“ ma douce na ri je ne t'oublierai jamais „

C'était sa mémé qu'elle adorait par dessus tout. Sa mémé la meilleure, celle sur qui elle pouvait toujours compter. Elle adorait lui rendre visite, lui parler durant des heures. Elle ne faisait qu'écouter sans jamais dire un mot. Elle avait autour d'elle une sorte d'aura spéciale qui imposait le respect, et dans ses yeux on voyait la sagesse infinie, et un pouvoir sans nom. Elle se souvenait de son sourire malicieux, des rides qui formaient des creux sur son visage, de chacune des tâches sur sa peau dues au soleil, elle se souvenait même du nombre de dents qu'il lui restait. C'était une femme âgée, qui a vécu bien plus d'année qu'elle ne l'aurait du. Elle avait vu mourir sa propre fille, et avait survécu. Elle avait vu mourir tant de gens autour d'elle qu'il semblait qu'elle restait la seule encore debout. Elle connaissait des époques dont plus personne ne se souvenait, elle était en quelque sorte un concentré de mystère, de féerie, de magie. Et c'était bien tout ça qu'elle représentait dans les yeux de l'enfant Na Ri, naïve et crédule, pleine d'une imagination qui lui faisait créer des mondes parfaits ou plus imparfaits. Elle rêvait beaucoup, l'enfant, tellement que parfois il était dur de la ramener sur terre. Elle rêvait si haut, qu'un jour, on ne voulut plus la faire redescendre de peur que la chute lui soit fatale.

“ comme toi tu n'oublieras jamais „

Et de chute, jamais il n'y eut. Parce que les morts s'enchaînèrent, que la première partie fut la mémé. Cette vieille dame silencieuse et fatiguée, qui avait tant vécu qu'elle avait attendu la mort libératrice depuis quelques années déjà. Elle était partie avec un sourire, une lettre, et un héritage conséquent à faire partager à tout les arrières petits enfants. Elle avait été heureuse, elle avait été choyée, elle pouvait quitter la terre. Pour Na Ri, jamais elle ne fut partie. Elle était simplement allée conquérir d'autres terres, gagner d'autres pouvoirs et d'autres savoirs, et reviendrait les lui enseigner. Puis ce fut au tour de la mère. Cette triste femme emportée par une voiture, arraché à la vie d'une forme brutale et sanglante, transportée sur quelques mètres avant qu'on ne se rende compte du choc. Elle disparut d'un seul coup, si vite que Monsieur Chi ne parvint à le réaliser que quelques jours après, lorsqu'il constata qu'elle ne rentrerait vraiment pas. Si vite que Na Ri ne l'accepta jamais. Elle était en vie, Madame Chi, elle ne voulait simplement plus rentrer. C'était sûrement sa faute, se disait-elle, sûrement parce qu'elle n'était pas assez bien. Elle l'avait toujours senti, l'enfant, Madame Chi passait beaucoup plus de temps avec mémé qu'avec elle, elle la préférait c'était sûr. Mais l'enfant ne pouvait pas rivaliser avec la vieille dame. Mémé était partie. Madame Chi l'avait suivit. Et Madame Chi ne voulait plus de Na Ri.

“ je t'ai aimé si fort „

Et l'enfant se retrouva seule avec Monsieur Chi, avec papa. Mais papa n'était pas un mauvais homme. C'était juste qu'il n'était pas doué. Si effrayé des réactions que pourraient avoir sa propre fille, il la dorlotait, lui cachait des choses et d'autres, la prenait avec tant de pincette qu'il avait finit par s'éloigner de lui-même d'elle. Il s'occupait de Na Ri, lui lisait des histoires, des contes de fées, la nourrissait, l'habillait, lui parler. Il était à la fois toujours présent mais jamais là. Il n'osait pas. Elle n'avait pas pleuré, l'enfant, et il avait si peur de briser la petite bulle dans laquelle elle se trouvait, ne se rendant pas compte qu'il ne faisait qu'alimenter la folie dans laquelle l'enfant plongeait peu à peu. Papa avait peur de sa puissance, pensait-elle. Ou papa était jaloux d'elle. Papa savait qu'elle était une fée, qu'elle était la digne héritière de mémé, et lui lisait tout ces contes pour qu'elle devienne plus forte, plus grande, meilleure. Papa l'aidait, et elle aidait Monsieur Chi. Parce qu'un jour, tout les deux, ils retrouveront Madame Chi et mémé, et ils resteront pour l'éternité tous ensemble. A jamais.

“ que cela aurait dû être interdit „

Elle était si protégée qu'elle ignorait ce qu'était la vie. L'adolescente ne connaissait rien au monde réel. Elle ne voyait que la vie derrière son masque de fantaisie. Les choses étaient plus magiques qu'elles n'y paraissaient, les gens avaient une aura autour d'eux qu'elle était la seule à voir, et elle parvenait à comprendre certains concept avec une facilité déconcertante. Elle était particulière, si particulière qu'elle impressionnait, qu'elle effrayait. On fuyait l'adolescente comme la peste. On fuyait sa folie, de peur qu'elle soit contagieuse. Et elle fut éloignée de tout. Seul dans sa fausse réalité, ou la vraie, pour ce qu'on en sait. Elle est une fée. Elle est magique. Elle est la seule à réussir à distinguer la réalité, alors que tout autres restent aveugles, ou trop bêtes pour comprendre. L'adolescente recluse se transforma en jeune adulte, et cette jeune adulte est toujours autant bercée d'illusion. Mais sa bulle, qui oserait la percer, et la faire réaliser que non, sa vie n'a jamais été un conte de fée.