Les vibrations de son téléphone guident ses pupilles vers la lumière trop forte que projette l’écran. Il ne l’aurait pas notifié autrement, la musique vissée trop forte dans ses oreilles. Il a dû éteindre ses basses, Nolan s’est plaint. Il le dérange parait-il. Qu’il dégage dans son propre appart s’il veut travailler sa science pas si infuse que ça. Noma a préféré s’enfermer à clé et ignorer les complaintes de son ainé. Il ne changera jamais. Ca ne lui offre qu’un prétexte de plus pour s’isoler à sa propre distraction. Il sort ses plans, son mac et toutes les listes d’établissements établis. Il prévoit son prochain casse dans les règles de l’art. Rien qu’à cette pensée des papillons envahissent son ventre comme un gamin de huit ans prévoirait d’aller voler des bonbons à la boulangerie. Cela fait trois mois qu’il est sur le projet, il lui en faudra sans doute deux de plus pour tout élaborer sans rien laisser au hasard et proposer à Herim de l’accompagner. Plongé dans la lecture d’un article sur la nouvelle bijouterie fraîchement installée dans le quartier d’Apgujeong, le souvenir de son téléphone vibrant lui revint en tête. Il n’avait même pas fait attention à ce que le message pouvait bien raconter. Rallumant l’écran, il se figea de surprise. « Raï ». Il ne pensait même plus ce numéro valide. Son doigt balaie précipitamment le tactile et dévale les quelques lignes de ses prunelles. Loin de penser ne plus jamais avoir de nouvelles, il ne s’attendait pas à recevoir du jour au lendemain un message de son vieil ami. Ce fut assez pour le convaincre. Quelques jours plus tard, Noma sonne à la porte de l’adresse indiquée. Une nouvelle, un bâtiment avec moins d’allure que la maison des Armani telle qu’il l’avait connue. Une maison toujours pleine d’agitation qui n’était désormais plus que le symbole du triste sort d’une famille. Il sonne, attendant qu’on lui ouvre bêtement. C’est con, il se demande même quelle tête aura Raï. Ca fait un bail qu’il ne l’a pas vu… comme tout le monde, d’ailleurs. Ce moment étrange lorsqu’il ouvre la porte. « Hey. » dit-il simplement, hésitant à faire une réflexion sur ses cheveux pâles. « Ca fait du bien de te voir mon pote ! » Après tout ce temps il est heureux de le retrouver. Son sourire en témoigne. « Bien les cheveux. » Il ne peut pas le garder pour lui finalement.

Y avait plein de cartons, y avait plein de plantes, y avait beaucoup de Nina. Y avait beaucoup dans sa vie désormais, y avait leur nouvelle vie. Raï il tentait de rattraper le temps, pas celui perdu car il pouvait pas le rattraper, mais celui qui pouvait lui filer entre les doigts. Il avait compris plein de choses, Raï, il avait beaucoup écouté Nina. C’était dur pour lui d’assimiler plein de nouvelles choses dans son esprit, des choses pas inhabituelles, qu’on lui avait pas apprises avant. Il apprenait à vivre d’une toute autre façon le japonais, influencé par la californienne mais surtout pas ses propres choix. Il avait décidé de vivre pour lui, pour eux, de s’ouvrir un peu, surtout à sa manière. Mais de vivre juste un peu mieux pour se rendre compte de ce que c’est d’être heureux. Il avait laissé la lumière de la belle lui éclabousser les yeux et le cœur, il avait cédé à la tentation de ses lèvres alors qu’ils se détestaient deux ans auparavant. C’était un renouveau, un peu surprenant pour certains, ceux un peu effacés de ce vide qu’avait creusé leur famille, ceux oubliés par le manque et le deuil, la tristesse d’un fardeau abattu sur leurs épaules de gamins.

Raï, il apprenait juste à comprendre comment fonctionnait vraiment le monde qui l’entourait, sans la violence, le malsain, le contrôle. Il devait se laisser aller l’asiatique, à ce monde qui lui tendait les bras. C’était souvent pas facile pourtant, parce qu’il avait tendance à se méfier mais il essayait et c’était le plus important. Pourtant, un soir, ses pensées s’étaient perdues dans son autre vie, celle du passé, celle d’avant les vraies emmerdes. Il repensait à Teresa, la belle, et il souriait presque, Raï, son sourire à lui, pas très expressif, juste un rictus qui déformait le coin de ses lèvres. A cette pensée, il avait juste souri, un peu nostalgique. Et puis, Noma. Il soupira doucement avant un éclair de lucidité. Raï prit son téléphone et chercha avec minutie dans son répertoire le nom de son ami. Par chance, il l’avait toujours mais espérait désormais qu’il était toujours actif. Après près de deux ans, Raï re-débarqua sans se poser de grandes questions. Parce que Noma comprendrait. Et sans attendre de réponse, il se replongea dans le rangement de ses affaires.

Et on sonna à la porte. Surpris, il tomba nez-à-nez avec celui dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis son message envoyé. Surpris, il tomba nez-à-nez avec cet ami qui semblait ne jamais l’avoir quitté. Alors Raï, il sourit, franchement, comme si une petite partie du puzzle s’assemblait aux autres. « Merci. » qu’il répondit alors dans une accolade pour le saluer, un fin sourire aux lèvres. « Une envie de changement après tous ces autres changements. » un léger rire, Raï le laissa entrer dans le nouvel appartement, le laissant découvrir son nouvel antre, décoré de blanc, de vert, de hippie, de Nina quoi. « Tu veux un truc à boire ? » qu’il commença alors, se dirigeant vers la cuisine ouverte. « Vas-y, pose tes affaires là-bas, fais comme chez toi. » parce que Noma, c’était un peu son chez lui. D’avant.

Deux ans. Deux longues années sans nouvelles, à se contenter des rumeurs et des retours des quelques membres de la famille Armani avec lesquels il avait eu l’opportunité de converser. Des opportunités rares, très rares. Les Armani étaient devenus discrets, se cristallisant presque dans un statut de vieille légende. Leur heure de gloire n’était dorénavant comptée plus qu’au passé et les soirées mondaines se passaient volontiers de leur présence et de leurs magouilles. Noma, lui, ça lui manquait un peu. Un peu car au fond s’il y avait quelque chose qu’il avait à regretter il n’y en avait qu’une : Raï. Son pote, celui dont l’anticonformisme l’a rapproché. Ca lui faisait du bien à Noma de ne pas se sentir seul dans ce monde élitiste et sévère de jugement. Il n’a pas hésité une seule seconde quand il a vu le prénom de Raï s’afficher à l’écran. A vrai dire il s’est même surpris à être content, comme si cette fille sur laquelle il lorgnait depuis toujours se décidait à le recontacter alors qu’il avait perdu espoir.
La porte s’ouvre sur la silhouette frêle et presque oubliée de Raï pourtant c’est comme s’il l’avait vu hier. Il n’a pas beaucoup changé, juste ses cheveux. D’ailleurs il ne manque pas de le lui signaler, Noma, ça détend un peu l’atmosphère étrange qui semble avoir été minutieusement installée par les années passées. « Celui-ci est plutôt pas mal. Audacieux mais pas mal. » Ce n’est pas à lui que viendrait l’idée de se décolorer la tignasse, loin de lui cette envie farfelue et dangereuse pour sa santé capillaire. « Je vais prendre ce que t’as de frai. Il s’en fou Noma, une bière ou un jus de fruit ça ne changera pas grand-chose. Ses prunelles analysent la pièce tandis qu’il se débarrasse de son écharpe puis de son manteau qu’il étale sur le canapé. Son warning interieur fait émettre en lui certains doutes. « Dis-moi Raï… » Il fronce ses sourcils, faisant glisser les pétales du lys posé en vase sur la commode du salon. Des fleurs fraîches. « La coupe de cheveux et la décoration c’est pour glisser le message subtile que t’es passé de l’autre bord ? » Il ne fallait pas qu’il s’isole deux ans pour ça hein.

C’était un peu comme si le passé le rattrapait, se modulait dans son nouveau monde, dans son nouveau lui. Il apprenait à profiter de ces choses d’une autre manière, comme si elles étaient finalement différentes. Pourtant, Noma n’avait pas changé, l’aura de mystère s’était engouffrée à sa suite, son ami de toujours avait le même regard, le même sourire. Il se surprit à penser que ça lui avait manqué, de voir ce visage familier s’affaler sur son canapé. Et Noma, il posait pas de questions, comme s’ils s’étaient quittés la veille, comme si son message soudain était normal, que les années ne s’étaient pas écoulées. Et ça faisait du bien, ça faisait du bien de comprendre que ce monde-là était finalement le même qu’avant. Raï, il en avait jamais vraiment eu peur, il ne l’avait simplement jamais compris. Alors il avait filé à la cuisine, il avait fouillé dans les courses que Nina avait faites et il attrapa deux bières avant de s’installer dans le fauteuil en osier en face du canapé. La bière glissa sur la table jusqu’à son ami et Raï voulut rire mais se retint à ses dires ; il prit simplement un air sérieux avant de soupirer « Bon okay… je peux rien te cacher même après deux ans… et c’est un peu la raison pour laquelle je t’ai fait venir... » il n’osait plus le regarder dans les yeux, il triturait sa bouteille en verre pas encore ouverte. Quelques secondes flottaient et il finit par lever le regard sur celui de Noma qui semblait curieux de la suite. « T’es vraiment con quand tu t’y mets sérieux. un rire désespéré, une amitié renouvelée. J’habite avec Nina maintenant. » Et au fond, y avait pas grand-chose à rajouter, à part de lui balancer le décapsuleur. C’était que Nina se suffisait d’explications. Les plantes et le vert, le blanc, le marron, le zen, le cocon. C’était juste l’aura de Nina qui transpirait dans l’appartement. Et même si Raï ne pouvait se l’avouer, il aimait bien ça, l’omniprésence de Nina.