C’était trop beau pour être vrai. Je le savais. Mais je pouvais toujours essayer hein. Je le regarde méchamment. Je l’emmerde, c’est clair ? Il peut bien se moquer, en attendant je parle presque trois langues couramment. Je dis presque, parce que le coréen, ce n’est pas encore ça mais c’est parce que c’est récent. Je suis tentée de lui montrer mon majeur mais je me retiens. À la place, je lui tire la langue. C’est puéril mais moins vulgaire. Puis, je reprends mon sourire quand je sais son regard sur moi. J’ai vraiment envie de goûter ce qu’il a fait. Il est suspicieux et je le comprends. J’aurais moi-même réagi de la même manière, j’ai l’air trop gentille pour que ce soit réel et pourtant… Je suis son doigt des yeux pour connaître sa réaction. Qui ne se fait pas attendre… Alors là, je suis carrément vexée. « C’est toi qui a pas de palet. Je me trompe jamais. ». Je suis sûre que c’est super bon. Je rapproche le récipient de mon nez. En plus, ça sent bon. Je me décide à finalement gôuter. Et je grimace à mon tour. Ah… Si, ça m’arrive de me tromper. Je vois déjà Yael me regarde avec un petit sourire et un regard triomphant. Je me justifie directement. « C’est ta sale tête qui m’a déconcentré. ». Bon, j’ai plus qu’à recommencer. Fait chier.

Je ne me trompe jamais. Ah bon? J’avais des doutes là-dessus. Sincèrement. Je me demandais si elle tentait de m’impressionner en me montrant à quel point elle était parfaite ou si elle se croyait vraiment. J’espérais presque que ma première théorie se révèle être vrai, parce que de toute façon, tout le monde se trompait, même les meilleurs. Même moi. Surtout moi, en fait. Je m’étonne même de ne pas encore avoir fait de gaffes, jusqu’à maintenant. « Ne te cherches pas d’excuses. C’est entièrement de ta faute, Aliyyah. » Pour une fois que je n’étais pas fautif, elle n’allait pas me mettre le blâme sur le dos, oh non. Si elle le faisait, elle allait le payer. Je n’avais pas touché à sa recette, elle n’avait pas touché la mienne. Je n’avais donc rien à voir avec le fait que sa chantilly goûte la merde. « Si ça se trouve, ce que j’ai fait sera aussi dégueulasse que ce que toi tu as tenté de faire. » Je mélange les nouilles, la viande, les légumes ainsi que la sauce, en attrape une portion à l’aide de baguettes, puis les tend vers la Sango. « À toi l’honneur. »

Je ne me cherche pas d’excuse. Je constate. Au boulot, je suis seule donc concentrée quand je prépare mes commandes et je ne me trompe jamais. C’est de l’avoir dans les pattes qui me fait faire des erreurs. Ou pire, il déteint sur moi. J’espère que non, parce que merci le cadeau hein. Ce mec est une catastrophe ambulante. Et je n’ai pas envie de finir comme ça, moi qui suis si dégourdie. « Non. C’est forcément la tienne. ». Je ne lâcherai pas le morceau, plutôt mourir que d’avouer ma faute face à Yael. S’il n’a pas touché mes préparations pendant mon aller-retour dans ma chambre, c’est qu’il a capté mon attention volontairement durant une étape importante de ma recette. Puis monsieur ose dire que c’est dégueulasse. Non mais oh. Je lui accorde que ce n’est pas très bon, mais ce n’est pas dégueulasse merde ! J’attrape rageusement les baguettes. Je me nourris toute seule, je suis vexée. J’essaye de garder un visage impassible. « Ouais, bah t’es pas mieux que moi. C’est immangeable ton truc. ». En fait, c’est super bon. J’ai rarement mangé un japchae aussi bon, à part au resto. Mais c’est pour mon honneur. Puis il mérite bien de paniquer un peu sur son plat. En attendant, moi, faut que je recommence ma chantilly, avec du sucre, cette fois.

Oui, je suis maladroit, je l’accorde, mais je sais suivre une recette. Je n’inverse jamais des ingrédients, je ne fais jamais brûler quoi que ce soit. Ma maladresse ne s’est pas transmise à Aliyyah d’une quelque façon, elle est la seule et unique fautive. Ça me frustre un peu de voir qu’elle s’acharne à me mettre la faute dessus alors que je n’ai absolument rien fait. Mais au final, j’ai l’habitude, puisque c’est toujours ainsi. « Si tu le dis… » Je murmure plus pour moi-même que pour elle, espérant la voir changer d’avis. Mes sourcils se froncent en me disant que ce que j’ai cuisiné n’est pas bon. Et au final, j’ai un peu de mal à la croire. J’attrape des baguettes, les plongeant dans mon Japchae pour porter la nourriture à mes lèvres. « Menteuse, va. » C’est excellent. Elle veut me faire chier, c’est tout. J’attrape mon plat et le pose un peu plus loin, sur le comptoir, posant également le couvercle sur le plat pour éviter que ça ne devienne froid trop rapidement. Je reviens également avec le sac de sucre, que je pose aux côtés de la Sango. « Laisse-moi t’aider, tu veux? » Je lève les mains dans les airs en signe de trêve, signalant que je n’allais rien faire de mal. Elle avait bousillé son dessert toute seule, je n’allais pas tourner le fer dans la plaie.

Je l’entends murmurer dans sa barbe, mais je n’arrive pas à distinguer les mots. Déjà que j’ai du mal à comprendre quand les gens me parlent alors quand c’est aussi faible, je ne fais même plus d’effort pour. Après quelques instants, j’hausse finalement les épaules. J’en profite rapidement du fait que Yael parle, et me traite de menteuse, sale gosse, pour lui piquer les baguettes et attraper un nouveau morceau de son plat. C’est vraiment bon. Il récupère le plat à mon plus grand regret et je le regarde s’éloigner avec une petite moue. Ça m’a donné faim son truc. Je retourne en trainant les pieds à mon dessert. Je n’ai tellement pas envie de le recommencer. Je soupire avant de mélanger les premiers ingrédients. Et quand je m’apprête à ajouter le sucre, je me remets compte que c’est bien du sel que j’ai en face de moi. Je me retourne pour aller chercher du sucre et je me retrouve face à Yael qui m’a devancé. J’attrape le sucre dans un excès de fierté. « Mais non ! C’est moi qui fais le dessert ! ». Je regarde ses mains levées en me mordant la lèvre. J’ai l’impression d’être une assistée. Je soupire de nouveau en signe de défaite. « Bon, finis la chantilly alors… ». Faut que je fasse mon coulis et que je goûte mes panna cotta pour vérifier que là-dessus, j’ai pas raté ma recette. Normalement non mais bon.

Ça semble tellement difficile de délaisser son travail. Elle ne connaît pas le principe de délégation? Parfois, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Laisser le sale boulot à quelqu’un d’autre afin d’accomplir tout le reste. C’est un peu pourquoi je me proposais. Enterrer la hache de guerre pour travailler ensemble et accomplir un miracle que personne ne croirait. Je lève les mains dans les airs dès qu’elle attrape le sac de sucre, persuadé qu’elle me le lancerait à la figure et que j’allais mourir. Mais elle se laisse finalement vaincre et j’esquisse un léger sourire. « T’as pas toujours une tête de cochon, c’est bien~ » Je lui donne un léger coup de hanches pour lui signaler que je rigole. J’attrape l’ancienne chantilly, vidant son malheureux contenu dans la poubelle avant de recommencer le tout à zéro, m’assurant de prendre le sucre plutôt que le sel. « Ça aurait été un bon bizutage, ça. Faire manger tout ce truc à quelqu’un. » J’hausse doucement les sourcils en la regardant, notant dans le fond de ma mémoire que ça pourrait être un bon coup à faire pour plus tard. « J’imagine seulement la tête de la personne après la première bouchée. Priceless! »

Attendez. C’est moi qu’il traite de tête de cochon ? Nan mais on aura vraiment tout entendu ! C’est qui, il y a une demi-heure, qui m’a poussé à bout pour que monsieur soit pas tout seul alors que j’avais dit non ? C’est lui, me semble-t-il. Mais j’oublie très vite tout ça quand je reçois un nouveau coup de hanche. Je fais mine d’être propulser sur le côté et de me rattraper in extrémiste au plan de travail. « Mon dieu. J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux… ». Je me moque, je me moque, mais en attendant c’est bien moi qui est foirée ma chantilly et je ferais bien d’aller vérifier si je n’ai pas fait la même avec mes panna cotta. J’ouvre le frigo en essayant de faire abstraction de ce qu’il vient de dire. Parce que vu ce que certains font goûter lors des bizutages ce n’est vraiment pas un compliment pour ma cuisine. Je me retiens même un ‘je t’emmerde’ à l’encontre de Yael. Ce n’est pas si dégueu. Je prends une des panna cotta, elles n’ont encore pris totalement mais ça va encore. Je plonge mon doigt dedans et je goûte. J’écarquille les yeux et je trotte jusqu’à Yael. « Goûtes-moi ça ! C’est dingue d’un pro sérieux ! ». Non, je ne mâche pas mes mots. D’habitude, ce n’est pas sérieux mais là, j’ai de quoi être fière !

J’esquisse un léger sourire, regardant Aliyyah du coin de l’œil. Comment la faire paniquer en un instant. Oh, ne vous méprenez pas, je l’aime cette petite. Surtout lorsqu’elle exagère ses réactions comme elle vient si bien de le faire, m’arrachant un nouveau rire. « La prochaine fois je ne te manquerai pas, saches le. » Je murmure un peu plus pour moi-même, la pointant rapidement avec la spatule. Si elle ne prenait pas mes menaces au sérieux, c’est qu’elle ne me connaissait pas très bien. Je pousse un léger soupir, rapatriant les ingrédients pour bien réussir cette chantilly une fois pour toute. C’est que si les Sangos se pointaient avant que nous ayons terminé, ce serait la catastrophe. Déjà, ils prendraient possession de la cuisine, ce qui nous empêcherait de faire quoi que ce soit par la suite. Je fronce toutefois les sourcils en voyant Aliyyah revenir, posant mon index contre le sien avant d’enfourner mon doigt. Mes yeux s’écarquillent. « Je crois que j’ai jamais rien mangé d’aussi délicieux! » Et pour une fois, je suis complètement franc. Si elle a manqué sa chantilly, c’était probablement pour mieux réussir le reste. « Eh bien, il faut croire que tu ne fais pas que du mauvais. » J’hausse mes sourcils quelques fois de suite pour la taquiner, m’attendant encore une fois à recevoir un coup.