tenue - D’habitude, elle était en retard volontairement. De quelques minutes, juste pour souligner le fait que ça lui plaisait pas d’y aller. Fallait dire aussi qu’elle n’avait rien demandé à personne, et qu’elle comprenait pas pourquoi on la forçait à prendre des cours de coréen avec un ainé alors qu’elle suivait très bien en cours et que son manque d’aisance en coréen d’influer pas du tout sur ses notes. En plus l’ainé en question était aussi mauvais, voire plus mauvais, qu’elle en coréen. La belle affaire. Puis, son « professeur » particulier était aussi ravi qu’Aliyyah de devoir lui faire des cours, alors vous imaginez l’ambiance, surtout avec leurs deux caractères. Pourtant, ils se continuaient quand même de se voir pour travailler. Ils protestaient par habitude, et Aliyyah était toujours en retard par habitude. Mais pour une fois, ce n’était pas volontaire.
Elle était sortie courir une petite heure à la base, mais cette petite heure s’était vite transformée en une grande heure puis en une petite heure et demi. Jusqu’à qu’elle se rende compte de l’heure. Il lui restait à peine cinq minutes avant de retrouver Jaehwan dans leur salle de cours. Elle avait sprinté jusqu’au dortoir des Sangos pour prendre une douche express et s’habiller en vitesse. Et pourtant même en arrivant devant la salle les cheveux trempés, non maquillée, la veste à moitié enfilée et essoufflée, elle avait au moins vingt minutes de retard. Parce qu’elle s’était battu avec la douche pour avoir de l’eau chaude dans la salle de bain commune et qu’elle avait cherché ses bottines dans toute la chambre. Quelle idée de les ranger aussi. Ca la dérangeait pas d’arriver avec quelques minutes de retard, mais elle s’en voulait un peu d’avoir fait poireauter son ainé pendant vingt minutes. Enfin, si Jaehwan n’était pas reparti en croyant qu’elle ne viendrait pas.
Elle ouvrit la porte de la salle de classe puis elle passa juste la tête pour vérifier que Jaehwan était encore là. Il était là, le front contre une table et toujours sa casquette vissée sur le crâne. Toute une marque de fabrique. Aliyyah l’avait rarement vu sans. Elle entra en fermant la porte derrière elle. Elle alla s’asseoir en face de lui, rapidement et sans bruit. Elle remarqua enfin les deux cafés entre eux. Ali eut un sourire en imaginant Jaehwan se torturer en se demandant s’il devait lui ramener un café à elle, l’enmerdeuse à qui il devait donner des cours. Enfin, pour maintenant, ils devaient être froids leurs cafés. Elle sortit ses affaires. « Excuses-moi pour le retard. » Elle était vulgaire mais pas mal élevée pour autant. « C’était pour moi ? » demanda-t-elle en pointant le café du doigt.

Elle savait que Jaehwan allait en profiter pour lui faire une remarque. Elle le savait, c’était même obligatoire. Elle ne pouvait pas le blâmer ; elle aurait fait exactement la même chose. Pourtant, ça l’énervait quand même de l’entendre lever la voix sur elle. En fait, elle s’énervait dès que quelqu’un levait la voix sur elle. Elle était déjà bien gentille de s’excuser, il ne fallait pas non plus abuser des bonnes choses. Elle se retint de peu de lui répondre violement avant même qu’il finisse sa phrase.
Pourtant, son « Je t’emmerde. » lui resta dans la gorge. Elle fut prise au dépourvu par la question de son ainé, elle avait presque oublié qu’elle était détrempée. « Ah euh n-nan. Je sors de la douche. ». Elle lui passait les détails. Ca l’étonnait qu’il lui pose des questions en dehors du cadre professionnel, puisque leur relation se limitait uniquement à ce cadre-là. Le boulot et encore, ils avaient du mal à entretenir une relation professionnel.
Aliyyah remarqua rapidement que Jaehwan était plus calme que d’habitude. En temps normal, il n’aurait jamais accepté ses excuses aussi facilement, pas avant de lui avoir fait une petite crise. Elle préférait ne pas y penser plus longtemps, il était peut-être de bonne humeur. Pour une fois. Ce qui expliquait le café aussi. Elle ne se pria ainsi pas de le prendre, avant qu’il change d’avis. Sait-on jamais.
Elle commença alors à le siroter en écoutant Jaehwan. Ce n’était pas vraiment étonnant que son ainé ait préparé la séance. Après tout Aliyyah n’avait pas hésité à se moquer ouvertement de son professeur lors de leur dernier cours. Ce cours avait été une catastrophe, ils avaient enchainés les engueulades en partie parce que l’étudiant en art n’y connaissait rien en proverbes. Proverbes indispensables à leur projet, bien sûr. Ali était monté en pression et avait fini par être légèrement vulgaire envers lui. Ils avaient donc plié bagages en mauvais termes. Mais comme Jaehwan avait fait un effort, ce qui était rare, il ne fallait pas se mentir, elle se sentait capable de faire de même. Du moins, tant que tout allait bien et qu’il ne levait plus la voix.
Elle était tellement prête à faire un effort qu’elle réussit à retenir un rire en l’entendant rater une syllabe. Elle n’était pas mieux à vrai dire, elle passait son temps à balbutier, à faire des phrases relativement étranges et son accent laissait vraiment à désirer. Sauf qu’elle se montrait agressive à chaque fois qu’on lui faisait une remarque alors tout le monde avait appris à ne faire dire. Elle n’aimait pas qu’on lui dise que son accent et sa langue maladroite était mignons. Mais honnêtement quand elle voyait Jaehwan galérait avec son coréen, elle comprenait pourquoi on lui disait ça.
Elle le laissa s’installer à côté d’elle sans râler. Parce que oui d’habitude, elle aurait râlé. Puis, elle se pencha à son tour sur les feuilles que son ainé avait préparé, ses cheveux gouttant légèrement dessus. Elle lut avec attention ce qu’avait écrit son professeur du jour ; ce n’était pas une blague il avait vraiment bien préparé la séance. Il avait vraiment bien bossé, c’était clair, compréhensible, même pour Aliyyah. En cadeau, il avait bien le droit à des félicitations. « C’est cool, on va pourvoir bien avancer. » Et à un sourire lumineux. Oui, elle pouvait être sympa. Quand elle avait envie.

Le geste la prit de court. Elle ne réussit pas à retenir un petit mouvement de sursaut, ce fut le poids sur son épaule qui le contrôla plus ou moins. Elle n’était pas habitué aux contacts physiques brusques, et encore moins venant de personnes avec qui elle n’était pas particulièrement proches. Elle était câline mais c’était le genre d’attention qu’elle reversait à une petite élite. Alors elle était horriblement gênée. Elle avait soudainement très chaud et elle avait envie de disparaitre. Il lui fallut d’ailleurs de longues secondes pour pouvoir rassembler le courage nécessaire pour oser ouvrir la bouche. « Jaehwan, tu fais quoi… ? » C’était hésitant, maladroit. Elle ne savait pas vraiment quoi dire, ni quoi faire.
L’absence de réponse la mit d’autant plus mal à l’aise. Elle resta immobile quelques instants en réfléchissant à une issue de secours, un porte de sortie. Mais rien. Elle se voyait mal lui donner un violent coup d’épauler pour le dégager. En plus, elle était quasiment sûre que son ainé ne lui jouait pas de blague et qu’il dormait bel et bien. Il lui avait semblé fatigué, cerné et par sa faute à priori puisqu’il avait pris du temps pour préparer sur leur séance de travail. « Yah… C’est pas drôle… » Nan, vraiment, elle se voyait mal, très mal, le repousser méchamment alors que son corps avait décidé de refrapper le sommeil qu’il avait perdu à cause d’elle.
Mais fallait qu’elle réagisse et vite, parce qu’elle commençait à montrer en pression. La situation devenait horriblement gênante. Enfin pour elle, parce que monsieur Park, lui, dormait paisiblement installé sur son épaule. Elle finit par pencher légèrement la tête vers Jaehwan pour quand même vérifier que ce ne soit pas une blague, parce qu’on est jamais trop prudent. S’il lui faisait le coup pour mec faussement endormi, elle le tuait littéralement, sinon… Elle en revenait au même point. Et malheureusement pour elle, il ne faisait vraiment pas semblant.
Elle se décida finalement à décaler tout doucement le crâne du plus vieux vers la table en face d’eux. Elle fit bien attention à placer sa grosse écharpe sur la surface froide, pour y faire reposer la tête de Jaehwan. Parce que oui, elle ne s’était toujours pas résolue à le réveiller. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, Aliyyah prit le temps d’observer l’étudiant en art. Elle n’y connaissait rien en hommes, hormis ceux qu’elle voyait dans les dramas coréens. Mais franchement, Jaehwan était pas mal dans son genre. Un beau visage avec une mâchoire assez prononcé mais sans plus, des joues de bébé encore mouillé du contact avec les cheveux de la plus jeune ; et puis, il semblait musclé, vu ses bras, mais rien d’étonnant puis que Aliyyah le connaissait déjà sportif.
Perdue dans sa contemplation, elle finit à son tour par poser la tête sur la table, face à celle de son voisin. Les bras croisés, le menton posé dessus tout en continuant de regarder son ainé. C’était fatiguant de regarder quelqu’un dormir. C’était contagieux, un peu comme le bâillement. Un sentiment de compassion, paraîtrait-il. Elle ne savait pas vraiment à quoi elle compatissait, mais elle avait d’un coup un sacré coup de barre. Une envie folle de dormir. Elle lutta de longues minutes contre des yeux papillonnants avant de finalement se laisser aller. Lui, il dormait bien alors pourquoi pas elle ?

Des frictions sur son visage, des petits bruits, des mouvements, des différences de pression d’air sur sa peau.
Ce fut le vacarme dans le couloir qui la réveilla pour de bon. Elle releva la tête, surprise. Elle traîna littéralement son corps encore douloureusement endormi jusqu’à la porte de la salle de classe, pour chercher la source de ce bruit. Elle passa la porte en regardant lentement à droite puis à gauche. Son but premier était d’inspecter les environs, pourtant il lui fallut plusieurs coups d’œil avant de remarquer Jaehwan à terre dans le couloir. Mais est-ce qu’il fallait là ? Au sol, la tête entre les mains ? Aliyyah vint alors s’accroupir devant lui. « Bah, est-ce que tu fais ? ». Elle se frotta les paupières encore bien lourdes avant d’essayer de capter le regard de son ainé.
Elle resta là, quelques instants, à attendre une réponse de la part du plus vieux. Puis, elle eut un flash qui la fit se relever plus rapidement que jamais. Comment elle avait pu oublier ? Elle s’était endormie à côté de lui. À côté de lui ! Il avait dû voir son visage endormi et prendre peur. Ou alors elle l’avait frappé inconsciemment comme elle avait l’habitude de le faire dans son sommeil. Ou alors elle avait ronflé ? Bavé ? Elle avait honte. Elle se faisait des scénarios, qui tournaient en boucle dans sa tête. Dieu seul savait ce qui c’était passé durant ces longues minutes d’inattention de sa part.
« Euh oui… Je vais… Oui, c’est ça… Je vais… Enfin, je… » Elle était à moitié paniqué et ça se ressentait dans ses mots. Elle mélangeait coréen et arabe. Et ses lèvres s’ouvraient et se fermaient sans qu’elle puisse finir une phrase. Elle finit par pointer la porte d’un air perdu avant de s’enfuir dans la salle de cours. Son dos s’appuya contre la porte, le regard dans le vide. Elle ne savait pas quoi faire. Prendre ses affaires et s’en fuir en courant ? Faire comme s’il ne s’était rien passé ? Sauf qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé. Elle savait juste que Jaehwan s’était réveillé avec son visage en gros plan. Mais c’était tout.  Elle retourna s’asseoir là où elle s’était réveillée.
Elle remarqua alors que les affaires de son ainé étaient encore là. Elle hésita encore retourner dans le couloir et le dire au plus vieux ou alors rester là et ne rien dire du tout. Mais Jaehwan allait sûrement avoir besoin au moins de sa trousse. Elle n’arrivait pourtant pas à se résoudre à aller le voir. Tant qu’elle n’était pas sûre de ce qui s’était passé, elle n’oserait pas lui parler et encore moins le regarder en face. Elle choisit donc le moyen le plus simple de communication ; le sms. Oui, même si elle était à une pièce de lui. Oui, c’était lâche.

De : Ali
À : Jaehwan

Tes affaires sont encore dans la salle.

Elle n’avait pas osé mettre en point d’exclamation, ni de trois petits points. Elle avait longuement hésité sur le contenu aussi. Elle était sûre de rien.

C’était étrange comme situation. Aliyyah était déjà horriblement gênée, mais puis l’entrée de Jaehwan, ça lui semblait encore pire. Elle mourrait littéralement d’embarrât. Mais son ainé ne semblait pas dans un meilleur état qu’elle, puisqu’à peine la plus jeune croisa son regard qu’il détourna la tête. Et la syrienne avait beau essayer de capter de nouveau son regard, le jeune homme ne semblait pas disposer à lui faire vraiment face, comme d’un coup il était devenu timide. Ce n’était pas le Jaehwan habituel, celui qui était têtu, bruyant et intrépide. Elle préférait quand ils s’engueulaient sans bonnes raison. Pas quand ils étaient tous les deux embarrassés au point où ils n’arrivaient plus à communiquer, et encore moins à se hurler dessus. Un tel changement dans leur relation ne lui plaisait pas vraiment. Encore la semaine dernière, Ali se moquait ouvertement de son ainé et de ses magnifiques lacunes en coréen et là, ils avaient du mal à se regarder dans les yeux. Elle espérait juste que cette situation n’allait pas durer.
En entendant les pas se rapprocher d’elle, elle chercha de nouveau à croiser son regard, mais ça semblait peine perdue. Elle baissa à son tour la tête en soupirant. Ce fut la vibration de son portable contre sa cuisse qui la fit sursauter. Dès que le nom de l’envoyeur s’afficha, les yeux d’Ali se mirent à faire plusieurs allers retours entre l’écran tactile et le visage de son ainé avant qu’elle se décide finalement à ouvrir le sms.

De : JH
À : Aliyyah

Je suis désolé, ce n’était vraiment pas volontaire. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

Elle eut envie de taper comme une folle sur le clavier virtuel, pour lui demander ce qui n’était pas volontaire. Ca l’énervait de pas savoir. Mais elle n’eut pas le temps, le coréen lui fit un clin d’œil qui la mit dans tous ses états. Ses doigts tremblaient sur son portable, elle se sentait plus capable de lui répondre, même avec un sms. Et comme Jaehwan lui semblait être redevenu bien calme, elle avait l’impression de psychoter toute seule et peut-être pour rien ! Et elle n’aimait pas ça, mais alors pas du tout. Une nouvelle vibration la sortit de ses pensées.

De : JH
À : Aliyyah

Je crois qu’on a fini pour aujourd’hui… Tu as prévu quelque chose ?

Elle se leva d’un coup de sa chaise. « NON ! ». En se rendant compte qu’elle avait levé la voix, elle baissa la tête en rougissant. Elle ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait, c’était pas du tout son genre de réagir de cette façon. Ali se rapprocha doucement de son ainé, en restant tout de même à un mètre. Distance de sécurité. Contre quoi ? Elle ne savait pas vraiment, puisqu’elle ne savait toujours pas ce qu’il s’était passé durant sa petite sieste. « Je veux dire : Non, j’ai rien de prévu. ». Elle enfila son manteau et récupéra son sac avant de tendre à Jaehwan ses affaires.  Elle resta là, plantée au milieu de la salle comme une idiote à grommeler que, de toute façon, elle ne sortait pas sans maquillage. Sauf qu’intérieurement, elle hésitait entre vouloir que son professeur particulier l’invite quelque part ou vouloir s’enfuir dans sa chambre pour se morfondre sous sa couette.