Ca faisait longtemps qu'il avait abandonné, de toute façon. Il avait 23 ans, et était toujours en deuxième année. Il avait tellement repiqué ses années qu'il avait arrêté de les compter. Alors prendre un jour de congé en plus, ou une semaine, ou parfois un mois, pour partir en vacances ou ne rien faire, il s'en fichait éperdument. C'était pour cela que, même malgré le froid, il traînait dehors à tourner en rond, ayant abandonné ses camarades de classe qui se dirigeait vers les autres cours. S'il avait été fumeur, il ne se serait pas gêné pour s'en griller une, mais il n'avait ni briquet, ni cigarette, ni envie. Il tourna un peu en rond à l'extérieur, jusqu'à ce qu'il ne sente plus ses mains, ni ses pieds, ni une quelconque partie de son corps, et parti se réfugier à l'intérieur d'un bâtiment, entendant en même temps la sonnerie de son téléphone. Il le dégaina, et attendit quelques secondes que ses doigts se réchauffent avant de le débloquer. Un message... un peu bizarre qui lui fit hausser un sourcil, mais il s'exécuta. Au pire, on avait volé son téléphone à Soko, et il irait le récupérer. Tranquillement, les mains dans les poches, il atteignit le lieu de rendez vous que la -supposée- jeune femme lui avait donné, sursautant et manquant de hurler lorsqu'il senti deux bras se resserrer sur lui. « OH MON DIEU » s'échappa de ses lèvres, sous le choc. Cela aurait pu être un fantôme ! Mais ce n'était que Soko. Encore une fois, son sourcil droit se releva, et il lui fit un petit coucou de la main, content de la voir. « Alors comme ça on sèche les cours ? » dit-elle, et il la regarda en souriant. « Toujours, mais toi, qu'est ce que tu fais là ? » lui demanda-t-il, ne prenant même pas la peine de chuchoter, puisque de toute façon, il savait qu'ils n'allaient pas rester dans cet endroit... à moins que... « t'avais quelque chose de prévu ici, ou c'était juste pour me faire me déplacer à travers tout le campus ? » Il lui fit un sourire, montrant qu'en vérité, cela ne le gênait pas du tout, mais il se permit tout de même un petit : « ça aurait du être à toi de me rejoindre, sur tes genoux, comme une bonne petite femme » il lui tira la langue, glissant ses mains dans la poche arrière de son jean.

« AÏE » Encore une fois, il ne se retint pas pour hurler. C'était qu'elle lui avait fait drôlement mal. Il fit une belle grimace, ramenant ses mains sur son torse pour masser l'endroit endolori. Ces femmes, elles avaient perdu leurs valeurs, on leur avait donné trop d'importance, trop de place, et maintenant, elles se permettaient tout. Une moue triste vint assombrir son visage alors qu'il écoutait les menaces de la jeune femme. Il en avait marre d'être menacé, c'était tout le temps, ça s'arrêtait jamais, et l'être sensible qu'il était au bord de la crise de nerf. Mais bien vite son expression changea du tout au tout lorsqu'il comprit -avec un peu de temps il l'avouera- ce que lui avait dit la plus jeune. Un sourire s'étira sur ses lèvres, et il s'empressa de réfléchir à toutes les possibilités qui s'offraient à eux. « viens ! » il se contenta de lui dire, l'attrapant par le bras pour la tirer doucement derrière lui, hurlant presque un « bonjour » à la documentaliste qui lui jeta un regard noir - sa politesse le perdra -. Il se dirigea vers les escaliers, et, avant de commencer à monter demanda « t'es prête pour ton sport ? » avec un clin d'œil, démarrant en suite au quart de tour en montant rapidement les marches deux par deux. Bien vite, il se retrouva tout en haut de la bibliothèque. « vous les femmes vous êtes même trop faibles pour ça » il glissa, tout doucement, avant de se remettre en marche, passant à travers les rangées de livres et les tables où les étudiants se faisaient plus rares. Il finit par s'installer entre le mur et une grande étagères, se glissant sur le sol après avoir entrouvert la fenêtre. « on est pas bien là ? » lui demanda-t-il avec un sourire, tout en lui faisant des signes qui lui montraient de venir s'asseoir près de lui.

Il l'avait senti souffler, il l'avait senti peiner, mais il n'aurait pas ralenti, pas même pour elle. Ceux qui ne pouvaient pas suivre son rythme n'étaient pas dignes d'être attendu. Alors il avança jusqu'à son petit coin, espérant tout de même qu'elle arrivait à le voir tourner dans les allées, et qu'elle trouverait son chemin parmi les bouquins. Il se demandait si beaucoup en lisant, et ce qu'ils avaient de si bien. Ils n'étaient que des mots sur des pages blanches, rien d'intéressant, rien de fascinant. Il se plaignit que le sol aurait pu être plus confortable, que les murs auraient pu être rembourrés, de quoi ne se plaignait-il pas, de toute façon. Il passa sa main une seconde dans les cheveux de Soko, un peu distrait, puis il lui fit un grand sourire, glissant simplement et tout naturellement un « toujours » comme si ce mot ne quittait jamais sa bouche. Il accepta le cachet avec un merci digne d'un roi (son ton bourgeois avait éclaté au grand jour), et attrapa entre ses doigts l'autre que tenait son ami pour les regarder.
« ouvre la bouche » lui demanda-t-il, obéissant à sa propre demande en même temps pour lui montrer l'exemple, et avant même qu'elle ne s'execute, il glissa le cachet entre ses lèvres, et entre les siennes aussi. « amuse-toi bien » lui dit-il encore, lui faisant un petit clin d'œil en même temps.

Ce n'était pas dans ses habitudes, tout ça. Enfin, sécher et se cacher, c'était son quotidien, mais se droguer, il ne le faisait quasiment jamais. Il se disait qu'il n'avait pas besoin de ça, qu'il savait s'amuser sans, qu'il était capable d'être suffisamment con pour faire les mêmes conneries tout en ayant l'esprit clair, mais parfois, ça changeait. C'était Soko, avec qui il était, il lui faisait confiance, et s'évader une petite journée ne lui ferait pas de mal. Il n'y avait pas grand chose qu'il voulait fuir, mais avoir une journée rien qu'à lui serait plutôt agréable. Il laissa tomber sa tête en arrière, fermant les yeux. Il savait que ça mettrait un peu de temps à faire effet, parce qu'il avait vu des gens en prendre et être normal pendant un moment avant de devenir si euphorique qu'ils dépassaient presque l'euphorie habituelle de Se Yun. « je vais plutôt courir ma belle, c'est la seule chose que je fais bien » Il laissa échapper un petit rire, qui raisonna plus fort qu'il ne l'avait pensé entre les murs de la bibliothèque. C'était silencieux, il n'avait pas l'habitude de ne rien entendre. « mais t'es sûre que c'est une bonne idée pour toi, de sécher ? » Il fit une petite moue. Elle était plus intelligente que lui, c'était dommage de gâcher cela. Il sentit les effets venir, petit à petit, et se sentait déjà plus léger. Un nouveau rire -pour rien...- s'échappa de sa gorge. « tu t'es déjà fais passer pour un prof dans un amphi ? ça te tenterait pas d'essayer ? »

Il devait se taire ? Comme un imbécile, il obéit au shh que la jeune femme lui fournit, l'imitant en posant un doigt sur sa bouche, l'enfant qu'il était. Il gardait son doigt posé alors qu'elle continuait de parler, lâchant un petit rire (tout discret) lorsqu'elle lui raconta qu'elle était faite pour ça. « Miranda qui ??? » il chuchota avec force, il ne savait pas qui elle était, lui. C'était une élève ? Une étrangère sûrement. C'était bizarre, il en avait parfois entendu parler, mais il ne l'avait jamais vu. Il la vit sortir un rouge à lèvre, mais ne comprit toujours pas. Le destin ? Entre ses mains ? Oh. Il était totalement perdu. Il le prit en main, ne comprenant pas trop ce qu'il était sensé en faire, et s'en mit, l'étalant partout sur ses lèvres (il n'avait pas de miroir, et même s'il en avait eu un, il n'aurait pas su l'appliquer correctement), et en appliqua aussi généreusement sur les lèvres de Soko. Puis, comme elle, il se leva, galérant un petit peu, mais trouvant son équilibre une fois sur ses deux pieds. « je suis pas un misérable mortel ?? C'est toi la misérable mortelle ! » dit-il en la montrant du doigt, mais l'attrapa tout de même pour la mener sur le chemin. Il marcha, un peu recourbé pour ce faire tout petit, tout discret, mais malgré sa posture ridicule, il en oubliait de murmurer. « t'es belle comme ça avec ton rouge à lèvres, tu devrais en mettre plus souvent » il rigola. en fait, avec son travail médiocre, elle avait l'air totalement stupide, mais sûrement qu'elle s'en fichait. Il descendit les escaliers sans hâte, d'un pas lourd, manquant parfois de louper des marches. Peut-être cela commençait à faire effet. Mais ils réussirent tout de même à descendre sans causer un accident, et, une fois arrivés en bas, il fut perdu. Il n'allait jamais dans la bibliothèque (qu'est ce qu'il irait y faire, d'ailleurs, il se fichait éperdument de ses études), et se tourna vers la dame qui s'occupait de la bibliothèque pour lui demander : « eh, madame, c'est par où qu'on sort ? »