Hera avait des petits moments sacrés dans la semaine. Ils étaient rares et souvent de courte durée. De ce fait, elle ne les appréciaient que d’autant plus. Même en période de vacances, difficile de trouver un moment à elle ? Lâcher ses bouquins ? Non, si elle voulait être performante, l’étudiante en médecine ne devait pas se relâcher. Idem, en ce qui concernait sa forme physique, notamment sa souplesse nécessaire en tant que cheerleader. La singapourienne s’était déjà accordée quelques jours de déconnexion totale avec la Yonsei en rentrant chez elle, à Singapour – séjour merveilleux en compagnie de son petit ami – au début des vacances, mais depuis son retour, elle avait mis reprit un rythme de vie strict et étouffant comme elle ne semblait pas savoir s’en défaire. D’autant plus qu’à l’occasion de cette période dénuée de cours, ses activités en tant qu’égérie de la marque Samsung avait été décuplée. Une matinée de shooting, la vice-présidente revenait à présent au dortoir après une après-midi sportive. C’était le moment de sa petite pause, son petit plaisir à l’heure où le dortoir devrait être vide. Puis profiter de cette quiétude pour s’adonner aux corvées administratives avant de devoir se préparer à repartir pour une soirée d’inauguration officielle.

Oui, ces quelques minutes étaient extrêmement précieuses ! Hera avait l’intention de les savourer à leur juste valeur, sauf que… Arrivée dans la cuisine qui s’avéra tout sauf vide, elle se figea les yeux écarquillés.
« Tobias ! C’est quoi ce bordel ? »
Elle entra dans les pièces et jeta un regard aussi septique qu’incrédule à l’objet non-identifié trônant au milieu de tout ce foutoir, qu'elle pointa du doigt :

« Et qu’est-ce que c’est que… Cette chose ? » 
Comme souvent avec lui, elle se trouvait face à une situation où l’aberration l’emportait sur la colère. Non mais franchement, qu’est-ce qu’il avait encore fabriqué celui-là ?

Ne pas lui parler comme à un enfant de cinq ans ? Pourtant Tobias lui donnait bien souvent l’impression d’un gamin dans le corps d’un grand gaillard. Une corpulence solide qui contrastait d’autant plus avec son attitude surtout lorsqu’il lui tirait la langue de la sorte. Pas encore suffisamment habituée pour s’y faire, Hera ne pouvait que le regarder avec des grands yeux, incapables de s’énerver tant elle était déconcertée à chaque fois. Elle leva ses mêmes yeux au plafond lorsqu’elle l’entendit donner des explications sur sa « création ». Un léger soupire… Décidément, chacun dans leur registre, mais il n’y avait vraiment pas un gumiho pour rattraper l’autre dans cette fraternité. Désabusée, elle continua de l’observer inconsciemment, tandis que dans ses pensées, elle se demandait encore comment elle avait pu en arriver à vivre au sein d’une telle fraternité. Pire, de s’être investie au point d’endosser les responsabilités de vice-présidente.
« Et pourquoi devrais-je être partie ? rétorqua-t-elle. Je viens seulement d’entrer dans la pièce. »
Elle commença à se diriger vers le réfrigérateur avant que la curiosité quelque peu bavarde de son camarade ne la surprenne derechef.
« Eh bien, tu dois vraiment t’ennuyer pour devenir aussi bavard soudainement ! » se moqua-t-elle gentiment.
Hera ouvrit la porte du frigidaire. Son appétit momentanément légèrement coupé par la vue de la chose trônant sur le plan de travail de la cuisine, elle ne pensa plus à son goûter-péché du jour. Pour l’instant ! Elle prit plutôt simplement la cruche du purificateur d’eau, saisit ensuite un verre… non, finalement deux qu’elle remplit et en tendit à l’apprenti chimiste. Cela n’avait peut-être l’air de rien mais moins d’un an auparavant JAMAIS, elle n’aurait ne serait-ce que penser à servir un deuxième verre. Pas par mépris, mais juste pas pur égocentrisme. Hera en but une gorgée rafraichissante avant de répondre :
« Aurais-tu fait une bêtise pour te montrer si curieux de mes journées ? commença-t-elle, un soupçon septique. Enfin, oui, tout c’est bien passé, merci. »
Quand bien même cela ne serait pas l’exacte vérité, Hera n’était pas du genre à s’étendre facilement sur les difficultés qu’elle ait pu rencontrer.
« Égérie. Je travaille en tant qu’égérie de Samsung, mais franchement, j’aspire à mieux. Enfin, non, je veux juste obtenir un diplôme en médecine pour certifier de mes capacités intellectuelles avant de retourner dans mon palais. »
Elle but une nouvelle gorgée avant de sourire avec malice.
« J’ai déjà plus  d'une douzaine de domestique à Singapour, mais devrais-je t’y emmener ? »
Elle lança un regard sur le foutoir des expériences de Tobias.
« Serais-tu suffisamment servile pour être mon esclave ? Et puis, je ne suis pas certaine que tes compétences de masseur compensent la charge en ménage que tu représentes, non ? »

À l’évocation de son « petit goûter quotidien », Hera tiqua un peu. Pas quotidien, mais hebdomadaire ! Elle s’accordait un petit péché de gourmandise une fois par semaine ! Pas tous les jours ! Ses yeux se baissèrent brièvement sur sa taille. Elle ne donnait pas l’impression de se relâcher quotidiennement tout de même ? Non, voyons ! Et puis, Tobias n’était certainement pas le juge le plus fiable en la matière. Elle haussa les épaules. En revanche, elle ne put réprimer un petit sourire taquin à la question de savoir si elle préférait qu’il se taise. Ironiquement, pour bien des personnes, c’était une perche tendue à la singapourienne pour se faire battre. Assurément qu’elle répondrait par la positive, mais avec son camarade gumiho… Elle préféra ignorer la question – peut-être le regrettera-t-elle rapidement ? – qui fut vite évincée.

De regard écarquillé à un autre, Hera ne comprit pas pourquoi son interlocuteur fit une telle tête lorsqu’elle lui tendit un verre d’eau. Non, elle n’avait pas mis de sel dedans, elle ne comptait pas non plus lui jeter à la figure, elle n’agissait pas de façon mesquine sans bonne raison. Sa méchanceté gratuite avait été balayé de son coeur depuis un bon moment, et d’autant plus depuis que celui-ci s’avérait habité par des sentiments beaucoup plus doux. Si elle allait bien… Ok, là, elle commençait à comprendre !
« Yah ! Dis-le si la prochaine fois tu préfères que je te laisse crever de soif ou que je te jette l’eau au visage ! »
Elle bouda légèrement en se tournant à demi pour avaler une gorgée. Son geste ne pouvait pourtant même pas être appelée de la gentillesse. Elle avait juste… commencé à apprendre à se soucier un peu des autres et non plus uniquement de soi-même.
« Après tout, je suis vice-présidente, il faut bien quelqu’un pour s’occuper un peu de cette bande de dégénérés… » marmonna-t-elle pour elle-même.
Ses yeux se reportèrent néanmoins avec orgueil sur le renard, les sourcils forcés, tentant de décrypter le langage coder qu’il était en train de débiter. Un Dalek ? Quelle était cette chose ? Résultat, la tentation de prononcer le fameux mot « exterminé » fut grande, cependant, elle le savait capable de décamper en provoquant encore pire carnage que ne l’était déjà la cuisine de la fraternité grâce à lui. D’ailleurs, Hera peina à trouver un petit recoin propre où s’asseoir. Elle dût se résigner à se hisser sur le plan de travail dont une petite parcelle avait été épargnée. Jambes pendantes dans le vide, elle porta sur lui un air mi-amusé, mi-décontenancé. Ce garçon avait tout de même dû recevoir un choc à la tête dans sa tendre enfance :
« Et toi, tu ne serais pas un jour tomber dans les escaliers ? » ne put-elle s’empêcher de demander.
Parce que le truc, c’est qu’ils étaient nombreux à en dire des conneries dans cette fraternité, mais Tobias semblait vraiment sérieux.
« Amant du vendredi soir ? » répéta-t-elle avant qu’il ne finisse sa phrase.
Hera n’était jamais certaine de bien comprendre les véritables intentions de Tobias. Par moment, il lui semblait totalement asexué – et pour cette raison qu’elle le laissait la toucher pour les massages – et à d’autres moments, il était des propos ambiguës. Elle ne savait jamais trop comment elle devait les prendre, alors elle jugeait préférable de les ignorer, et souvent les inepties de son interlocuteur lui facilitait la tâche.

« Pour ce qui est d’être le meilleur, je ne peux juger sans sujet de comparaison. Or, tu es le seul à avoir, enfin à d’être octroyé le droit de me masser. La place d’époux est déjà réservé et pour être mon épouse… D’une part, c’est assez vexant et d’autre part, je ne suis pas adepte des ménages à trois. »
Imaginer devoir partager Hyeon était impensable. Soudain, Hera secoua légèrement la tête en prenant conscience qu’elle était vraiment en train d’imaginer une situation du quotidien en ménage à trois avec Tobias en seconde épouse. Elle jeta un oeil sur le contenu de son verre. Un gumiho aurait-il encore versé un petit bonus dans la cruche ou était-ce l’effet Tobias ? D’ailleurs, la suite, elle ne voulut surtout pas essayer de visualiser.
« Tu es dégoûtant ! »
Elle bondit sur ses pieds, descendants de son perchoir, piquant un petit coup de sang.
« Nettoie plutôt tout ce bazar au lieu de raconter des inepties pareilles ! »