrigué, il s'assoit dans son lit, les plis de son oreiller étampés sur son visage. Il plisse les yeux, bâille un bon coup et jette un regard vers la porte. Il lui semble que quelque chose trône sur le sol devant celle-ci. Intrigué, il repousse les couvertures pour pouvoir se lever et prendre possession de la jolie enveloppe. Il la retourner dans ses mains avant de l'ouvrir doucement et pouvoir y sortir une lettre toute aussi jolie sur laquelle était manuscrite une invitation. Il reste immobile à fixer l'encre pendant un long moment, réfléchissant à son envie de sortir de sa chambre. Il devra bien le faire, un jour, de toute façon, non? Si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera à un autre moment. La demoiselle semble faire des efforts pour nouer des liens avec lui et comme toujours, Eunro fait ce qu'il a toujours fait : fuir. Un mince soupir s'échappe d'entre ses lèvres et il dépose le papier sur son bureau. Ne possédant pas de miroir dans sa chambre, c'est avec les cheveux en épis sur sa tête et muni de son pyjama pokémon préféré qu'il ouvre délicatement la porte de son antre. Il commence par jeter un coup d'oeil de l'autre côté, avant d'ouvrir assez grand pour laisser passer sa silhouette encore un peu anesthésiée par le sommeil. En s'avançant lentement, il prend connaissance de la table remplie et de l'odeur merveilleuse qui vient chatouiller ses narines. Et qui, accessoirement, lui donne faim. Dès lors que ses prunelles se posent sur Miso, il se courbe légèrement pour la saluer. Sa grande stature respire le manque de confiance et l'hésitation qui le pousse à arrêter ses pas à une bonne distance de la table. Que doit-il dire dans ces circonstances? Il n'en sait trop rien, peu habitué à socialiser. Sauf lorsqu'il est en compagnie de Shun, son meilleur ami. ━ Euh... Bonjour?... Sa voix s'élève à peine et se rapproche bien plus d'un murmure que d'autre chose.

Elle n'avait pas prévu de se laisser surprendre par la discrète présence du garçon. Était-il toujours aussi silencieux ? Miso craignait qu'au moindre geste brusque il ne s'enfuit. Elle n'avait pas envie qu'il s'enfuit. Sa silhouette était haute, ses épaules étaient larges et elle venait seulement de le remarquer car depuis le premier où ils n'avaient fait que se croiser, il lui avait toujours paru aussi fragile qu'un origami de papier. "Bonjour" avait-elle répondu en s'inclinant joliment à son tour, capable de voir à présent comme ses yeux étaient grands, au moins aussi grands que les siens derrière les mèches brunes en pagaille qui lui cachaient une partie du visage.

Ainsi, Miso avait souri et ses deux bras tendus en direction de la table dressée, avait accueilli son seul et unique invité. "Je ne savais pas que ce tu aimais alors j'ai pioché parmi quelques unes de mes recettes favorites." Elle le pressa délicatement afin qu'il prenne place, consciente que s'il ne donnait pas l'impression d'un ami que l'on apprivoisait facilement, elle n'apprendrait jamais à le connaître si elle ne lui forçait pas ne serait-ce qu'un tout petit peu la main.

Elle sortit encore un gâteau du four, enfilant une moufle de cuisine afin de le déposer sans encombre sur le seul endroit où un bout de la table était encore visible. A présent, il ne l'était plus. "Je pense que j'en ai encore trop fait. Qu'est-ce que tu en dis ? Je le savais au fond mais je crois que c'est plus fort que moi… je n'ai pas voulu voir la vérité en face. Toutefois, je te le promets : ce gâteau-là, c'était bien le dernier ! et après lui il n'y en a pas d'autres." Un rire léger avait glissé entre ses lèvres avant qu'elle ne s'inquiète à nouveau d'être passé à côté de quelque chose d'important. "Mais si tu aimes un gâteau en particulier alors ce n'est pas un problème...!" Comme une fenêtre ouverte sur celle qu'elle était, Miso n'ignorait pas que pour en apprendre sur les autres, il fallait être prêt à en livrer au moins autant sur soi-même.

Prenant place sur la chaise libre en face de lui, elle avait pris soin de ne pas abîmer les pliures élégantes de sa jupe en s'asseyant.

"Tu t'appelles Eunro, c'est bien ça ? Moi, c'est Miso. Est-ce que je peux t'appeler par ton prénom ?" Sa voix caresse s'élevait à peine plus haut qu'un murmure, à la fois chaleureux et pétillant.

Alors qu'il est debout là, il ne sait pas où se mettre. La logique voudrait qu'il prenne place sur l'une des chaises entourant la petite table remplie de beaucoup trop de mets, mais c'est comme s'il était effrayé de s'avancer. Comme s'il se trouvait chez elle et non pas chez lui. L'éternel sentiment d'appartenance absent qui le taraude, il finit par s'approcher doucement et silencieusement vers la chaise la plus proche lorsque Miso l'y invite. Pour autant, il ne fait que poser une main sur la charpente de cette dernière sans la tirer vers lui pour s'y asseoir. Il a faim, certes, mais il hésite encore à prendre place. Ses prunelles détaillent le joli ensemble qu'arbore sa colocataire sans arrière-pensée lorsqu'elle part chercher un dernier gâteau au four. Il ne peut s'empêcher de remarquer qu'elle est propre sur elle, alors que lui... De quoi a-t-il l'air? De quelqu'un qui vient de se lever, certainement, mais il se sent tout à coup peu présentable. Néanmoins, il se laisse convaincre et prend finalement place devant la multitude de plats que discernent ses rétines. Il écoute solenellement toutes les paroles que lui envoient la demoiselle sans pour autant prendre la peine de répondre. Il ne fait que hocher la tête face à ces dernières, notant qu'il pouvait lui signifier ce qu'il préfère manger. Le garçon est toutefois très peu enclin à s'ouvrir, pour le moment. Elle aussi prend place en face de lui et il attend sagement qu'elle se serve en premier. Encore un simple hochement de la tête lorsqu'elle demande son prénom. Et d'ailleurs, il se questionne à savoir pourquoi elle lui demande alors qu'elle le sait déjà. Lui aussi connaît son appellation et ce, depuis le premier jour. Et peut-être même un peu avant. ━ D'accord. Acquiescé doucement de sa voix délicate. En vérité, elle peut bien s'adresser à lui de la façon dont elle souhaite, car il n'en a pas grand chose à faire. Tout le monde en fait toujours à sa tête, de toute façon. Alors il a appris à composer avec les noms qu'on lui donnait. Si Miso parle pour chasser une quelconque nervosité, Eunro, quant à lui, se terre dans son silence habituel, puisque ça vaut mieux que de dire tout ce qui lui passe par la tête alors que tout le monde s'en fout. Gamin reclut depuis sa plus tendre enfance, ce n'est pas surprenant qu'il ait développé ce trait avec plus de puissance selon les années. Finalement, lorsqu'il aperçoit sa colocataire se servir, il tend le bras pour prendre une pointe du dernier gâteau qu'elle a sorti du four, son odeur embaumant ses narines depuis tout à l'heure. Il n'oublie pas le verre de lait pour accompagner ses délices du matin et mord à pleines dents dans la pointe qu'il s'est servi. Si moelleux... Un vrai délice.

Elle est maladroite, ne se sent rien faire de bien et s'en rend compte au travers de ses silences et ses regards fuyants. Alors, la douce Miso fait le choix de s'asseoir pour faire cesser l'embarras qui lui plane au-dessus de la tête. Ce n'est pas tant le mutisme du garçon qui l'inconforte, mais plutôt la distance qu'il semble vouloir maintenir entre eux en dépit de ses nombreux efforts. Il n'a pourtant jamais été impoli avec elle, il a répondu à son invitation en se présentant au petit-déjeuner, il l'a saluée, a pris place autour de la table et l'a même autorisée à l'appeler par son prénom. ━ Cool, répondit-elle dans un souffle et s'armant d'un sourire qu'elle espérait capable de réparer ses impairs.

Il était d'une quiétude qu'elle se sentait ridicule de vouloir troubler. Peu importe que le sweatshirt de son pyjama soit floqué à l'effigie d'un Carapuce, Miso lui trouvait quelque chose de légèrement intimidant dans sa façon de ne pas répondre aux injonctions sociales.

━ Est-ce que j'ai fait quelque chose que je n'aurais pas du...? Demande-t-elle finalement après qu'un silence suffisant lui ai permis de réorganiser le flot de ses propres pensées paniquées. C'est simplement que j'ai l'impression qu'on ne se croise jamais. Poursuit-elle sans oser le regarder dans les yeux, gardant les siens rivés sur les tracés relaxants que sa fourchette est entrain de creuser dans le sillage de la crème fouettée qui recouvre la tranche de brioche dans son assiette. Je- Elle n'aurait pas voulu assumer qu'il l'évitait, cependant le sous-entendu était bien là et elle ne doutait pas qu'il le comprendrait sans qu'elle n'ait besoin de l'exprimer. J'interprète peut-être mal les choses… si c'est le cas, je suis désolée. Son ignorance la touche, cependant elle lui offre un nouveau sourire, accompagné d'un léger rire, lui offrant la possibilité de se défiler si toutefois ses questions n'étaient pas à son goût. Elle ne peut toutefois empêcher le sentiment de malaise qui fait pression dans sa gorge et la désagréable sensation d'être celle qui dérange. C'est stupide.