Le tattoo de trop
C’était une belle soirée qui commençait. Le ciel sans nuages était rose orangé. Le soleil se couchait plus tard annonçant l’arrivée du printemps. Des petits pêchers en bourgeon recouvraient la rue où se trouvait la pâtisserie. Malgré ces airs de beaux temps, un air frais soufflait. A la tarterie, Andrew n’avait plus le chauffage allumé, la température que dégageait le four réchauffait à elle seule tout l’endroit, il y faisait presque trop chaud. On était un mardi. Eun Mi ne travaillait pas et Il Nam avait dû partir plus tôt. Il ne restait que Raina et trois clients. De la cuisine, Andrew observait tranquillement la salle. Un couple se bécotait sur l’une des banquette, se nourrissant l’un l’autre et gloussant. Lui, qui n’avait jamais aimé ces témoignages publics d’affection, eut une petite grimace de dégout. Au comptoir, un homme l’air fatigué ; plus qu’un simple manque de sommeil, plutôt une usure de la vie. Des vêtements propres mais démodés, des cheveux poivres et sel, des cernes marqués, des lèvres déshydratées, des tâches de vieillesse sur les mains. Il avait terminé son café ; noir et serré. Le couple quitta la pâtisserie les doigts entrelacés et se chuchotant des mots doux. Il ne restait plus qu’une heure avant la fermeture. Le retour du soleil, du chant des oiseaux mettait le pâtissier de bonne humeur, ou bien c’était simplement qu’il s’était levé du bon pied. La jolie serveuse déposa dans l’évier la vaisselle de la table 4. < Tu peux laisser, je vais m’en charger. Tu peux rentrer plus tôt, il fait encore jour dehors alors profites en. > Il lui sourit en remontant ses manches pour faire la plonge. ~ Heureusement que le lave vaisselle arrive demain ~ pensait-il. Il jeta un coup d’œil sur le présentoir et vit beaucoup trop de marchandise. Il n’arriverait pas à écouler le stock avant le lendemain. < Tu peux prendre ce que tu veux dans la vitrine, y en a trop. > Au pire il pourrait les vendre moitié prix. < Ah et avant de poser ton tablier, est ce que tu pourrais donner au monsieur une part de tarte de citron et le resservir de café ? Dis- lui que c’est offert par la maison. Merci >.
Il ne connaissait presque pas sa dernière recrue. Ils n’avaient pas eu le temps de faire plus ample connaissance. Ce n’était surement pas très habituel qu’un employeur veuille en savoir plus sur ses employés mais le pâtissier voulait qu’ils se sentent bien dans sa tarterie et comment se sentir à l’aise dans un endroit entourés d’inconnus ? Pour l’instant ce qu’il voyait en elle lui plaisait. Elle ne parlait pas beaucoup et tout ce qu’il savait d’elle provenait de son CV, mais il avait remarqué sa bonne volonté et son travail consciencieux. Les autres qui avaient postulés avaient l’air si blasés… Il était content d’être tombé sur elle. Il voyait que malgré certains clients irrespectueux, malgré un salaire pas des plus attrayants, malgré un travail pas toujours facile elle était toujours là, souriante et agréable avec tout le monde. Aucun doute, il avait fait le bon choix en l’engageant. Pendant qu’il mettait le liquide vaisselle sur l’éponge, il grimaça un peu. Il était surprit qu’elle lui parle du lave-vaisselle au moment même où il y pensait. A croire qu’elle lisait dans son esprit. Cette idée le fit sourire et se tournant vers elle, il lui répondit avec soulagement < Il arrive enfin demain, on a faillit attendre ! J’espère que le livreur n’aura pas de retard. > Il prit la première assiette et commença à la frotter. < Bien sûr, je ne voudrais pas que tu ais à sortir les griffes. > dit-il la regardant droit dans les yeux, un petit sourire involontairement charmeur mais profondément gentil et sincère dont lui seul avait le secret. Elle ne se plaignait jamais, le pâtissier ne l’avait même jamais entendu ne serait-ce que soupirer. Ca l’impressionnait beaucoup. Par envie de récompenser la bonne attitude de ses employés, il ne savait pas trop comment le faire. Alors, de temps en temps, il les laissait partir plus tôt ou leur offrait quelques pâtisseries, mais il ne pouvait se permettre de faire beaucoup plus. Le pâtissier était plongé dans ses pensées. Il entendait Raina parler avec le monsieur. Il se disait qu’il aurait préféré que l’évier donne sur une fenêtre, comme ça il aurait eu quelque chose pour le divertir. Il entendait le ton monter et ne comprenait pas trop pourquoi… A vrai dire il avait encore du mal avec le coréen. Ses cours avec Wen Yi l’avaient énormément aidé, mais il était encore novice. « lâchez-moi ». Il posa dans l’évier la fourchette qu’il avait en main. Il n’avait pas comprit leur conversation mais sentait que Raina n’était pas à l’aise avec l’homme. Il les regarda un instant. Ils semblaient agités. Il décida d’aller voir ce qu’il se passait. Il s’approcha, curieux. Il vit que l’homme tenait fermement la jeune femme. Il tenta tant bien que mal de se faire comprendre < Qu’est-ce que vous faites ?! >. Sans réfléchir il prit de la main droite le bras de Raina et de sa main gauche il tentait d’enlever les doigts qui l’agrippait. L’homme quitta son emprise et se leva d’un coup, furieux. Le pâtissier recula légèrement. L’homme criait. < Calmez-vous ! > parvint-il à exprimer correctement. Malheureusement son regard faisait comprendre qu’ils n’en resteraient pas là.
Le pâtissier se concentrait pour essayer de comprendre ce que l’homme disait mais avec le stress, il n’arrivait pas à déchiffrer ce qu’il entendait. Il regardait, paniqué, Raina. Il ne l’avait jamais vu comme ça, apeurée mais aussi intriguée. Il comprenait qu’elle ne soit pas rassurée de voir un homme lui hurler dessus comme ça, mais elle semblait aussi réfléchir à quelque chose, mais quoi ? Dans des situations difficiles comme celles-là, il avait apprit à se calmer en inspirant longuement par le nez et expulsant tout l’air de ses poumons par la bouche. L’autre, braillant toujours dans ses oreilles, le pâtissier prit une première inspiration. L’homme ne calculait même pas Andrew, à croire qu’il était invisible. Ca l’énervait. Le considérant comme un chien sur son passage, il poussa Andrew pour atteindre Raina qui s’était reculée. < HEY, s… > L’homme levait sa main, il allait commettre l’impensable et allait amèrement le regretter. Le pâtissier était un gros nounours. C’était un homme bon, aimable et généreux. Son unique but dans la vie était d’apporter du bonheur aux gens, il tenait ça de sa mère. Il n’aimait pas les problèmes et essayait toujours de rester éloigné d’eux. Mais personne n’est jamais sans défauts. Il avait hérité celui-là de son père, son tempérament colérique. Il s’énervait facilement. En grandissant, il faisait en sorte de se contrôler. Il faisait tout son possible pour ne pas ressembler à son paternel. Mais, même en le voulant plus que tout, ‘chassez le naturel et il revient au galop’. L’homme baissa sa main pour donner une claque à Raina. Elle était à terre et se bouchait les oreilles. Même inoffensive, il voulait s’attaquer à elle. Qu’avait-elle bien pu faire pour s’attirer un tel courroux ? Peu importait, personne ne méritait d’être frappé à terre et encore moins dans sa tarterie. Ce geste l’avait mit hors de lui. Le sang affluait jusqu’à ses joues. Serrant les poings, Andrew donna un violent coup d’épaule à l’homme, qui tomba lourdement sur le coté. Ne se souciant plus de l’intrus, le pâtissier s’agenouilla devant Raina. Au premier abord elle paraissait faible et fragile mais c’était mal la connaitre. Même avec une muselière elle serait capable de mordre, il en était persuadé. Il hésita, il ne voulait pas la brusquer mais, doucement, il posa quand même une main sur son épaule. < Est-ce que… ca va ? T’inquiète pas pour l’autre, je m’en occupe. > Il regarda son poignet. Voyant les marques de doigts, il était davantage en colère contre l’inconnu. Le pâtissier tentait d’apaiser la jeune femme tant bien que mal. < Respire lentement. Ca va aller. > Le silence était revenu pour un cours instant. Andrew ne sentit qu’une chose : une douleur sur le haut de son crane.