S’il y a bien un endroit où Noma ne met jamais les pieds c’est dans le sanctuaire de la malbouffe. Ce terme englobe plusieurs enseignes toutes plus malfaisantes les unes que les autres mais s’il maître considéré il doit y avoir, si game master doit être désigné, alors McDonald arriverait en première position. International tout du moins. C’est ce qu’il a constaté lors de ses voyages car en Corée le géant au grand M est loin d’avoir le monopole. Beaucoup se battent pour engraisser les cuisses des jolies coréennes et le bide déjà peu musclé des types qui, comme Hwan, se prélassent toute la journée à ne rien foutre. Ca, c’est l’opinion négatif qu’a Noma envers son pote. Ce pote qu’il vient de voir rentrer dans un Mcdonald par pur hasard, comme si quelqu’un l’avait déposé dans son champ de vision par la plus grande des magies. Déjà la question est : qu’est-ce qu’il fou dans la digital city ? La seconde est : était-ce bien sa casquette qu’il a cru distinguer ? Ce serait perdre son temps que d’entrer dans s’imprégner d’une odeur de friture dégoûtante pour aller vérifier son allégation mais Noma a tout son temps. Les mains dans les poches il traverse, rentre dans l’enseigne et cherche son ami du regard. Ce ne devait pas être lui. Quelle peine perdue. Il se résigne, va pour faire demi-tour, et voilà qu’un maladroit se le percute. Si encore il n’y avait que ça. Sa veste est ruinée, il est prêt à prendre sur lui et à passer son chemin en se maudissant d’avoir eu la curiosité d’aller à la rencontre de Hwan. Sauf que Hwan il est là. Il l’identifie à sa voix, avant que lui-même ne comprenne dans un regard qu’ils ne sont pas deux inconnus que le destin a choisi de réunir dans cet établissement miteux. « T'as si faim que sa pour me coller aux fesses ? » C’est tout ce qu’il trouve à dire après avoir ruiné sa veste de liquide poisseux et noirâtre. Bien. Il retient une blague graveleuse et s’affaire à chercher des serviettes en balayant la salle du regard. « Et toi t’attends le messie pour venir m’essuyer ?» Il s’empare de serviettes disposées non loin d’eux et revient vers Hwan en s’épongeant. « Qu’est-ce que tu fous dans les parages ? Étonnamment quand je suis venu ici je ne pensais pas réellement tomber sur toi. » Avoue-t-il un peu perplexe. « Elles sont foutues. » lui précise-t-il en désignant tranquillement les frites d’un mouvement de menton.

Hwan c’est un électron libre. Un mec qui n’a aucune logique, pas même pour lui-même. Noma s’était souvent demandé comment il avait pu se lier d’amitié avec un guignol pareil. Très souvent. A chaque fois il en arrivait à la même conclusion : il représentait tout ce que ses pareils détestaient. Spontané, vulgaire, bruyant, sans-gêne. A ces adjectifs Noma lâchait toujours un petit rictus, son sourire en coin traduisant la satisfaction du beau bras d’honneur qu’il faisait à tous ces prétentieux rien qu’en lui adressant la parole. Le mieux c’est qu’il aimait ça. Il adorait être en présence de Hwan, c’était comme une bouffée d’air frai. Et comme toute bouffée quelle qu’elle soit elle ne dure pas longtemps. Il se donne dix minutes top chrono avant de péter les plombs. Sa version à lui est soft, celle de Hwan beaucoup moins. Il lui balance ses mots en pleine figure comme il a souvent la délicatesse de le faire « J’en avais un il y a quelques années. » lance-t-il dans la plus grande des sagesses. Objectif : avoir le dernier mot. Hwan se comporte comme un gosse mais il ne note pas, trop occupé à éponger sa veste. Quant aux frites, elles, elles sont impossibles à rattraper. C’est comme s’il s’était transformé en cocotte-minute, prêt à exploser à n’importe quel instant. Il adore. Il jubile. Ca l’éclate. « C’est bon, je vais te les repa… » Repayer. Il n’a pas le temps de finir sa phrase qu’il se fait tirer par le bras comme un môme ayant fait une bêtise. Bon peut-être un peu mais ce n’était pas ce qu’il considérait comme tel. Il obéit sagement, s’asseyant sur ordre silencieux de Hwan. Il attend la suite, se marrant discrètement de la maladresse de son ami. Il agit très bizarrement à vrai dire, le mec s’est confondu avec un ninja et en plus il est devenu aimable. Noma ne comprend plus rien, fronçant les sourcils et plissant légèrement le nez, paumes tournées vers le plafond. « C’est quoi le délire, t’es en mission commando ou quoi ? » Il balaie les alentours, leur popularité est vite passée de mode puisque plus personne ne fait attention à eux dorénavant. « Ou bien tu as honte de moi ? » s’insurge-t-il en portant caricaturalement sa main sur son torse.

Il a du mal à articuler Hwan. Il est un peu retardé parfois, Noma ne lui en a jamais voulu pour ça ; même lorsqu’il le met dans des situations embarrassantes ou qu’il lui déglingue ses fringues à coup d’eau diluée au coca. Il aime pas trop l’allusion le gugus, ça lui donne des mots sévères qui ont l’audace de choquer Noma -qui lui reste dans sa royauté et ne se remet pas du tout en question. « T’avais plutôt l’air d’un client là pourtant. » qu’il décroche en haussant un sourcil, complètement paumé par les explications incohérentes de Hwan. S’il pouvait développer un peu plus aussi ça l’arrangerait pas mal. Il dit qu’il mange mais qu’il travaille, il faut tout lui apprendre à ce mec. « Bon bah dis que t’es en pause dej alors. » Toujours aussi agaçant, Noma ne sourcille même pas et se contrecarre d’agacer son pote qui commence à avoir la mâchoire un peu tendue. « Qu’est-ce qui t’arrive ? » qu’il finit tout de même par demander, ayant presque pitié de l’être en face de lui. Il est à deux doigts d’aller lui racheter un menu tellement il lui fait de la peine avec ses pauvres frites survivantes d’un typhon digne de ce nom.
Habituellement il ne parle pas beaucoup de lui Hwan, il n’a jamais de problème. Enfin, il en a mais ce sont toujours des choses futiles qui décochent un sourire au jeune Park. C’est le bouffon, Hwan, le mec qui fait toujours rire et qu’on arrive difficilement à prendre au sérieux. Pourtant, là, il y a quelque chose qui cloche. Au-delà d’avoir été vexé par son repas foutu en l’air, il semble accuser un stress qu’on ne lui connait habituellement pas. Les confessions se lancent et se coupent aussitôt, il serait presque déçu Noma si la suite ne tardait pas à venir. Bon. Là il se sent presque con de s’être mentalement préparé à le réconforter puisque de toute évidence c’est encore une histoire farfelue qu’il va lui raconter. « Elle t’a baissé le froc derrière les cartons ? » En toute décontraction il pose la question dont il attend la réponse qui devrait normalement se résumer par une frite dans la gueule. Il lui fait de la peine là, avec son jus de coca. « Sérieusement tu me fais trop pitié. Je vais t’en recommander un. » Il se lève et se dirige vers les bornes automatiques, beaucoup plus rapides qu’un caissier lambda. Il se contentera d’un big mac le grand garçon. Cinq minutes plus tard le revoilà avec un ticket numéroté à la main. « Big mac, frites, coca. Vas-y raconte ton histoire. » il en peut plus d’attendre.