Soonae paressait dans un parterre proche de l’université, étendue sur l’herbe et un bouquin sur le visage, protégeant ses yeux de l’éclat du soleil. Son portable reposait sur son abdomen. Seule, profitant d’une micro-sieste après avoir passé l’après-midi à étudier. Elle avait l’intention de retrouver son frère à la sortie des cours avant de rentrer au dortoir, ce qui motivait sa présence sur le campus alors qu’elle n’avait pas cours. Baillant de manière peu féminine, elle laissa le livre retomber sur l’herbe, lorsqu’elle se redressa finalement, étirant ses membres et son dos. Il était presque l’heure, elle s’arracha donc à regret à la pelouse ensoleillée pour marcher jusqu’aux bâtiments, balançant d’avant en arrière son sac à dos sans considérer les passant qu’elle frôlait. Le pas assuré et le menton haut, comme à son habitude, la blonde pénétra dans l’ombre fraiche de la faculté. Elle était inquiète pour Sang Ae ses derniers temps. Elle le trouvait sur les nerfs, irritables et nerveux, ce qui se répercutait indubitablement sur l’humeur de la jeune fille. « Eh, y en a qui se battent là-bas ! » Cria une voix féminine qui résonna dans le couloir presque vide. Quelques étudiants tournèrent la tête en direction du chahut. Curieuse et comme à son habitude attirée par le chaos, Soonae accéléra le pas, en quête d’un spectacle distrayant. Le demi-sourire qui était né sur ses lèvres fines s’évanouit pourtant rapidement lorsqu’elle arriva sur les lieux.

Sang Ae était penché sur le corps d’un autre garçon, le visage déformé par la colère. Un second belligérant le tirait vers l’arrière tandis que le premier assénait son poing dans la jolie figure de son frère jumeau. Le sang de la jeune fille ne fit qu’un tour, ses joues s’enflammèrent. Comment osaient-ils toucher ne serait-ce qu’à un cheveu de son ainé ? Celui-ci se débattait dans une lutte déloyale. Soonae claqua sa langue contre son palais, la gorge serrée par la colère. Tirant une bretelle de son cartable, elle fit un pas en arrière, et prenant son élan, elle tourna sur elle-même, envoyant voler son sac – alourdi par son ouvrage en texte intégral de l’anatomie-splanchnologie humaine illustrée – contre le visage de celui qui retenait son frère. « Oups, pardon. Connard. » Ironisa l’étudiante sans lui laisser le temps de comprendre. Elle planta plutôt son talon dans son flanc pour le faire lâcher prise. S’oubliant dans sa colère, Soonae attrapa son col tandis qu’il empoignait ses cheveux, susurrant une insulte. C’est sans surprise qu’il la plaqua contre un casier, enhardi par le déséquilibre des forces. « Ton frère peut pas se défendre sans sa chienne de sœur ? » Siffla l’étudiant entre ses dents, tandis que la plus jeune piaillait. Elle lui jeta un regard noir, enfonçant sans tendresse son genou entre ses cuisses. « J’essayais juste de t’épargner une bonne raclée, mais si tu insistes. » Avec toute l’élégance dont elle savait faire preuve, elle lui cracha au visage avant de chercher à s’arracher à sa prise en prenant appui sur les casiers, sans succès. C’était trop inédit de le voir enragé à ce point, son frère n’était pas du genre bagarreur. « ME TOUCHE PAS PUTAIN » Sa voix claqua aussi sèchement que la gifle que son adversaire lui rendit, lancinant sa joue. « Je t’ai dit de pas t’en mêler, rentre chez toi. » L’étudiante en médecine tremblait de fureur. Elle se maudissait d’être une fille, de ne jamais avoir fait de boxe, et surtout, d’avoir coupé ses ongles la veille au soir. Elle chercha à lui griffer la nuque sans succès. « Sang Ae, tu m’expliques ? » Hela-t-elle, essouflée, à l’intention de son frère qu’elle n’apercevait que de dos.

Elle tremblait. De rage, d’impuissance, de douleur aussi. Sa joue la lançait, et ce type penchait sur elle la dégoutait. Elle détestait ça Soonae, d’être dominée, surplombée. Offert aux poings de ce gars contre qui elle n’était rien, qui lui riait désespérément au nez. Aussi lourd soit son sac. Aussi précis soient ses coups de pieds, elle n’avait pas la force, et ça la révoltait. On n’avait pas idée de naitre fille. C’était si injuste. Pour la petite blonde qui avait vécue entourée de grand-frère, pour qui sa grande-sœur n’avait jamais vraiment été un modèle, c’était difficile d’accepter qu’elle ne rivalisait pas. Mais la Yu s’obstinait, avec toute sa haine et sa fureur, elle s’agitait contre les casiers, noyant l’espace dans un bruit métallique incessant. Sang Ae l’avait prévenu, ce type, il n’avait pas le droit de la toucher, et si bien sûr, la cadette n’avait jamais cru en l’efficacité de l’avertissement, ça la frustrait encore plus. Autant que ça la rassurait. L’instant d’après, encore sonnée par la gifle, la jeune fille se vit délestée de son opposant, chassé brusquement par son frère. Il avait la joue ecchymosée, marbrée çà et là de rouge et de violet. Ça enrageait la plus jeune, elle ne voulait pas qu’on le touche, elle refusait qu’on lui fasse du mal. Personne n’avait le droit, pas à lui. Le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, elle secoua la tête. Ils l’avaient cherché, c’était ce qu’il disait. Elle s’en moquait, de qui avait fait quoi, elle savait que son frère ne frapperait pas sans raison. Il allait mal Sang Ae, et ces types n’arrangeaient rien. Obnubilée par les marques sur le visage de son frère, elle resta sourde à sa question passant un doigt maigre sur sa peau contusionnée, effleurant d’abord, puis appuyant plus franchement, sans s’inquiéter de lui faire mal. Elle s’en fichait l’effrontée, elle n’avait jamais montré la moindre délicatesse. Elle a besoin d’une preuve qu’il soit blessé, d’une excuse pour sortir de ses gonds.

Levant un regard plein de défi vers son précédent adversaire, elle abandonna son frère pour s’approcher de celui contre qui il s’était battu un instant plus tard. Il cherchait péniblement à se relever, ses yeux noirs dirigés vers les jumeaux. Sans crainte ni conscience, la plus jeune des Yu se laissa tomber à genou devant lui, agrippant le col de son haut entre son poing. « Tu lui as dit quoi ? » Demanda Soon Ae, sèchement, malgré les tremblements de sa voix. « Répond. Pourquoi vous vous êtes battus ? » Elle insistait, sa main libre frémissant. « T’as dit quoi putain, répète-le ? De quel droit tu l’as frappé ? De quel droit tu l’as même touché salopard ? » Elle ne criait pas, et c’était assez inhabituelle. Pour la gamine, élever la voix avait toujours été un moyen très efficace d’exprimer sa fureur. C’était une rageuse Soonae, l’inverse de son frère, trop calme. Sanguine, violente, frêle, impulsive, révoltée. Elle le secoua violemment par le col. « Répond ou je te jure, je t’arrache tes couilles. Je te jure, je vais le faire. Je rigole pas, je vais t’en faire un porte-clés. Alors de quel droit t’as osé lui faire ça ? » Il ne répondait, pas, arborant seulement un sourire narquois malgré sa lèvre enflées, et ça la faisait bouillir. Elle savait plus quoi faire. Elle se disait qu’elle pourrait le tuer. C’est ce qu’elle voudrait, lui torde le cou, là, le vider de son sang sur le carrelage de ce couloir crade. Elle s’en foutait du reste, elle voulait juste le voir mourir, le voir souffrir entre ses doigts, montrer à tout le monde qu’on ne touchait pas à Sang Ae. Qu’on ne pouvait pas lui faire mal. Et tout le monde verrait, c’était une certitude. Ils étaient déjà nombreux à filmer la bataille avec leurs téléphones, à quelques pas des quatre étudiants débraillés.

Un grand cri résonna dans le fond du couloir, se propageant rapidement vers les belligérants. Un professeur se faufilait un passage parmi les corps, agitant bien haut les bras, ordonnant aux jeunes gens de se déparer, de cesser immédiatement. Soonae était sourde à ses avertissements, concentrée à tuer mentalement le brun qu’elle maintenait toujours par le col. Ni l’un ni l’autre n’a bougé. Il avait simplement agrippé ses cheveux, comme pour la défier aussi. Ils se maintinrent ainsi jusqu’à ces deux mains vigoureuses ne viennent saisir Soonae sous les bras, la soulevant pour la remettre sur pied. Elle lâcha à contre cœur son adversaire, crachant en sa direction une dernière fois. « Oppa ? » Appela-t-elle finalement, tremblant de colère. « Oppa tu as mal ? » Son corps pivota mécaniquement pour croiser le regard de son jumeau, sans parvenir à ignorer sa joue endolorie. Ça lui donnait la nausée de le voir ainsi blessé, et quelque part, le feu qui dévorait sa joue lui donnait une idée assez nette de ce qu’il pouvait ressentir lui aussi. Le professeur s’énervait toujours, arguant qu’ils allaient devoir le suivre, prendre la responsabilité du chaos causée. « C’est ma faute. C’est moi qui me suis battue. Lui il a rien fait. » Lança-t-elle en désignant son jumeau. « Il a rien fait c’est pas sa faute, alors laissez-le, laissez-le tranquille. » Elle répétait avec une certaine impatience, jetant un regard circulaire vers les deux agresseurs, les défiants simplement du regard. C’était son frère, son frère à elle, et personne ne devait lui faire du mal. Pas quand il n’allait pas bien comme ça. Pas quand il en venait au poing si brusquement.