La jeune coréenne passait d'une rangée à une autre, profitant du calme et de la paix qui se dégageait des livres alignés sur les étagères. La bibliothèque avait été et sera toujours son endroit favori, à tel point qu'elle pouvait y passer des heures sans même avoir réellement besoin d'y être. Et c'était l'un de ces jours ou elle avait juste envie de se plonger dans un livre pour s'évader une fois de plus de la réalité. Elle cherchait sans grande conviction un ouvrage qui attirerait son attention, mais malheureusement aucun ne semblait digne d'être ouvert. Alors elle s'aventura hors des allées de romans pour découvrir les autres mondes qui s'offraient à elle, découvrir les manuels qui s'offraient à elle, ces univers qu'elle n'osait habituellement pas explorer. En se perdant dans le dédale de livres, elle crut apercevoir un visage connu. Elle secoua la tête, impossible qu'il vienne ici, non ?Alors persuadée qu'elle se trompait, Eun Mi continua à vagabonder pour finalement atterrir dans les oeuvres dédiées à la photographie, elle pensait à son ami Je Ha et leur première rencontre en ces même lieux. Puis elle se dirigea vers les manuels consacrés aux sports, et son esprit fit apparaitre devant elle Il Nam, qui Caem. L'irlandais qui avait le don de la troubler, alors encore une fois, et pour faire disparaitre l'image du garçon et de son sourire, elle secoua la tête. Un peu de concentration, pensa-t-elle.

Elle allait passer dans l'allée suivante, mais fit demi-tour aussitôt. Ce visage qu'elle semblait connaitre, elle l'avait effectivement déjà vu. Il ne lui fallut qu'une fraction de seconde pour le re-situer. Un soir, en quittant la pâtisserie, une altercation, des coups échangés avec violence. Elle en était sûre, c'était lui. La jeune coréenne ne connaissait pas son nom, et elle n'avait pas cherché à le connaitre à vrai dire, tout ce qu'elle savait c'est qu'elle ne voulait pas être mêlée de près ou de loin à ses activités. Elle fit comme si de rien n'était et suivit une autre rangée de livre. Perdue à nouveau dans ses pensées, elle n'avait pas fait attention à ce qui se trouvait autour d'elle, elle se contentait de poser son regard bicolore sur les étagères, d'effleurer du bout des doigts les dos des écrits. Elle ne fit pas attention au coréen qui venait d'arriver à son tour, elle ne prit pas garde lorsqu'elle le bouscula. En revanche, le regard du garçon n'avait pas eu besoin d'être posé plus d'une demi seconde sur elle, qu'elle se sentait déjà glacée jusqu'aux os. Elle avait cherché à l'éviter, depuis ce fameux soir, alors qu'il avait cherché à discuter avec elle, elle s'était enfuit chaque fois. Et à ce moment il se trouvait juste en face d'elle. Eun Mi pouvait peut être à nouveau s'enfuir, elle aurait pu envisager cette solution sérieusement s'il n'avait pas croisé son regard. Ses prunelles croisèrent les siennes et elle crut y déceler une certaine colère, ou était-ce son imagination ? La peur la tétanisait, si bien qu'elle se voyait déjà subir les mêmes coups qu'elle l'avait vu asséner à son adversaire il y a quelques temps. Une fraction de seconde, un sursaut de surprise et elle ne vit même pas le coup partir. Pas celui du coréen, non étonnamment c'était d'Eun Mi qu'il était parti, pour venir rencontrer la joue du garçon. Elle venait de lui donner une gifle digne des plus grands dramas. Aussitôt elle porta les mains devant sa bouche, à la fois choquée et surprise de cette réaction qui ne lui ressemblait pas. "Je suis ... désolée ... je ne voulais pas je ..." Elle ne savait pas comment s'excuser, alors elle opta pour la solution la plus simple pour elle, celle qu'elle maîtrisait comme personne : la fuite. Reculant, un pas après l'autre pour s'éloigner, elle s'arrêta lorsqu'il prit la parole.

Dans un recoin sombre de ton esprit tu avais réalisé entre deux bastons que ce serait une bonne idée d’être diplômé et de finir des études. Histoire de bosser un jour quoi. La pile de devoir qui s’était assemblée sur ton bureau était devenue une motivation et tu avais décidé d’aller à la bibliothèque pour finir tes tâches. Ton jean était couvert de trou, et amen, il était noir ce qui couvrait les potentielles tâches de sang sur celui ci. chemise noire, veste en cuir, et bonnes vieilles docs Marteens bien crades : c’est comme si t’étais en pyjama tellement tu trouvais ça confortable. Ta plaie à l’arcade semblait moins douloureuse que la veille, et ton oeil au beurre noir commençait à s’estomper. T’hésitais presque à choper le correcteur de Leslie pour te maquiller et couvrir la trace, mais t’avais la flemme, et puis tu savais qu’elle te tuerai si tu touchais à ses affaires.

Ta moto garée devant la bibliothèque, tu t’immisces dans le bâtiment et te diriges par habitude au rayon d’art et d’architecture. Tu te perds dans les couloirs d’ouvrages qui t’entourent, remarquant à peine la figure qui semble te suivre, ou t’éviter d’ailleurs. Jusqu’à ce que la figure ne te bouscule, ne te percute et que tu la distingues vraiment cette fois ci. Tu sembles étonné - il y a de quoi - tant la demoiselle à l’air surprise mais aussi apeurée, et tu commences à te questionner. Qu’as tu bien pu faire pour qu’elle semble si effrayée face à toi ? Tu n’as même pas le temps de réagir avant que sa main ne se lève et atterrisse sur ta joue, un bruit de claque violent se répandant dans le silence de la bibliothèque. Ta joue te brûle instantanément, t’es abasourdi. Bordel qu’est-ce qu’il se passe encore, j’ai fait quoi putain? Tes pensées s’entrechoquent sans que tu ne les distingues : la frapper à son tour? Pas ton genre. Lui demander ce qu’il y a? Elle pourrait t’en remettre une autre. « Je suis ... désolée ... je ne voulais pas je ... » Tu décides de t’y prendre avec humour, pour ne pas la brusquer, elle semble fragile face à toi, comme une poupée de porcelaine. Elle commence à reculer face à toi, comme de gibier devant un prédateur, sauf que t’es pas un prédateur, pas vraiment. Tu t’approches bien plus, en réalité, de l’animal indépendant qui se contente de survivre seul. « T’es rapide. Je m’y attendais pas, tu ferais fureur en free fight toi. » Elle s’arrête dans sa démarche et te toise, intriguée. Tu reprends, cette fois ci en parlant honnêtement, et pas juste pour la blague, mais surtout pour la comprendre.  « Désolé. C’est pas une blague très drôle. On se connait? Pas que j’en ai contre toi mais je voudrais juste savoir. Erm. » Tu marques une pause, ne sachant pas vraiment comment amener les choses sans paraître brutal.  « Pourquoi une telle gifle? Ça m’a un peu surpris je te l’avoue. » Tu t’approches d’elle en souriant cette fois ci, et comme à chaque fois que tu souris, un petit rictus de douleur s’installe sur ton visage tant il te fait souffrir, à cause de la coupure à ton arcade qui n’a pas encore cicatrisé complètement.

Elle s’attendait à tout sauf à sa réaction. Il avait fait un pas, guidé par la colère qu’elle avait vu luire dans ses yeux, mais qui s’était éteint aussi rapidement qu’elle était venue. Elle avait laissé place à un certain humour qui la déstabilisait. D’autant plus qu’il lui appela ce souvenir terrifiant qui hantait parfois ses nuits. Cette bagarre dont elle avait été témoin et qui la rendait nerveuse à l’idée de traverser les rues seule la nuit à la fin de son service à la tarterie. Il avait le visage tuméfié, des égratignures et des bleus coloraient sa peau si bien qu’un simple sourire de sa part ressemblerait davantage à une grimace. Elle aurait voulu répondre que non, ils ne se connaissaient pas, mais ses cordes vocales refusaient de lui répondre. Et lorsque les lèvres du coréen s’étirèrent, Eun Mi voyait dans son expression une menace, un sourire fou comme s’il projetait de lui faire du mal. Elle recula d’un nouveau pas. Mais lorsque la douleur déforma ses traits, elle s’arrêta. Souffrait-il de ses blessures, ou essayait-il de lui faire peur ? Ses iris bicolores cherchèrent de l’aide, n’importe quoi qui puisse la sauver, ou venir aider son vis-à-vis ? Ses paroles contrastaient avec son allure, ne rassurant en rien la jeune coréenne. « Je suis désolée… je ne voulais pas te gifler. » Les yeux d’Eun Mi dégringolèrent de honte. Elle pouvait trouver toutes les excuses possibles, elle doutait qu’il se contente de si peu. L’allée était un piège qui se refermerait sur elle si elle ne partait pas tout de suite. Elle lui lança un dernier regard contrit et apeuré avant de tourner les talons. Elle l’abandonnait sciemment et priant pour qu’il ne la suive pas. Mais elle ne put s’empêcher de se retourner avant qu’il ne soit hors de sa vue. Il massait son visage endolori dans une grimace qui déformait ses traits. Elle aurait dû le laisser là, mais elle se sentait coupable de le laisser dans un tel état. À chaque battement de cils se rejouaient les scènes d’une violence inouïes dont il avait été l’auteur actif. La jeune coréenne soupira, prenant son courage à deux mains pour faire demi-tour. Elle s’approcha doucement et avec prudence du coréen, et sursauta lorsqu’il leva à nouveau ses prunelles vers elle. « Je suis vraiment désolée… s’il te plait ne te venges pas d’accord ? » Dans son regard elle lisait un certain amusement, et cette lueur la réconforta dans sa démarche. « Est-ce que… est-ce que tu es allé à l’infirmerie ? » Détaillant les plaies qui couvraient son visage, elle ne put s’empêcher de retenir à son tour une grimace de douleur. Elle ne demanderait pas comment il s’était fait ces marques, elle le savait très bien. Elle se rappelait les heures qu’elle avait passée cachée, à attendre de pouvoir passer sans se faire repérer, et elle ne voulait pas lui avouer que ses yeux s’en souviendraient toujours. Alors plutôt que de mentir, elle préféra omettre la vérité et tenter, elle aussi, une pointe d’humour à laquelle se mêlait une crainte qui ne faiblissait pas. « Est-ce que tu as vu ton visage ? Tu fais peur oppa… » Elle jouait nerveusement avec ses mains, hésitant à lui proposer son aide. Puis finalement, elle se voyait mal le laisser errer entre les rangées de livres. Elle lui tendit alors la main avec un sourire timide. « Je m’appelle Eun Mi. Est-ce que… est-ce que je peux t’aider ? Je connais la bibliothèque par cœur ! »