Je ne savais pas pourquoi j'avais eu l'idée stupide de sortir en pleine nuit avec mon état. A vrai dire, j'avais tellement le sommeil déréglé que j'étais très irrégulier dans mes cycles et cette nuit, j'étais littéralement insomniaque. Je m'étais trop retourné dans mon lit, et le plafond de ma chambre m'avait trop angoissé. Je me sentais tellement mal ces derniers temps. Quitter l'hôpital ne m'avait pas fait le bien que j'espérais éprouver. Ne plus voir ces murs blancs, cette chambre pourtant si joliment décorée avec toutes les fleurs qu'on m'avait apporté durant ma convalescence... J'avais vraiment cru aller mieux. Mais ce n'était apparemment pas le cas, car je commençais de plus en plus à souffrir de ma nouvelle condition. C'était difficile de réaliser que j'étais devenu un poids pour tout le monde. Ma famille, mes amis... Je ne pouvais dépendre plus que d'eux. Où était passée cette indépendance que j'aimais tant exploiter ? En marchant dans ces rues glaciales, armé de ma nouvelle amie la canne que je ne parvenais pas encore à maîtriser, je me surprenais à réaliser que ma vie ne serait plus si simple dorénavant. Et je souffrais, je souffrais d'être devenu le misérable handicapé qui avait failli tuer sa petite-amie en s'endormant bêtement au volant. Un glapissement d'effroi s'échappa de mes lèvres et je m'adossai lourdement contre le mur du bâtiment que je longeais, soudain fatigué et n'ayant plus la force de réfléchir seul dans ce néant qu'était devenue ma vie.

Je sortis désespérément mon téléphone de ma poche. Mais en regardant l'écran d'accueil, je commençai à réfléchir. Qui appeler ? Comment expliquer que j'étais paumé en ville, complètement seul et dans le mal ? Je n'avais même pas pris mes médicaments, je m'étais échappé discrètement de ma demeure familiale où j'étais en repos. Ma jambe me faisait énormément souffrir et j'étais terriblement con d'être parti sur un coup de tête. Je sentais que ma vie partait en live. Que je perdais tout contrôle sur moi-même. Pour le toqué que j'étais, c'était une catastrophe. Si ça continuait comme ça, j'allais me taper une crise d'angoisse en pleine rue, à m'étouffer dans ma propre connerie. Ni une ni deux, je composai le premier numéro qui me vint en tête: celui de Tae Hyun. Pour je ne savais quelle raison, il était réveillé à cette heure avancée de la nuit alors sans lui expliquer plus en détails, je lui dis au bout du fil: « J'ai besoin que tu viennes me chercher. Je suis dans la rue en face de la station de métro de Myeongdong. Ne pose pas de question putain. » fis-je alors que je l'entendais déjà me demander des explications. Je raccrochai rapidement et  plaquai l'arrière de ma tête contre le mur, respirant bruyamment et m'efforçant de garder mon calme. Mais quand tout partait en vrille dans ma vie, comment pouvais-je rester tranquille ? J'avais tout perdu. Et plus que tout, je m'étais perdu.

« Allez, repose toi. » dis-je après avoir déposé mon frère dans son lit. Nous revenons d'une soirée bien arrosée du moins... Pour lui. Il avait pas mal bu, contrairement à moi car même si je tiens l'alcool, c'était moi au volant et malgré mon côté fêtard, quand je prends la voiture, j'assume. Mon frère lui, quand il boit, il n'est pas vraiment emmerdant. Non puisqu'il dort. Je ne suis même pas sûr qu'il entende ce que je suis en train de lui dire, alors je sors rapidement de sa chambre, croisant mon père. Génial, j'ai passé une bonne soirée et il vient de la gâcher, il n'a encore rien dit mais rien que de voir sa tête me suffit. Je sais qu'il va encore me passer un savon, parce qu'avec mon père, on se déteste. Et ce n'est pas une crise d'adolescent, j'ai passé l'âge, non non c'est de la haine. Autant pour moi, que pour lui. Il commence à m'engueuler, comme d'habitude, je l'ignore et continue mon chemin même s'il n'est pas décidé à me lâcher. Putain, j'ai plus 16 ans ! Il s'est jamais occupé de moi, à quoi il joue là ? Non ce n'est qu'une simple excuse pour me rappeler qu'il me supporte pas, comme si j'en avais besoin. Je lui réponds par un simple geste, tendant ma main dans sa direction et lui adressant un joli doigt d'honneur, mais ça, c'est avant que mon portable se mette à sonner. Je vois le nom de Ji Hoon inscrit, mes sourcils se froncent. Je m'imagine le pire et j'ai de quoi, étant donné ce qu'il s'est passé dernièrement...

Je décroche, ne prêtant plus aucune attention à mon père. « Ji Hoon ? » Mais je n'ai même pas le temps de lui demander ce qu'il se passe qu'il me dit aussitôt « J'ai besoin que tu viennes me chercher. Je suis dans la rue en face de la station de métro de Myeongdong. Ne pose pas de question putain. » Quoi ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Je n'ai même pas le temps de réagir qu'il raccroche. « Allô ?! » Non non, il a raccroché. Très vite je range mon téléphone dans ma poche et sort de la maison, mon père continue sa petite crise mais je l'ignore, je grimpe dans ma voiture. « Fais chier! » râlai-je, plus par peur qu'autre chose. Qu'est-ce qu'il me fait là ? Qu'est-ce qu'il fout là-bas ? Oui je m'imagine le pire là, clairement. Alors je me mets en route, un peu trop rapidement je dois l'avouer mais j'ai peur de le retrouver dans un état lamentable, après l'avoir vu dans le coma pendant tout ce temps, je ne le supporterai pas. J'ai eu la peur de ma vie. Et une fois arrivé à destination, je finis par l'apercevoir près d'un mur. Je me gare près de lui, à une vitesse folle avant de sortir de la voiture, je claque même ma portière ne mesurant même pas ma force. « Ji Hoon, ça va ? » demandé-je toujours aussi inquiet tout en m'approchant de lui « Qu'est-ce qu'il se passe ?! Qu'est-ce que tu fais ici ?! » Il me fait peur là, il est tard, beaucoup trop tard. Au moins, une partie de moi est rassurée de le voir devant moi, il faut me comprendre. Mais je suis également rassuré qu'il m'ait téléphoné, s'il a des soucis, il sait très bien que je l'aiderais. Je fais déjà mon possible pour lui depuis son accident.

La nuit ne m'avait jamais paru aussi profonde, noire et douloureuse. Moi, j'aimais bien la nuit. J'aimais les étoiles, le mystère de la brume fraîche et blanche dans les rues. J'aimais la lumière des lampadaires sur la route. Ce nacré mat qui courait sur nos yeux. La nuit, c'était calme. La nuit, c'était comme l'eau: doux, étrange mais tout aussi imprévisible. La nuit, c'était mon amie. Mais ce soir, elle n'est rien d'autre qu'un mystère de plus à ma vie qui partait en vrille. Les yeux relevés sur le ciel noir, je m'efforçais de compter lentement dans ma tête pour me calmer. Je sentais le froid traverser mes pores, et parcourir mes veines. Si mon corps pouvait fumer d'angoisse, il le ferait assurément. J'avais mal, j'avais si mal d'être vivant. Pourtant, le psychologue m'avait dit que ça allait, que tout ce dont j'avais besoin était du repos. Mais le repos n'existait pas chez moi. Il n'avait jamais existé. Et il n'existerais probablement jamais.

Appuyé contre le mur, je ramenai ma main sur ma veste pour me protéger encore plus de ce froid intense. Il était minuit passé, à quoi je m'attendais... Je baissai la tête pour regarder mon téléphone. Je ne savais même pas si Tae Hyun allait venir. Quel défaitisme, je m'étais connu plutôt réaliste. Je regardai autour de moi, me rendant compte des rues quasi vides. Il y avait bien deux ou trois passants qui circulaient par-ci par-là, mais j'étais définitivement seul. Seul, moi et ma "dépression". Enfin, je ne savais pas si je pouvais appeler ça ainsi. Je ne savais même pas ce que j'avais. J'étais soudainement tout angoissé, en proie à un doute certain concernant ma propre vie. C'était ça, ce sentiment désagréable de faire tâche ? Le réveil avait été brutal. Apprendre la vérité l'avait été d'autant plus. Je me souvenais avoir eu envie de mourir. Et dans cette nuit noire où je tentais de ne faire qu'un avec le mur, la voix claire de Tae Hyun parvint à mes oreilles. Je me tournai vers lui alors qu'il arrivait à ma hauteur, et je m'accrochai désespérément à son bras, mes sens en alerte. « Tae Hyun ! Tae Hyun dis-moi que tout ceci est vrai ! Que je ne suis pas encore perdu dans le coma ! » fis-je en haussant le ton, encore plus perdu que je ne le croyais. Cette réalité me faisait mal. Cette réalité m'effrayait. Si seulement je pouvais fermer les yeux et me réveiller quelque part où tout allait bien... Mais tout allait bien, ici. Tout allait bien, et je n'avais qu'à me calmer. Mais comment pouvais-je diable apaiser mes troubles ? Tae Hyun découvrait un tout autre homme. C'était mon inconscient qui me jouait des tours. Faible. J'étais complètement faible et j'avais du mal à tenir debout. J'avais les yeux humides, fous. « J'ai tellement mal Tae Hyun, j'ai l'impression de crever. » finis-je par lui confier, détournant les yeux de l'autre côté. C'est ça, j'avais l'impression de crever. De pourrir de l'intérieur. Et de mourir une fois encore.

Je flippe de nouveau, une peur bleue lorsque j'entends sa voix au bout du fil, ce qu'il me dit ne me rassure en rien bien évidemment alors je ne perds pas de temps. Je ne prête même plus attention à rien ni personne, mon père continue de râler tout seul -pour ne pas changer- tandis que je prends la route. Je conduis peut-être un peu trop vite mais je ne m'en rends pas compte, tout ce que je veux, c'est retrouver Ji Hoon le plus rapidement possible, le savoir en sécurité et l'avoir à mes côtés. Je ne veux plus revivre cette difficile période, lorsqu'il s'est retrouvé dans le coma. Je sais bien que c'est difficile pour lui d'accepter ça, de vivre ça mais au moins, il est en vie. J'avais tellement peur de ne plus jamais le revoir, de le perdre. Alors évidemment, je ne prête pas attention à la vitesse à laquelle je peux rouler. Fort heureusement, j'arrive sur les lieux sain et sauf.

J'aperçois mon ami non loin, je gare la voiture tout près de lui puis sort de cette dernière, je commence à lui poser quelques questions avec ce ton plus qu'inquiet, cependant, je suis rassuré de l'avoir devant moi. « Tae Hyun ! Tae Hyun dis-moi que tout ceci est vrai ! Que je ne suis pas encore perdu dans le coma ! » Il hausse le ton, mes sourcils se froncent. Ça me tue de le voir dans cet état mais surtout, de ne rien pouvoir faire pour lui, de ne pas pouvoir l'aider, de ne pas pouvoir soulager sa conscience ou repartir dans le passé pour éviter cet accident horrible. « J'ai tellement mal Tae Hyun, j'ai l'impression de crever. » Je le force à s'agripper à moi, l'amenant près de ma voiture. Je tente de prendre sur moi, de ne pas montrer à quel point je souffre de voir mon ami dans cet état et de me sentir aussi impuissant. « Tu n'es pas dans le coma Ji Hoon. » Je marque une courte pause avant de reprendre « Tout va bien, je suis là. » Tout va bien... C'est une façon de parler, je le sais bien. Je ne suis peut-être pas à sa place, dans sa situation mais je sais qu'il souffre énormément, ça me tue. Je viens ouvrir la portière du côté passager, le faisant asseoir sur le siège. Bordel, il vient de me faire tellement peur. Je sais que j'ai ce côté un peu parano mais avec ce qu'il s'est passé, je ne peux vraiment pas m'en empêcher. « Qu'est-ce que tu fais dehors à une heure aussi tardive ? » Il voulait quelque chose ? Il cherchait quelqu'un ? Il était avec quelqu'un ? Je ne sais pas du tout. Je suis tout de même content qu'il m'ait téléphoné plutôt que de rester seul dehors, la nuit, dans cet état. Au moins, je ne me sens pas si impuissant que ça.

C'était douloureux d'avoir la tête remplie de tant de choses que je n'arrivais pas à contrôler. Ca me bouffait, ça me réduisait en miettes et j'étais dans un tel état d'angoisse que tout ce que j'arrivais à faire, c'était ressasser encore et toujours ces jours difficiles à l'hôpital. Je souffrais. Je souffrais d'être devenu handicpé, d'avoir impliqué Joo Hee et tous mes amis dans cet accident. Si seulement je m'étais rendu compte plus tôt que j'étais en total burn-out, peut-être que j'aurais pu éviter cet accident. Peut-être que j'aurais pu faire éviter à Joo Hee un traumatisme bien trop présent entre nous aujourd'hui. J'avais peur. J'étais terrifié à la simple idée de pouvoir la perdre. Et plus que de la perdre, me retrouver seul. Je souffrais d'être l'unique fautif dans cet accident. Un simple endormissement au volant, et les vies de bon nombre de proches s'envolaient en éclats. Je m'étais excusé tellement de fois auprès d'eux. Joo Hee, Moeko, In Ha, Sae Ra, Tae Hyun, pour ne citer qu'eux. Tae Hyun qui me tenait fermement contre lui afin de me ramener à sa voiture. Je ne sentais plus mes jambes, mes doigts s'aggripaient désespérément à sa veste. Tae Hyun, Tae Hyun était réel n'est-ce pas ? Je n'étais pas en train de rêver ? Mon regard affolé se posa sur mon ami. Il était tout aussi perdu que moi parce que je l'inondais d'une terreur que je ne parvenais plus à garder pour moi. Je ne pouvais pas me permettre de me reposer sur ma famille. Elle avait déjà assez souffert. Oh, j'étais tellement désolé... J'avais envie de me vider de larmes et de mourir. Mourir pour toujours.

Je pris place sur le siège côté passager, le souffle court. Je haletais, le froid hivernal de la nuit séoulite me brûlait les joues et les lèvres. C'était ça, cette sensation de vide profond. Je n'étais plus moi-même, j'étais en proie à une sorte de terreur nocturne et même le lampadaire de la rue ne savait plus éclairer mon chemin. Ce dernier était semé d'embûches, de ronces, et je boîtais plus que je marchais dans ce dédale douloureux. Je le savais, cette année serait très difficile pour moi. Je sentais que je n'allais pas y arriver. Je sentais que cette fois-ci, je ne ressortirais pas vainqueur. Cette insécurité me força à pousser un soupir bruyant tout droit sorti du plus profond de mon être. Tae Hyun ne m'avait pas lâché, il me regardait avec ce même air ahuré, comme si la vérité lui était tombé en plein sur la figure. Pardonne-moi Tae Hyun, tu n'aurais peut-être pas dû décrocher ce soir. « Je n'arrivais pas à dormir, je... J'avais besoin de sortir. Fixer les quatre coins d'une pièce toute la journée, je commence à en avoir marre. » fis-je d'une traite, ne me laissant même pas le temps de respirer. Mes lèvres tremblaient, mes doigts s'engourdissaient. L'air glacial anesthésiait mon souffle et je commençais de plus en plus à me congeler sur place. C'était fini, les sorties nocturnes. Surtout dans ma condition. Putain mais qu'est-ce qui m'avait pris ? Je me sentais encore plus lourd qu'une enclume. « Je me demandais si... si on allait m'en vouloir d'être responsable de cet accident. Si au final, tout ce que je mérite, c'est d'être tout seul. Putain Tae Hyun je ne sais pas ! Je ne sais plus. Je ne suis qu'un sombre connard ! » confiai-je ensuite à mon ami, l'angoisse reprenant place dans mon coeur alourdi par le poids de mes responsabilités. Peut-être qu'au fond, j'aurais dû rester dans le coma. Là-bas, c'était peut-être le néant, mais je ne ressentais rien. C'était si difficile de vivre, si difficile de ressentir. Mais au moins j'étais sûr d'une chose: je n'étais pas un monstre. Parce qu'un monstre, lui, ne ressentait rien. J'étais tout ce qu'il y avait de plus humain. Un être inachevé. Un être imparfait. Une âme en perdition.

Je ne l'avais pas lâché, bien évidemment. Il m'avait fait une peur bleue mais le voir en vie, là, près de moi, me rassurait. Cela peut paraître idiot mais ça ne l'est pas, j'ai tellement eu peur pour lui, tellement eu peur de le perdre, tellement eu peur qu'il ne sorte jamais de ce foutu coma. Jamais je ne pourrais oublier cette difficile épreuve, pour moi mais surtout pour lui, le voir dans cet état me détruit, et surtout de me sentir si impuissant. Je ne peux pas changer le passé, je ne peux pas lui retirer la douleur, la seule chose que je puisse faire ? Être là pour lui, et je le suis. Je fais de mon mieux en tout cas car jamais je ne l'abandonnerai. Il est un peu comme mon grand frère, il m'a aidé durant ma période assez difficile, il m'a, comme qui dirait, sorti de la merde dans laquelle je m'étais fourré. J'ai eu ma période rebelle, ma période un peu sombre, ma période où j'étais complètement con et il a été une épaule sur laquelle j'ai pu me reposer, une épaule sur lequel je m'appuyais pour avancer, je n'étais pas seul, je ne l'étais plus. Pourtant je n'ai jamais vécu quelque chose d'aussi horrible, non là, je sais qu'il est rongé de l'intérieur.

Il prend place sur le côté passager, je reste face à lui. Il a beau être en vie, sain et sauf, il est tout de même mal. C'est ce que j'avais compris et puis de toute façon, il n'aurait pas eu besoin de me le dire, je le sais bien.« Je n'arrivais pas à dormir, je... J'avais besoin de sortir. Fixer les quatre coins d'une pièce toute la journée, je commence à en avoir marre. » me dit-il d'une traite. Je grimace quelque peu, frustré de le voir dans cet état et de ne rien pouvoir faire pour lui, pour l'aider, pour soulager sa conscience. Mais je le comprends, je n'ai rien vécu de tout ça mais je le comprends. « Je me demandais si... si on allait m'en vouloir d'être responsable de cet accident. Si au final, tout ce que je mérite, c'est d'être tout seul. Putain Tae Hyun je ne sais pas ! Je ne sais plus. Je ne suis qu'un sombre connard ! » continue t-il. « Oh, oh ! Stop ! » m'empressé-je de lui dire, qu'est-ce qu'il vient de me dire là ? Non mais je rêve. « Respire, prends toi cinq minutes, d'accord ? On a le temps. Je te ramène chez toi après. » Il faut d'abord qu'il se reprenne, qu'il reprenne ses esprits avant toute chose. Il est dans un sale état, là. « Ce n'est pas de ta faute, d'accord ? Tu n'as rien voulu de tout ça. » lui dis-je sincèrement avant de continuer en lui disant cette fois. « Tu ne mérites en rien d'être tout seul, ne dis plus jamais ça. » C'est complètement faux ! Je sais qu'il est mal mais ce qu'il me tue le plus dans tout ça, c'est qu'il puisse penser une chose pareil...

Ce qui était probablement le pire dans cette situation, c'était que j'étais incapable de partager ma détresse à Tae Hyun. Je lui disais ce que je ressentais sur le coeur, mais je n'arrivais pas à lui faire ressentir physiquement ce sentiment d'insécurité qui prenait possession de mon corps. Mes mains tremblaient, mon coeur se serrait, mon esprit était embrouillé. Je paniquais. Je regardais partout, sans même pouvoir fixer mon ami ne serait-ce que deux secondes. Je ne parvenais pas à rester calme, à faire le vide dans ma tête et me dire stop. Rien ne suffisait, pas même la présence de Tae Hyun. Etait-il venu pour rien ? Certainement pas. S'il n'était pas arrivé, j'aurais probablement fini la soirée dans la rue, recroquevillé contre moi-même et incapable de faire le moindre mouvement. J'avais mal à la jambe, mais ce n'était rien comparé à la détresse évidente de mon esprit. Je me sentais en pleine dérive, comme si j'avais perdu le contrôle de mon bateau et que j'étais en train de chavirer sur une plage infestée de pensées négatives. J'étais coupable, j'étais responsable de mon propre malheur, et je m'étonnais à vouloir m'accrocher à plus courageux que moi. J'étais pathétique. J'étais même pitoyable.

Je sentais les mains de Tae Hyun m'agripper au possible les bras. Mais j'étais agité. Je ne parvenais pas à rester en place sur le siège passager tellement j'étais perturbé. Là-bas, ailleurs, encore plus loin que la réalité, je me sentais chuter tout droit dans ce qui semblait être le néant. Ce même néant qui avait caractérisé mon coma. Je n'avais pas envie d'y retourner. Je n'avais pas envie de fermer les yeux. Dormir relevait de l'exploit pour moi. Tout simplement parce que j'étais terrifié à l'idée de ne plus me réveiller le lendemain. Mes yeux se reposèrent sur celui étonné et confus de Tae Hyun, mordillant ma lèvre inférieure dans un état de stress intense. « T-Tu sais qu'ils me droguent ? Ouais, ouais, ils me droguent pour pouvoir me faire dormir ! L'hôpital m'ont prescrit des somnifères et ça me shoote grave. Je ne veux plus les prendre, je ne veux plus qu'on me force à mourir chaque nuit !! » lui fis-je dans une panique incontrôlée, attrapant moi-même les bras de Tae Hyun pour le secouer faiblement. Pitié, qu'il m'éloigne de ma mère qui calibrait la prise de mes médicaments à la minute près. Mais je ne savais pas que c'était pour mon bien, que les cernes qui se creusaient sous mes yeux étaient la manifestation de ma fatigue extrême. Je n'avais pas conscience que ces pilules n'étaient que mon salut. Que sans elles, je serais incapable de me lever chaque jour. Et que sans elles, je serais condamné à me taper la tête contre un mur par manque de sommeil. Alors au final, peut-être fallait-il mieux me droguer jusqu'à l'overdose. Pour mourir encore. Et ne plus jamais revivre.

Je le tiens comme si j'avais peur qu'il s'envole, qu'il disparaisse, qu'on me le retire de nouveau. Ce jour-là, j'ai eu la peur de ma vie. J'ai cru pendant un temps ne plus jamais le revoir. Cette peur, je ne l'oublierai jamais. Comment c'est possible ? Dans un sens, je me sens rassuré. Rassuré qu'il m'ait passé ce coup de téléphone et d'être avec lui. Comme si rien ne pouvait lui arriver si je suis à ses côtés, c'est un peu mon ressenti oui, car je ne laisserais rien lui arriver. Pas une seconde fois. Mais dans un sens, beaucoup trop inquiet, le voir dans cet état me fait du mal. Je déteste me sentir impuissant et c'est le cas. Je suis impuissant face à ça, face à ce qu'il lui arrive alors je fais de mon mieux. Je suis présent. Ji Hoon sait qu'il pourra compter sur moi quoi qu'il arrive, évidemment qu'il le sait et je ne manque pas une occasion de lui rappeler. J'ai besoin qu'il le sache, qu'il le comprenne. Et même sur le siège passager je le vois, je l'observe. Il n'arrive pas à rester en place. « T-Tu sais qu'ils me droguent ? Ouais, ouais, ils me droguent pour pouvoir me faire dormir ! L'hôpital m'ont prescrit des somnifères et ça me shoote grave. Je ne veux plus les prendre, je ne veux plus qu'on me force à mourir chaque nuit !! » Mon cœur se resserre dans ma poitrine. Je ne sais pas comment le sortir de là. Je ne sais pas.

Il agrippe mon bras, paniqué comme pas permis, le secouant quelque peu. Il faut qu'il arrive à se calmer et c'est en posant ma main sur la sienne, le forçant à arrêter que je tente au mieux, comme d'habitude de l'aider. « Écoute moi. » dis-je d'une voix calme dans l'espoir de l'apaiser. Je suis certain que cela peut fonctionner et puis de toute façon je ne lui laisse pas le choix. Il m'écoute. « Ils savent ce qu'ils font et ils font ça pour t'aider. Et si tu n'arrives pas à leur faire confiance... Fais MOI confiance. » Évidemment qu'ils savent ce qu'ils font, qu'ils ne lui prescrivent pas n'importe quoi, je leur fais confiance là-dessus. Pourtant, je peux le comprendre... Je ne suis pas passé par là, je n'ai pas été dans le coma mais je le comprends. « Tu en as besoin, tu as besoin de te reposer. » dis-je finalement toujours sans le quitter du regard, mon regard droit rivé sur lui, je termine « C'est fini, d'accord ? » Il n'est plus seul, je suis venu. Je suis là. Il n'est plus dans le coma. Je sais ce qu'il le pense, le cauchemar ne fait que commencer sauf que je traverserai ça avec lui s'il le faut, je l'aiderai du mieux possible. Il ne sera pas seul et je ne lui lâcherai la main. Il ne tombera pas.

Je tremblais. Je tremblais de tout mon corps et il m'était impossible de me calmer. C'était comme si je ne contrôlais plus mes muscles, que c'étaient eux qui bougeaient pour moi. Mon regarde paniqué et perdu s'enfonçait dans celui lumineux mais tout aussi paniqué de Tae Hyun. Je lui en faisais voir de toutes les couleurs avec cette peur panique de dormir. Et penser que l'hôpital me droguait, ce n'était que la preuve de ma fatigue évidente. Exactement, j'étais plus que fatigué de devoir me battre contre des démons irrationnels. Ils étaient là, au fond de ma tête, mais ils n'allaient jamais quitter ma pensée pour faire des ravages ailleurs. Je devais me faire soigner. J'aurais dû accepter l'aide psychologique à l'hôpital. Mais peut-être qu'il n'était pas trop tard ? Je dévisageai Tae Hyun avec cette même angoisse qui rongeait mes cordes vocales. J'avais l'impression que je perdais ma voix dans cette détresse quasi-palpable. Et je m'accrochais à lui comme je m'accrochais à une vie que je considérais désormais foutue. Abattez-moi, je n'étais plus qu'un lion à qui on avait coupé la crinière. Plus aucune classe, plus aucune prestance, je n'étais plus que l'ombre de moi-même.

Tout était confus dans ma tête. La voix de Tae Hyun résonnait dans ma tête, mais je comprenais ses mots à moitié. J'étais fatigué par l'heure avancée de la nuit. J'aurais dû rester dans ce lit, et plutôt que de m'aventurer à corps perdu dans les rues sombres de Myeongdong, j'aurais dû réveiller ma mère et lui réclamer sa présence à mes côtés. Ma mère, ma pauvre mère, elle en avait vu des vertes et des pas mûres. Mais comment faisait-elle pour survivre à cette malédiction qui s'était abattue sur la famille ? Un père mort du cancer, une soeur alcoolique, un fils handicapé, un adopté bipolaire... C'était la foudre qui s'était abattue sur la famille Moon, personne n'en sortait indemne. Et Tae Hyun dans tout ça, que représentait-il dans ce tourbillon de malchance ? Peut-être un souffle nouveau, peut-être ce qui me permettrait d'enfin fermer les yeux et dormir sans avoir la crainte de ne plus jamais me réveiller. Je pris une grande inspiration, tremblant encore par l'anxiété qui gagnait mon esprit. Je lui faisais confiance, et c'est pourquoi je finis par hocher la tête à ses dires, quelque peu confus encore par la tournure des événements. Je m'adossai au siège de sa voiture, malmenant mes lèvres à coups de dents. Je me tournai pour m'installer correctement dans sa voiture. J'en avais besoin de pour me reposer, j'en avais besoin pour guérir. « Je suis désolé... Je suis désolé Tae Hyun, je ne ferai plus de mal autour de moi et je prendrai le temps de guérir... de guérir... » fis-je d'une voix plus qu'éteinte, honteux et bouleversé par la scène que je venais de lui faire. Il me manquait, Tae Hyun. Tout le monde me manquait. Et je me sentais encore plus seul que jamais.

Ji Hoon ne m'écoute qu'à moitié. Il est ailleurs. Je ne lui en veux pas pour ça, pas après cette crise d'angoisse qu'il vient de se taper, au contraire, je le comprends. J'aimerais parfois le soulager de ce poids, de cette douleur. Mais je ne peux pas même avec toute la volonté du monde. Alors quand il me parle de son traitement, je tente de le rassurer du mieux possible. Je ne lui mens même pas, à quoi bon ? C'est vrai quoi... Ce n'est qu'une aide pour lui, et il a besoin de repos. Il en a énormément besoin et beaucoup plus qu'il ne le pense. Quant à moi, je fais mon possible, mon maximum... Il s'excuse, me précisant qu'il ne fera plus de mal autour de lui et qu'il prendrait le temps de guérir. J'hoche quelque peu la tête. Il s'est adossé au siège, il a l'air plus calme... Ça me rassure qu'à moitié. Je voulais qu'il se calme oui, mais le voir si mal, je ne le supporte pas. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas quoi dire. « Ne t'excuses pas, d'accord ? » Non je n'ai pas envie qu'il s'excuse. S'excuser... De quoi au juste ? De ce qu'il est en train de vivre ? Du fait de me voir aussi inquiet ? De ne pas savoir contrôler la situation ? Non, non et non. Je ne veux pas entendre d'excuses, je ne veux plus en entendre. Je n'ai pas envie qu'il se sente honteux et encore moins, encore plus coupable. Il en est hors de question. Je fais finalement le tour de la voiture en vitesse, histoire de ne pas le laisser seul trop longtemps avant de grimper côté conducteur. Je mets ma ceinture. « Il faut que tu guérisses Ji Hoon. On fait tout pour t'aider, on veut que tu t'en sortes... » Je mets le contact avant de déposer mon regard sur lui, j'espère qu'il verra ma sincérité dans mes yeux lorsque je reprends la parole pour lui dire « Tu ne fais pas de mal autour de toi. » Il faut que ça rentre dans son crâne. Je sais qu'il culpabilise et vivre avec cette culpabilité... Je n'ose même pas imaginer. Alors mes paroles, il faut qu'il se les répète. Autant de fois qu'il le faut. « Je vais rester un peu avec toi. Je te ramène. » Je ne veux pas le laisser seul et je ne lui laisse pas vraiment le choix. J'ai peur moi aussi, même s'il a l'air plus ou moins calmé, j'imagine à quel point il doit se sentir mal. C'est beaucoup trop difficile à supporter de le voir comme ça. Je veux être là avec lui.