Nuo & Lei

fill my soul with the
breathings of your heart

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Elle les emprisonne dans son cœur : chaque éclat de rire, chaque instant partagé, chaque fragment de bonheur volé. Toujours intense et précieux et inévitablement trop court ; parce qu'on a beau se promettre le contraire, les mots de velours s'entaillent toujours pour laisser percer les vieilles rancunes, et les non-dits qui crépitent silencieusement, menaçants, finissent tôt ou tard par tout salir.

Ce soir c'est elle et Nuo. Les autres sont restés à la fac et, pour leur duo de mères, les deux sœurs ont organisé un week-end spécial, escapade à deux. Y'a une éternité qu'elles ne se le sont pas accordé, préoccupées pour les enfants parce qu'on ne cesse jamais d'être mamans, happées par le boulot, les obligations, les tracas quotidiens. Tout a été orchestré dans leur dos : des rendez-vous annulés au programme élaboré au détail près, pour satisfaire tout ce que l'aînée des filles a de maniaque. Lei a choisi le lieu et les activités aux côtés d'une Nuo en charge de la logistique — trajets, prix, horaires, tous ces petits détails inintéressants qui passent complètement par-dessus la tête de la cadette. Même les bagages ont été entamés en douce, et c'était assez hilarant de les entendre s'emporter à travers la maison à propos de vêtements, chaussures et autres effets mystérieusement disparus. Mais la gratification, vraiment, c'est leur ébahissement une fois mises devant le fait accompli.

D'abord le choc, puis l'avalanche de doutes et de recommandations paniquées : vous deux, ensemble et seules tout un week-end ? Non. Non non non, chérie, elles vont mettre le feu à la maison- et autres Lei tu aides ta sœur avec les tâches ménagères bien sûr ? Tu promets ? (oh, femmes de peu de foi !). Sans oublier le très contrariant Lei, pas de garçon à la maison en notre absence qui, secret de Polichinelle, n'est qu'un code en réalité dirigé contre son meilleur ami, puisqu'elle n'a jamais eu le droit -ou même tenté- de ramener d'autre garçon de toute façon (les joies d'être l'éternel bébé de la famille). Pour finir sur une note agréable, le sympathique Nuo, ne harcèle pas ta petite sœur et ne l'oblige pas à suivre tes choix de films qui ne manque jamais de faire Lei applaudir de délice, bien qu'elles aient généralement la main à part égale pour les choix de programmes durant leurs soirées télé. Et enfin, l'excitation alors qu'elles finissaient par assimiler la surprise ; les remerciements et les mais quels amours vous êtes ! qui n'ont pas manqué de faire pétiller de bonheur les prunelles de Lei.

Vient l'heure des au revoir devant le taxi, longs comme si elles partaient un an plutôt qu'un jour et demi, et pour se tranquilliser l'esprit un ultime par pitié, les filles, pas de disputes. Lei reste à faire de grands gestes en guise d'au revoir prolongés jusqu'à ce que la voiture disparaisse et ensuite, elles se précipitent dans la chaleur de l'intérieur, frigorifiées dans leurs pyjamas assortis de chaussons enfilés à la va vite.

Mission accomplie. La gamine souffle au creux de ses paumes pour restaurer un peu de vie au bout de ses doigts pâles, brise printanière s'entêtant à rester agrippée à ses membres frissonnants. La dernière sous les couvertures doit ramener tous les snacks ! elle s'exclame sans crier gare, et ne se gêne d'ailleurs pas pour prendre de l'avance en démarrant avant même que soit lancé le signal de départ. Ça finit en pseudo bagarre, chacune tirant la pile de draps vers elle pour empêcher l'autre de s'y terrer, alors elle opte pour une solution drastique : tourne rapidement sur elle-même en s'enroulant dans le tissu qu'elles se disputaient, jusqu'à finir roulée comme un maki sous le nez d'une Nuo outrée. Jeeee gagne, qu'elle chantonne en esquissant un pas de danse maladroit qui la fait atterrir sur les fesses, avant de faire les yeux doux à la plus grande pour la convaincre de s'occuper de rassembler de quoi grignoter. En l'attendant, Lei libère ses bras emmaillotés pour commencer à charger un épisode de Scrubs, terrain d'entente assuré là où tout autre choix donnerait lieu à des objections sans fin d'un côté ou de l'autre.

Et ce que ça peut faire du bien. La scène est familière et tout à la fois, moins anodine qu'elle n'y paraît : c'est leur premier tête à tête depuis une éternité, sans les habituels occupants de la maison ou Na Wei et Niran pour compléter le décor. Occasion pour elles de tester l'entente encore délicate qu'elles ont renouée après que Lei ait retrouvé son célibat, des mois plus tôt. Il faut l'avouer, quelque part, elle appréhende un peu. Il y'a entre elles tant de terrains minés qu'elle craint un peu de gaffer, de tout gâcher. Mais pour une fois elle a Nuo pour elle, rien que pour elle, et ça n'a pas de prix.