Il n’y a plus de café. Plus de café. Et Charlie tient à peine sur ses pieds. Ils ont passé une partie de la nuit à finir la une du journal et le reste à décider de la mise en page. Ils ne sont pas en avance et la jeune femme est épuisée. Comme si cela ne suffisait pas, il n’y a plus de capsule de café. Pas celles qu’elle boit en tout cas. Elle déteste le café trop fort tout comme elle déteste laisser sa fille seule toute la nuit. Bien sûr, son père est à présent là pour s’occuper de sa fille mais elle a tellement pris l’habitude de vivre avec sa fille et de rentrer tous les soirs pour s’occuper d’elle. Depuis quelque temps, reprendre ses vieilles habitudes a été plutôt compliqué pour la journaliste.

Pourtant, la voilà, à dix heures du matin, à se demander pourquoi il n’y a plus de ces foutues capsules d’expresso vanille, frottant ses pauvres yeux fatigués et brûlants. Elle lâche un long soupire puis se détourne de la machine à café, s’autorisant une petite pause de quelques minutes pour aller remonter les bretelles de la secrétaire qui avait pour mission d’aller acheter du café à la première heure avant d’arriver au travail. Pourtant, cela fait plus de deux heures qu’elle a commencé le travail et a-t-elle pensé à racheter des capsules ? Evidemment que non. De toute façon, elle ne fait pas grand chose à part refaire sa manucure et envoyer des SMS. Furieuse et épuisée, les talons de Charlie claquent sur le marbre du couloir, elle passe comme une furie à côté d’une jeune femme sans la reconnaître. Pourtant, quand elle s’éloigne de cette inconnue, son visage lui dit quelque chose mais elle n’a pas le temps d’y réfléchir plus qu’elle est déjà au bureau de la secrétaire. Ji Eun-ssi!? Mais vraiment, cette fille. Elle jurerait l’avoir déjà vue quelque part mais impossible de revoir clairement son visage. Ah, Charlie ! Et en plus, cette conne ose la tutoyer. Il y avait quelqu’un pour toi, y’a deux minutes. Mais j’sais pas où elle— 

La main de Charlie s’abat sur le bureau. Premièrement, ne m’interromps pas quand je te parle. Deuxièmement, je t’ai demandé d’aller chercher des capsules de café pour tes collègues qui ont travailler toute la nuit, contrairement à toi. Troisièmement, pourquoi ne m’as-tu pas sonnée quand la personne en question était— Charlie s’interrompt soudainement. Une personne qui la demandait. Ce visage, elle arrive enfin à le remettre. Young Im. Elle ne s’attendait pas à la voir ici et c’est pour cela qu’elle n’a pas remis son visage. Abandonnant la secrétaire inutile, elle fait demi-tour sur ses talons pour se hâter de nouveau dans le couloir. Les jeunes femmes tombent nez à nez très rapidement. Malgré les cernes de huit kilomètres sous ses yeux, ceux-ci pétillent et le sourire de Charlie va d’une oreille à l’autre. Young Im-ah! Charlie, en bonne américaine libérée, prend brièvement son amie dans ses bras. Pour célébrer ces retrouvailles. Je suis tellement contente de te revoir ! Comment vas-tu, ma belle ?

Etrangement, elle trouve l'odeur naturelle que dégage Young Im extrêmement douce et apaisante. Une odeur étrangère qui la rassure car tous les souvenirs liés à cette odeur sont heureux, drôles ou nostalgiques. Elle ne se rappelle pas d'avoir passé de mauvais moment avec la jeune femme, même en Irak où la situation n’était pas des plus joyeuses, bien au contraire. Elle lui frotte affectueusement le dos avant de la relâcher et esquisse un petit sourire en coin en voyant qu’elle tient ses chaussures à la main. La pauvre. Oui, je vais bien. Un peu fatiguée, on a… Sans qu’elle puisse le retenir, un long soupir s’échappe de ses lèvres, la coupant en plein milieu de sa phrase. Elle passe une main sur son front afin d’écarter les mèches noires de ses yeux. Pardon, on a travaillé toute la nuit. Mais je suis tellement contente de te voir que j’ai l’impression d’avoir bu trois doses de café ! La jeune femme laisse percevoir un petit rire épuisé.

Sa remarque sur la sorcière la fait éclater de rire. Elle passe un bras autour de la taille de son ami et hoche la tête. Je suis d’accord, c’est une vieille sorcière. Mais ne m’insulte pas ! Ce n’est pas ma secrétaire. C’est juste la secrétaire en général. Aller viens, on va se mettre tranquille, fait-elle alors qu’elle la guide jusqu’à son bureau, où elles seront certainement plus à l’aise pour parler et rattraper le temps perdu, à l’abri de ses collègues qui penseront sans doute qu’elle a décidé d’aller acheter du café elle-même, vu que leur secrétaire semble plus concernée par sa manucure que par les tâches simples qu’on lui donne à réaliser. Charlie ferme la porte derrière elles et allume une lampe sur pied qui se trouve dans un coin de la pièce et qui délivre une lumière beaucoup plus tamisée que le plafonnier. Elle se saisit de deux verres et leur sert de l’eau. Désolée, c’est tout ce que j’ai à te proposer. On ira prendre un café après, si tu as un peu de temps. Il faut juste que j’envoie un ou deux rapports et je pense que mon équipe peut se charger du reste. Elle l’invite à s’assoir sur une belle chaise noire rembourrée puis fait le tour de son bureau pour s’y assoir, allumant également son ordinateur. Alors, raconte. Qu’est-ce que tu fais ici ?