Attendez… Il m’a fait chier tout ce temps, alors qu’il ne sait même pas ce qu’il veut faire ? Il est chiant, je vous promets. Je vois Yael jeter mon livre sur le lit de Jina. Je pouffe de rire parce qu’il a raison, il y a meilleure cachette de cette pièce. Personne n’ose entrer dans la chambre de Jina sans permission, même moi, et pourtant, je suis loin d’être peureuse. Mais voilà, c’est Jina quoi… Je suis certaine que même ses colocataires lui demandent si elles ont la permission d’entrer. Et le pauvre petit Yoonwoo aussi… Quelle idée, que mettre un gosse de trois ans et Jina dans la même pièce. Je pose ma menton sous mon menton, je fais tout le temps ça quand je réfléchis. L’idée de faire à manger pour les sangos. Bon, ça me donnera un peu l’impression d’être au travail. Mais cuisiner pour des gens qu’on apprécie, c’est plus sympa que de le faire pour des inconnus. Puis cuisiner à plusieurs, j’aime bien. Enfin… Quand je vois la tête de Yael, je sens que je vais cuisiner et il va me regarder faire en piquant dans les préparations. « T’es sûr qu’on cuisinera ? Ou plutôt que je cuisinerai ? ». Je passe devant lui pour aller dans la cuisine et je lui enfonce mon index dans la joue au passage. « Aller, le nain. Au travail. ». Ça me donne faim aussi cette histoire. Puis les autres aussi vont être ravis.

Je suis imprévisible. Demandez moi quelque chose, bien souvent, je ne saurai pas quoi vous répondre et j’inventerai quelque chose de toute pièce. Demandez-moi ce que je veux faire, je vous dirai que je ne le sais pas, et puis je trouverai une idée en quelques minutes. C’est exactement ce qui vient de se passer. En vrai, je me traînais cette envie de manger depuis que j’étais revenu de cours et mon plan principal aurait été de demander à Aliyyah de m’accompagner au restaurant, mais avec cette poursuite, je crois qu’il était mieux de rester ici. Je gonfle une énième fois les joues en entendant ma cadette parler. Elle croyait que j’allais lui laisser faire tout le boulot? « Je te signale que je cuisine comme un vrai chef! » À force de toujours devoir faire tout seul, j’avais appris à me débrouiller. En vrai, je ne mangeais que très rarement en dehors du dortoir, préférant cuisiner moi-même mes propres plats. Au moins, je savais ce que je mettais dans ma nourriture. Je pouvais ainsi garder ma ligne, même si peu importe ce que je mange, je ne gagne pas de poids. « Alooors. On cuisine quoi? Légumes ou viande? Ou les deux? On a des carnivores ici… » Dis-je en prenant le chemin de la cuisine, sortant une planche ainsi que quelques couteaux dès que j’arrive dans la pièce. Chef Yael est prêt.

Il cuisine comme un chef ! Tiens donc, c’est bien la première fois que j’entends ça ! Mais au fond, j’allais pas râler parce que au moins je ne ferais pas tout toute seule. Et puis, bon… Le salé, en dehors des pâtisseries salées, ce n’est pas vraiment mon domaine, alors je suis bien contente qu’il s’en charge. « Dans ce cas, tu fais le plat principal ! Je m’occupe des desserts ~ ». Ça, c’est ma gamme. J’ai toujours préféré les trucs sucrés. Et puis, en pâtisserie, l’imagination a plus de place. C’est surtout ça qui me plait, laisser la créative prendre le dessus et s’exprimer. Je le suis dans la cuisine, en m’attachant les cheveux avec un élastique qui trainait dans une de mes poches. « Hmm. La viande toute seule, c’est par très bon pour la santé alors les deux. ». Puis je suis aussi presque végétarienne, alors que de la viande, très peu pour moi. Je sais que je fais tache chez les sangos sur cet aspect mais plus le temps passe, moins je mange de viande. Et ce, même si j’adore ça. Je commence à fouiller dans les placards à la recherche de ce qu’il me faut. « Mais… Est-ce qu’on a au moins des fruits et des légumes ici ? ». Honnêtement, j’en doute. À part si quand c’est moi qui les acheter, je ne vois pas quand un légume arriverait à entrer dans cette pièce. Finalement, je suis mauvaise langue parce que je trouve des framboises et des pitayas dans le frigo.  « C’est parti~ ».

J’entrouvre la bouche pour protester un moment, mais je me retiens. J’adore cuisiner, que ce soit le repas principal que les desserts – surtout les desserts parce que j’ai la dent sucrée, mais je me dis que si nous mettons tous les deux la main à la pâte, ça ira bien plus rapidement et nous pourrons en accomplir bien plus. « Repas principal, ça me convient! » J’esquisse un grand sourire avant de filer vers le réfrigérateur à mon tour, arquant un sourcil à la demande d’Aliyyah. Certes, la plupart des verts étaient des carnivores, mais ça ne voulait pas dire que c’était la seule chose qui peuplait le frigo, au contraire. J’achetais toujours des légumes et des fruits lorsque je faisais les courses, je savais qu’Aliyyah le faisait également. « Je crois que je vais me laisser tenter par un Japchae, tiens! » Je sors les ingrédients nécessaires à la préparation du repas, fouillant la quasi-totalité des armoires afin de trouver les nouilles. « Si tu as besoin d’aide pour quoi que ce soit, demande! Je suis multifonction ~ » Je lui offre un petit clin d’œil, coupant quelques légumes en morceaux avant de les poser dans un poêlon, que je pose sur le rond du four.

Je suis contente que, pour une fois, Yael ne proteste pas. Puis même s’il avait protesté, jamais je lui aurais laissé le dessert. Le dessert, c’est mon truc. Surtout que j’ai déjà des idées plein la tête, avec ce que j’ai trouvé dans le frigo. Je vais même tester une nouvelle recette sur mes camarades verts. Je pose mes fruits sur le grand plan de travail avant de chercher un tablier. Je n’ai pas envie de salir mes fringues. « Japchae ? Ça me va. ». Ça me rappelle ce que c’est un des premiers trucs que j’ai appris en arrivant en corée. La bouffe et les insultes, c’est ce que j’ai retenu le plus vite. Je regarde Yael s’affairer en réfléchissant à comment aboutir à ce que je veux, parce je n’ai pas de recette toute prête. « Non, c’est bon. Occupes-toi de pas faire cramer le plat, ça sera déjà ça. ». En plus, il ne pourrait pas m’aider puisque je ne sais pas précisément comment je vais faire. Je sors tous les ingrédients pour vérifier qu’on a bien tout avant de me lancer, et c’est le cas. « Panna cotta pitaya et ylang-ylang, chantilly au gimgembre, coulis de framboise, pamplemousse et bergamote, ça te va ? ». Faut juste que j’aille chercher mes huiles essentielles de ylang-ylang et de bergamote qui sont dans la chambre.

Au final, ce n’est pas plus mal de devoir faire le repas. En tant normal, même quand je cuisine pour moi, j’ai tendance à faire des portions trop énormes, ce qui me laisse avec de la nourriture pour la moitié de la semaine. Dans un sens ce n’est pas plus mal, puisque je n’ai pas besoin de cuisiner à tous les jours, mais manger le même repas trois jours de suite…? C’est un peu redondant. J’allume le rond sur lequel j’ai posé mes légumes, coulant un fin filet d’huile dans le fond de la poêle pour m’assurer que rien ne colle. J’arque un sourcil, me tournant en direction de la jeune femme m’accompagnant. « Ça vient de sortir de ta tête, cette recette? » Ça semble si élaboré. Elle doit avoir farfouillé sur son portable le temps que j’avais le dos tourné, c’est impossible! « Je ne sais absolument pas de quoi ça a l’air, je n’ai jamais goûté de pitaya non plus, mais je me bave déjà dessus à la simple description! » Je lève les deux pouces en l’air en signe d’approbation, sortant un nouveau chaudron pour y couler de l’eau dans le but de faire cuire les nouilles. « Les requins n’auront jamais aussi bien mangé! » Ça fera changement des repas préparés et de la pizza.

Ca me tue de l’avoue. Et d’ailleurs, je ne le ferais jamais à voix haute. Mais Yael a eu la meilleure idée du monde en proposant de cuisiner pour toute la fraternité. Comme ça, tous les sangos mangeront ensembles pour une fois. Et mangeront bien. Je rigole à la tête de Yael. « Ouais, ça m’est venu comme ça ! Mais t’en fais pas, je suis sûre que ça sera super bon ! ». En fait, je n’en sais rien. Ça se trouve, ça sera dégueulasse. Même s’il n’y a pas de raison pour que ce soit immangeable, fruit du dragon, framboise et pamplemousse, ça s’accorde bien. « Je reviens ! ». Je quitte la cuisine quelques instants pour aller chercher mes huiles essentielles et mon portable. Un aller-retour rapide. Quand je reviens, je pose mes petits flacons à côté du reste. Je secoue ensuite mon portable devant Yael. « Je vais envoyer un sms à tout le monde pour qu’ils soient tous là ce soir pour manger. ». Je réfléchis trois secondes à ce que je pourrais écrire pour les faire tous rappliquer. Si je dis que Jina a pêté un câble, ils vont tous flipper et rentrer la queue entre les jambes, non ? Mais si elle apprend que je me sers d’elle comme ça, je vais passer un mauvais quart d’heure. « Si je leur dis qu’une surprise les attend au dortoir, ils vont tous rentrer, tu crois ? ».

Ça fait changement de voir que nous ne tentons pas de nous entretuer. Ça n’arrive pas souvent, je vous l’accorde. C’est le genre de journée que je pourrais entourer sur mon calendrier pour avoir une preuve que, comme quoi, ce n’est pas tous les jours que la troisième guerre mondiale risque d’éclater chez les requins. Même si ce n’est pas passé bien loin quelques minutes auparavant. J’ouvre l’armoire à épices pour assaisonner les légumes qui accompagneront le repas principal, puis me retourne une nouvelle fois en direction d’Aliyyah. « Voyons voir.. Je ne suis pas certain que la surprise fonctionnera avec tout le monde, surtout venant de nous deux. » Des chances qu’ils croient que nous ayons mis le feu au dortoir pendant leur absence. « Attends! On va prendre une photo! » Je file vers le frigo pour ramener le flacon de chantilly et le casseau de fraises, créant une montagne de mousse blanche sur deux d’entre elles, les prenant dans mes mains et tirant Aliyyah vers le four. « Maintenant assures-toi de tout faire cadrer, et écris « À TAAAABLE » comme commentaire~ » J’esquisse un énorme sourire, portant une fraise à ma bouche, donnant l’autre à la vice-présidente.

Il me saoule, je n’aime pas les photos. En plus, je ne suis même pas photogénique. En général, je prends que des photos de mes pieds. Ils ne sont pas trop moches et faut dire que j’ai toujours des chaussures plus que canons. En plus, je suis certaine que ça ne va pas fonctionner. Les autres vont trouver ça suspect qu’on soit ensemble. Sur la même photo. Yael et moi. Sans s’entretuer. Ils ne rentreront jamais et on va devoir tout manger à deux. Je m’approche de lui quand même, est-ce que j’ai vraiment le choix. Je prépare l’appareil photo sur mon portable puis j’attrape la fraise que Yael me tend. Je finis par me coller à lui pour qu’on rentre dans le cadre. Nous, les fraises et le four. Je m’apprête à prendre la photo, quand me vient une idée. Je suis super imaginative aujourd’hui, dites-moi. Du coup, j’écrase ma fraise et ma chantilly sur le nez de Yael juste avant de prendre la photo. Je m’écarte vite pour regarder le résultat. Je lui lance un sourire en coin. « Laisses-tomber, avec ça, ils viendront jamais. Ils vont croire qu’on a retourné la cuisine. ». J’en profite pour prendre une deuxième photo de Yael et de sa chantilly sur la face. Il est méga ridicule. C’est génial.

Je ne m’attendais pas à ce que ça fonctionne. Nous étions une famille, oui, mais nous avions tous des horaires différents. Il était donc bien difficile de réunir tout le monde autour de la table à la même heure. Je travaillais généralement de soir et de nuit, certains de jours, etc. Sans compter l’horaire de cours assez disparate de tous et chacun. J’esquisse un doux sourire en voyant mon reflet sur l’écran de la caméra, voulant faire de cette photo la plus belle des photos du monde. Et puis, les verts ne nous croiraient probablement pas s’ils nous voyaient les deux ensembles sur le même cliché. J’attends qu’elle prenne la photo, puis me ramasse avec une fraise et de la chantilly partout sur le visage, écarquillant les yeux. « Non mais.. Là c’est certain que personne ne viendra! » Je sors mon portable de ma poche, attrapant également la banane qui trônait sur le comptoir, attrapant Aliyyah entre mes bras pour lui glisser la banane au cou, comme un couteau, puis je prends une photo. « Tu crois que quelqu’un viendra te sauver? »