Ce cours interminable est enfin fini. La journée a été longue. Et encore, elle est loin d'être finie. Il faut absolument que je travaille mes cours pour mon contrôle continu de la semaine prochaine. Parce que oui, ma prof de biologie nous fait des contrôles continus en plus des partiels. C'est injuste pour notre promo mais bon, on n'y peut rien. Je range rapidement mes affaires dans mon sac puis je file vers mon dortoir. Je ne mets pas longtemps pour y arriver et je salue tout le monde au passage avant de monter dans ma chambre. Elle est vide pour le moment. C'est une bonne nouvelle pour mes révisions. Pas que je n'aime pas mes colocataires, au contraire, mais ils sont bruyants. Mais ils sont mignons. Mais envahissants. Et dégueulasses aussi, parce qu'ils savant pas ce que les mots 'rangement' et 'propriété' veulent dire. Ce n'est pas facile de vivre qu'avec des mecs. Mais on s'y fait, on s'y habitue. Je sors mes cours de bio et je jette mon sac sur mon lit, le seul impeccable de la pièce. Je m'installe ensuite sur mon bureau, le seul utilisable de la pièce. Puis je m'attaque tranquillement à mes dernières petites fiches de cours. Il me faut peu de temps pour être complètement absorbée par ce que je fais. Je suis tellement concentrée que j'entends à peine la porte de la chambre s'ouvrir et se fermer. La suite, par contre, arrive à me déconcentrer. Je sens le lit à côté de mon bureau s'affaisser. Je ne relève pas la tête, parce que je sais qui squatte mon lit à cet instant. Et le soupire impatient que j'entends me confirme l'identité de la personne. Baek Yael.

J’ai l’impression que cette journée ne se terminera jamais. Qu’elle est la plus longue que cette Terre ait connue depuis sa création et qu’elle nous impose son temps au ralenti. Je ne sais absolument pas pourquoi tous mes cours semblent ennuyants, en ce moment. Peut-être est-ce de la démotivation, ou alors, au contraire, peut-être est-ce parce que je me plonge trop dans mes études? Cette dernière théorie est des plus plausibles. Ces derniers temps, outre travailler de temps à autres, je ne m’étais pas donné l’occasion de faire quoi que ce soit d’autre qu’étudier. Je devais apprendre une pièce de théâtre par cœur dans le but d’en faire un monologue et ce dit monologue valait pour une bonne partie de la note finale. Se planter n’était même pas dans mes options. Je crois que cette pression que je me mets n’aide en rien ma lassitude. Je fourre mes livres dans mon sac et file de nouveau vers le dortoir, me frottant les yeux tout au long du chemin. Je m’arrête devant la porte un moment, prenant le soin de l’ouvrir délicatement, voulant éviter de recevoir les foudres de qui que ce soit, et remarque que mon unique colocataire féminine est plongée dans ses propres bouquins, remarquant à peine mon entrée si peu spectaculaire. Je lance mon sac sur mon lit encore défait, couvert de vêtements, puis me glisse sur le lit d’Aliyyah, glissant sa main sous ma tête, prenant une pose clichée, un sourire de Don Juan collé aux lèvres. « Petite fleur des champs, je te propose de faire quelque chose de bien plus intéressant… » Je lui offre un signe de sourcils assez suggestif, ma main libre désignant mon corps tout entier. « …Si tu vois ce que je veux dire. » Je termine le tout par un clin d’œil avant d’éclater de rire. Elle va me tuer.

Dites-moi que j’ai mal entendu. Je hausse un sourcil en tournant la tête vers lui. Il est sérieux là ? Il vient me déranger pour… ça ? Ce genre de connerie ? Petit un, je ne suis certainement pas une ‘petite fleur des champs’ ou alors je suis une plante carnivore d’Amazonie. Petit deux, j’ai l’impression d’entendre mon petit frère me draguer, beurk. Je ne le suis pas dans son éclat de rire. Au contraire, j’ai décidé de jouer le jeu. Je grimace en le détaillant de haut en bas avec un regard bien dégoûté. Puis je lâche un petit rire moqueur avant de retourner à mes petites fiches. « C’est pas avec ça que t’arriveras à me satisfaire. J’ai bien mieux à disposition. ». Il l’a cherché celle-là. Je ne le pense même pas. Je n’ai aucune idée de ce qu’il faut pour me satisfaire pour… enfin de ce côté-là. Puis je n’ai personne à disposition. Enfin, pas pour le moment. Puis non, je n’ai personne. Enfin, peut-être. Je m’embrouille toute seule-là. Je l’avoue... Je fais un peu la mytho. Mais je me dis que peut-être, après ça, il va déguerpir de la chambre en boudant. Et de toute façon, Yael n’y croira jamais. Etant mon colocataire, il sait que je passe presque toute ma vie au dortoir. Je me replonge dans ma bio, en espérant que Yael va se trouver une activité à faire. Et qui ne m’implique pas, bien sûr. Et qui est loin de la chambre silencieuse, de préférence. Genre dans la salle commune, ou dans le jardin. Il y a plein de trucs bien à faire dans le jardin. « Aller, du balai. Tu m’empêches de travailler. ». Je suis sûr que quelqu’un sera ravi d’occuper sa soirée. Mais ce quelqu’un, ce n’est pas moi.

Le bout de mon nez se fronce assez rapidement, l’éclat de mon rire se dissipant dans la pièce. Sur le coup, je me demande si Aliyyah vient de dire ceci pour me fermer le clapet ou si, même si je le voulais vraiment, je ne pourrais pas la satisfaire parce que je n’étais pas son type. Je penche pour la première option, en espérant ne pas me tromper, mais je roule tout de même sur le côté pour pouvoir poser mon regard sur la brune. L’idée de vouloir être plus qu’un simple ami ne m’était jamais passée par la tête. Vu comment je lui tombais si facilement sur les nerfs, ce ne serait peut-être pas une bonne idée. « C’est vrai que la compagnie d’un livre est bien plus agréable que la mienne. » Et je pouvais la comprendre. Les livres étaient si silencieux. Porteurs d’histoires fantastiques ou de savoirs infinis, chose que je ne pouvais en aucun cas égaler. Mes joues se gonflent légèrement en entendant la vice-présidente me chasser de ma propre chambre. Mes mains se posent sur mes hanches, lui offrant un regard dur, mais à la fois tendre. « Tu ne veux pas passer de temps avec moi? » Mon ton sonne presque comme un reproche, mais c’est principalement pour tenter de la faire culpabiliser. Lentement, je me redresse, m’étirant longuement avant d’attraper le livre de bio d’Aliyyah, sautillant jusqu’à la porte. « Maintenant t’as pas le choix! » Je lui tire la langue et en profite pour sortir de la chambre en courant, prêt à subir les foudres de la vice-présidente.

Bien sûr que la compagnie d’un livre est plus agréable ! Les livres ne sont pas collants, ni envahissants et surtout, ils ne parlent pas. Eux. Ils sont calmes et respectueux des autres. Eux. Pas comme cette pile électrique qui avait décidé de me saccager ma séance révision. Quand je pense que ce sale gosse électrique est plus vieux que moi, ça me désespère. Je me reconcentre sur mon boulot, en essayant également d’oublier Yael. Qui va ne pas tarder à quitter la pièce. J’espère que pour une fois, il va m’écouter et me laisser travailler. Ça serait bien une première, mais l’espoir continue de me faire vivre. Mes yeux se tournent vers lui puis vers la porte, je l’accompagne clairement vers la sortie. Mais il insiste. Ce n’est pas possible d’être aussi têtu. « Non. J’ai pas envie. ». Et cette fois, je n’ai pas le temps de me replonger dans mon bouquin puisqu’il disparait de ma vue. Oui, mon, oh combien précieux, livre de bio se retrouve kidnapper par mon ainé. Je grogne prête à sauter sur lui pour récupérer mon livre, mais je le vois disparaître au coin de la porte. Avec mon livre à la main. Retenez-moi, je vais commettre un meurtre. Le genre rapide et sanglant. Je me lève en furie de ma chaise et je me dépêche de rejoindre le couloir mais Yael a déjà disparu. « PUTAIN. BAEK YAEL. SI JE TE RETOURVE T’ES MORT. ». Comme ça, toute la fraternité est au courant que je le cherche. Et que je suis légèrement énervée. Et comme, moi énervée, c’est jamais une bonne nouvelle, quelqu’un viendra peut-être me livrer l’autre crapule.

L’espoir fait vivre, c’est ce qu’on dit, et avec moi, j’ai vraiment l’impression qu’Aliyyah vivra très vieille. À toujours la faire chier, toujours vouloir l’embêter et à toujours la voir espérer que je disparaisse en un clin d’œil, il était certain qu’elle ne vivait que d’espoirs. J’entends le crissement de la chaise d’Aliyyah se répercuter jusque dans la salle commune, me disant que mon plan initial, c’est-à-dire celui d’attirer son attention, est bien enclenchée. Je dois maintenant me diriger vers la seconde partie de mon plan : recevoir cette attention sans perdre un membre ou, encore mieux, sans me faire tuer par la vice-présidente. « Merde, merde, merde… » Je marmonne doucement dans ma barbe inexistante, filant dans le salon encore vide et heureusement qu’il l’est puisque quelqu’un dans le genre de Dylan ou de Jun m’aurait probablement retenu pour que ma colocataire me tape « amicalement » dessus et ce sans aucune honte. Je profite de l’accalmie et de la distance que j’ai encore entre Aliyyah et moi pour me glisser derrière le canapé, du moins essayer. Je ne suis pas gros, mais mon derrière ne semble pas aimer la proximité du meuble et du mur. Je me résigne donc à glisser le livre de la vice-présidente sous le canapé, me glissant le plus loin possible dans ma cachette, attendant qu’elle passe et qu’elle décide d’aller chercher ailleurs.

Il joue avec mes nerfs. Yael joue tout le temps avec mes nerfs. Et pour le coup, je suis remontée comme un coucou suisse. Quoi ? J’aime cette expression. Je sais même pas pourquoi on dit ça mais j’aime bien. Je traverse le couloir à pas d’éléphant, je fais presque trembler les murs. Je veux réviser, non, j’ai besoin de réviser. Et pour ça, j’ai besoin de mon livre de bio. Et pour avoir mon livre de bio, j’ai besoin de tuer Yael. Enfin, techniquement, j’ai juste besoin de l’attraper. Mais bon… J’arrive dans la grande salle commune, étrangement vide. À croire que tout le monde l’a fui dès qu’ils m’ont entendu hurler. Faut dire qu’ils ont l’habitude de nos courses poursuites dans le dortoir. Yael me fait le coup au moins une fois par semaine, voire plusieurs fois par semaine. Et ça se finit toujours de la même façon. « Yael ! Sors ! Je sais que t’es là ! ». Pas de réponse. D’un côté, j’espère quoi ? Genre il va se rendre tout seul… Mais je continue d’espérer en me disant qu’un jour, peut-être, avec une chance infinie, ce grand enfant va arrêter ses conneries. Je sens un mouvement derrière un canapé. « Rends-moi au moins mon livre et je serais plus indulgente. ». J’ai l’impression d’être un flic en pleine négociation avec un criminel. Je m’approche du canapé en question. « Aller, dépêches-toi. ». Le tout c’est que lors qu’il sortira de là, il m’arrive pas à me passer entre les pattes. Mais Yael est rapide et fourbe, alors je me méfie.

Je suis pire qu’un enfant et je m’en rends compte. Je me demande si c’est un vestige de mon passé, un signe que jamais je n’avais eu d’attention propice, que personne n’avait jamais pris le temps de jouer avec moi. J’avais besoin qu’on me materne un peu plus qu’à la normale. J’avais surtout besoin d’avoir des gens avec moi en quasi permanence. Le silence n’était pas ma force, Aliyyah le savait un peu trop bien. Je me demande parfois pourquoi elle n’a pas demandé à changer de chambre, d’ailleurs. Entre Dylan, Zhu et moi, c’est la fête un peu à tous les jours.

Coincé derrière le canapé, je pousse un léger grognement sans vraiment m’en rendre compte, tentant surtout de me faire un peu plus d’espace. J’allais finir par étouffer. Et bon sang, la quantité de poussière qu’il y avait ici! À croire que personne n’avait nettoyé depuis des lustres, ou alors que quelqu’un avait tout simplement caché toute la poussière ici plutôt que de s’en débarrasser. J’éternue un peu trop violemment pour mon bien, me cognant le front sur le plancher, poussant un léger rire en entendant les mots de ma colocataire. « Plus indulgente hein? Tu pourrais quand même me pendre par la peau du cul si je te redonnais ton livre. » Je me tortille difficilement derrière le canapé, le poussant au passage, laissant seulement ma tête sortir de derrière le meuble, près à me rabaisser si la vice-présidente s’en prend à ma vie. « Et puis, je ne l’ai même pas, ton livre. » Semi-mensonge, puisqu’il était vrai que je ne l’avais pas avec moi ni sur moi.

Parfois, je comprends pourquoi Zhu travaille exclusivement à la bibliothèque. Je devrais faire pareil… Mais j’aime bien bosser dans ma chambre. J’ai tout à porter de mains et puis, il y a cette chaleur évidente qui émane de la pièce. Elle est à notre image, pas comme les salles de travail spécialisées qui sont totalement impersonnelles, et on y est plus à l’aise. Puis, en général, c’est un bon endroit pour travailler. Dylan respecte mon besoin de silence et de tranquillité, Zhu est souvent à la bibliothèque quand je travaille et quand il est là, il m’aide. Nan, vraiment… Le seul problème dans cette chambre, c’est Yael. Et encore, problème… Que quand il a décidé de me faire chier. J’arrête d’y penser dès que j’entends l’animal en question éternuer, puis se cogner, puis rire. Rien que ça. Je ris à mon tour, parce que l’idée de l’attraper dans la peau du cul me plait bien. Je m’imagine déjà le faire. Je regarde le canapé bouger et la tête de Yael en sortir. « Oui, c’est vrai. Je me vengerai dans tous les cas. ». Je reprends ensuite un air sérieux, un peu trop même, en serrant les dents et en fronçant les sourcils. Je dois ressembler à Cruella dans les 101 Dalmatiens. Belle référence hein ? Oui, même les gamins syriens regardent des Disneys. Je donne un grand coup de pied dans le canapé et je tends la main vers Yael. « Te fous pas de ma gueule. Donnes-le moi. TOUT. DE. SUITE. ». Bien sûr qu’il l’a mon bouquin ou il l’a planqué, mais dans tous les cas, je veux mon livre.

Le fait qu’Aliyyah soit si facile à faire chier n’aide en rien son cas, au contraire. Je crois que c’est ce qui me pousse à la faire sortir de ses gonds encore plus souvent. Me dépasser pour voir jusqu’où je peux la pousser, pour voir, surtout, jusqu’où elle serait prête à aller pour me faire mordre la poussière. Il ne faut jamais se fier aux apparences. La verte a beau être plus jeune que moi, elle a beau être une fille, aussi, elle ne se laisse pas impressionner. Au contraire, c’est elle qui est plutôt impressionnante. Vous me croyez si je vous dis qu’elle m’a déjà cassé le nez? Bon, c’était un accident, certes, mais c’est arrivé dans l’une de nos courses poursuites. Depuis ce temps, je tente de prendre mes distances le plus possible. C’est pourquoi je cherche toujours à me cacher, ou du moins, à mettre quelque chose entre nous deux.

Un couinement se fait entendre lorsqu’Aliyyah donne un coup de pied sur le canapé, ce dernier s’abattant directement sur mes côtes. « Tu ne crois pas que c’est assez de me faire mal? » Je chouine légèrement, sortant mes mains de derrière le canapé pour lui montrer que je me rendais, mais également pour lui prouver que je n’avais pas son livre. « T’es pas capable de lâcher prise un peu? Il fait super beau, on aurait pu être en train de manger une crème glacée quelque part plutôt que de s’entretuer. »