Je n’ai jamais été la personne la plus sociable du monde. Même à la maternelle, j’étais le genre de personne à rester dans son coin, à jouer avec ce qui me passait entre les mains. Et c’est encore le cas. Je fais mes choses par moi-même, dans mon coin. Si quelqu’un vient me voir ou me propose de travailler avec lui, ou elle, je ne dirai peut-être pas non. Si je vous connais déjà. Si vous ne faites pas déjà partie de mon cercle d’amis, ce sera un peu plus compliqué. Mon passé ayant fait de moi ce que je suis maintenant, j’ai beaucoup de mal à m’ouvrir aux autres. Je ne suis pas du genre à offrir ma confiance à tout va, et même si je passe du temps avec vous, cela ne veut pas dire que je vous fais, justement, confiance. Si vous avez le malheur de tomber dans mes mauvaises grâces, vous y resterai pour le restant de vos jours. Je n’accorde que très peu de marge de manœuvre lorsqu’il s’agit de l’amitié et de la fidélité.

Je ne suis pas le genre de garçon à montrer facilement ce qu’il ressent. Si j’ai peur, ça se verra. Si je suis heureux…? Peut-être que vous pourrez voir un fin sourire apparaître sur mon visage qui, bien souvent, reste de marbre. Ce détail ne fait pas de moi quelqu’un d’insensible, tout le contraire. Je suis quelqu’un qui ressent tout de façon extrême. J’ai juste appris, il y a bien longtemps, à ne plus extérioriser ce que je ressens. Un peu comme un mécanisme de défense. e que les gens ne connaissent pas ne peut pas être utilisé contre moi, non?

Lorsqu’on apprend à me connaître, on verra que je suis du genre à m’ouvrir. Je me laisse un peu plus aller, je souris un peu plus. Je ris, même. Je suis également possessif envers les gens qui me sont chers. J’ai toujours peur de perdre ceux à qui je tiens, alors je ne me gêne pas pour leur montrer que je les aime. Je suis très tactile, d’ailleurs, ne soyez pas surpris si je m’accroche à vous pour vous demander un câlin. Je réagis également de façon impulsive la majorité du temps. On a beau dire que je suis prévisible et qu’on lit en moi comme dans un livre ouvert, mais c’est tout sauf le cas. Je ne sais même pas ce qui me prend, la plupart du temps, et je risque de me refermer sur moi-même assez rapidement. Timide? De temps à autres. J’essaie de l’être le moins possible, mais parfois, c’est difficile.

Un point à savoir : je ne parle jamais de moi. Je ne parle jamais de mon passé, ni de ma famille. Je n’ai aucune photo du temps où j’étais jeune à la maison et je ne prends que très rarement des photos de moi-même.

Il n’est simple pour personne d’agir comme quelqu’un que vous n’êtes pas. Je crois que tout le monde peut s’accorder sur ce fait. C’est un peu sur cette simple phrase que se base mon entière existence. J’ai mi les pieds en Corée pour la première fois lorsque j’avais quatre ans et demi. Peut-être que vous vous dites que c’est trop jeune pour que je m’en souvienne. Certes, ce n’est pas le moment de ma vie qui me marqua le plus, mais cette expérience fut traumatisante. Arriver dans un pays qui vous est totalement inconnu, avec une langue que vous ne parlez pas… Tout pour faire peur à qui que ce soit. « Loann, ma chérie, tu dois aller à l’école… » Me murmura mon père, en Anglais, rapidement suivit par la même phrase, mais en Coréen. Le but principal de cet échange bilingue était de me familiariser avec cette langue que je refusais d’apprivoiser. À force de répétition et de discipline, je finis par m’y habituer, mais j’étais toujours cette petite fille silencieuse qui restait assise au fond de la classe, à jouer avec ses blocs. Pas avec sa poupée, non. D’ailleurs, je n’en possédais aucune. Ça ne m’attirait pas, et ce même lorsque je vivais toujours en Angleterre.

« Tu as un crayon jaune? » Mon attention fut rapidement piquée par ce jeune homme qui m’abordait constamment, m’adressant la même et unique question à chaque fois. Je finissais par tourner la tête et faire comme s’il n’existait pas, jusqu’à ce qu’il se lasse et aille chercher ce crayon jaune ailleurs. Jusqu’au jour où je décidai de lui répondre, baragouinant un « Non, mais un rouge, oui… » Et il avait pris place près de moi. Et depuis cette journée, Haejin était devenu mon ami. Si rapidement que nous étions devenu inséparable, et cela est toujours valable, même aujourd’hui. Il m’aida grandement à surmonter cette peur que j’avais de ce pays et de cette langue qui me semblait incompréhensible.

Mon passage à l’école secondaire fut plus fluide, mais jonché d’embûches. En tant que jeune femme exemplaire, je me devais de me tenir correctement. D’être vêtue de façon décente et, surtout, d’avoir l’air d’une jeune fille. C’est ce que ma mère s’entêtait à vouloir me faire comprendre. Et moi, je préférais avoir les cheveux courts me vêtir de vêtements bien masculins. Petit détail qui me valu bien des réprimandes, autant de la part de mes professeurs que des élèves. Tous les jours. Haejin avait beau passer son temps à mes côtés, à essayer de démolir quiconque s’approchait de moi, leurs remarques m’atteignaient tout de même. Tellement que je changeai radicalement d’apparence, reprenant ce qui devait être une apparence de jeune femme normale. Jouer un rôle dans une pièce de théâtre, c’est agréable pendant que ça dure. Agir comme quelqu’un que vous n’êtes pas, c’est épuisant.

Loann est morte. Aux yeux des élèves de mon école, c’est ce qu’on leur a fait croire. Aux yeux de ma famille, ce fut la naissance de Logan. Du nouveau moi. Après maintes consultations avec des médecins et des psychologues, je pu changer de sexe. Le processus se fit lentement sans que personne ne s’en rende vraiment compte, jusqu’à ce que le grand changement se fasse. Je changeai d’école. Je recommençais une vie. À partir de ce même moment, tout se mit à aller mieux. Je n’avais plus à prétendre que j’étais quelqu’un d’autre. Je n’avais plus à jouer un rôle. Et de façon surprenante, les gens de mon entourage ne semblèrent pas trop s’en faire. La vie est faite de hauts et de bas. La mienne fut, jusqu’à présent, constituée majoritairement de creux. Mon entrée à l’université fut, toutefois, un très grand haut. De là à changer ma personnalité, par contre, c’est un autre registre.