L’attente. D’un travail bien fait. Il y a évidemment le jugement physique, mais également le jugement mental/moral. Après les présentations, après les chichis… voilà que tu poses tes fesses sur une chaise, derrière un large bureau. Une petite plaquette avertissait déjà la proie :


En chier pour en arriver là… une femme qui inspire le respect doit suer. Et encore ! Les rumeurs y allaient de cœur joie : elle est forcément passée sous le bureau pour avoir ce poste. Evidemment. On est tous des connards sur Terre, c’est bien connu. Tous des connards comme Môsieur Shim Sang Hoon, pour ne pas le citer. Il était là, debout, face à elle. Lui, s’assoeir sur une des chaises de son bureau ? Mais pour quoi faire ? Se mettre à sa hauteur ? Impensable. Il se devait, à chaque fois qu’il venait là, essayer de s’élever le plus haut possible. Monsieur le princpal adjoint en personne, Messieurs Dames. Il faisait une énième scène à la CPE. Un souci au niveau de la surveillance des alentours, cette fois-ci. Et il fallait évidemment qu’elle reprenne tout sur son dos, même si ça n’était pas de son ressort.

Tranquillement, Kyong Hee se leva. Ce fut un geste gracieux et lent. Elle posa ses mains sur son bureau pour rapprocher son visage de celui de son interlocuteur. Après avoir planté ses yeux dans celui du principal adjoint, elle déclara avec fermeté : « Ecoute, Sang Hoon, ton incompétence ne me regarde pas. Je vais faire le nécessaire de mon côté. En ce qui concerne le tiens, tu peux gentiment te tourner et prendre la porte qui est derrière toi. Et la fermer gentiment en sortant. » Parlait-elle de la porte ou de sa sale gueule ? Qui sait. Puis, elle se rassit simplement. Elle le sentait bouillonner en face d’elle. Surtout après le ton et vocabulaire familiers qu'elle venait d'user. La porte claqua si fort que les murs en tremblèrent. En sortant, il avait évidemment précisé ceci : tu ne t'en tireras pas si facilement, je peux te l'assurer. Passons. C'était une journée dite normale.

Après quelques minutes où elle essaya de se relaxer et respirer, elle décrocha le combiné « Oui, j’aimerais que vous appeliez Monsieur Eiji Kazuya s’il vous plait. Il faut qu’il vienne immédiatement dans mon bureau. » Aussi sèchement, elle raccrocha. La secrétaire n’était point surprise… le remue-ménage n’était pas passé inaperçu.

Apparence:

Le souffle lourd, les pulsions de son cœur s’accélèrent. Il a volontairement endommagé la distance de sécurité à établir en s’oubliant dans ce local fermé à double-tour. Corps contre corps, la magie se termine par un doux baiser sur la fine peau de la japonaise. Son envie d’elle avait surpassé son addiction à la précaution, chose qu’il avait longtemps redoutée pourtant il n’y pouvait rien il était parfois imprévisible même pour lui-même. L’école était l’endroit le plus dangereux pour leur couverture pourtant en cet instant il n’y pensait même plus. Ils devaient vivre dans le secret, leurs identités masquées jusqu’à leurs propres sentiments, le simple objet que représentait la clé qu’il avait inséré dans la serrure rassurait le nippon quant à ce détail. Deux yakuzas dans une université où règne une puérile guerre de confréries serait un évènement dramatique incommensurable et il suffirait de peu pour que ce scénario ne prenne vie. Ils n’avaient aucun intérêt à se faire découvrir mais cette pause dans l’emploi du temps de la belle avait été un prétexte parfait. Reboutonnant sa chemise soigneusement, son regard glissa dans un large sourire sur Sora. S’affairant et toujours soucieux, Kazuya lui recommanda de sortir avant lui ; si ce n’était plutôt un ordre dissimulé sous un regard bienveillant. L’université était polluée de caméras mais il avait parfaitement calculé son coup, il n’en restait pas moins un garde du corps totalement dévoué à sa tâche. Au vu du point d’honneur qu’il mettait à tenir sa couverture il ne pouvait pas se laisser cramer si rapidement. Une histoire de caméras ne représentait qu’un grain de sable comparé à tout ce qu’il avait pu gérer par le passé. Remontant son pantalon à pinces noir identique à tous ceux qui trônaient dans sa garde de robe, tous aux prix tous plus affriolants les uns que les autres, Kazuya insistait sur la pointe de classe lui évitant d’avoir l’air pépère, il laissa sa dulcinée partir.

Quelques minutes plus tard et un sourire béat sur ses lèvres qui rarement s’animaient au sein de ces couloirs moroses et respirant l’ennui, le nippon vit une femme arriver en courant vers lui. Une petite bonne femme de l’administration, le genre de fille complètement fragile pour lesquelles il était parfois susceptible d’avoir des élans de superhéros. Sauf que voilà, lorsqu’il s’agissait de leur paperasse de gens dans la loi il n’en avait rien à foutre. Parfois un maigre sourire en coin apparaissait sur son visage serein lorsqu’il mettait en parallèle la confiance qu’on lui accordait et son profil de hors la loi méconnu. « Ah vous êtes là, nous n’avons cessé de vous appeler au micro où diable étiez-vous passé ? Madame Ahn vous attend dans son bureau. » Trop bien élevé pour lâcher un soupir d’exaspération Kazuya la remercia pour sa requête et s’excusa pour ne pas avoir été assez attentif. La réalité était tout autre, 10 minutes plus tôt il était encore dans ce petit local isolé à effacer toute preuve possible de son passage. Tranquillement il se dirigea vers le bureau de la CPE. Kazuya se savait être un bon élément, il n’y avait pas plus rigoureux que lui et ce même si travailler en tant que surveillant l’emmerdait royalement. Toquant dans une force maitrisée, il patienta jusqu’à ce que la voix de la tyrante se fit entendre. « Bonjour. Vous souhaitiez me voir ? »

L’horloge fixée au mur faisait soudain un bruit assourdissant. Les secondes qui passaient appuyaient violemment sur les tempes de la CPE. De plus, elles se transformaient en minutes à une vitesse fulgurante. Puis, ces mêmes minutes se transformaient en quart d’heure. Bon sang ! Et la secrétaire ne décrochait plus son combiné. Que se passe-t-il ici ? Très agitée, Kyong Hee ne tenait pas en place. Elle qui d’ordinaire ne laissait pas ses émotions prendre le dessus au travail, elle était complètement déstabilisée. Connard de principal adjoint !

Quand, enfin, quelqu’un toqua à la porte de son bureau… les choses avaient changées. « Entrez ! » déclara-t-elle solennellement. Monsieur Eiji apparut et s’avança très vite dans la pièce. Chaque mot, chaque syllabe qui sortait de sa bouche produisait un drôle de son dans la tête de la jeune femme. « Ah ! » déclara-t-elle comme si elle était surprise. « Oui, oui, prenez place je vous prie, Monsieur Eiji. » dit-elle en montrant l’un des deux fauteuils face à son bureau.

Quant à elle, sans plus attendre, elle se leva de sa chaise et fit claquer ses talons sur le sol. Kyong Hee affichait un sourire plutôt serein, finalement. La CPE mettait plus de proximité entre Kazuya et elle-même. Elle s’appuya contre l’avant de son bureau, juste en face de la personne qu’elle venait de convoquer. Les deux mains rassemblées sur ses cuisses, elle soupira profondément. « Vous vous plaisez bien dans cette école, Monsieur Eiji ? » Elle paraissait plutôt calme, en fait.

Il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait et n’appréhendait aucunement. Sa démarche qui feignait le reculons tant il prenait son temps témoignait de son respect pour la hiérarchie de cet établissement. Pratiquement inexistante. Il avait été embauché, faisait son job correctement et ça s’arrêtait là. Sa rigourosité l’amenait même parfois à remplir des heures supplémentaires sans rechigner, preuve de son dévouement. Rien de folklorique ne s’annonçait lors de l’accueil de Kyong Hee mais il n’était pas totalement dupe. L’intransigeance de cette femme n’était pas un mythe et elle allait forcément l’affubler d’une tache supplémentaire. Elle était trop calme pour qu’il s’agisse d’autre chose car lorsque miss CPE était insatisfaite, ne serait-ce que d’un infime détail, son comportement était tout autre. C’est donc sagement qu’il prit place, prenant soin de refermer la porte derrière lui, comme si leur conversation allait être d’un confidentiel absolu.
Lorsqu’elle se leva ses yeux suivirent sereinement sa trajectoire. A la façon dont elle s’appuya il ne put s’empêcher de la railler intérieurement en s’imaginant ce qu’elle allait lui sortir là, face à lui dans cet accoutrement de femme lassée par sa vie et à la recherche d’un peu de piment. Faire ça dans son bureau devait avoir quelque chose d’exaltant. Kazuya riait intérieurement, seul un fin sourire à peine perceptible le trahissant, tandis qu’il se trouvait con lui-même de penser à ce genre de chose. D’autant plus que la question qui lui fut posé le calma sans détour, il senti qu’il allait passer le quart d’heure le plus pénible de sa journée. Il détestait cette position, celle d’être physiquement inférieur à l’autre, d’autant plus à une femme qui en réalité n’avait aucune autorité sur lui. Se faire diriger par une pauvre CPE qui en plus se trouvait être du sexe opposé le dérangeait pourtant il jouait le jeu. « Oui. » Sa posture était droite, son regard franc et sa réponse sans accroche. Il n’appréciait pas mais son éducation avait inscrit en lui la faculté de surmonter ça. Il allait sans dire que sa réponse était un énorme mensonge mais il était habitué à rendre ce genre de ressenti crédible. Aucun mot de plus ne sortirait de sa bouche. Il attendrait sa potence, de toute évidence sa reproche puisque Kyong Hee n’avait pas l’air d’humeur à rigoler. Son air n’en paraissait rien mais son long soupir venait de la trahir.