Il parait que j'ai l'air d'une vraie petite pimbêche. On a grandi dans une société où maintenant, il faut parler sur le dos des gens et être grossier pour être considéré comme quelqu'un d'honnête. Désolée, je ne suis pas comme ça. J'aime mon frère plus que tout mais les erreurs qu'ils a faites en étant plus jeune, je ne veux pas les faire à mon tour.

Alors, j'ai essayé de m'inculquer une éducation plus stricte que celle que nos parents ont pu nous donner. Je ne jure pas ou très peu - seulement quand je me lâche vraiment -, je parle correctement en faisant des tournures de phrases correctes "sujet-verbe-complément" et je respecte les adultes. Cependant, cela n’est pas une raison pour me prendre pour une simplette ou quelqu’un de naïf. Car je ne le suis pas.

On ne l’est pas quand on grandi dans un environnement comme le nôtre. On apprend à survivre et à se frayer un chemin. Takuya a décidé de suivre ce chemin, j’ai décidé de m’en écarter et de garder la tête hors de l’eau. Si je n’avais pas eu cette confiance en moi-même qui me caractérise, je n’aurais jamais réussi à m’en sortir et à laisser le  passé derrière moi. Parfois, on dit que je suis trop confiante, mais y a-t-il une limite ? Un trop ? La confiance pousse toujours plus loin, alors je suis d’avis qu’il n’y a aucune limite à s’imposer.

J’essaie toujours d’être accueillante et plaisante avec les gens. Pendant des années, j’ai fait les frais de la réputation de notre quartier et on nous regardait comme des bêtes de foire. Pour avoir eu ce ressenti et m’être sentie très mal à l’aise et exclue, je ne veux que personne ressente un tel sentiment.

Ceci dit, j’ai quand même souvent tendance à faire d’un grain de sable une montagne. Dès que quelque chose me rend nerveuse, et à mon plus grand désarroi, cela prend des proportions démesurées. Il est très difficile de me calmer. Si je suis en période d’examen ou qu’il se prépare quelque chose d’important comme un voyage, je ne serais soulagée que lorsque l’évènement aura lieu. Pas avant. On aura beau insister et faire tout ce qui est possible pour me calmer, ça ne marchera qu’à moitié, car je prétendrais aller mieux.

Cela va souvent de paire avec le stress et la nervosité, je suis très maladroite. Ma maladresse peut aller du simple verre qui m’a échappé des mains et s’est fracassé par terre jusqu’à la porte claquée involontairement à trois heures du matin. Je suis une catastrophe ambulante, paraît-il. C’est également une grande gêne pour moi. Enfin, vous vous voyez casser un verre chez une amie ou claquer la porte extrêmement fort alors que vous passer la nuit chez elle et qu’elle dort à poings fermés ?

Quoi qu’il en soit, qui n’a pas de défaut ? De toute façon, mes amis me connaissent sûrement mieux que ça et pourront mieux témoigner du désastre sur pattes que je fait.  

Je m’appelle Shion. Oui, c’est un vieux prénom, je vous l’accorde, et pas forcément très joli pour une fille. Mais je l’aime bien, à vrai dire. Parmi de nombreux choix, mon prénom s’écrit avec les kanjis d’histoire et de bonté. Inconsciemment ou pas, ça m’a beaucoup influencée. A l’instar de nos parents, j’ai toujours cherché le meilleur. Je veux réussir dans la vie, pas devenir comme eux. Notre père accro aux paris en ligne et vivant dans une voiture car notre mère l’a jeté dehors. Et notre mère que la dépression a totalement changé et qui restait à la maison sans vouloir rien faire d’autre. Je dis nous, car nous sommes deux, dans la famille. Takuya est le plus âgé. Et croyez-moi, ça ne se voit pas tous les jours. À part être très protecteur envers moi, il a tout d’un gamin qui n’a pas grandi. Je pourrais passer des heures à débattre dans ma tête sur les méfaits d’un placement en foyer. J’ai eu beau promettre à ma mère que je l’aiderais, qu’il m’écouterait si je lui demandais de faire des efforts, elle n’a rien voulu entendre. Au moment où il est parti de la maison, je me suis sentie comme abandonnée. Non seulement il n’avait pas le droit de me faire ça, mais notre mère n’avait pas le droit de me l’enlever.

Nous n’avons pas vraiment eu le choix. Pendant qu’il faisait sa vie, pour ce qu’on pouvait appeler une vie, au foyer, je devais composer avec la maladie de ma mère. L’école et un petit boulot dès que j’en ai eu l’âge. J’étais serveuse, parfois caissière. Sans qu’il le sache, j’ai été hostess jusqu’à la fin du lycée. Ça payait bien et n’empiétait pas sur mes heures de cours. Combiner les deux était fatiguant, je ne ressemblais plus à rien. La seule chose qui me faisait du bien était de rendre visite à Taku le weekend pour lui apporter des livres, des films à voir pour cultiver son anglais, de la nourriture faite maison et des vêtements propres. Quand je lui donnais des cours pour qu’il passe quand même un diplôme, la plupart du temps, il n’écoutait pas. C’était le sujet de beaucoup de disputes. Maintenant que j’y repense, ma vie a toujours tourné autour de lui. Personne d’autre ne lui donnait de l’attention alors il fallait bien pallier à ce manque.

Lors d’une année de lycée, notre classe a eu la chance de gagner un voyage découverte en France. Nous avons visité beaucoup de choses, parmi lesquelles les châteaux de la Loire. Je me souviendrais toujours de cette guide, qui nous a fait visité un château. Elle parlait un anglais parfait avec une élocution tout aussi parfaite et était si passionnante que j’aurais pu refaire la visite dix fois sans m’ennuyer. À ce moment-là, je me suis dit : « C’est exactement ça que je veux faire plus tard ». Je voulais être guide et pouvoir raconter à des touristes ou des étrangers l’histoire d’un pays que j’aimais tant. J’allais devoir apprendre un anglais parfait et peut-être même une autre langue orientale comme le coréen, le mandarin ou le cantonais, mais peu m’importait. C’était absolument ce que je voulais faire. Grâce à une bourse obtenue grâce à, je cite, « d’excellents résultats » au lycée, j’ai enfin eu l’opportunité dont je rêvais depuis des lustres. Je pouvais quitter cette maison maudite. Sans aucun regret, j’ai laissé ma mère se débrouiller et je suis partie, en faisant d’une pierre deux coups. La Corée. Aussi loin que me le permettaient mes dix-huit ans.

J’ai commencé immédiatement un double cursus, le premier en langues étrangères et appliquées dans le département d’anglais et l’autre en histoire et géographie de l’Asie avec la spécialité de l’Asie médiévale. Il y a deux ans, j’ai eu l’immense surprise — mêlée d’un peu de désespoir, je dois bien l’avouer — de voir Takuya débarquer à l’université. Franchement, je n’y croyais pas. Lui, à l’université ? Une blague ? C’est en voyant son orientation que j’ai compris. Médecine. Cet espèce de pervers dégoûtant. Je le connais, il cherche aussi à me surveiller. Mais il a raté bien des choses en cinq ans alors j’ai encore une bonne longueur d’avance sur lui.