Au départ, ça n'a pas été facile de convaincre mon père de me laisser voir Yoo Him en détention... Faut dire que ce qu’il a fait à sa petite amie a eu le temps de faire le tour du commissariat de la ville et, depuis, on ne peut pas dire qu’il le porte dans son cœur. D'ailleurs, je l'avoue, au début, j'ai hésité moi aussi... Au début, quand j’ai appris ce que Yoo Him avait fait, j'ai pensé qu'il n'avait que ce qu'il méritait et qu'il ne méritait certainement pas que je daigne lui rendre une petite visite. Mais, finalement, j’ai changé d’avis… Il s’agit de mon meilleur ami, après tout, et je ne peux donc décemment pas l'abandonner. Ou, en tout cas, je me dois au moins de lui laisser la possibilité de s'expliquer. Toutefois, étant mineur et pas de la famille de surcroit, il me fallait absolument l'autorisation écrite de mon père adoptif (mais aussi qu’il fasse un peu jouer ses contacts) pour pouvoir lui rendre visite. Et l'obtenir n'a pas forcément été chose aisée. Car qu'importe le fait qu'il connaisse Yoo Him depuis pas mal de temps, qu'importe le fait que ce dernier soit mon meilleur ami depuis des années et qu’il sache (ou, du moins, ait eu vent) des quelques problèmes familiaux que celui-ci doit endurer, cette affaire n’a vraiment pas joué en sa faveur. Cependant, mon père sait également que je suis têtu et que quand j'ai quelque chose en tête, je ne suis pas du genre à abandonner. Alors il a fini par accepter… A contre cœur, c’est vrai, mais il a écrit et signé ce papier me donnant la possibilité de rendre visite à Yoo Him dans cet endroit où on l'a enfermé pour les trois prochaines années. Endroit dans lequel je finis d’ailleurs par pénétrer, après avoir pris une légère inspiration… A peine entré, je suis ensuite fouillé et l’on me conduit dans une grande pièce, avec plusieurs tables disposées ici et là, dont une qu’on me désigne et autour de laquelle je finis par m’asseoir, avant de voir mon meilleur apparaître avec l’un des gardiens, quelques minutes plus tard. L’observant alors, tandis qu’il prend place en face de moi, je laisse échapper un simple « Salut… » et le détaille quelques secondes, avant de demander : « Ça va ? »

Depuis que le jugement avait été prononcé, qu'il avait été amené ici, Yoo Him avait pris l'habitude de s'asseoir sur son lit et de regarder dans le vide. Que faire de plus... Son apathie venait en partie des médicaments qui lui avaient été donnés en attendant le bilan psychiatrique qu'il devait subir dans les jours à venir. Malgré tout, il entendait encore dans sa tête résonner l'écho de ses coups sur le visage de sa petite amie, le son de ses os qui craquaient et ses pleurs... Ses pleurs... Malgré les médicaments, il sentit une nausée le saisir comme à chaque fois qu'il pensait à elle. Elle était si jolie, et il l'avait défiguré. Pourquoi au fond ? Pour rien... Vraiment pour rien. Tout comme son père, c'était pour des broutilles qu'il était allé aussi loin. Autant il avait haït cet homme de tout son être, autant il était comme lui. Son père avait-il des regrets à chaque fois qu'il faisait subir ça à sa mère ? A chaque fois qu'il lui faisait subir ça à lui ? Yoo Him mit quelques secondes à relever la tête lorsqu'un gardien vint le chercher dans sa cellule. Ici, ils s'amusaient à appeler ça « chambre », comme si ça rendrait les choses plus faciles à vivre pour les adolescents du centre. Mais la porte était sécurisée, il était surveillé, et le soir une fois fermée, il était impossible de l'ouvrir. C'était donc bel et bien une cellule. Mais Yoo Him ne s'en plaignait pas, il n'avait que ce qu'il méritait, il était le premier à le dire. Il n'était pas désolé d'être là, il était désolé de ce qu'il avait fait, mais il était trop tard, il n'avait que ses regrets pour le consoler. On le mena jusqu'à la salle des visites, son pas était lent, comme s'il était au ralenti, et on l'amena s'asseoir face à Yeon Seok. Le jeune détenu était surpris de le voir là, son meilleur ami avait une vision bien précise de la justice. « Salut. » Sa voix était lointaine et un peu pâteuse, il faut dire qu'il ne parlait pas énormément ici. Il haussa les épaules, se voulant évasif à la question du jeune homme. Évidemment, il n'allait pas bien, en fait, il ne s'était jamais senti aussi mal. « T'as réussi à le convaincre de venir ? » Le, ici, signifiait le père de Yeon Seok. Il imaginait bien ce que l'homme avait pu dire à son meilleur ami, en le trouvant dans une cellule du commissariat les phalanges défoncées après ce qu'il avait fait. Ces mêmes phalanges aujourd'hui en train de cicatriser mais qu'il avait honte de montrer, préférant poser ses mains sur ses genoux les cachant ainsi grâce à la table. « Tu as de ses nouvelles ? » Ses, ici c'était elle à qui il n'osait plus penser mais ne pouvait s'en empêcher. Question pleine d'innocence, d'inquiétude. S'il avait eu les idées claires sans ces fichus cachets, il aurait su que c'était une mauvaise idée, mais il était dans du coton à cet instant, un peu déconnecté de la réalité, et en même temps pas assez pour ne plus penser à tout ça et sentir ce poids qui l'oppressait.

Je connais Yoo Him depuis plusieurs années maintenant et, tout comme moi, on ne peut pas dire que la vie l'ait épargné. L'enfance qu'il a vécu et ce qu'il continue de vivre, on en sort jamais complètement indemne... Toutefois, ça n'excuse aucunement son geste. Pas à mes yeux, en tout cas... J'ai toujours eu une vision assez aiguë de la justice. Du moins, toujours depuis ce jour... J'ai d'ailleurs pour vocation d'en faire mon métier plus tard. Œuvrer pour la justice, enfermer les criminels... Quels qu'ils soient... Une chose pour laquelle mon père adoptif a pourtant longtemps tenté de me dissuader, dans son désir de vouloir me protéger. Parce qu'il sait que faire la justice n'est pas le seul moteur qui m'anime et que je n'aurais de repos que lorsque j'aurais mis la main sur ceux qui ont tué mes parents il y a huit ans. D'ailleurs, en parlant de mon père, j'arque légèrement un sourcil quand Yoo Him finit par l'évoquer et laisse simplement échapper un « Faut croire... » pour seule réponse à sa question. Après tout, je ne serais certainement pas là, si ce dernier n'avait pas finalement accepté que je vienne. Toutefois, je suis quand même tenté de lui dire qu'au début, c'est moi qui n'avait aucune envie de le voir et qu'il m'a fallut pas mal de temps pour me décider. Mais je crois qu'il s'en doute... Il me connaît depuis suffisamment longtemps pour savoir que je condamne totalement ce qu'il a fait et que je suis des personnes qui pensent qu'il mérite totalement de se retrouver au trou. Et qu'il soit mon meilleur ami n'y change strictement rien... D'ailleurs, je suis persuadé qu'il en pense pas moins, qu'il juge son geste parfaitement condamnable et qu'il le regrette, surtout. Ça s'entend à sa voix quand il finit par me parler d'elle. Et si je sais que ça part d'une bonne intention, qu'il s'inquiète vraiment du sort de la jeune femme, je ne peux cependant m’empêcher de lui balancer, sur un ton dans lequel on peut déceler une certaine froideur. « De ses nouvelles ? Bien sûr que j'ai de ses nouvelles... » Je le regarde, le fusillant tout simplement, et poursuis : « Elle est toujours à l'hôpital, Yoo Him... Et dans un putain de sale état, si tu veux savoir. » Malgré ce qu'on pourrait penser, je suis calme. Du moins, en apparence. Je n'élève pas la voix, ne crie pas. Mais le ton que j'emploie, lui, par contre, est cassant. Tranchant... « Tu t'attendais à quoi, franchement ? À ce que je te dise qu'elle va mieux ? Tu lui as brisé le coeur et plusieurs os au passage, mec. » Sur ces mots, mes poings se referment et je sens presque mes ongles s'enfoncer dans ma chair, tandis que je siffle entre mes dents : « Mais merde, quoi ! C'est ta jolie petite gueule à toi que je devrais briser, Yoo Him ! » Ouais bon, là, clairement, je commence à m'énerver et c'est pas une bonne idée... Serrant donc les dents, j'inspire légèrement et demande, plus calmement : « À quoi tu pensais, sérieux ? Pourquoi t'as fait ça ? »

Yoo Him se sentait honteux face au regard de Yeon Seok. Même les calmants n'arrivaient pas à le détacher de cette sensation. Probablement parce qu'il le connaissait bien, il savait ce qu'il pensait de ce qu'il avait fait. Et Yoo Him n'en pensait pas moins de sa propre action. C'était bien simple, à part la victime de son geste, personne ne pouvait le détester autant que lui-même. Mais il n'empêcherait pas Yeon Seok de le faire. Qu'il le déteste, qu'il lui hurle dessus, lui-même avait besoin de ça. L'avoir en face de lui restait une surprise, déjà parce qu'il ne s'attendait pas à ce que son meilleur ami ait l'autorisation pour venir le voir, mais parce qu'il s'était dit qu'il n'aurait pas l'envie de le voir. Il était le premier visage familier qu'il voyait en dehors de celui de sa mère. Il avait vu les bleus sur le visage de cette dernière, et devinait qui en était le responsable. Cette image le renvoyait à son propre geste. Ce père qu'il haïssait pour faire ça à sa mère, il était pareil. Et maintenant qu'il était là, qui allait la protéger de lui ? Il se demandait si le visage de celle qu'il aimait ressemblait à celui de sa mère. Non... Ce devait être pire. Il avait frappé tellement fort, tellement de fois. Pourquoi avait-il demandé de ses nouvelles à Yeon Seok ? Il se doutait bien que ça se retournerait contre lui. La désinhibition due aux cachets probablement... Ou la stupidité. Il faut dire qu'en attendant de le stabiliser, les activités qu'on lui proposait n'étaient pas des plus stimulantes, de quoi ramollir le cerveau même des génies. Il ne grimaça même pas au ton cinglant de Yeon Seok, comme il ne tressaillit pas non plus à ses mots. Ça le brisait de l'intérieur, mais il avait besoin de les entendre. « Fais donc. Frappe-moi. Je le mérite. Ça nous fera du bien à tous les deux. » Sa voix était grave, basse, mais elle ne tremblait pas. Il ne demandait pas à ce que Yeon Seok ait pitié de lui, son meilleur ami n'en aurait pas de toute façon. Il savait ce qu'il avait fait, la gravité de son geste. Il se passa une main dans les cheveux, on les lui avait coupés courts, comme à l'armée, il n'aurait plus la possibilité d'y aller d'ailleurs, c'était presque ironique du coup. « Je pensais à rien. C'est le trou noir. » Il se souvenait d'eux qui parlaient, et elle avait fini par aborder un sujet qui l'énervait. La colère était montée, et il avait perdu le contrôle. « C'était comme si j'étais possédé, je contrôlais plus rien. » Il eut un rictus, ni un sourire ni une grimace, il était désabusé de lui, de ce qu'il était, de ce qu'il avait fait. « Le pire c'est que j'sais pas jusqu'où j'aurais pu aller si on ne m'avait pas arrêté. » Il ferma les yeux, ne se souvenant que trop bien du moment où il avait réalisé ce qu'il était en train de faire. « Les psy disent qu'ils vont m'aider. En attendant j'ai droit à un petit cocktail deux fois par jour. » Ce qui ne l'aidait pas à se concentrer sur le fil de ses pensées, choses déjà difficiles de base.

Yoo Him me connait. Il sait ce que je pense de ce qu'il a fait. Ce que je pense de lui, tout court... Et il sait également que, meilleur ami ou non, je n'ai pas l'intention de l'épargner. Pas de favoritisme ! Voilà ma vision de la justice. Ou, tout du moins, une partie de cette dernière... Après tout, il a fait quelque chose de mal, quelque chose qui mérite punition. Alors pourquoi devrais-je avoir pitié de lui ? Certes, ça me fait chier de voir mon meilleur ami ici et de voir dans quelle merde il est allé se fourrer. Mais ça n'empêche en rien le fait que, pour moi, il mérite totalement de purger cette peine. D'ailleurs, si ça ne tenait qu'à moi, je l'aurais tabassé avant de l'envoyer au trou, juste histoire de... Mais heureusement pour lui (et surtout contrairement à lui), je sais me contrôler pour ne pas céder à ma colère. Pourtant, lui envoyer mon poing dans la gueule, ce n'est vraiment pas l'envie qui m'en manque dans l'immédiat, croyez moi. Encore moins après qu'il m'en ait donné "l'autorisation". Toutefois, laissant échapper un soupir, je desserre mes poings et me contente de lâcher, sur un ton des plus cassants : « Ce serait te rendre service et, dans l'immédiat, je n'ai pas du tout envie que tu te sentes mieux, même un peu... » Oui, je sais... Je suis dur avec lui. Mais je n'arrive pas à comprendre son putain de geste. Lui qui n'avait de cesse de me répéter qu'il détestait son père et qu'il ne voulait pas lui ressembler... Pourquoi avoir fait ça ? Ça me sidère et me laisse complètement sur le cul. Parce que je sais que cette femme il la kiffe comme un fou. Et parce que je le croyais tout bonnement incapable de lui faire du mal, à elle, quand bien même, d'aussi loin que je m'en souvienne, il a toujours été du genre impulsif et colérique. Mais force est de constater que je me suis trompé vis à vis de mon meilleur ami. Que je l'ai surestimé... Pourtant, s'il y a bien une chose que je sais et dont je suis absolument certain c'est qu'il est loin d'être foncièrement méchant. Ce n'est pas un mauvais bougre et je sais qu'il regrette. Qu'il se déteste d'avoir fait ça... Ceci étant dit, ça n'efface en rien ce qu'il a fait, ni même la colère que je peux ressentir envers lui, en ce moment même. Après tout, plus que la petite amie - ou ex (je ne sais plus, pour le coup) - de Yoo Him, il s'agit aussi de mon amie... Ce qui rend la chose encore plus difficile à pardonner. En admettant que je puisse le lui pardonner un jour... Poussant d'ailleurs un soupir en l'entendant me "raconter" ce qu'il s'est passé, un silence finit ensuite par s'installer entre nous. Un silence pesant que je décide toutefois de briser, après plusieurs longues secondes. « T'aurais pu la tuer... T'en es conscient de ça, au moins ? » Ma voix est désormais plus calme, plus posée. Cependant, elle n'en demeure pas moins remplie de reproches. « Elle ne s'en remettra jamais vraiment, Yoo Him... Mais ça aussi, tu le sais, pas vrai ? Ou du moins, tu t'en doutes... » Quand je suis allé la voir à l'hôpital, j'ai pu me rendre compte des dégâts. Et si, physiquement parlant, il y a des chances qu'elle puisse s'en remettre (même si cela prendra certainement beaucoup de temps), moralement, je n'en suis pas aussi sûr, par contre... « Tu t'es foutu dans un sacré pétrin, mon pote... » Mais ça, il le sait certainement déjà...

Quelqu'un d'autre que Yoo Him aurait trouvé son meilleur ami dur avec lui. Après tout, il était enfermé, médicamenté et visiblement en pleine détresse. Mais c'était justement parce qu'il était son meilleur ami que Yeon Seok n'allait pas s'apitoyer sur le sort du jeune coréen. Il fallait lui ouvrir les yeux, si on le laissait s'apitoyer sur lui-même comme il était en train de le faire, jamais il n'avancerait. Il allait juste broyer du noir, se détester encore plus, s'énerver encore plus, ce serait un cercle vicieux et tout serait arrivé en vain... Alors que trouver une raison à tout ça était déjà bien difficile, autant pour Yoo Him que pour son meilleur ami. Avec un sourire déformé, qui ressemblait plus au visage d'un homme en souffrance, il secoua légèrement la tête. « Moi non plus j'ai pas envie d'me sentir mieux. » Il avait envie d'avoir aussi mal que Hee Young, souffrir autant qu'il ne l'avait blessée. Mais ce ne serait jamais le cas pas vrai ? Il sentit une nouvelle fois la nausée lui serrer le ventre, c'était un phénomène récurent ces derniers temps. Le pus étrange était qu'il ne mangeait quasiment rien, alors comment être malade avec ça ? Il se frotta les yeux, les poches en dessous laissaient deviner que son geste l'empêchait aussi de dormir. Et lorsque le sommeil parvenait à vaincre les angoisses, les cauchemars se chargeaient de lui rappeler qui il était, ce qu'il était. Bien que ses mains soient posées sur la table, il ne parvenait à en retenir le tremblement. Il aurait voulu avoir l'air fort, mais il n'était qu'une merde, alors à quoi bon faire semblant ? « Je sais... » Sa voix n'était qu'un murmure. « C'est-ce qu'il serait arrivé si on ne m'avait pas arrêté. » Il avait besoin de le dire pour s'asséner un nouveau coup à l'âme. Partagé entre l'envie de hurler et celle de frapper (heureusement il n'avait la force d'aucun des deux) il ferma les yeux en se mordant la lèvre, écoutant et assimilant tout ce que Yeon Seok lui disait. Puis après un silence, il lâcha un rire, un seul, qui en fait sonna comme un sanglot. « Comme quoi... Les chiens n'font pas d'chats. J'devais bien finir par en arriver là. » Ses paroles avaient un goût de bile dans sa bouche. Le regard de son meilleur ami sur lui était bien plus éprouvant qu'il ne l'aurait imaginé. Il se sentait terriblement mal, il en avait des sueurs froides. Il prit une grande inspiration pour se calmer. « J'sais que j'ai pas l'droit de te demander ça mais tu pourras garder un oeil sur ma mère ? » Autant qu'il lui demande maintenant, pendant que ses idées étaient encore relativement claires entre les médicaments et ses émotions en pagaille. Sa mère... Elle n'avait a plus personne pour la protéger.

Je ne suis pas forcément connu pour être la personne la plus sensible ou la plus empathique qui soit. Loin de là même... Alors il est vrai que mes paroles peuvent paraître dures. D'autant plus que ce n'est pas à n'importe qui que je m'adresse mais à mon meilleur ami. Celui que je considère comme mon frère depuis plusieurs années maintenant. Le frère que je n'ai jamais eu et que je n'aurais jamais... Alors oui, mon manque de compassion à son égard pourrait certainement en étonner plus d'un. Mais, en même temps, n'est-ce pas là l'un des rôles du meilleur ami, justement ? L'un de ces rôles qui le différencie du simple ami ? Savoir se montrer honnête et dur dans ce genre de situations lorsque d'autres se contenteraient de le plaindre de le voir enfermé ici ? Ou, à l'inverse, l'abandonneraient à son triste sort... Car je ne doute pas que la plupart de ceux qu'il a pu côtoyer jusqu'à maintenant (et le nombre se compte déjà sur les doigts d'une seule main) chercheront à le fuir, à présent. Faut dire qu'il a presque failli tuer sa petite amie et si je ne cautionne pas forcément le fait d'abandonner un ami dans l'un des pires moments de sa vie, je peux tout de même comprendre qu'après un tel acte on ne souhaite plus rien avoir à faire avec lui. Là aussi est toute la différence entre un simple ami et un meilleur ami, d'ailleurs. Peu importe à quel point je peux lui en vouloir pour ce qu'il a fait, je serais toujours là pour lui. Dans les bons comme dans les mauvais moments. Pour lui et également pour sa mère. Me contentant d'ailleurs d'hocher la tête pour toute réponse lorsqu'il me demande de veiller sur elle, un silence finit par s'installer dans la salle. Un silence de plomb, pendant lequel j'ai le temps d'observer mon meilleur ami et, clairement, ce que je vois ne me plait pas. Un brin excédé de le voir si facilement se laisser abattre, je laisse donc échapper un soupire et brise de nouveau le silence. « Et c'est tout ? T'as l'intention d'abandonner comme ça ? À la première difficulté, tu baisses les bras ? Tu penses que c'est ce que ta mère voudrait pour toi ? » Contrarié, je laisse échapper un rire jaune, avant de reprendre sur un ton légèrement amer : « Que je sache, lui n'a jamais éprouvé le moindre remord pour ce qu'il vous a fait. En cela t'es déjà très différent de ton père. » Je ne cherche pas à le réconforter, loin de là. Mais je n'ai pas non plus envie de le voir laisser tomber... Yoo Him est quelqu'un de bon, j'en suis convaincu. Il fait des erreurs, comme tout le monde, et celle-ci en est une grosse. Mais ce n'est pas un mauvais bougre. Si c'était le cas, il ne s'en voudrait pas. Tout cela lui passerait au dessus de la tête et il ne serait pas là à se rabaisser comme il le fait, en espérant souffrir autant qu'Hee Young. « Arrête de t'apitoyer sur ton sort, Yoo Him. T'as fait l'con, je ne dirais pas l'contraire, mais t'es pas comme lui. Maintenant c'est juste à toi de te racheter et de le prouver. » C'est vrai que ce qu'il a fait pourrait venir tout remettre en question. Mais quand on veut, on peut... « A moins que tu ne sois trop lâche pour ça ? Et là, si c'est le cas, alors oui... Tu pourras dire que tu ne vaux pas mieux que ton abruti de père. »

La culpabilité le submergeait, c'était bien la sensation que Yoo Him avait. Celle de se noyer face aux regrets et à la culpabilité de ce qu'il avait fait. Et il s'en voulait de se sentir coupable, il l'avait bien mérité après tout. Il était pris dans un tourbillon d'émotions violentes assommé par des médicaments qui transformaient l'adolescent. Il était l'ombre de lui-même, et si dans ce genre de situation ses angoisses l'auraient mené à des réactions pires les unes que les autres, il était, pour le coup, simplement abattu, défaitiste et malheureux. Le pire dans cette histoire était aussi ce qu'il ressentait pour Hee Young. Il n'en avait pas le droit, ou plutôt il n'en avait plus le droit, mais les sentiments qu'il ressentait pour elle étaient toujours présents. Ce qu'il avait fait lui apparaissait encore plus insoutenable, dire qu'il l'aimait... Et au final, s'il était incapable d'aimer ? Pas seulement une femme, mais en général ? Du haut de ses dix-sept ans, les épaules de Yoo Him apparaissaient presque trop frêles pour supporter toutes les pensées qui pesaient lourd dans sa tête. Les mots de son meilleur ami résonnèrent en lui plus violemment qu'ils n'auraient dû. Dans d'autres circonstances, il se serait dit que Yeon Seok avait raison ou au contraire, il aurait perdu son calme, parce que justement, il touchait juste. Mais son état d'abattement ne l'aidait pas. Il ferma les yeux, absorbant les mots de son meilleur ami, il voudrait les retenir, mais en ces lieux... Comment faire pour calmer ses angoisses une fois qu'il serait seul. « Et si tu t'trompais ? » Demanda-t-il les yeux toujours fermé. « Si tu m'avais mis dans la mauvaise case ? » Et qu'au final, la case dans laquelle Yoo Him devait être rangé était la même que celle de son père ? L'idée lui donnait envie de vomir, il rouvrit les yeux. « Comment me racheter Yeon Seok ? Plutôt crever que d'lui ressembler. » Il ne pourrait jamais se racheter auprès de Hee Young c'était certain. Pour le moment, il était complètement paumé, peut-être une fois son traitement stabilisé, Yoo Him pourrait y voir plus clair. « Si seulement on pouvait remonter le temps... » Il était certain qu'il changerait ce jour fatidique. En attendant, il ne pouvait que vivre au jour le jour. « Tu sais ce qui m'attend ici ? » L'inconnu faisait peur à Yoo Him, alors peut-être que le père de son meilleur ami lui avait raconté un peu ce qu'il attendait. Pour le moment, à part qu'il lui saurait donné un traitement pour calmer ses angoisses et ses excès de violence, il ignorait tout de ce qui l'attendait. Quoique, le connaissant, il n'était pas certain qu'ils en aient parlé. Le père de son meilleur ami devait avoir en travers de la gorge ce qu'il avait fait, et il n'était pas sûr que le lien indéfectible des deux jeunes hommes soit vu d'un très bon œil. Et pourtant, Yoo Him n'avait plus que son meilleur ami pour garder la tête hors de l'eau.

D'aussi loin que je m'en souvienne (depuis que je connais Yoo Him et que je sais ce qu'il vit au quotidien, en fait), il y a toujours eu cette espèce d'épée de Damoclès au dessus de sa tête. Cette fatalité qui l'a toujours guetté. Comme si tout le monde était convaincu qu'il ne pourrait que mal tourner et qu'il ne restait tout simplement plus qu'à attendre que ça arrive. "De toute façon, plus tard, il sera comme son père." Combien de fois a-t-il dû entendre ce genre de choses dans sa vie ? "C'est toujours comme ça que ça se finit. Il y peut rien, c'est dans les gênes." Des dizaines de fois, certainement... A-t-elle point que le jeune homme en est venu à s'en convaincre lui-même. En témoignent d'ailleurs ces quelques paroles qu'il finit par prononcer. Pourtant, ce n'est pas faute de lui avoir répété qu'il était le seul à pouvoir décider de ce qu'il deviendrait... Laissant échapper un faible soupir, je me redresse donc légèrement et viens coller mon dos contre le dossier de la chaise. "C'est une possibilité, c'est vrai ! Peut-être que je me trompe complètement sur ton compte..." J'ai beau être quelqu'un de très prétentieux aux yeux d'une bonne majorité de personnes, je n'ai pourtant jamais eu la prétention de croire que j'étais incapable de me tromper. Toutefois, ça ne veut pas dire que je suis forcément dans le faux non plus... Haussant donc les épaules, dans un geste quelque peu nonchalant, je finis par ajouter : "Ou peut-être pas. J'en sais rien... Mais, au final, ce que je pense ou ce que les autres peuvent bien penser, on s'en fout. Ce qui compte, c'est ce que toi tu as envie d'être et dans quelle case TU as envie que l'on te range. Alors ne laisse pas les autres faire ce choix pour toi..." Ces mots, ce n'est pas la première fois que je les prononce devant lui. Et je continuerais de les lui répéter, s'il le faut. Parce que si j'ai conscience que c'est plus facile à dire qu'à faire, surtout dans sa situation actuelle, je suis persuadé qu'un jour, il saura se prouver à lui et aux autres qu'il vaut beaucoup mieux que son connard de géniteur. Mais, pour ça, il faut qu'il s'en donne les moyens. Et qu'il commence à croire en lui, surtout... Une tâche qui s'annonce néanmoins des plus difficiles... "Pour te racheter, y'a pas de remède miracle, mon pote ! Commence déjà par te réveiller et arrête de rester bloquer sur ce qu'il s'est passé. Ce qui est fait, est fait et tu ne pourras rien y changer !" Tout ce qu'il risque d'y gagner en continuant sur cette lancée, c'est de s'enfoncer plus qu'il ne l'est déjà. Et dans l'immédiat, je me doute bien qu'il s'agit là de la dernière chose dont il ait besoin. D'ailleurs, quand Yoo Him me demande si je sais ce qui l'attends ici, je dois bien avouer ne pas en savoir beaucoup plus que lui. "Aucune idée. Mais attends toi à ce que le temps passe lentement..." Très lentement même. Parce que 3 ans, c'est long... Surtout lorsqu'on se retrouve enfermé dans un endroit comme celui-ci et que, tout et tout le monde, vous rappellent sans cesse ce qui vous y a conduit. "Ce sera certainement le plus difficile à supporter, d'ailleurs... Mais, au moins, tu auras tout le temps de réfléchir à comment devenir meilleur que ton géniteur, pas vrai ?" Question rhétorique. Je n'attends pas vraiment de réponse de sa part car il a tout intérêt à y réfléchir. Et puis, de toute façon, ces paroles à peine prononcées, voilà qu'un gardien finit par s'avancer vers nous, le pas décidé, avant de s'exclamer : "Bon, allez les gars ! C'est fini ! Les visites sont terminées !" Me contentant d'acquiescer de la tête, je me lève donc de la chaise et échange un dernier regard avec mon meilleur ami, le gratifiant d'un simple "Considère ça comme une seconde chance, Yoo Him et ne la gâche pas..." Oui, par pitié, ne la gâche pas... Montre moi que j'ai eu raison de croire en toi...

Yeon Seok n'était pas le premier à lui dire qu'il n'était pas obligé de marcher dans les pas de son père. Sa mère le lui disait aussi. Hee Young aussi le lui avait dit. Et voyez ce qu'il lui avait fait. Yoo Him voulait être différent, il voulait... Il voulait juste être lui, pas la réplique de son paternel. Il ignorait encore que c'était déjà le cas. Il ignorait aussi comment se le prouver, on ne le lui avait jamais appris. Personne ne lui avait donné les clés pour canaliser ses colères, sa rage et sa violence. Malgré tous les efforts de sa mère pour le protéger, il avait été livré à lui-même face au comportement de son père. Et si elle avait soigné les plaies et les bleus, les blessures de son âme étaient bien celles qui le torturaient encore aujourd'hui. Et c'était ça qui le poussait à se comporter comme il l'avait fait. « J'veux juste pas être comme lui... Mais j'sais pas comment faire. » Parce qu'on lui avait jamais appris à se contrôler. Yeon Seok avait réparé assez de pots cassés, avait dû le maîtriser avec sa propre force assez de fois pour le savoir. Se différencier de son géniteur passait par se racheter ? Mais comment, Hee Young n'oublierait jamais ce qu'il avait fait, est-ce qu'elle s'en remettrait ? Il poussa un soupir, il était résigné. Mais au fond, il espérait encore. S'il n'avait pas l'espoir de devenir meilleur il allait devenir fou de toute façon. Parce que comme le soulignait si bien son meilleur ami, le temps allait passer lentement. Il ne savait pas ce qui l'attendait, ça lui faisait peur il devait bien l'avouer, mais il savait que trois ans c'était long, surtout à son âge. Mais bizarrement, il n'était pas triste de savoir qu'il allait manquer des choses... Finalement, un sourire déformé étira ses lèvres. « Pour réfléchir faut en être capable. » Ce qu'il n'était pas. Il laissait à son meilleur ami le loisir de choisir si c'était pas qu'il était trop stupide pour ça ou trop assommé par les médicaments. Mais avant que Yeon Seok ne puisse lui renvoyer la balle, un gardien les interrompit. La peur noua à nouveau le ventre de Yoo Him, mais il tâcha de le cacher. La présence du coréen l'apaisait, il avait la sensation que s'il l'écoutait, s'il se rassurait en le voyant si sûr de lui, il pouvait le croire, il pouvait être meilleur. Mais Yeon Seok allait partir... Il adressa un signe de tête à son meilleur ami avant de le voir disparaître derrière les portes sécurisées. Et Yoo Him se retrouva seul. Seul avec ses démons, et sa culpabilité. Mais ça tombait plutôt bien, Yoo Him savait se battre et il avait une promesse à tenir vis à vis de son meilleur ami.