Les mains encrées dans ses poches, sifflant d’un air des plus détendu la tête droite, Il Sung passe la porte de La Jungle. Pour l’instant, l’enseigne n’est pas encore ouverte, elle le sera d’ici une heure ou deux. Les stripteaseuses sont entrain de se préparer, le dj teste ses platines griffant à plusieurs reprises le silence des préparations. Pourtant arrivé avec elle, il ne sait pas où est passé Camille. Ouragan qu’elle est, elle s’est évaporée alors qu’il fumait sa cigarette avant d’entrer. Sûrement qu’elle était partie se préparer ou alors qu’elle discutait avec d’autres personne, il n’en savait trop rien. Cela ne le dérange pas ou plutôt, cela ne l’inquiète pas. Il sait qu’il la reverra tôt ou tard, au plus tard sous ses projecteurs. Elle est comme ça, en quatre ans il a eu le temps de s’y habituer. Camille est le vent : légère, tantôt douce, tantôt sauvage mais totalement insaisissable.

Il arrête finalement ses pas face à la scène, son regard se lève vers les projecteurs. Les régisseurs mettent en place le nouveau matériel. Curieux et parce qu’il s’agit du corps même de sa profession, Il Sung veille au bon fonctionnement. Il sait parfaitement qu’il peut faire confiance en son équipe mais parfois, ils leurs arrivent de faire quelques erreurs. Quelques erreurs qui pourraient compromettre le plan lumière qu’il avait concocté. Quoi qu’il en soit, les modifications seront faites dès lors qu’il allait rejoindre sa cabine. Il ne pouvait pas laisser les filles danser sous une lumière pourrie ou mal réglée. Ce n’est pas flatteur ( bien que Camille soit magnifique en toutes circonstances) et donc, absolument pas vendeur.

S’apprêtant à se rendre dans sa cabine afin de se mettre plus sérieusement au travail, il se tournait pour rejoindre l’étage. Cependant, son regard rencontrait celui d’une jeune femme. Une jeune femme qu’il ne connaissait que trop bien. Accompagné par Park Gabriel, un des propriétaires du club, il la présentait comme une nouvelle recrue. Il Sung pouvait à peine dissimuler sa mine surprise. A moitié paniqué de la voir ici mais dans un autre sens, rassuré de savoir qu’elle était toujours en vie, il attendit que le boss s’en aille pour se diriger vers elle. « Nam Il Sung, enchanté. » Il lui offrit une légère courbette, en insistant tout particulièrement sur son nom et sur le enchanté pour qu’elle comprenne que aux yeux de tous, ils ne sont pas censés se connaitre.

Un peu perdue, je jetais un coup d’œil, les yeux brillant un peu comme ceux d’une petite fille face aux premières décorations de Noel scintillantes qu’elle voyait, à cet endroit qui allait être ma nouvelle maison à présent. C’était si … je ne savais comment l’expliquer. Ce lieu dégageait un truc bien à lui, il n’avait rien à envier aux autres clubs aussi pimpants qu’ils pouvaient l’être. Il avait ce petit je ne sais quoi que les autres n’avaient pas et qui le différenciait. A la seconde où j’avais passé le pas de la porte, j’avais su que je m’y plairais. Et puis, il y avait cette magie que les danseuses transmettaient au travers de la scène qui me rappelait mon passé de danseuse étoile, me rendant quelques souvenirs nostalgiques. Bien que j’aime le devant de la scène, mon rôle à jouer ici se tenait en arrière-plan. Dans les coulisses si je puisse dire. Il était tout aussi crucial que les autres, c’est juste qu’il se faisait dans l’intimité de la pénombre, loin des spots éclairants. Un rêve se donnant avec le corps et non avec les yeux. Un spectacle tout autre, aux sensations tout aussi explosives pour ne pas dire extrêmes.

Il y a plusieurs années maintenant, à mon arrivée en Corée, j’étais en possession d’une grosse somme d’argent. Somme qui disparut bien vite après que je l’ai dépensé pour trouver un petit logement, l’aménager, et surtout acheter tout ce qu’il fallait pour mon petit bout qui venait à peine de naitre. Il avait fallu que je trouve une entrée d’argent et vite, sinon, c’était la rue qui m’attendait. Et il était hors de question que mon petit bonhomme meurt de froid. Il méritait ce qu’il y avait de mieux dans ce monde, et j’étais prête à tout pour lui donner. Difficile de trouver du boulot quand notre seul diplôme était celui d’une danseuse. Puis c’est venu seul à moi avec ce premier homme qui m’avait proposé une belle liasse de billets en échange de mon corps. La première fois, c’était le plus dure, la suite devenait une routine, un quotidien. Ce fut le père de Gabriel qui m’a recueilli, m’offrant un luxe que je n’aurais jamais me payer sur les trottoirs de Séoul. J’avais maintenant un endroit où exercer sans peur de la police ou des malintentionnés. Et aujourd’hui, c’était son fils qui avait demandé mes services pour son nouveau club. C’était avec un certain plaisir que j’avais accepté. Ce soir, c’était mon premier jour. Je découvrais la jungle au double sens avec un brin de mystère. Mon nouveau chez moi. Et je ne pensais pas si bien dire.

Un souvenir d’un passé lointain décidé soudain de refaire surface sous l’apparence d’une vieille connaissance. Je ne sus quoi dire telle était la surprise. Je ne m’attendais tellement pas à trouver Adam ici. Je faillis lui sauter au cou pour lui montrer à quel point j’étais heureuse de le revoir après autant de temps, et surtout ravie de le savoir toujours en vie. J’avais eu quelques doutes sans aucune nouvelle depuis si longtemps. Pourtant, sa froideur et la distance qu’il faisait preuve envers moi me fit hésiter. Je cachais ma joie derrière une légèrement courbette pour répondre à la sienne. « Enchanté, on m’appelle Bunny. » Mon nom de scène, bien loin de mon véritablement prénom. Je relevais le regard vers lieu, attendant presque qu’il se moque de ce nom que je m’étais choisi, comme dans l’attente d’entendre ce rire si longtemps oublié. Je regardais Gabriel s’éloigner me disant me laisser entre d’excellentes mains pour la suite. Je vérifiais qu’il ne restait plus que nous deux dans les environs pour me permettre des familiarités envers le jeune homme. Laissant parler mon impulsivité, je me jetais à son cou, pleurnichant presque dans ses bras. « Je suis tellement contente de te revoir Adam, si seulement tu savais. »

C’était bizarre de la revoir ici. Dans un premier temps il se sentait perturbé, un peu perdu et désorienté comme si son passé venait de resurgir face à lui, comme pour lui rappeler qu’il pouvait resurgir n’importe quand. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle est ici depuis longtemps ? Comment ? Est-ce que ils l’avaient retrouvé ? Ils avaient retrouvé sa trace ? Tant de questions lui chamboulaient la tête. Alors pour lui faire comprendre qu’il était ici sous couverture, il s’était précipité vers elle, un peu froid et distant en mentionnant sa fausse identité, celle qu’il donne à tout le monde. Ce Nam Il Sung qui n’existe en réalité pas ou à qui du moins, il ne donnait vie que depuis quelques années maintenant. Il ne voulait pas qu’elle fasse une gaffe, à crier son réel prénom devant tout le monde et à se mettre à lui parler en russe. Pourtant, il se sentait rassuré. Rassuré de la voir en vie, rassuré de la voir ici. Il se disait qu’il pourrait se confier à quelqu’un, quelqu’un qui le connait aussi bien que lui et qui pourrait le comprendre à la perfection.

Alors quand Gabriel s’éloignait finalement et que les régisseurs étaient partis fumer leurs clopes, il ne put s’empêcher de la serrer dans ses bras quand elle lui sautait au coup. Il humait son parfum malgré lui se laissant transporter à ce temps où ils étaient tous ensemble, tranquillement à St Pétersbourg sans le moindre problème. Beaucoup de choses avaient changés depuis. Il la serrait encore un peu auprès de lui avant de se détacher d’elle. Il regardait autour de lui, la tenant par les épaules avant de tourner à nouveau les yeux vers elle pour lui demander en russe : « Qu’est ce que tu fais là ? Ils t’ont retrouvée ? » Il finit par sourire, en repensant au nom qu’elle lui avait annoncé. « Bunny, c’est quoi son pseudo si pourri ? » Il se mit à rire. Rire de sa connerie, rire parce que il est heureux.

La nostalgie du passé me touchait de plein fouet. Je n’avais jamais imaginé pouvoir revoir le jeune homme un jour alors qu’on s’était promis de se séparer et de ne plus revenir. Si j’avais su qu’il se trouvait si près de moi, je n’aurais pu m’empêcher de le retrouver. La vie était parfois cocasse de croiser nos chemins à nouveau alors que la dernière fois que nous nous étions vu, nous étions en danger de mort. Était-ce un signe ? Sans doute aurais-je du l’interpréter ainsi pour assurer mes arrières et celui de mon fils, mais pour l’heure, l’euphorie de retrouver mon ami l’avait emporté. Pendue à son cou, des larmes coulaient sur mes joues de gaieté. Trop d’émotions d’un coup, je devais l’évacuer d’une manière ou d’une autre. Le passé me manquait. Il Sung m’avait manqué. Et pour la première fois depuis longtemps, je me mis à penser à lui. Adrian. Était-il aussi de retour ? Était-il seulement encore en vie lui aussi ? Étions-nous tirés d’affaire après autant d’années ? Je me détachais à contre cœur du jeune homme, reprenant doucement mes esprits. Entendre parler ma langue natale à nouveau me fit sourire. Tellement longtemps que je ne l’avais plus entendu. Même mon fils, je ne lui avais pas appris les rudiments de ses origines de peur qu’on en remonte jusqu’à nous par cette simple erreur de ma part. Je secouais la tête de manière négative. « Ca fait sept ans que je me planque en Corée. Ma vie se trouve ici maintenant, même si j’ai toujours le réflexe de regarder derrière moi pour m’assurer que je ne suis pas suivie. » Répondis-je sur le même ton. Une chose était sûr, je n’avais pas perdu mon accent, ni mon vocabulaire. Les mots sortirent de ma bouche comme si ils n’en étaient jamais partis. « Et toi ? C’est la première fois que je te croise à Séoul ! Ne me dis pas que pendant tout ce temps tu te trouvais également ici, à vivre dans la même ville sans jamais se croiser ? » Demandais-je, une nuance légèrement choquée dans le timbre de ma voix. Je gonflais les joues, un rien boudeuse. Presque pas. Avant de mêler mes rires aux siens. Il n’avait pas changé. Toujours à rire de bon cœur de sa connerie. « C’est le premier mot que mon fils à prononcer… je l’ai donc gardé. » répondis-je un sourire heureux sur les lèvres. Oui, son premier mot avait été bunny, son deuxième mot : maman.

Jamais Adam n’aurait imaginé revoir Raina un jour. Leurs chemins s’étaient séparés brutalement, à contre cœur et même si il savait pertinemment que c’était la meilleure chose à faire à ce moment-là, il ne pouvait pas s’empêcher de repenser à ses amis. Etaient-ils en vie ? Avaient-ils eu des ennuis comme cela lui était arrivé ? Avaient-ils dû changer plusieurs fois de pays ? Où étaient-ils ? A quoi ressemblaient leurs nouvelles vies ? Ils lui manquaient incroyablement. De nombreuses fois il avait été tenté de demander de leurs nouvelles mais il était préférable qu’il reste dans l’ombre à prier pour que rien ne leur soit arrivé.

Cependant aujourd’hui Raina était là. Droite devant lui, en chair et en os. Il ne lui fallut pas moins de deux secondes avant qu’il ne la prenne dans ses bras suite au départ de Gabriel. Ses inquiétudes la concernant s’évaporaient rapidement pour laisser place à un sentiment de soulagement des plus importants même si ceux pour Adrian le rongeait encore. Elle était belle, elle n’avait pas changé. Pendant un instant, il eut l’impression d’avoir fait un retour en arrière. Pendant un instant il s’était imaginé qu’ils étaient de nouveau en Russie, qu’ils ne l’avaient jamais quitté et que rien ne s’était passé. Son parfum, ses bras, tout était comme avant. Pourtant, les néons colorés de la Jungle lui rappelait que ce n’était pas le cas. Alors après l’avoir longtemps serrée dans ses bras, il se détachait ne pouvant se retenir de la questionner en russe. Parler russe lui avait manqué plus que jamais. Bien sûr que parfois il lui arrivait de jurer en sa langue natale mais cela ne comble que trop peu son manque de la pratiquer. Parfois il se sentait dénaturé, comme si il avait perdu sa propre personne. Avec tous ces mensonges qu’il balançait aussi simplement que si il s’agissait de la vérité et bien qu’il reste au fond Adam, il était indéniable qu’il s’effaçait petit à petit. Dans le fond, qui est-il aujourd’hui ?

En l’entendant dire qu’elle est en Corée depuis sept ans maintenant, il ne put cacher sa surprise. Tant de temps que cela ? Comment ont-ils fait pour se rater autant ? Même si cela le choquait et même si il aurait préféré la retrouver avant, cela avait au moins le mérite de prouver que tout deux se cachaient si bien qu’ils en venaient à se rater. « Si … » Il se mit à rire légèrement avant de poursuivre. « Je suis arrivé il y a bien un an et demi maintenant. Avant ça, j’ai vécu dans à peu près tous les états des Etats-Unis. » Un sourire s’étirait sur ses lèvres. A quelques-uns près, bien sûr.

Puis comme si rien ne s’était passé depuis la dernière fois qu’il l’eut vue, il ne put s’empêcher de se montrer taquin, la titillant sur ce surnom qu’il trouvait des plus stupides. Bunny … Avec un surnom pareil, on s’attend à voir arriver une meuf avec des dents longues comme des scies et non pas une demoiselle aussi pétillante qu’elle. Pourtant à sa réponse, le brun manquait de s’étouffait avec sa propre salive. Hein ? Quoi ? « Ton fils ? » Demandait-il en écarquillant les yeux, totalement abasourdi. « Tu as refait ta vie à ce point-là ? » Adam était littéralement sous le choc et c’était toutes les années perdues qu’il s’était pris en pleine gueule. Dans ces moments où il s’était imaginé revoir ses amis, il ne l’avait jamais imaginé avec un enfant. Pour lui bien qu’ils avaient vieillis, ils étaient restés ces jeunes à peine adultes, sauvages et beaucoup trop immatures. Après tout, avait-il réellement muri durant ce temps ?