(nowei #9) hurts like hell
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(nowei #9) hurts like hell | Ven 13 Jan 2017 - 22:51 Citer EditerSupprimer
in truth, you like the pain,
you like it because you believe you deserve it
(i don't want them to know the way i love you, i don't think they would understand it). Il y a eu un problème. Innocemment, j’ai demandé : quel genre de problème ? Et pourtant, y’avait ce monstre latent dans sa voix, cette hésitation qui me disait que c’était grave, cette peur qu’il avait d’aller plus loin et de me l’annoncer. Ça m’a rappelé un autre moment, mais j’ai pas su mettre un nom dessus, j’ai pas su dire d’où il venait immédiatement. Pourtant c’était familier, du genre horriblement familier, qu’on voudrait oublier, dont on voudrait surtout pas se rappeler. « Il y a eu un problème. — Quel genre de problème ? — Nuo… » Nuo d’un ton un peu suppliant, comme dans Nuo, s’il te plait, fais un effort. Un peu comme s’il voulait signifier Nuo, tu sais de quoi je veux parler. Et moi, de mon côté, j’ai commencé à comprendre, un peu, mais j’ai refusé de prendre conscience de la situation dans son entier, c’était trop gros pour moi, trop impossible, je sentais que le monde allait me tomber dessus d’un instant à l’autre et je niais, en bloc. Mes mains se sont mises à trembler, j’me souviens avoir balbutié : « Niran ? » Niran d’un ton interrogateur, comme dans Niran, tais-toi, il se passe quoi ? Non, attends, dis rien, j’veux pas savoir, tu peux le garder pour toi - t’as qu’à le porter tout seul, ce fardeau, ta putain d’annonce. C’était vos conneries, pourquoi je dois toujours payer pour vos conneries ? J’ai fermé ma gueule, chaque fois, la fusillade et les traits défoncés d’Ae cha (j’en ai rien à foutre, strictement rien à foutre), ouais la fusillade et puis la respiration saccadée de Na Wei (j’ai prétendu en avoir rien à foutre aussi), j’me suis tue tout le temps - tuée tout le temps, doucement, une seule lettre change, pas vrai - et maintenant ? Maintenant quoi ? « Écoute-moi, tu pourrais t’asseoir ? — J’le suis déjà. » C’est faux, mais toi et moi on est doués à prétendre que c’est vrai, on fait semblant de tenir parce que sans nous les autres s’effondre,
le monde,
s’effondre aussi.
Il a mis un temps d’arrêt, a cherché ses mots, j’ai attendu avec les yeux dans le vide et la bouche sèche. Puis enfin il a murmuré, dans une vaine tentative de minimiser ce qui lui pesait : « J’veux que tu saches qu’il va bien, ok ? Mieux. » J’ai hoché la tête pour dire que c’était bon, que j’avais assimilé, que j’allais pas m’emporter - ce qui est totalement con parce qu’il pouvait pas me voir, juste m’entendre. Et puis en vrai, ça aussi c’était des conneries - parce qu’en vérité j’avais rien entendu, j’avais pas écouté. Il a continué : « Na Wei… » Et j’ai senti que pour lui aussi c’était pas facile, qu’il avait envie de craquer et de hurler et de tout bruler rien que pour essayer de s’en sortir, exactement comme moi j’avais envie de craquer et de hurler et de tout bruler. « Il est con, que j’ai finalement dit, sans trop m’en rendre compte, il est con parce que tu sais quoi ? Il est persuadé qu’on irait mieux s’il était pas là. Persuadé. Et ça c’est bête, parce que tu veux savoir un truc ? S’il était pas là je… » Y’a un blocage indépendant de ma volonté qui s’est glissé dans ma gorge, les sons qui ont refusé d’aller plus loin, la route jusqu’à mes lèvres qui s’est coupée et ma phrase, je l’ai jamais terminée, trop occupée que j’étais à suffoquer et à m’étouffer. Alors j’ai soudainement mis le doigt sur ce que ça me rappelait, cet autre moment que j’avais pas su identifier un peu plus tôt : quand maman avait chiffonné rageusement le journal dans ses doigts osseux, avant de le foutre dans la cheminée. Et moi, gamine, j’avais pas vu la couverture qui exposait mon père, sa double vie dans deux pays, ses fonctions qu’il allait devoir quitter, j’avais pas vu tout ça mais je savais quand même que c’était le début de la douleur.
« Nuo écoute moi je- » Et sa vaine tentative de me rassurer a avorté parce que lui même il flanchait. De là y’a un genre de vide, un genre de creux, quelques secondes de rien que j’parviens pas à compléter parce qu’à la place de respirer je m’étranglais, qu’à la place de parler je balbutiais des mots sans aucun sens. Quand j’suis revenue à moi-même, un peu plus tard, j’ai bêtement pensé que j’avais du me cogner quelque part parce que des bleus étaient nés sur mes genoux, comme quand j’étais gamine et que j’allais crapahuter partout, que chaque fois on me rattrapait par le col et on m’engueulait parce qu’une fille de ministre se devait d’être plus distinguée qu’une campagnarde (et au bout de quelques années, un morceau de moi s’est résigné, s’est rangé, s’est tué dans l’oeuf pour noyer les envies d’aventures auxquelles je pensais n'avoir jamais accès). « On s’est disputés, il t’en a parlé ? » On s’est craché des horreurs au visage et puis… « J’ai dit que j’voulais plus le voir et qu’on serait jamais de la même famille et j’ai souhaité qu’il meure j’ai DIT DEVANT LUI QUE JE VOULAIS QU’IL MEURE et maintenant c’est comme si- enfin je- si tu savais. » Ce que j’ai dit et ce que j’ai fait et comment je voudrais pouvoir retourner en arrière et surtout
NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI N A W E I
« Ça va, j’vais bien. — Les médecins ont dit… ils ont dit qu’ils étaient optimistes par rapport à sa condition… — Ah ouais ? Optimistes… — Oui et puis, tu sais, l’eau dans les poumons ça reste pas, c’est comme la fumée pour les incendies, enfin, on fait de ces trucs maintenant… alors il… » Pourquoi on cherche à se rassurer ? Dis, pourquoi on essaye de masquer le fait qu’il a voulu ce qui est arrivé, qu’il a cherché à se faire crever ? « Quelle eau dans les poumons ? — Il a sauté d’un pont. » J’savais bien que j’aurais du lui apprendre à nager plus tôt, comme cette fois où on s’est embrassés sous l’eau dans la piscine municipale qui avait pas encore ouvert, dans laquelle on était entrés par effraction comme deux cons, avant de se faire dégager par le gardien enragé. Qu’est-ce qu’on a couru cette fois-ci, et d’ailleurs le gardien aussi, derrière la voiture en nous insultant de sales jeunes et… « D’accord. » Maintenant tu devrais me laisser.
« Tu devrais rentrer. » Ae Cha fait non de la tête. « Ça fait une journée et bientôt deux nuits que t’es pas rentrée. » Ae Cha fait oui de la tête. « Tu commences vraiment à avoir l’air chiffonnée. » A rester comme ça, sans quitter son chevet. Tandis que moi j’culpabilise, je fais des allers-retours dans le couloir parce que je m’en veux, et je refuse de mettre un pied dans la chambre parce que j’sais pas si j’en ai le droit. J’ai envie de le serrer dans mes bras, tellement que ça risquerait de lui broyer les côtes mais d’un autre côté, je me demande s’il voudrait encore de moi. Dans le doute, je reste dans l’embrasure de la porte depuis des heures, ça me laisse tout le loisir imaginable pour contempler Ae Cha qui végète et Niran qui apporte régulièrement des cafés trop-noirs-trop-serrés-pas-assez-sucrés pour qu’on puisse garder les yeux ouverts de manière obstinée. « Toi aussi. » Elle et moi on s’est jamais vraiment aimées. Enfin, je suppose que c’est compliqué. Au début elle pensait que j’étais avec son frère pour l’argent qu’il brassait, et puis pour les sensations, l’impression de faire un truc défendu en mordillant les lèvres de quelqu’un qui fait presque uniquement des choses elles-mêmes défendues. Elle pensait que j’me ferais la malle à la moindre occasion, mais depuis la fusillade elle ne sait plus trop quoi penser de moi vu que j’suis restée. De mon côté, je l’ai souvent accusée à demi-mot de ne plus parvenir à comprendre son jumeau - tout du moins de ne plus essayer, et ça m’a rendue réticente, cassante, toujours un peu difficile lorsqu’elle était dans les parages. Maintenant on se tolère, parce qu’il est là, au milieu, on a un intérêt commun qui porte le nom de Na Wei et je sais que malgré tout ce qui s’est passé, de son côté comme du mien, on rêve toutes les deux de le rendre heureux.
« Hum. » J’émets un grognement de mécontentement en croisant mes yeux cernés dans le contour métallique de la porte. Elle a raison, moi aussi j’suis chiffonnée. Je donne un peu l’impression qu’un camion vient de me rouler dessus après avoir mis trop de temps pour freiner, avant d’enclencher la marche arrière pour finir le job. Mais c’est rien comparé à son état à lui, que je m’escrime savamment à négliger, refusant de poser mes orbes sur les fils qui courent le long de ses veines. J’sais qu’ils viennent l’alimenter, mais ça me donne l’impression qu’ils sont là pour pomper ce qu’il reste de vie en lui. Il a même quelques aiguilles dans la peau. Je sais pas comment j’ai fais pour ne pas les voir avant. « J’reviens. Fais rien de con en attendant le retour de Niran. » Elle laisse échapper un rire amer, moi je marche calmement dans un couloir sans fin où se succède porte blanche sur porte blanche. Finalement j’en pousse une, le seul truc qu’elle a de différent des autres c’est qu’elle a pas de petit écriteau avec un numéro, parce que c’est pas une chambre. Mes doigts agrippent le bord de la cuvette, je rends mes tripes d’un coup dans les toilettes, me retient de hurler et file me plonger la gueule dans l’évier pour pouvoir continuer à faire comme si de rien n’était. L’eau n’efface pas les traces, l’eau ne me remet pas les idées en place.
« Niran m’a convaincue de bouger. » J’suis revenue à ma place, adossée contre le mur de la chambre mais côté couloir tandis qu’elle est côté intérieur. On se parle grâce à la porte ouverte, tout doucement, comme si ce serait la chose la plus tragique qui soit de réveiller Na Wei alors qu’on a précisément très peur qu’il ne se réveille pas. « T’as qu’à faire un aller-retour jusqu’à la machine à café. » que je dis ironiquement, puis comme je me sens horrible, j’essaye de me rattraper : « Elle est en bas, y’a que deux escaliers à descendre. Ça coute quasi rien. Et si tu vas à l’accueil et que tu demandes une certaine Min Ah avec des cheveux courts, elle te laissera te doucher dans la salle du personnel. C’est ce que l’équipe de garde utilise, ils sont sympas. — Nuo, tu chiales ? — Nan. J’vois pas de quoi tu parles. » Elle passe la tête de mon côté, ne fait aucun commentaire désagréable sur mon état un peu à fleur de peau et je l’en remercie d’un battement de cils prolongé. Et puis j’sais pas ce qui lui passe par la tête, mais elle me dit : « Je te le confie pendant ce temps, ok ? Veille sur lui. » Ae Cha indique son frère d’un signe de tête, je le couve du regard parce que même avec des aiguilles dans les bras il est ce qui m’est arrivé de mieux. « Tu peux compter sur moi. » Et c’est à ce moment précis que j’ai l’impression inattendue, mais pas détestable, qu’on est tous une famille. D’une pression sur l’épaule, je l’encourage à quitter la pièce qu’elle hante depuis de trop longues heures, et je prends sa place à côté du lit.
C’est très con mais j’ai posé Lapin Qui Court juste à côté de l’oreiller. C’est la peluche que Na Wei utilisait quand il était petit, alors j’me suis dit que ça pouvait peut-être l’aider. L’aider à traverser… je sais pas exactement ce qu’on traverse, quand on est à moitié noyé. Mais j’ai pensé que si… si jamais y’avait des cauchemars, là où il était, alors cette boule de poils avec des oreilles miteuses et trop longues arriverait surement à les transformer en rêves. « Qu’est-ce que tu regardes ? » Le lapin me fixe avec ses yeux de verre tout ronds, juste au dessus de son nez en triangle. « Tu m’agaces. » J’le prends dans mes bras, il m’en veux pas, de toute façon il a déjà été malmené pendant toute l’enfance de l’homme que j’aime.
L’une de mes mains glisse sur celle de Na Wei,
j’voulais m’en empêcher mais j’en suis incapable.
Puis je m’allonge à côté de lui, sur le lit trop petit, comme on en a l’habitude. Délicatement, pour pas déranger les draps, les aiguilles et tout le reste. Le visage dans son cou, un bras passé au dessus de lui pour le protéger. Et on reste là, bercés par les cliquetis et autres bruits des machines, celles d’ici et d’à côté. Il a la peau comme grise, dans mon esprit embrumé je l’assimile à la teinte du bois flotté. J’me suis mise à prier des Dieux auxquels je crois même pas juste pour mettre toutes les chances de son côté. Tous ceux dont j’ai un jour entendu parler, de toutes les religions qui semblent cohabiter. J’ai suivi des yeux les fils qui facilitent son rétablissement, je sais à quoi ils mènent, j’ai demandé aux infirmières quels liquides faisaient quoi. J’connais les bips des machines mieux que les battements de mon propre coeur. Tu sais Na Wei, si t’étais mort j’suis pratiquement sure que j’aurais été capable de te ramener à la vie rien que par mes hurlements. Et si j’étais un protagoniste de ces mythes qu’on honore au Panthéon, j’aurais déclaré la guerre à tous les océans, toutes les mers et toutes les rivières. J’aurais inversé leurs courants pour les faire souffrir comme t’as souffert, avant de les assécher pour qu’ils ne puissent plus jamais assiéger tes poumons. J’pourrais faire comme Déméter, affamer la Terre tant que tu seras pas sorti des Enfers. Et si t’ouvres les yeux, j’promets de faire comme sa fille, si c’est pour toi moi aussi j’suis capable de donner vie à un jardin jusque dans les pires noirceurs.
Si t’ouvres les yeux.
hurts like hell
w/ nowei qui va aller mieux
in truth, you like the pain,
you like it because you believe you deserve it
(i don't want them to know the way i love you, i don't think they would understand it). Il y a eu un problème. Innocemment, j’ai demandé : quel genre de problème ? Et pourtant, y’avait ce monstre latent dans sa voix, cette hésitation qui me disait que c’était grave, cette peur qu’il avait d’aller plus loin et de me l’annoncer. Ça m’a rappelé un autre moment, mais j’ai pas su mettre un nom dessus, j’ai pas su dire d’où il venait immédiatement. Pourtant c’était familier, du genre horriblement familier, qu’on voudrait oublier, dont on voudrait surtout pas se rappeler. « Il y a eu un problème. — Quel genre de problème ? — Nuo… » Nuo d’un ton un peu suppliant, comme dans Nuo, s’il te plait, fais un effort. Un peu comme s’il voulait signifier Nuo, tu sais de quoi je veux parler. Et moi, de mon côté, j’ai commencé à comprendre, un peu, mais j’ai refusé de prendre conscience de la situation dans son entier, c’était trop gros pour moi, trop impossible, je sentais que le monde allait me tomber dessus d’un instant à l’autre et je niais, en bloc. Mes mains se sont mises à trembler, j’me souviens avoir balbutié : « Niran ? » Niran d’un ton interrogateur, comme dans Niran, tais-toi, il se passe quoi ? Non, attends, dis rien, j’veux pas savoir, tu peux le garder pour toi - t’as qu’à le porter tout seul, ce fardeau, ta putain d’annonce. C’était vos conneries, pourquoi je dois toujours payer pour vos conneries ? J’ai fermé ma gueule, chaque fois, la fusillade et les traits défoncés d’Ae cha (j’en ai rien à foutre, strictement rien à foutre), ouais la fusillade et puis la respiration saccadée de Na Wei (j’ai prétendu en avoir rien à foutre aussi), j’me suis tue tout le temps - tuée tout le temps, doucement, une seule lettre change, pas vrai - et maintenant ? Maintenant quoi ? « Écoute-moi, tu pourrais t’asseoir ? — J’le suis déjà. » C’est faux, mais toi et moi on est doués à prétendre que c’est vrai, on fait semblant de tenir parce que sans nous les autres s’effondre,
le monde,
s’effondre aussi.
Il a mis un temps d’arrêt, a cherché ses mots, j’ai attendu avec les yeux dans le vide et la bouche sèche. Puis enfin il a murmuré, dans une vaine tentative de minimiser ce qui lui pesait : « J’veux que tu saches qu’il va bien, ok ? Mieux. » J’ai hoché la tête pour dire que c’était bon, que j’avais assimilé, que j’allais pas m’emporter - ce qui est totalement con parce qu’il pouvait pas me voir, juste m’entendre. Et puis en vrai, ça aussi c’était des conneries - parce qu’en vérité j’avais rien entendu, j’avais pas écouté. Il a continué : « Na Wei… » Et j’ai senti que pour lui aussi c’était pas facile, qu’il avait envie de craquer et de hurler et de tout bruler rien que pour essayer de s’en sortir, exactement comme moi j’avais envie de craquer et de hurler et de tout bruler. « Il est con, que j’ai finalement dit, sans trop m’en rendre compte, il est con parce que tu sais quoi ? Il est persuadé qu’on irait mieux s’il était pas là. Persuadé. Et ça c’est bête, parce que tu veux savoir un truc ? S’il était pas là je… » Y’a un blocage indépendant de ma volonté qui s’est glissé dans ma gorge, les sons qui ont refusé d’aller plus loin, la route jusqu’à mes lèvres qui s’est coupée et ma phrase, je l’ai jamais terminée, trop occupée que j’étais à suffoquer et à m’étouffer. Alors j’ai soudainement mis le doigt sur ce que ça me rappelait, cet autre moment que j’avais pas su identifier un peu plus tôt : quand maman avait chiffonné rageusement le journal dans ses doigts osseux, avant de le foutre dans la cheminée. Et moi, gamine, j’avais pas vu la couverture qui exposait mon père, sa double vie dans deux pays, ses fonctions qu’il allait devoir quitter, j’avais pas vu tout ça mais je savais quand même que c’était le début de la douleur.
« Nuo écoute moi je- » Et sa vaine tentative de me rassurer a avorté parce que lui même il flanchait. De là y’a un genre de vide, un genre de creux, quelques secondes de rien que j’parviens pas à compléter parce qu’à la place de respirer je m’étranglais, qu’à la place de parler je balbutiais des mots sans aucun sens. Quand j’suis revenue à moi-même, un peu plus tard, j’ai bêtement pensé que j’avais du me cogner quelque part parce que des bleus étaient nés sur mes genoux, comme quand j’étais gamine et que j’allais crapahuter partout, que chaque fois on me rattrapait par le col et on m’engueulait parce qu’une fille de ministre se devait d’être plus distinguée qu’une campagnarde (et au bout de quelques années, un morceau de moi s’est résigné, s’est rangé, s’est tué dans l’oeuf pour noyer les envies d’aventures auxquelles je pensais n'avoir jamais accès). « On s’est disputés, il t’en a parlé ? » On s’est craché des horreurs au visage et puis… « J’ai dit que j’voulais plus le voir et qu’on serait jamais de la même famille et j’ai souhaité qu’il meure j’ai DIT DEVANT LUI QUE JE VOULAIS QU’IL MEURE et maintenant c’est comme si- enfin je- si tu savais. » Ce que j’ai dit et ce que j’ai fait et comment je voudrais pouvoir retourner en arrière et surtout
NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI NAWEI N A W E I
« Ça va, j’vais bien. — Les médecins ont dit… ils ont dit qu’ils étaient optimistes par rapport à sa condition… — Ah ouais ? Optimistes… — Oui et puis, tu sais, l’eau dans les poumons ça reste pas, c’est comme la fumée pour les incendies, enfin, on fait de ces trucs maintenant… alors il… » Pourquoi on cherche à se rassurer ? Dis, pourquoi on essaye de masquer le fait qu’il a voulu ce qui est arrivé, qu’il a cherché à se faire crever ? « Quelle eau dans les poumons ? — Il a sauté d’un pont. » J’savais bien que j’aurais du lui apprendre à nager plus tôt, comme cette fois où on s’est embrassés sous l’eau dans la piscine municipale qui avait pas encore ouvert, dans laquelle on était entrés par effraction comme deux cons, avant de se faire dégager par le gardien enragé. Qu’est-ce qu’on a couru cette fois-ci, et d’ailleurs le gardien aussi, derrière la voiture en nous insultant de sales jeunes et… « D’accord. » Maintenant tu devrais me laisser.
☾☾☾
« Tu devrais rentrer. » Ae Cha fait non de la tête. « Ça fait une journée et bientôt deux nuits que t’es pas rentrée. » Ae Cha fait oui de la tête. « Tu commences vraiment à avoir l’air chiffonnée. » A rester comme ça, sans quitter son chevet. Tandis que moi j’culpabilise, je fais des allers-retours dans le couloir parce que je m’en veux, et je refuse de mettre un pied dans la chambre parce que j’sais pas si j’en ai le droit. J’ai envie de le serrer dans mes bras, tellement que ça risquerait de lui broyer les côtes mais d’un autre côté, je me demande s’il voudrait encore de moi. Dans le doute, je reste dans l’embrasure de la porte depuis des heures, ça me laisse tout le loisir imaginable pour contempler Ae Cha qui végète et Niran qui apporte régulièrement des cafés trop-noirs-trop-serrés-pas-assez-sucrés pour qu’on puisse garder les yeux ouverts de manière obstinée. « Toi aussi. » Elle et moi on s’est jamais vraiment aimées. Enfin, je suppose que c’est compliqué. Au début elle pensait que j’étais avec son frère pour l’argent qu’il brassait, et puis pour les sensations, l’impression de faire un truc défendu en mordillant les lèvres de quelqu’un qui fait presque uniquement des choses elles-mêmes défendues. Elle pensait que j’me ferais la malle à la moindre occasion, mais depuis la fusillade elle ne sait plus trop quoi penser de moi vu que j’suis restée. De mon côté, je l’ai souvent accusée à demi-mot de ne plus parvenir à comprendre son jumeau - tout du moins de ne plus essayer, et ça m’a rendue réticente, cassante, toujours un peu difficile lorsqu’elle était dans les parages. Maintenant on se tolère, parce qu’il est là, au milieu, on a un intérêt commun qui porte le nom de Na Wei et je sais que malgré tout ce qui s’est passé, de son côté comme du mien, on rêve toutes les deux de le rendre heureux.
« Hum. » J’émets un grognement de mécontentement en croisant mes yeux cernés dans le contour métallique de la porte. Elle a raison, moi aussi j’suis chiffonnée. Je donne un peu l’impression qu’un camion vient de me rouler dessus après avoir mis trop de temps pour freiner, avant d’enclencher la marche arrière pour finir le job. Mais c’est rien comparé à son état à lui, que je m’escrime savamment à négliger, refusant de poser mes orbes sur les fils qui courent le long de ses veines. J’sais qu’ils viennent l’alimenter, mais ça me donne l’impression qu’ils sont là pour pomper ce qu’il reste de vie en lui. Il a même quelques aiguilles dans la peau. Je sais pas comment j’ai fais pour ne pas les voir avant. « J’reviens. Fais rien de con en attendant le retour de Niran. » Elle laisse échapper un rire amer, moi je marche calmement dans un couloir sans fin où se succède porte blanche sur porte blanche. Finalement j’en pousse une, le seul truc qu’elle a de différent des autres c’est qu’elle a pas de petit écriteau avec un numéro, parce que c’est pas une chambre. Mes doigts agrippent le bord de la cuvette, je rends mes tripes d’un coup dans les toilettes, me retient de hurler et file me plonger la gueule dans l’évier pour pouvoir continuer à faire comme si de rien n’était. L’eau n’efface pas les traces, l’eau ne me remet pas les idées en place.
☾☾☾
« Niran m’a convaincue de bouger. » J’suis revenue à ma place, adossée contre le mur de la chambre mais côté couloir tandis qu’elle est côté intérieur. On se parle grâce à la porte ouverte, tout doucement, comme si ce serait la chose la plus tragique qui soit de réveiller Na Wei alors qu’on a précisément très peur qu’il ne se réveille pas. « T’as qu’à faire un aller-retour jusqu’à la machine à café. » que je dis ironiquement, puis comme je me sens horrible, j’essaye de me rattraper : « Elle est en bas, y’a que deux escaliers à descendre. Ça coute quasi rien. Et si tu vas à l’accueil et que tu demandes une certaine Min Ah avec des cheveux courts, elle te laissera te doucher dans la salle du personnel. C’est ce que l’équipe de garde utilise, ils sont sympas. — Nuo, tu chiales ? — Nan. J’vois pas de quoi tu parles. » Elle passe la tête de mon côté, ne fait aucun commentaire désagréable sur mon état un peu à fleur de peau et je l’en remercie d’un battement de cils prolongé. Et puis j’sais pas ce qui lui passe par la tête, mais elle me dit : « Je te le confie pendant ce temps, ok ? Veille sur lui. » Ae Cha indique son frère d’un signe de tête, je le couve du regard parce que même avec des aiguilles dans les bras il est ce qui m’est arrivé de mieux. « Tu peux compter sur moi. » Et c’est à ce moment précis que j’ai l’impression inattendue, mais pas détestable, qu’on est tous une famille. D’une pression sur l’épaule, je l’encourage à quitter la pièce qu’elle hante depuis de trop longues heures, et je prends sa place à côté du lit.
C’est très con mais j’ai posé Lapin Qui Court juste à côté de l’oreiller. C’est la peluche que Na Wei utilisait quand il était petit, alors j’me suis dit que ça pouvait peut-être l’aider. L’aider à traverser… je sais pas exactement ce qu’on traverse, quand on est à moitié noyé. Mais j’ai pensé que si… si jamais y’avait des cauchemars, là où il était, alors cette boule de poils avec des oreilles miteuses et trop longues arriverait surement à les transformer en rêves. « Qu’est-ce que tu regardes ? » Le lapin me fixe avec ses yeux de verre tout ronds, juste au dessus de son nez en triangle. « Tu m’agaces. » J’le prends dans mes bras, il m’en veux pas, de toute façon il a déjà été malmené pendant toute l’enfance de l’homme que j’aime.
L’une de mes mains glisse sur celle de Na Wei,
j’voulais m’en empêcher mais j’en suis incapable.
Puis je m’allonge à côté de lui, sur le lit trop petit, comme on en a l’habitude. Délicatement, pour pas déranger les draps, les aiguilles et tout le reste. Le visage dans son cou, un bras passé au dessus de lui pour le protéger. Et on reste là, bercés par les cliquetis et autres bruits des machines, celles d’ici et d’à côté. Il a la peau comme grise, dans mon esprit embrumé je l’assimile à la teinte du bois flotté. J’me suis mise à prier des Dieux auxquels je crois même pas juste pour mettre toutes les chances de son côté. Tous ceux dont j’ai un jour entendu parler, de toutes les religions qui semblent cohabiter. J’ai suivi des yeux les fils qui facilitent son rétablissement, je sais à quoi ils mènent, j’ai demandé aux infirmières quels liquides faisaient quoi. J’connais les bips des machines mieux que les battements de mon propre coeur. Tu sais Na Wei, si t’étais mort j’suis pratiquement sure que j’aurais été capable de te ramener à la vie rien que par mes hurlements. Et si j’étais un protagoniste de ces mythes qu’on honore au Panthéon, j’aurais déclaré la guerre à tous les océans, toutes les mers et toutes les rivières. J’aurais inversé leurs courants pour les faire souffrir comme t’as souffert, avant de les assécher pour qu’ils ne puissent plus jamais assiéger tes poumons. J’pourrais faire comme Déméter, affamer la Terre tant que tu seras pas sorti des Enfers. Et si t’ouvres les yeux, j’promets de faire comme sa fille, si c’est pour toi moi aussi j’suis capable de donner vie à un jardin jusque dans les pires noirceurs.
Si t’ouvres les yeux.
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Re: (nowei #9) hurts like hell | Mar 17 Jan 2017 - 0:26 Citer EditerSupprimer
i want you to know,
i won't let go
i won't let go
Everybody gets high sometimes, you know. What else can we do when we're feeling low? So take a deep breath and let it go. You shouldn't be drowning on your own and if you feel you're sinking, i will jump right over into cold, cold water for you and although time may take us into different places. I will still be patient with you and i hope you know. I won't let go, i'll be your lifeline tonight ☽ Listen
Mon masque transparent, celui qui aide mes poumons meurtris a fonctionné, se couvre de buée alors que je m'éveille, jusqu'à en devenir totalement opaque.
Je. Respire.
Je sens mon corps ankylosé, mon souffle erratique, douloureux.
J'me sensvivant, pourquoi j'me sens vivant ? Pourquoi j'suis vivant ?
Mes orbes voient le jour après deux nuits d'un coma trouble où mon esprit vacillait entre celui de leur monde et celui où j'aspirais me rendre, sans succès. J'essaie de remettre dans l'ordre toutes les parties de l'histoire qui semblent m'avoir échappé. Je ne me souviens de rien, ou presque.
Ma mémoire a soigneusement sélectionné quelques scènes de ces dernières 72H. Il y'a d'abord Nuo qui m'apparaît sous forme de flashback psychédélique. Sa voix est présente mais indistincte, sa silhouette est effacée autour du brouillard qui l'entoure mais plus le temps s'égrène plus il m'est facile de reconstituer mes dernières heures passées auprès d'elle.
Nuo exigeait que je disparaisse, que j'crève.
Je la vois partir sans jamais revenir ou alors il me manque des parties de ce moment... De toute façon j'suis pas très sûr de vouloir en connaître les moindres détails. Ensuite j'me souviens d'Aecha mais c'est encore plus trouble que Nuo. Je la distingue entre des tombes, celle de notre frère notamment. Elle m'avait avoué qu'il lui manquait, qu'il était une partie manquante d'elle. J'me rappelle lui avoir dit que je m'excusais, que sans elle j'étais pas capable de fonctionner correctement, que sans elle j'étais incomplet.
Elle m'avait répondu : « J'te pardonne, c'est c'que Hyunki aurait voulu. »
Hyunki,
toujours lui.
Même dans la mort il s'acharne à faire d'mon existence un enfer. J'avais perdu les pédales à cause d'elles, de lui, d'moi. Des trucs que j'ai fait, que j'avais oublié avoir fait. J'étais dans le déni et j'me cachais derrière mes crises de démence, d'mes trous noirs pour m'dérober à ma conscience qui m'a finalement rattrapé et amené jusqu'à ce pont.
Ça, c'est le souvenir le plus net de tous,
le pont.
J'avais eu l'impression d'accomplir le meilleur truc d'ma chaotique existence, j'me sentais ni mal, ni bien, j'étais juste certain que de l'autre côté j'aurais plus ma place qu'ici. Mais il a fallu que j'survive. J'reste interdit, inconscient de la présence de Nuo près d'moi. J'observe le plafond jusqu'à m'en assécher les rétines.
J'voulais tellement mourir qu'mon corps fait un rejet de la vie qui s'escrime à traverser mes veines. J'ai la nausée au bout des lèvres, une céphalée si terrible qu'elle en endommage ma vue et des vertiges qui m'donne l'impression d'être tombé du lit alors que je n'ai pas bougé d'un pouce. Mon rythme cardiaque déroute la machine qui est chargée de le mesurer au point d'en devenir hystérique, c'est c'qui pousse Nuo à se redresser.
Les bips réfrènent leur ardeur,
tout redevient "normal".
On s'observe, j'ai pas la force de décrire son regard ou d'mesurer l'mien. Y'a pas d'mot pour décrire ce moment.
Elle est inquiète, j'pense qu'elle n'a pas agit tout de suite sous le choc d'mon réveil mais là d'un coup j'vois ses yeux courir en direction de la télécommande qui sert à faire rappliquer les toubibs. Elle tend la main pour s'en saisir mais je tends la mienne pour l'en empêcher, elle finit donc par se raviser. Je repose ma tête contre l'oreiller que j'avais quitté de quelques centimètres seulement pour interrompre son geste.
Un instant s'éternise durant lequel on se contente d'échanger par le regard : des pensées, des émotions... Tout ça en même temps. Elle se rapproche, j'arrive à porter mes doigts jusqu'à elle. Ses prunelles se dérobent derrière une longue rangée de cils noirs au contact de ma paume qui épouse la forme de son visage. La toucher la rend plus réelle, tout comme ses traits de fatigue que je ne peux m'empêcher d'effleurer, elle saisira le message...
Mon bras perfusé commence à devenir lourd et à s'engourdir jusque dans mes phalanges alors je le repose sur mon torse. Elle rouvre les yeux, j'détourne les miens.
Qu'est-ce tu fous là ? J'croyais que c'est c'que t'attendais d'moi. T'es déçue aussi ? Si tu l'es, pourquoi t'as l'air d'pas avoir dormi, d'être à bout de forces ?
Nuo, pourquoi t'es là ? Toi aussi ta conscience t'a fait défaut... ?
J'suis mauvais, car j'sais pourquoi elle là, seulement ça m'fout en l'air de d'voir l'admettre.
Malgré tout c'que j'ai fait, tout c'que j'ai dit.
T'es là.
Malgré tout le malheur que j'ai répandu, toutes les vies que j'ai prise.
J'suis là.
Malgré les épreuves et les coups bas, j'continue de t'aimer. J'savais même pas que c'était possible avant que j'te rencontre, d'aimer autant quelqu'un.
Et pourtant...
J'ai réussi à te mettre à terre, à t'écorcher comme si tu l'étais pas assez mais tu persistes à vouloir d'moi, d'nous. Alors que j'suis pas foutu d'être capable de vouloir de moi-même. Tu la puises où cette putain de force ? Pourquoi t'abandonnes pas ? Abandonnes-moi. Ça serait tellement plus simple si t'étais pas revenue. J'me serai retrouvé seul dans cette pièce aseptisée, on m'aurait laissé sortir après un temps puis j'aurais fait en sorte de claquer sans failer cette fois-ci. J'suis pas sûr de toujours vouloir rester un "vivant", pour toutes les raisons qui m'ont poussé près du vide mais toi tu peux pas t'en empêcher, t'es partout.
Ici,
dans ma tête, surtout dans ma tête.
Mes paupières s'alourdissent, se closent alors que d'un geste fébrile j'essaie de retirer mon masque. C'est une épreuve, j'ai l'impression d'me battre avec moi-même mais j'y parviens. L'air non artificiel est un poison qui brûle ma trachée, enflamme mes poumons malades mais j'men fous car ce mal est insignifiant comparé à celui qui m'a poussé au suicide. On renoue par le contact visuel, j'inspire difficilement comme pour donner assez d'élan à ma voix qui brisée, murmure un début de phrase qui finalement se dévoile n'être qu'une miséreuse lettre : « J... » J'retiens le tremblement de mes lèvres d'une légère morsure avant de reprendre la parole mais ça ne vient pas. J'suis frustré, en colère, triste, perdu, j'ai mal, mal, mal. J'essaie d'contrôler les émotions qui me submergent, tu sais ces trucs que j'avais cru ne jamais avoir posséder.
J'sais plus quoi en faire de ces trucs, ils se contredisent et se complètent tous. J'sais plus si j'dois essayer d'aller de l'avant ou si j'dois m'éteindre en m'arrachant tous ces câbles qui s'acharnent à me maintenir en vie. J'leur ai rien demandé et à toi Nuo encore moins, j'avais pourtant cru avoir été clair mais t'as su m'percer à jour. Quand j't'ai tout balancé sur cet autre moi qu'tu connaissais pas t'as pas tout de suite pigé car c'était trop horrible à assimiler mais ensuite t'as fait le lien. Tout c'que j'voulais c'était qu'tu dégages, qu'tu me détestes. Qu't'aies envie de brûler toutes nos photos, mon t-shirt, celui qui traine toujours sur ton lit puis tous les souvenirs qui te rappelaient nous. Mais t'as compris c'que j'ai essayé de faire et qu'tu sois toujours à mes côtés ça signifie que t'as décidé de m'aimer avec ce passé, avec tout.
Comment t'es capable de ça alors que c'est inconcevable pour moi ?
Une douleur vient piquer à vif mes poumons, va falloir que j'récupère de l'oxygène mais je lutte pour essayer d'lui parler, seulement elle me force à remettre le masque et vu que j'suis pas en position de protester, je la laisse faire. Elle se recouche auprès de moi, je lève le regard vers elle avant de le cacher sous mes paupières. Nos fronts se touchent tandis que ma main retrouve la sienne et c'est dans ce moment de sérénité que j'trouve assez de force pour souffler à travers mon masque un : « merci. » Le "merci“ le plus sincère et le plus lourd de sens que je n'ai jamais prononcé jusqu'ici.
Je. Respire.
Je sens mon corps ankylosé, mon souffle erratique, douloureux.
J'me sens
Mes orbes voient le jour après deux nuits d'un coma trouble où mon esprit vacillait entre celui de leur monde et celui où j'aspirais me rendre, sans succès. J'essaie de remettre dans l'ordre toutes les parties de l'histoire qui semblent m'avoir échappé. Je ne me souviens de rien, ou presque.
Ma mémoire a soigneusement sélectionné quelques scènes de ces dernières 72H. Il y'a d'abord Nuo qui m'apparaît sous forme de flashback psychédélique. Sa voix est présente mais indistincte, sa silhouette est effacée autour du brouillard qui l'entoure mais plus le temps s'égrène plus il m'est facile de reconstituer mes dernières heures passées auprès d'elle.
Nuo exigeait que je disparaisse, que j'crève.
Je la vois partir sans jamais revenir ou alors il me manque des parties de ce moment... De toute façon j'suis pas très sûr de vouloir en connaître les moindres détails. Ensuite j'me souviens d'Aecha mais c'est encore plus trouble que Nuo. Je la distingue entre des tombes, celle de notre frère notamment. Elle m'avait avoué qu'il lui manquait, qu'il était une partie manquante d'elle. J'me rappelle lui avoir dit que je m'excusais, que sans elle j'étais pas capable de fonctionner correctement, que sans elle j'étais incomplet.
Elle m'avait répondu : « J'te pardonne, c'est c'que Hyunki aurait voulu. »
Hyunki,
toujours lui.
Même dans la mort il s'acharne à faire d'mon existence un enfer. J'avais perdu les pédales à cause d'elles, de lui, d'moi. Des trucs que j'ai fait, que j'avais oublié avoir fait. J'étais dans le déni et j'me cachais derrière mes crises de démence, d'mes trous noirs pour m'dérober à ma conscience qui m'a finalement rattrapé et amené jusqu'à ce pont.
Ça, c'est le souvenir le plus net de tous,
le pont.
J'avais eu l'impression d'accomplir le meilleur truc d'ma chaotique existence, j'me sentais ni mal, ni bien, j'étais juste certain que de l'autre côté j'aurais plus ma place qu'ici. Mais il a fallu que j'survive. J'reste interdit, inconscient de la présence de Nuo près d'moi. J'observe le plafond jusqu'à m'en assécher les rétines.
J'voulais tellement mourir qu'mon corps fait un rejet de la vie qui s'escrime à traverser mes veines. J'ai la nausée au bout des lèvres, une céphalée si terrible qu'elle en endommage ma vue et des vertiges qui m'donne l'impression d'être tombé du lit alors que je n'ai pas bougé d'un pouce. Mon rythme cardiaque déroute la machine qui est chargée de le mesurer au point d'en devenir hystérique, c'est c'qui pousse Nuo à se redresser.
Les bips réfrènent leur ardeur,
tout redevient "normal".
On s'observe, j'ai pas la force de décrire son regard ou d'mesurer l'mien. Y'a pas d'mot pour décrire ce moment.
Elle est inquiète, j'pense qu'elle n'a pas agit tout de suite sous le choc d'mon réveil mais là d'un coup j'vois ses yeux courir en direction de la télécommande qui sert à faire rappliquer les toubibs. Elle tend la main pour s'en saisir mais je tends la mienne pour l'en empêcher, elle finit donc par se raviser. Je repose ma tête contre l'oreiller que j'avais quitté de quelques centimètres seulement pour interrompre son geste.
Un instant s'éternise durant lequel on se contente d'échanger par le regard : des pensées, des émotions... Tout ça en même temps. Elle se rapproche, j'arrive à porter mes doigts jusqu'à elle. Ses prunelles se dérobent derrière une longue rangée de cils noirs au contact de ma paume qui épouse la forme de son visage. La toucher la rend plus réelle, tout comme ses traits de fatigue que je ne peux m'empêcher d'effleurer, elle saisira le message...
Mon bras perfusé commence à devenir lourd et à s'engourdir jusque dans mes phalanges alors je le repose sur mon torse. Elle rouvre les yeux, j'détourne les miens.
Qu'est-ce tu fous là ? J'croyais que c'est c'que t'attendais d'moi. T'es déçue aussi ? Si tu l'es, pourquoi t'as l'air d'pas avoir dormi, d'être à bout de forces ?
Nuo, pourquoi t'es là ? Toi aussi ta conscience t'a fait défaut... ?
J'suis mauvais, car j'sais pourquoi elle là, seulement ça m'fout en l'air de d'voir l'admettre.
Malgré tout c'que j'ai fait, tout c'que j'ai dit.
T'es là.
Malgré tout le malheur que j'ai répandu, toutes les vies que j'ai prise.
J'suis là.
Malgré les épreuves et les coups bas, j'continue de t'aimer. J'savais même pas que c'était possible avant que j'te rencontre, d'aimer autant quelqu'un.
Et pourtant...
J'ai réussi à te mettre à terre, à t'écorcher comme si tu l'étais pas assez mais tu persistes à vouloir d'moi, d'nous. Alors que j'suis pas foutu d'être capable de vouloir de moi-même. Tu la puises où cette putain de force ? Pourquoi t'abandonnes pas ? Abandonnes-moi. Ça serait tellement plus simple si t'étais pas revenue. J'me serai retrouvé seul dans cette pièce aseptisée, on m'aurait laissé sortir après un temps puis j'aurais fait en sorte de claquer sans failer cette fois-ci. J'suis pas sûr de toujours vouloir rester un "vivant", pour toutes les raisons qui m'ont poussé près du vide mais toi tu peux pas t'en empêcher, t'es partout.
Ici,
dans ma tête, surtout dans ma tête.
Mes paupières s'alourdissent, se closent alors que d'un geste fébrile j'essaie de retirer mon masque. C'est une épreuve, j'ai l'impression d'me battre avec moi-même mais j'y parviens. L'air non artificiel est un poison qui brûle ma trachée, enflamme mes poumons malades mais j'men fous car ce mal est insignifiant comparé à celui qui m'a poussé au suicide. On renoue par le contact visuel, j'inspire difficilement comme pour donner assez d'élan à ma voix qui brisée, murmure un début de phrase qui finalement se dévoile n'être qu'une miséreuse lettre : « J... » J'retiens le tremblement de mes lèvres d'une légère morsure avant de reprendre la parole mais ça ne vient pas. J'suis frustré, en colère, triste, perdu, j'ai mal, mal, mal. J'essaie d'contrôler les émotions qui me submergent, tu sais ces trucs que j'avais cru ne jamais avoir posséder.
J'sais plus quoi en faire de ces trucs, ils se contredisent et se complètent tous. J'sais plus si j'dois essayer d'aller de l'avant ou si j'dois m'éteindre en m'arrachant tous ces câbles qui s'acharnent à me maintenir en vie. J'leur ai rien demandé et à toi Nuo encore moins, j'avais pourtant cru avoir été clair mais t'as su m'percer à jour. Quand j't'ai tout balancé sur cet autre moi qu'tu connaissais pas t'as pas tout de suite pigé car c'était trop horrible à assimiler mais ensuite t'as fait le lien. Tout c'que j'voulais c'était qu'tu dégages, qu'tu me détestes. Qu't'aies envie de brûler toutes nos photos, mon t-shirt, celui qui traine toujours sur ton lit puis tous les souvenirs qui te rappelaient nous. Mais t'as compris c'que j'ai essayé de faire et qu'tu sois toujours à mes côtés ça signifie que t'as décidé de m'aimer avec ce passé, avec tout.
Comment t'es capable de ça alors que c'est inconcevable pour moi ?
Une douleur vient piquer à vif mes poumons, va falloir que j'récupère de l'oxygène mais je lutte pour essayer d'lui parler, seulement elle me force à remettre le masque et vu que j'suis pas en position de protester, je la laisse faire. Elle se recouche auprès de moi, je lève le regard vers elle avant de le cacher sous mes paupières. Nos fronts se touchent tandis que ma main retrouve la sienne et c'est dans ce moment de sérénité que j'trouve assez de force pour souffler à travers mon masque un : « merci. » Le "merci“ le plus sincère et le plus lourd de sens que je n'ai jamais prononcé jusqu'ici.
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