Honnêtement, ça serait vraiment été cool de réunir tout le monde autour d’une table. Comme lors d’un repas de famille. Ca fait bien longtemps que je n’en ai pas fait. Mon dernier date du début de la guerre en syrie, avant même que mes parents ne meurent. Donc oui, j’aurais aimé qu’on puisse diner tous ensembles. Mais faut pas rêver, il y en aura toujours un qui aura autre chose à faire. Notamment, ceux qui font partis de la frat sans vraiment en faire partis, ceux qui ont de sango que le statut. C’est triste à dire, mais il y en a. Je grimace. Je me suis faite déprimée toute seule. Mais la chantilly sur Yael, ça remonte le moral. Alors que je rigole comme un oratie de ma connerie, je baisse ma garde. Bien sûr, Yael en profite. Je le sens m’attraper et me coincer entre ses bras. Bientôt, un truc se fait sentir contre mon cou. Je tente de me débattre, mais rien à faire. Pourtant, Yael n’est pas costo et pas très grand. Et je ne manque pas de lui faire remarquer. « Je sais pas s’ils vont venir me sauver, mais tu devrais surtout t’inquièter de si on te voit sur la photo. ». Je pouffe à ma connerie. Faut dire que je ne suis pas la meuf la plus petite de l’univers, je suis même plutôt grande pour une typée asiatique.

Oui, je ne suis pas grand ni costaud. Mais ça ne m’empêche pas de prendre ma revanche sur la petite fille qu’est Aliyyah. Elle m’a déjà cassé le nez alors que moi, jamais je lui ai fait mal – sauf peut-être moralement, parce que je vous l’accorde, je vais parfois un peu trop loin. La photo est parfaite. Tellement parfaite que j’hésite à la laisser ainsi, parce que la Sango a tout de même raison : si on voit mon visage, je risque de me faire défoncer en deux temps trois mouvements. « Ça peut s’arranger, ça. De toute, tout le monde sait que je suis la seule personne qui pourrait te prendre en otage… » Parce que qui oserait s’en prendre à la vice-président outre Ye Gi? Moi. Je retire un peu de chantilly de mon visage, glissant cette dernière entre mes lèvres pour éviter de gaspiller, et remue doucement les légumes ainsi que les nouilles. Je m’affaire également à couvrir ma tête avant d’envoyer la photo à tous les requins, mentionnant que quiconque sauverait Aliyyah recevrait une récompense digne de ce nom, c’est-à-dire un repas digne d’un restaurant cinq étoiles. « Et voilà! On va les entendre arriver en courant dans deux minutes, crois-moi. »

Petit mais puissant. Je trouve que cette définition, bien qu’à l’origine pour une lessive, décrit parfaitement Yael. Quand certains utilisent leur force sans scrupules, Yael met en place des plans pensés et réfléchis pour arriver à ses fins. Enfin. Réfléchis. Pas toujours hein… Faudrait pousser mémé dans les orties quand même. Je regarde à mon tour la photo. Et j’ai bien raison : on voit un huitième de son visage, grand max, mais on le reconnait sans mal. Et en plus, j’ai pas du tout l’air d’une otage. « Ouais, t’es le seul assez crétin pour oser un truc aussi débile. ». Il y a absolument aucune raison de me prendre en otage. Personne ne viendrait me sauver, à l’inverse, ça serait mon ravisseur qu’il faudrait sauver. Je retourne à mes préparations, non sans avoir préalablement marché volontairement sur le pied de Yael. Quand même. Je surveille tranquillement mon début de panna cotta sur le feu. « Si ça se trouve, ils voudront jamais me sauver même contre tout l’or du monde ! ». C’est une possibilité, moindre certes, mais une possibilité. Mais ça serait triste pour moi quand même. Et puis, ça m’étonnerai. « Oui, si, quand même. Je ne suis pas si horrible. Par contre, pas sûr qu’ils oseront te sauver quand je me vengerai. ». Je dis ça très calmement. De toute façon, je ne compte pas le faire maintenant. La vengeance est un plat qui se mange froid.

Et voilà, le plan “rameuter toute la famille” est en branle. J’espère sincèrement qu’il fonctionnera, parce que je serai clairement déçu. Je ne manque pas de sentir le pied d’Aliyyah s’écraser sur le mien, manquant de peu d’échapper la fourchette que je tenais, retenant également un couinement de douleur. « Non mais! C’est quoi ton problème! » Je gonfle les joues, la poussant légèrement à l’aide de mes hanches lorsqu’elle se pose près de moi. Elle est petite, mais elle fait mal. « Je peux remplacer la banane par un couteau, fais gaffe! » Jamais je ne le ferais, mais si ça pouvait la tenir à carreau moment, j’allais le prendre. Je ferme le feu des nouilles et sort une passoire pour les égoutter, haussant les épaules aux paroles de la Syrienne. « Je suis tellement mignon, personne ne laisserait le petit chat que je suis dans de beaux draps, voyons~ » Si confiant, wow. Qui sait, au premier moment, on le laisserait probablement crever quelque part parce qu’on aurait mieux à faire. « Tu pourrais fermer le feu sur les légumes..? » J’esquisse un adorable sourire, papillonnant des yeux pour accompagner ma demande. Peut-être qu’elle accepterait.

Je n’ai pas de problème, j’ai que des solutions. Et lui marcher sur le pied est un début de solution. Je ne comprends vraiment pas ce qui ne lui plait pas dans le geste. C’est une forme d’attention comme une autre de se faire marcher dessus. Il n’est jamais content. Je le pousse à mon tour, quand il me menace. J’espère qu’il ne croit pas que je vais le prendre au sérieux. Parce que Yael me mettre le couteau sous la gorge, c’est comme voir Jina avec un chat dans les bras. C’est impossible, illogique. Genre une équation sans solution. « Parles toujours, gros cul. ». Ça, c’est parce qu’il a quand même réussi à me faire bouger d’une trente de centimètre le bougre. Je mets ma panna cotta au frais, pour deux heures. J’active ensuite le robot batteur pour monter ma crème. Je me pose contre le plan de travail le temps que le robot fasse son boulot. Je regarde Yael tenter de m’amadouer avec sa tête de chiot. Mais ça ne marche pas avec moi. « Non. Puis fais pas cette tête, ça te donne envie de vomir. ». En vrai, il est chou Yael. Mais faut pas lui avouer, sinon il va prendre trop confiance et ça, ce n’est pas bon. Pour moi. Pour lui. Ou pour le reste de la planète, il est déjà assez chiant comme ça.

Chercher l’attention par tous les moyens est ce que je tente de faire le plus souvent, je vous l’accorde. Mais le moyen employé par Aliyyah n’est absolument pas l’un de mes préférés, au contraire. Je ne suis pas un adepte de la douleur, surtout pas lorsque c’est dans le but de se venger. Je sais qu’elle le fait par pur plaisir. Parce que ça l’arrange de me voir souffrir, que c’est plus drôle ainsi. Pft. « Moi au moins j’ai un cul, contrairement à toi~ » Et il n’était pas gros, mon derrière. Juste parfait. Et puis, je voulais seulement la faire chier. C’était pour m’avoir traité de gros, ça. J’aurais pu renchérir sur son poids, puisque mon pied me faisait encore mal. Je me résigne à aller fermer le feu des légumes avant que tout ne brûle et ne soit plus mangeable, puisque Madame Shim ne semble pas vouloir m’aider. « Vas vomir ailleurs que dans ma cuisine! Des plans pour que personne ne se ramène, au final! » Je file au réfrigérateur pour sortir ce dont j’ai besoin pour monter la sauce accompagnant le repas, en profitant pour lui donner un nouveau coup de hanche. Ça lui apprendra.

Alors là, je proteste ! Encore une fois. Ce n’est même pas vrai d’abord ! Je n’ai pas les fesses plates. Je suis aussi si bien foutu qu’un mannequin maillot de bain. J’aurais pu poser pour victoria’s secret. Enfin… Si j’avais eu des seins, bien sûr. Mais en tout cas, le problème se pose pas question fesses. Elles sont très belles. « Insultes pas mon derrière de mannequin, s’il te plait. ». Derrière qui est tranquillement installé sur le meuble pendant que je regarde Yael s’activer en cuisine. Je n’ai plus rien à faire pour le moment, juste à attente que ma chantilly monte. Chantilly que les sangos vont manger avec intérêt, je l’espère. Pourvu que ça se passe pas comme mon pseudo ainé pense. Je redescends de mon plan de travail pour aller donner une petite tape dans le dos de Yael. « Mais si ! Au pire dès qu’il y en a un qui rentre, on l’attache à sa chaise et on fait ça avec tout le monde jusqu’à ce qu’on est tout le monde ~ ». Faut être optimiste dans la vie. Même si mon plan conduit à une victoire certaine, si si je suis sûre de moi sur ce coup, son exécution peut durer un peu bout de temps. On y sera peut-être encore la semaine prochaine. Je contre ses coups pour accéder à ses préparations. « Aller, pousses-toi, je veux goûter. ».

Je trouve sincèrement qu’elle ambitionne. Ses idées sont également un peu trop poussées. Qui pourrait sincèrement se dire que d’attacher tous les membres de sa fraternité à une chaise dans le but de tous les avoir à portée de mains était une bonne idée, autre Aliyyah? Je ne savais pas. Si cette personne existait, il valait mieux la séquestrer. Mieux pour elle, mais également pour tout le monde. « Fausse bonne idée, Ali. » Je sors mon portable de ma poche arrière, parcourant rapidement l’Internet pour trouver la recette de sauce que j’utilisais toujours, la retrouvant assez facilement, cette dernière étant toujours dans mes favoris. « NON. » Si j’avais pu feuler à la manière d’un chat sauvage, je l’aurais fait. Je me contente de me poster devant mes ingrédients, repoussant l’intrus un peu plus loin, lui offrant un magnifique regard noir. « Interdiction de t’approcher avant que ce ne soit totalement prêt. Je n’ai pas mis le nez dans ta recette, tu ne viendras pas mettre le tien dans la mienne. » Que ce soit clair : j’avais toujours été très territorial.

Quoi fausse bonne idée ? Aucun humour sérieux. Ça aurait été drôle. Entre certains et leurs regards de tueur, non je vise pas du tout Jina, me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, et les autres qui auraient passé leur temps à se marrer, on aurait passé une excellente soirée. « T’es nul… ». Deuxième fois ce soir. Mais c’est parce qu’en coréen, je n’ai pas tant de vocabulaire que ça… Je me console en essayant de gouter notre futur plat principal. Mais l’autre saleté m’en empêche. Il est chiant purée. C’est quoi son problème ? J’ai bien le droit de goûter, non ? « Putain ! T’es vraiment… nul ! ». Troisième fois mais cette fois, c’était dans la panique, je ne me souvenais plus de ce que je voulais dire. Yael va se foutre de ma gueule, c’est sûr. Faut que j’enchaîne, si je veux qu’il oublie vite ce qu’il vient d’entendre. « Si tu veux, on fait un marché : tu goûtes mes préparations et je goûte les tiennes. Deal ? ». Pour illustrer mon geste, je reviens avec mon saladier de chantilly et j’ajoute quelques gouttes d’huiles essentielles de bergamote et d’ylang-ylang sous ses yeux. Puis je lui tends le récipient en souriant. « Tiens, je suis sûre que c’est super bon. ». De toute façon, je ne veux pas être la première à goûter parce que c’est la première fois que je fais cette recette.

Doucement, mon sourcil ce arque. Depuis quand Aliyyah tente-t-elle de négocier? Ce n’est pas dans ces habitudes. Ce n’est pas dans ces habitudes de répéter la même « insulte » encore et encore, comme si elle ne trouvait plus les mots adéquats pour me fermer le clapet. Certes, il était assez difficile de me faire taire, mais la jeune Sango avait, normalement, bien plus répartie. « Qu’est-ce qui se passe Ali, t’as besoin d’un dictionnaire? » Me foutre d’elle? Un peu. Ironique, venant d’un garçon qui apprenait les langues et qui savait parfaitement à quel point cela pouvait être difficile. Je me redresse doucement, posant la bouteille que je tenais sur le comptoir, croisant mes bras contre mon torse. « Pourquoi ai-je l’impression que c’est une attrape? » Je la dévisage un bon moment, en profitant pour glisser mon doigt dans le bol et ainsi pouvoir goûter la chantilly. Instantanément, je grimace. « T’aurais pas confondu le sucre par le sel? Ça goûte franchement bizarre. » Et je sais reconnaître ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. En tant que glouton professionnel, je ne me trompe que très rarement.