L’alcool et toi, vous n’avez jamais formé un couple des plus harmonieux. Loin de là. Tu n’as jamais été une très grande consommatrice. Les cocktails ne se mariaient pas très bien avec le train de vie que tu menais. Il était préférable d’avoir les idées claires une fois sur la glace et surtout pour effectuer des enchaînements de pirouette. Ça aurait pas été très classe de te dégobiller dessus…

Mais maintenant, ta seule excuse est d’être une mauvaise buveuse. Tu ne tiens pas du tout l’alcool. Un verre et la Byeol réservée, pointilleuse et limite coincée se transforme en une grande déconneuse. Tu n’es plus du tout la même après plusieurs shoots. Pour le meilleur ou pour le pire ? Tes souvenirs le lendemain, sont le plus souvent trop flous pour le savoir. T’as surtout une grosse migraine carabinée qui te fait hiberner pendant deux trois jours, nouilles instantanées, litres d’eau et aspirine étant les seules choses que tu puisses ingurgiter. Petite nature que tu es. En tout cas, la prochaine fois, tu te contenteras d’un truc sans alcool. Ça t’évitera peut-être d’être la vedette de la soirée avec un strip-tease à deux balles.

Pourtant hier soir, tu ne te souviens pas d’avoir picolé tant que ça. Non, les brides de la soirée qui se jouent dans ta caboche endolorie sont plutôt intactes. Tu te souviens du concert – oui, t’avais décidé d’innover et de découvrir un univers totalement différent du tien –, de la musique et de l’ambiance. Oh et puis surtout, la bassiste. Oui, la bassiste. Des cheveux blonds, une silhouette élancée et de grands yeux insolents. Et une voix. « Hey miss... ça va la tête? ».

A ce moment-là, c’est comme si un coucou-suisse se mettait à chanter dans tes oreilles. Tu te réveilles dans le moelleux de la couette. Mais un peu rapidement. Peut-être trop dans ton état. Et direct, c’est le bordel dans ta cervelle. Le tambour contre tes tempes, la lumière qui t’aveugle, la bouche pâteuse et les boyaux noués. Ca y est, c’est la fête. Tu finis par grogner, premier signe de ton réveil. Puis tes yeux se rouvrent, douloureusement et se posent sur la personne à tes côtés. Ah oui. Tu avais presque oublié ce détail. Ce n’est pas ton lit.

D’instinct, tu te relèves, une main mal assurée gardant la couette contre ta poitrine dénudée. Ah oui, ça aussi, ça t’aurait presque échappé.
« Hm. Pas terrible. Pas du tout même ». Contrairement à toi, la maîtresse de maison n’a aucun souci avec sa nudité. Toi, un peu plus.

« Tu peux te … ». Ta phrase se finit par un geste du doigt, qui lui demande, de la manière la plus sympathique que tu puisses à cet instant lui communiquer, de se retourner. Au moins le temps que tu enfiles ta culotte. Et un haut. Et un pantalon aussi. Il y a des choses que tu préfères ne pas exposer trop longtemps.

Tu l’observes. Quelque peu en fronçant les sourcils à cause du soleil qui continue de t’aveugler et qui n’arrange en rien ton mal de crâne. Mais entre deux agressions solaires, tu réussis à distinguer ce rictus qui décore ses lèvres. Ce sourire, tu le reconnais. Tu l’as déjà vu hier et pas qu’une fois. Et tu te souviens, un peu difficilement, mais plus clairement que tout le reste, que c’est ce qui t’a poussé à aller l’aborder. Ca et l’alcool. Ton état le prouve. Ce n’est pas une pulsion de confiance qui t’a mené ici. Nue comme un ver dans le lit d’une inconnue. Toi qui n’avait jamais connu qu’un seul homme, tu te demandes pourquoi elle, pourquoi une fille ? Mais visiblement, tes neurones n’ont pas l’air prêt à coopérer pour l’instant. On remettra l’auto-interrogatoire pour une autre fois.

La jeune femme chez qui tu as passé la nuit finit par répondre à ta requête d’un air amusé. Tu la regardes se lever pour aller ramasser tes affaires, qu’elle te tend par la suite. Tu attends qu’elle quitte la pièce pour te rhabiller. C’est là que le combat commence. Tu dégages la couette de tes jambes pour pouvoir enfiler ta culotte, mais ton manque de coordination fait peur à voir. T’as l’impression d’être une gamine de cinq ans qui ne sait pas encore lacer ses chaussures. La honte. Après plusieurs essais, tes pieds passent finalement dans les trous prévus à cet effet et tu l’enfiles. Maintenant, le soutif. Tu le fixes, comme on fixe quelqu’un à on lance un défi, et finit par l’abandonner sur le côté. T’as plus la force de lutter contre qui que ce soit. Ni contre un soutif. C’est débile franchement. Tu remets simplement le t-shirt que tu portais hier. Tu te dis que ça suffira à cacher ce qu’il y a à cacher.

La blondinette revient peu de temps vers toi avec une paire de lunettes de soleil à la main. « Tiens. Ça ira un peu mieux ». Sans discuter, tu les poses sur le bout de ton nez et de suite, la luminosité te parait moins agressive. Même si c’est à se demander si t’as seulement trop la fête hier ou si tu reviens d’un enterrement. Ouais, tu pleures la disparition de certains de tes neurones. « Merci, c’est sympa » lui dis-tu. Tu ne peux t’empêcher de la fixer et tu remercies les lunettes pour cacher ton regard peut-être trop insistant. Jusqu’à ce qu’une boule de poils jaunes apparaisse devant toi. Tu penses halluciner pendant quelques secondes, mais sous les verres teintés, tu distingues bien la couleur criarde. « Original » marmonnes-tu en examinant le chat. C’est pas tous les jours qu’on croise un chat-pikachu. Etant enfant, tu ne t’es jamais intéressée aux jeux des autres de ton âge. Y compris les Pokémons. Il n’y avait que la compèt’ pour toi. Alors oui, tu rigoles à la vue de ce petit bonhomme. Il est mignon faut dire. Tu laisses tes doigts glisser sur la fourrure de l’animal tandis que tu réponds à sa maîtresse. « Thé … s’il te plait », ajoutes-tu un peu plus timidement.

Après quelques caresses et toujours pas décidé à lâcher le chaton, tu le prends dans tes bras avant de suivre le chemin emprunté par la blonde quelques minutes avant, la retrouvant dans la cuisine. T’as toujours voulu avoir un animal, mais au dortoir, c’est pas l’idéal. « Il est mignon ton chat. Il s’appelle comment ? Pikachu ou un truc dans le genre ? ». Tu le gratouilles sous le menton et laisses un sourire s’étirer sur tes lèvres lorsqu’il ronronne contre toi. Un peu plus et tu deviendras complètement gaga.

Le chat toujours contre toi, tu jettes un regard sur ce qui t’entoure. Ouais, plutôt pas mal. T’as jamais eu l’occasion d’avoir ton appart à toi toute seule. Tu regrettes un peu. Mais bon, trop tard. Tu te retournes vers la demoiselle et d’un coup, comme ça, tu te sens vraiment con. Tu as oublié son nom. Ou alors elle te l’a pas dit. Mais t’es vraiment sûre de rien. Bon, t’as déjà l’air ridicule alors un peu plus, un peu moins, ça changera pas grand-chose. « Au fait … tu vas me trouver stupide mais ... c’est quoi ton nom ? ». Bon, advienne que pourra maintenant !

Tu continues de faire le tour -rapidement- du salon et plus tes yeux se posent sur les objets personnels qui le peuplent, plus tu te dis qu'il y a tout un tas de choses que tu as loupé dans ta vie. Compèt, victoire, entraînement, et rebelote. Ton monde, c'était ça. Tu peux au moins prétendre avoir connu l'amour, mais tout le reste, ça n'avait pas duré. Il y a beaucoup de choses que tu voudrais refaire. Ce serait probablement l'une des raisons de ta présence chez une inconnue. Peut-être.

Tu aperçois ton reflet dans l'une des vitres et si t'étais pas dans un état lamentable, tu te trouverais probablement classe. Probablement. C'est à ce moment que choisie ta jambe droite de t'emmerder. Ça te lance dans le genou jusque dans le talon et s'engourdit peu à peu. Et voilà, manquait plus que ça. A contre-cœur, tu reposes le chaton à tes pieds, sans oublier de lui accorder quelques caresses. « Nyu ? » répètes-tu avant de t'asseoir sur le premier tabouret qui se présente à toi. Tes muscles tressautent, mais tu essayes de faire abstraction de cette gêne qui malgré le temps, ne se dissipe pas. Tu ne sais pas si tu t'y feras un jour. Tu te concentres sur la conversation, ou plutôt, sur ta jeune amie. Enfin, si tu peux l'appeler ainsi. Elle en a des tatouages. Toi, t'avais certainement pas le droit de t'en faire. « Ici, ils font yaong » lui réponds-tu d'un air septique. Nyu au Japon, yaong en Corée. Une autre bizarrerie dans ce bas monde.

Tes yeux traînent sur le comptoir sur lequel tu t'appuies, fatigué du poids ta jeunesse, te dirait ton père s'il te voyait. Enfin non, vaudrait mieux pas. Il te voit encore comme une petite fille de 5 ans avec des dents en moins. Et tu sais qu'il ne s'est jamais vraiment remis de ta rupture avec ton ex-fiancé. Alors te voir avec quelqu'un d'autre, une fille qui plus est, il te claquerait entre les doigts. Et non, tu ne veux pas devenir héritière maintenant. Ni même jamais.

Ton attention est de nouveau capturé par la blondinette. Blondie. Ah oui, tu t'en souviens maintenant. Tu trouvais que ça lui allait bien. Faut dire qu'elle était blonde aussi. Elle aurait été brune que ça aurait pas eu le même effet. « Byeol oui, c'est ça. Seulement Byeol ».

Tu attrapes l'une des boîtes présentes devant toi, mais tu ne sais vraiment pas quoi prendre. Bon, plouf plouf ! Tu prends le premier qui te tombe sous la main et le plonge dans l'eau chaude de ta tasse. Il y a un bien une première fois à tout et ce n'est pas la soirée d'hier qui te contredira. L'odeur du contenu remonte jusqu'à tes narines et tu sens déjà ta migraine se dissiper. Enfin, c'est ce que tu crois.

Tu sais que la question devait arriver à un moment ou à un autre. Ça ne va pas dire que tu saurais y répondre. Machinalement, tes doigts cherchent de quoi s'occuper. Tiens, et si tu rangeais la boîte de thé? Maniaque le retour, bonjour. Signe de gêne n°1.

« Plus qu'au réveil en tout cas... Disons que ... le passage entre la boîte et l'arrivée jusqu'à chez toi est un flou. Le reste, c'est un peu mieux, on va dire ». Les sachets de thé sont peu à peu rangés par ordre alphabétique. Si elle ne t'arrête pas, tu vas finir par ranger tout son appart ! « Hm. Sinon le concert d'hier était vraiment top ». Changer de sujet, t'as rien trouvé de meilleurs.

T’as jamais spécialement compris pourquoi les animaux faisaient tous un bruit différent suivant les pays. Peut-être que c’était comme les langues et que les animaux avaient la leur suivant la région. Mais entre nyu et yaong, y’avait quand même une différence. « Le plus étrange, c’est pour les grenouilles … t’as déjà entendu une grenouille faire gaegool toi ? Perso, jamais ». C’est vrai ça, ça parait vraiment trop bizarre. Tu suis le regard de la blondinette qui se pose sur son chat. Nyu. Après tout, pourquoi pas ? C’était plutôt mignon. Puis t’aurais sûrement trouvé ça encore plus étrange si elle t’avait dit qu’il faisait « pika ». Une chose est sûre, tu savais que niveau transformation génétique, les scientifiques n’étaient pas encore capable de créer des pokémons. Encore heureux ! Vous imaginez vous faire foudroyer ou cramer alors vous sortez dans la rue ? Tu te rassures en pensant au fait que les chercheurs avaient bien à faire que de créer des bêtes tout droit sorties d’un jeu vidéo.

Tu prends une première gorgée de ton thé et le liquide te brûle la gorge. Mais tu as surtout l’impression que la chaleur du liquide élimine tout l’alcool que tu as ingurgité la veille. Un lavage aux senteurs citronnées. Enfin si seulement un simple thé pouvait effacer toutes les conneries que tu t’étais enfilée. L’aspirine et les nouilles instantanées devenaient alors tes meilleures amies pour plusieurs jours. Inséparables, tu ne quittais alors plus ta chambre, tel un vampire craignant la lumière du jour. Hiberner. Voilà ce que tu faisais. Et si quelqu’un avait le malheur de venir t’emmerder pendant ta période végétative, le pauvre idiot se risquer à perdre un doigt. Voire plus.

Mais cette fois-ci, n’étant pas chez toi, tu devais tout de même faire preuve de politesse envers Noriko. C’est vrai, elle aurait pu te foutre à la porte direct après et t’aurais sûrement fini dans le caniveau, noyée dans ta propre imbécilité. Quel beau paysage. Mais derrière sa tasse, tu l’entends rire. Tu sais que t’as l’air complètement ridicule. « Te moques pas, je tiens vraiment très mal l’alcool. Enfin, j’ai pas besoin de te le dire pour que tu comprennes ». Et à ce moment, tu préférerais t’étouffer avec ton thé. C’est vrai. Si tu supportes pas l’alcool, pourquoi tu continues d’en boire ? On dit que l’alcool ne résout pas les problèmes. Mais tu t’es dit qu’il fallait quand même que t’essaies. Parait qu’on en ressort pas indemne et maintenant, tu comprends mieux pour quoi. La prochaine, tu demanderas à Li Wei de te frapper si elle te trouve avec de l’alcool entre les mains.

Pour sûr que ça t’éviterait dans 85% des cas, les situations gênantes où tu ne demandes qu’une seule : te faire aussi petite qu’une fourmi et hop, y a plus ! Malheureusement, ça marche pas comme ça. Tu repousses la boîte de thé sur le côté, abandonnant ton tri qui visiblement, n’est pas passé devant les yeux d’une aveugle. Foutue manie. « Désolée, j’ai tendance à être … maniaque. Même un crayon mal aligné à le don de me rendre folle » dis-tu un léger sourire aux lèvres. Il n’y a pas que toi ça rend folle. Ton ex, ça avait tendance à gentiment l’exaspérer.

Et puis là, t’es sûre de devenir aussi rouge qu’un coquelicot. Genre le visage vraiment tout rouge, pire que dans les dessins animés. Automatiquement, tu reportes ton attention sur la boîte à thé. Décidément, tu ne laisseras jamais cette boîte tranquille. Dans cinq minutes, le comptoir va briller comme un crâne chauve. « Hm. Non, pas souvent. Jamais même. C’était la première fois … Avec une fille aussi … ». Et puis, tu ne sais pas vraiment pourquoi tu éprouves le besoin de lui dire, mais les mots s’enchaînent sans que tu n’aies le temps de les arrêter : « Je suis sortie pendant plus de cinq ans avec le même. J’ai connu personne d'autre que lui à vrai dire … ». Ce n’est pourtant pas une partie de ta vie que tu dévoiles facilement. Plus, t’es même pas sûre qu’elle veuille t’écouter plus que ça. Elle devait juste attendre que tu avales le contenu de ta tasse et que tu prennes tes cliques et tes claques et hop, dehors ! Mais paraît-il qu’on se livre plus facilement à des étrangers. Paraît-il.

Bon okay, tu t'attendais pas à ce genre de réaction. Enfin, certes, ça se lisait pas sur ta tronche que t'avait jamais connu qu'une seule personne de toute ta vie. Mais quand même. Elle avait quand même dû comprendre par ton attitude qu'elle était ta première fille, non ? De ce que tu te souviens, tes gestes avaient été hésitants, si ce n'est même ridicules à certains points. Mais peut-être qu'elle avait compris ça comme de la gêne. Ca en était aussi. Parce qu'il faut quand même avouer que personne ne t'avait vu de la sorte depuis plus d'un an. Et même si tu n'avais pas honte de ton corps, avec les cicatrices de l'accident, tu n'osais plus te montrer. Fini les jupes, les shorts. Bonjour les collants épais et les jeans de tout temps. Alors te retrouver nue dans le lit d'une inconnue - ni même de qui que ce soit - ne faisait pas partie de tes plans. Mais vu la soirée de la veille ...

Alors quand elle te regarde avec de grands yeux, l'air totalement choquée, tu te demandes quelques secondes si elle ne se fout pas de toi. Non franchement. Puis à force de la scruter, non, pas de doute. Choquée, elle est. Tu lui jettes un coup d'oeil par dessus tes lunettes teintées et c'est que maintenant que tu te rends compte que t'y vois pas plus loin que le bout de ton nez. Temps de réaction : 3h. Tu te souviens pas du tout avoir jeté tes lentilles. Au pire, t'as toujours tes lunettes dans ton sac. Faut-il encore que tu retrouves ton sac. Tu plisses les yeux pour la voir un peu mieux. « C'est si choquant que ça? Que tu sois la première fille avec laquelle je ... couche ? ». Niveau assurance, c'est pas trop ça non plus. Encore moins après.

Tu attrapes la première chose que ta main rencontre, une boulette de riz apparemment et croque une grande bouchée dedans. Vraiment, va falloir que t'apprennes à ne plus ressembler à une gamine de douze ans quand on te pose des questions gênantes. C'est pas comme si elle t'avait pas vu à poil non ? T'avais plus grand chose à cacher maintenant. « Les souvenirs reviennent progressivement en tout cas. J'espère que j'ai rien fait de stupide au moins ? ». A savoir si tu parlais du bar ou une fois chez elle, tu préfères ne pas le savoir au final. Le suspens, c'est ce qui vend toujours mieux un film.

Puis, tu souris. C'en est presque mignon la façon dont elle te pose la question. « Ça aurait pu être pire tu sais ... c'est pas comme si j'allais tomber enceinte hein. Pas que c'était pas bien, au contraire ! Puis si je suis venue vers toi, c'est qu'il y avait une raison. Même si l'alcool a bien aidé ... ». L'alcool et ses méfaits. « D'ailleurs, t'as pas du tout l'air d'avoir la gueule de bois. C'est quoi ton secret ? ». Tu pourrais lui filer ton porte-monnaie pour qu'elle te donne la recette miracle ! Parce que vraiment, les cuites et toi, c'est pas le big love.