« On l’a appelée Mei Li. » « Mei Li ?! » La doyenne de la famille manqua de peu de tressaillir, le bébé dans les bras « Qui a eu une idée aussi stupide de donner un tel prén… » Elle se figea et jeta un regard sombre à la nouvelle maman dans le lit. « Toi… » La jeune femme  gardait la tête baissée depuis l’arrivée de sa belle-mère, et faisait mine d’être passionnée par les motifs gris et bleu des draps de son lit. C’était une femme de taille moyenne, fine et élancée, à l’allure d’habitude, très digne ; Elle devenait incroyablement humble devant sa belle-famille qui ne cessait de lui rappeler qu’elle était indigne de leur fils. Son mari adoptait, lui, une attitude très détachée, et s’était installé dans un fauteuil et se plaisait à regardait sa mère gazouiller au-dessus du nouveau-né. Ou plutôt de la nouvelle-née. Il savait  que le prénom allait poser problème. Il se leva et s’interposa entre sa mère et le lit de son épouse en s’éclairant la voix.
« J’ai pensé que c’était approprié. »  « Approprié ? C’était à moi de lui donner un nom ! Et pas un chinois, crois-moi ! Mei Li… « Jolie et Ravissante » ? C’est tout ce qu’elle doit être n’est-ce pas ? Tu veux la rendre belle et bête, comme toi ?!»  « Mère. C’est à ma femme que vous parlez. » Intervint le jeune père en lui prenant le bébé qui commençait à s’agiter pour le placer dans les bras de sa mère. La sienne lui fit signe et en un instant, ils furent hors de la chambre. « Jae Yong, ça suffit ! Ce mariage était une erreur dès le départ. Tu nous as défiés, ton père et moi pour une « n'importe qui», pour une actrice… Tu as une chance de te rattraper avec cet enfant, si tu fais ce que je te dis.»  « Qu’avez-vous à l’esprit ?»  « Renvoie la mère à Hong-Kong. Elle a un métier, non ? Dis-lui que tu ne veux pas l’éloigner de ses tournages. Achète lui une maison confortable, trouves lui un endroit agréable à vivre ; éloigne-la du bébé. On organisera le divorce d’ici et tu seras libre à nouveau ! » « Combien de fois on a eu cette discussion, vous savez que ça n’arrivera pas…»  « Tu crois? Cette fois on ne te laisse pas le choix. À la prochaine réunion du CE, ton père annoncera la nouvelle ligne directrice de l’entreprise. Il a été clairement annoncé que si tu ne fais pas ce qu’on te dis, cette fois, il te retire la vice-présidence. Et par conséquence…» « La reprise du conglomérat entier. Je sais.» Un long silence s'installe entre la mère et son fils. « Et appelle cette fille Mi Ja, cette histoire de "Mei Li" doit cesser.»

10 ans - C’est mon anniversaire. Toutes mes bonnes copines et quelques garçons  sont là. Il y a Anne-Lise, qui est française, Noa, qui est Nigériane,  Wendy qui est suédoise,Kumi, Mikko, Mikaela… On est toutes dans le jardin a chevaucher des poneys en attendant que le clown et les fées arrivent. Grand-mère nous a dit que le train enchanté avait un peu de retard, mais j’ai entendu Papa crier au téléphone qu’il les paiera moins que prévu s’ils n’arrivent pas à sortir des bouchons pour arriver à temps. Je m’en fiche. Je joue à la princesse et aux domestiques, avec tous les autres. Les garçons nous poursuivent avec leurs épées et se battent pour nous avec leurs épées en plastique.

La journée ne peut pas être meilleure ; Grand-mère m’a un peu maquillée, J’ai un gâteau aussi grand que moi qui nous attend, et je sais déjà que le Poney que je monte sera à moi. Jusque là j’ai reçu la maison de poupée de chez Maisie’s, Une Tiare de la part de Grand-mère, une Bague de la part de Papa, une maison de Poupée gigantesque de la part de Grand-père. En plus, je porte ma robe préférée. La bleu ciel avec les fleurs couleur pêche et rose clair dessus. Et même si je suis contente que les filles soient là, je sais déjà qu’elles sont un peu jalouses. En plus pendant le « bal », j’ai pu danser avec Papa en marchant sur ses chaussures. Il est beau mon Papa. Il est grand, il est toujours bien coiffé et il sent très bon. Je le vois pas souvent Papa.  Je sais pas exactement dans quoi il travaille, mais il voyage tout le temps et je passe tout mon temps avec Grand-mère, Grand-père et SeokBin. SeokBin n’est pas ma maman. J’ai pas de Maman. Elle est tombée malade un peu après que je sois née. J’aurais bien voulu qu’elle soit là pour m’apprendre à faire des gâteaux,  qu’elle me raconte des histoires comme les mamans des autres. SeokBin essaie de faire ça mais je déteste quand elle le fait. Elle est gentille avec moi, mais c’est pas pour de vrai. Je préfère encore rester avec Grand-mère, qui est tout le temps occupée. Elle est drôle, elle parle tout le temps de Papa, de l’entreprise, de Grand-père,  mais ne me dis jamais rien sur ma maman.  Elle va souvent chez le coiffeur, et elle se maquille tous les jours. même quand on passe le weekend à la maison. Elle a les plus jolies robes et les plus jolies chaussures, et quand je serai grande, je voudrais être comme elle.

15 ans - Je suis assise à côté de Grand-mère dans un grand couloir, devant une grande porte qui grince. J’ai envie de pleurer. Elle a dû me voir retenir mes sanglots, parce qu’elle soupire et me dis « Qu’est-ce que j’ai dis sur les jeunes filles qui pleurent en public ? ». Je renifle doucement et acquiesce.  On est assises dans ce couloir depuis 10 bonnes minutes. Il n’a pas de fenêtres et un tapis pourpre recouvre le sol. Les murs sont recouverts de tableaux que je regarde à peine. Je hais ce couloir. La porte s’ouvre et nous montre un homme en costume qui fait signe à Grand-mère d’entrer.  Elle se lève et vérifie qu’aucun cheveu gris n’a quitté son chignon haut. Dans la pièce j’aperçois un grand bureau en acajou, et devant, quatre fauteuils. Celui que Papa doit occuper est vide. Je le vois face à une grande fenêtre. Je ne voyais que son profil, ce qu’il avait l’air soucieux…  Mamie vient de s’asseoir sur le deuxième fauteuil, et dans les deux autres, j’ai le temps de voir une femme et un homme avant que la porte se referme. C’est ma mère. Je crois. J’ai entendu des bribes de disputes dans le bureau de Papa, plusieurs fois. Depuis qu’il a succédé à Grand-Père, à la tête de l’entreprise, en fait. Il accusait Grand-père et grand-mère d’être responsable de la situation, que s’ils ne l’avaient pas forcé à prendre cette décision, il y a 15 ans, elle ne viendrait pas les poursuivre aujourd’hui. Puis j’ai trouvé plusieurs photos d’elle dans un dossier. «  Wu Janine ». Elle est jolie. Je lui ressemble, je pense. Elle a l’air aussi grande que Papa. Pourquoi m’avoir dit qu’elle était morte ?
Après presqu’une heure, la porte s’ouvre à nouveau et ils sortent tous. Je me lève et demande « Vous êtes ma mère ? » La femme s’arrête et me remarque enfin. On ouvre toutes les deux les yeux et je me vois en elle. Elle porte une robe noire très élégante, et un collier Chopard. J’avais lu qu’elle était actrice, j’avais vu plusieurs de ses films en cachette, mais j’avais jamais pensé la rencontrer aussi tôt. « Mei Li ? » Mei Li ? C’est comme ça qu’elle m’avait appelée ? Tout le monde m’appelle Mi mais c’était ça mon vrai prénom ? Je suis chinoise alors ? « Éloigne-toi d’elle, elle s’appelle Mi Ja, tu entends ?  Mi Ja! Ne prononce plus jamais ce nom devant elle! » Ma Grand-mère me tire vers elle et je me débats. Mais c’est trop tard. Maman et son avocat sont entraînés de force vers la sortie.
Après avoir appris ça, je décide de rencontrer ma mère en cachette, avant qu’elle retourne en Chine. Je veux tout savoir sur elle. Et elle sur moi. La dernière fois que j’ai l’occasion de la voir, on regarde son dernier film dans sa chambre d’hôtel. J’ai envie de pleurer. Je suis heureuse et en même temps je me sens trahie. Ils m’ont tous menti pendant des années, et pour quelle raison ?  Parce qu’ils la détestaient ?
« Tes grands-parents me haïssent mais il n’y a pas que ça. Tu es une des seules filles de la famille. Et bientôt, ils arrangeront ton mariage, avec un jeune héritier.
Et pour une
jeune fille bonne à marier, une vie familiale stable, il n’y a rien de tel.»  «Ils auraient pu me faire croire que la femme de Papa est ma mère, ils n’ont pas pensé à ça ?» « Je ne sais pas.» Elle m’embrasse sur le front. Je les déteste, je les déteste tous.

17 ans – Maman est morte. Dans un accident de voiture. Je ne sais même pas ce qui est vrai ou pas. Après cette histoire, il était clair que je ne pourrais plus jamais les considérer comme ma famille. Je restais cordiale avec eux, mais rien de plus. Ils m’inscrivirent à la Tsukuba International School. Le Japon? Bonne occasion pour me faire apprendre le plus possible, et de m'éloigner de tout ce que je connaissais. Je refusais catégoriquement de me mêler aux autres élèves. On était censés être du même monde, mais je n’arrivais pas à oublier qu’on m’avait retiré ma mère, parce que j’étais l’une d’entre eux. « Lee-san ? Pouvez-vous répondre à cette question ? » Je me lève et vais écrire la formule correcte au tableau, sans rien dire. « Mimi-chan ? Tu viendras à ce cocktail ? » J’acquiesce avec un petit sourire aux lèvres. Je ne parle pas beaucoup, souris poliment, et ne montre presque jamais ce que je ressens. Je n’ai pas tellement d’amie proche, apparemment  les filles ont l’air plutôt jalouses de mon nom, et de ma beauté. Je n’y peux rien si elles sont dans cette école en crevant d’envie d’y trouver leur futur mari, qu’elles paient des fortunes pour se taillader le visage à coup de bistouri pour être sures d’y arriver. Je suis certaine d’une chose ; malgré la mort de Maman, et tout ce que j’ai découvert sur elle, le ressentiment que j’ai envers ma famille, je ne me plains pas une seconde de ma situation. Je sais que  je peux avoir d’un claquement de doigt n’importe quel héritier d’un claquement de doigt, mais ça ne m’intéresse pas. Je préfère les faire languir. J’ai l’impression d’être un bouton de rose qui n’attend que d’éclore, et quand ce sera le cas, je les éblouirai tous.

25 ans - « Vous avez tourné dans une trentaine de films, et vous êtes  l’égérie de 6 grandes marques aujourd’hui… Comment arrivez-vous à avoir une vie privée ? » Mon léger sourire ne trahis rien de mes pensées. Je n’ai pas de vie privée. J’ai eu quelques histoires, et une amourette qui n’a pas marché. Je jette un coup d’œil vers le diaporama qui défile derrière moi. Le présentateur télé a le regard figé sur ma poitrine, je me demande s’il se soucie vraiment de ce que je dis. Le public de l’émission jette des « Oooh » et des « Aaah » en voyant des extraits de mon dernier film. «Vous savez, quand ma vie privée consiste uniquement à être la meilleure dans ma vie professionnelle, ce n’est plus très compliqué à gérer. » Je réponds en riant légèrement.  J’ai toujours le cœur un peu serré quand je regarde certaines photos. Je suis contente de ressembler à Maman, d’avoir eu mon premier rôle grâce à notre ressemblance, de sentir son regard bienveillant depuis là où elle est. Et cette carrière est le meilleur hommage que je puisse lui rendre. Mais il reste encore quelque chose à régler, et pour ça, je dois retourner à Seoul. Je sais qu’on m’appelle la « Dame de glace », dans le métier, tant on entend peu parler de mes aventures amoureuses.  Et je les ai gardées secrètes pour une raison. Je reste célibataire, à 25 ans, et on ne va pas tarder à vouloir me marier. «On vous le demande souvent, mais… Votre père et votre oncle sont deux des industriels, sinon les industriels des plus influents d’Asie, vous n’avez pas subi de pression afin de suivre leur voie, vous qui évoluez dans un milieu tout à fait différent aujourd’hui ? » Me demande la co-présentatrice. Je pince les lèvres et souris immédiatement après. « Ça n’a jamais été facile.. Mais le public et mes fans commencent à me connaitre, je pense. » Rires du public. « Quand je veux quelque chose, je l’ai. C'est pour ça que je n'ai eu aucune hésitation quand il a été squestion de me lancer dans l'enseignement. Si je veux faire ou changer quelque chose, rien ni personne ne peut m’en empêcher. »