« t'en as pas marre d'faire la bourgeoise ? avec tes manières et tout l'bordel. »  y avait de tout, dans cet entrepôt faisant dorénavant office de squat. des papiers déchirés, des vêtements qui épousaient le sol glacial, mais surtout, des ricanements sanglants. ils étaient huit, à raviver ce qu'il restait de la flamme de l'endroit lugubre. issus d'horizons différentes, de terres méconnues pour certains. des grands enfants paumés, tous étaient là pour une raison précise : ils avaient tous soif de liberté. face à kaoru, la questionnant, se trouvait le démon. il s'agissait littéralement d'un surnom légué par la troupe. il était grand, un point trop intimidant pour la demoiselle. mais il demeurait son sauveur. « bien sûr que si », reprenait-elle. le corps las, le mouvant à peine. quelle question. elle ne serait pas là, à moisir parmi ses nouveaux compagnons si elle n'était pas épuisée de sa vie trop encadrée.

à dix heures du soir, elle devait s'en aller. une Cendrillon prématurée, mais envers qui pourtant, on ne prêtait que très peu d'attention. hormis jine, sa nourrice. elle était belle, jine. elle était incroyablement douce, et calme. une trentenaire dont le visage était peint par la fatigue, des poches bleutées présentes sous ses petits yeux emplis de charme. elle la traitait mieux que quiconque ; mieux que ses propres géniteurs damnés. un père biologique disparu, un second beau-père complètement passif, persuadé que sa chère mère tirait profit de son butin. comme tous les autres. mais jine... la fleur qui lui manquait tant, mais ses tuteurs nullement. qu'ils soient maudis ! ils ne comptaient plus, à présent. kaoru se mettait longuement en tête de prendre les voiles, pour s'éloigner du rivage. celui qui la faisait trop sangloter, celui qui l'avait éloignée de son Japon bien-aimé. sa mère demeurait un plus grand cauchemar encore. enchaînant les liaisons désastreuses, les unions ratées. kaoru ne comptait plus les fois où son nom changeait de forme. les lettres se bousculaient bien souvent, un véritable champ de bataille... tout comme son existence sans queue, ni tête.

ils lui rabâchaient sans cesse qu'elle était chanceuse. d'explorer des contrées lointaines, de rencontrer ces gens-là lors de soirées mondaines. ils lui disaient que sa vie, reflétait un art. mais pour elle, ce n'était rien d'autre qu'un art maudit. qui l'horripilait, la saignait. elle n'en pouvait plus, d'cette vie de princesse parfaite. une pression insaisissable, qui vous prend au cou, puis à la poitrine. le sentiment, de n'être jamais à la hauteur au regard d'une mère intransigeante. l'aimait-elle ? elle demeurait son enfant, son unique petite fille à la beauté exemplaire. mais la pauvre femme semblait tellement aveuglée par les dorures qui découlaient de ses parures, que celle-ci en oubliait bien trop souvent son rôle. mis à part lorsqu'il était temps de tracer l'avenir nuptial de sa fille. le mariage l'avait toujours effrayée, la malheureuse. témoin des multiples relations désastreuses de sa semblable de mère, il n'y avait maintenant rien de plus traumatisant que l'amour à ses yeux. d'autant plus qu'il n'était vraisemblablement question que de puissance, argent et noblesse faussée.  

les blessures inconsolables, d'un passé tumultueux.

et puis, il y avait eux. rythmant la vie de cette ancienne prisonnière d'un étouffant donjon au gré de mille éclaboussures qui bousillaient les souliers auparavant cirés de la belle. une troupe de vagabonds, eux qui avaient bien voulu d'elle. la voir, à sa juste valeur. pour qui elle est véritablement ; et non pour ce que l'on tentait de faire de sa carcasse désespérée. ils l'aimaient peut-être, elle ne savait pas. les sentiments prononcés n'avaient pas réellement leur place au sein du groupe. l'essentiel, était qu'ils la distinguaient.