Kwanhee poussait paresseusement son pied sur le bitume, faisant progresser son skate lentement, sans grande conviction. Il longeait un trottoir, entravé par les passants, rongé par l’impatience de sortir de la foule. Il rentrait droit du combini où il avait fini sa journée, et comptait bien profiter de la fin de l’après-midi pour étudier. Depuis qu’il avait changé d’orientation, il s’était découvert un nouveau goût pour le travail. Après avoir passé des années loin de l’école conventionnel, à pratique la musique et la danse, il lui avait fallu un certain temps d’adaptions. A présent, il s’acharnait à rattraper son retard pour atteindre le niveau d’une première année comme les autres. Il avait atteint deux ans de retard à présent, mais il s’en fichait. Sa latence était derrière lui, il était décidé à avancer.
Seul un détail entravait sa douce progression vers le succès, c’était bien cette foule de badauds qui ne semblaient pas décidés à lui laisser de la place pour atteindre les facultés. Frustré, Kwanhee se pencha vers la route, et avisant l’absence de voiture, il descendit du trottoir et remonta la file de passant à toute allure, poussant vivement sur son skate pour prendre de la vitesse. Lorsque l’élan fut pris, il décolla les pieds du sol et se laissa roule jusqu’à l’intersection suivant, où il bifurqua sur une allée, en direction du dortoir. Il approchait enfin de ce dernier, et accéléra à nouveau, débarrassé du monde, lorsqu’un homme apparu soudain sur sa trajectoire. Manquant de le heurter, le brun freina à s’en bousiller la semelle et trébucha sur sa planche qui continua sa course jusqu’au talus. Lui-même vacilla un instant, à un cheveux de la chute. Son équilibre rétablit tant bien que mal, il récupéra son skate et se tourna, presque rageusement, vers le coupable. « Jaehyeon, pourquoi tu es toujours en travers de ma route ? »

Il se tortille nerveusement les doigts ; ses dents viennent agripper sa lèvre du bas pour la malmener dans une sotte frénésie. Ses pupilles dilatées par l'angoisse vaguent et voguent sur le mobilier de la pièce, jettent l'ancre sur les détails, repartent à la conquête de nouveautés. Journée blanche ; blanche et pure, journée vierge, journée vide, journée néant. Un nouveau levé de soleil à son compteur, bientôt un nouveau couché, sans que rien ne bouge. Le monde tournoie à ses côtés sans qu'il ne fasse partie de la ronde, lui qui traîne sa timidité maladive en fardeau à la cheville ; lui que sa différence fait trébucher à chaque pas ; lui qui se pose seul des murs solides entre son être et les autres. Jaehyeon porte son pouce jusqu'à ses dents qui viennent en dévorer l'ongle, et quelques peaux autour. Aujourd'hui, il a décidé sans y parvenir pourtant que les choses prendront un nouveau tournant, qu'il se rattacherait à la ronde pour enfin vivre la vie qui l'attend ; il n'a encore fait le moindre pas, presque décidé à repousser l'échéance à demain. Comme tous les jours. Alors il s'enfonce un peu plus dans le canapé gumiho, à se morfondre, jusqu'à ce qu'une ombre passe. Une ombre divinatoire et divine aux conseils avisés ; une ombre qui l'englobe de sa chaleur et de sa bonté. Une ombre qu'il a suivi alors discrètement une partie de la journée, sans pour autant oser l'aborder.
Jusqu'à cet instant, où le perdant de vue, l'ancien sportif s'avance à un croisement, cherche du regard celui dont il boirait les paroles jusqu'à plus soif. Un crissement le tire de sa contemplation mi-rêveuse, mi-sinueuse, un bruit sourd qui excite la panique et l'angoisse, qui le secoue dans une paralysie paradoxale, jusqu'à ce qu'une voix s'élève. « Quoi ? » Il papillonne des cils, reconnaît la personne, s'excuse piteusement dans un rictus profondément sincère. « Je suis désolé... Pardon, je suis désolé... » Il s'incline plusieurs fois, les joues colorées de honte, capturant encore cette lèvre de ses dents. « Kwanhee sunbaenim... je te cherchais... »

Ce type était incroyable. Toujours au poste aux instants les plus critiques, toujours à se répandre en excuse, à ramasser les débris de sa conscience en s’inclinant bien bas. Toujours à l’appeler sunbaenim sans aucune raison. Kwanhee peinait à croire que ce garçon était plus âgé, et sa timide sincérité le mettait plus que mal à l’aise. Il ne savait pas par quel bout commencer, comment s’adresser à lui. Jae Hyeon était depuis toujours une énigme pour lui. D’un geste rageur, quoi qu’attendri devant la salve d’excuse misérables, il ramassa son skate et le cala sous son bras en soupire. « Ça va Hyung, y a pas mort d’homme non plus. » Ronchonna-t-il en se grattant l’arrière de la tête, embarrassé par l’excessivité de son camarade. Celui-ci ne tarda pas à lui apprendre qu’il le cherchait justement, ce qui surpris le brun autant qu’il en fut déconcerté. La séance d’étude devrait probablement attendre. Le Gumiho avait beau grommeler, il était toujours incapable de dire non à l’innocent face à lui. « Tu me cherchais pour quoi faire ? » demanda-t-il après une longue expiration. D’un geste de la main, il invita Jae Hyeon à se diriger avec lui vers le dortoir. « Il y a un problème ? Quelqu’un a été méchant avec toi ? » Ironisa le brun, à moitié sérieux. Ça ne l’étonnerait pas vraiment en fait. Qu’importait, il se sentait d’humeur généreuse ces jours-ci, alors il était prêt à consacrer quelques précieuses minutes à son hyung. Qui plus est, on ne plantait pas là un camarade Gumiho pour étudier l’économie. Kwanhee sourit et passa son bras libre autour des épaules du jeune homme, marchant toujours vers le bâtiment. « Alors, raconte à Sunbae pourquoi tu le cherchais. Au fait, je t’ai jamais demandé, pourquoi je suis sunbae ? »