Il est sourd et aveugle. Insensible aux membres de son corps qui le tirent, le prient presque d’arrêter. Mais il n’écoute rien. Il continue. Un coup après l’autre. Il en donne tout autant qu’il reçoit. Cela dure ainsi, encore, des minutes ou des heures qu’en sait-il. La notion du temps a toujours été bien vague dans sa tête. Parfois, il passe une bonne semaine terré chez lui, alors il n’a aucune idée du temps qu’il fait dehors. Le jour ou la nuit l’attende-t-il quand il passera la porte de l’immeuble. Dehors. Il se demande tandis qu’il quitte lentement son lit. Cela fait un bon moment que l’autre l’a quitté, laissant le vide derrière lui. La partie gauche froide du lit à ses côtés. Il ne souvient pas l’avoir entendu partir. Peu importe. Il n’a plus envie de penser au blond maintenant. Si seulement son cerveau arrivait à le sortir de sa tête autrement qu’à travers l’alcool. Il soupire, trainant son corps sous le jet d’eau brûlante. Des bleus commencent à se former sur sa peau laiteuse, aux couleurs d’une comète. Il sourit. Le blond doit avoir leurs jumelles sur sa peau aussi. Pourtant, il y’a toujours ce poids sur ses épaules, son cœur qui le serre encore. Il se tord complétement. Parfois, ces échanges ne sont pas suffisants.

Pourtant, il veut écouter la voix de Bo Bae qu’il sent à son oreille. Essayer de moins boire, ne pas se foutre plus en l’air que ce n’était déjà le cas. Malgré le manque. Il veut écouter cette voix. Il a envie de la rendre fière même si elle n’en saura rien. Juste une victoire contre lui-même. Mais que faire ? L’eau coule sur sa peau, les bulles de son gel douche à la vanille disparaissant avec elle. Rester chez lui ne semble pas être une bonne idée.

Que faire ?

La même question qui tourne en boucle. Alors qu’il enfile son jeans déchiré et sa veste en cuir. Alors qu’il se sèche les cheveux. Alors qu’il prend un taxi. Alors qu’il se retrouve devant chez Hyukjae. Presque léthargique, ailleurs durant tout ce long laps de temps. Il ne reprend ses esprits que quand son index appuie sur le bouton de la sonnette. Pourquoi ? Il observe la porte, comme s’il attendait qu’elle lui offre la moindre réponse à ses tourments. Mais elle reste silencieuse, comme tout autour de lui. Il ne sait même pas si le plus vieux serait chez lui. Ça ne se faisait pas de venir ainsi à l’improviste. Il devrait partir…Son flot de pensées s’arrête quand la porte s’ouvre. Et le brun est devant lui. Son visage doux et avenant. Si différent.

« Bonsoir !» un murmure, entre ses lèvres pincées. « J’ai faim, fais-moi à manger… »

Cette maison, c’est pas la tienne. Cette maison, tu l’as déteste. Depuis le premier jour, quand t’es arrivé avec tes deux pauvres petites valises, tu l’as vu, dans leurs yeux, que tu n’étais pas voulu. L’indésirable. Dans le cœur de ta mère, d’abord, puis dans celui de son nouveau mari, et enfant, de ses deux merveilleux enfants. Tu n’as pas ta place ici, Jae, et tu ne l’aurais jamais. Pourtant, tu n’as pas le choix, tu dois rester, cette année au moins, pour que tu puisses aisément décrocher ton diplôme, ensuite, tu partiras, sans te retourner, sans même leur dire au revoir. Tu pourrais être enfin qui tu veux, sans te soucier de ta mère, de ton horrible demi-frère, de toute cette histoire. Mais pour le moment, t’es toujours là, et seul qui plus est. Ils sont partis en week-end, sans toi. Tu as un match, dimanche, et tu ne peux pas le rater. Alors ta mère, qui aurait dû se dire, comme n’importe quelle mère, qu’elle va reporter ses petites vacances pour supporter son fils, préfères partir avec sa nouvelle famille. Au final, tu t’en fiches, tu n’avais aucune envie de partir avec eux.

Alors ouais, t’es là, Jae, au sortir de ta touche, la serviette autour du cou et les muscles douloureux. Tu viens de courir, comme tous les soirs, pendant au moins une heure. Ça te détend, te vide la tête, surtout après un entrainement intense, comme celui de ce matin. Ton capitaine a été odieux. Tu n’arrives pas à comprendre pourquoi Ash est là où il est. Tu n’es même pas sûr qu’il aime vraiment le basket, pourtant, il est là tous les jours pour littéralement te pourrir la vie. Enfin bon, tu ne peux pas faire autre chose que bosser deux fois plus pour finir premier, comme d’habitude.

Tu te craques le cou, et bailles pendant un long moment en te dirigeant vers la cuisine. Tu commences à avoir faim. T’es pas le meilleur cuisinier, mais tu te débrouilles. C’est Nana, ta gouvernante, qui t’as appris comment te servir d’une poêle. T’as la tête plongée dans le frigo, à la recherche d’inspiration, quand la sonnette retentit. Pendant quelque seconde, t’hésites à aller ouvrir, en fait. Mais tu finis par fermer le réfrigérateur pour te diriger vers l’entrée principale.

Tu t’y attends pas, de le voir, là, devant toi, le visage abimé et l’air si fragile, si perdu, si lui. Ton regard s’adoucit, mais une flamme de colère brille aux fonds de tes mirettes. Tu détestes le voir dans cet état. « Nova… » Tu dis doucement, en portant une main à son visage. Tu secoues la tête, soupire, lèvres pincées. Et finalement, tu t’effaces pour le laisser entrer. « Tu veux manger quoi ? » tu demandes en te dirigeant vers la cuisine. « Qu’est-ce qu'il s’est passé ? » tu demandes, finale

Devant cette porte, il se sent faible. Les pensées s’emmêlent dans sa petite tête brune. Il observe les quelques éraflures sur la porte, se perd à en suivre distraitement les lignes. Il a l’impression que des années passent, lui debout devant cette porte. Dans l’attente. Ce ne sont pourtant que des secondes qui s’écoulent, pas même une minute. Avant que le visage de Hyukjae n’apparaisse devant lui. L’effet est rapide, presque immédiat. Soulagement. Il suffisait qu’il pose ses yeux sur son visage pour se sentir plus en paix, les battements de son cœur se calment doucement. Ses épaules s’allègent. Il est en sécurité, parce que Hyukjae ne lui a jamais fait le moindre mal. Il n’a toujours été que source de réconfort. Son regard doux. Nova sourit doucement, il aimerait lui offrir un plus beau sourire, lui sourire de toutes ses forces mais il n’est pas certain que sa mâchoire tienne le coup. Pour ce soir, il ne veut plus ressentir encore de douleur. Pourtant la main sur son visage lui donne un frisson, sa peau est sensible. Mais il ne dit rien. Hyukjae n’est pas là pour lui faire du mal.
Il voit sur le visage de son ami qu’il n’apprécie pas l’état dans lequel il était. Comme toujours. Il sait que le plus vieux tient à lui et c’est surement pour ça qu’il se tourne vers lui à chaque fois. Il lui fait confiance. « N’importe quoi. » répond-t-il en rentrant à l’intérieur. Il est assez habitué à cette maison. Il n’y vient pas très souvent mais assez connaitre chaque chambre et la direction de la cuisine où il suit Hyukjae. « Des ramens feront l’affaire, avec du fromage…et un œuf s’il y’en a… » Il baisse la tête. Il a juste envie de voir Hyukjae cuisiner pour lui, s’occuper de lui. Avec lui, Nova n’est plus un enfant de rage, il se rapproche plus d’un oiseau fragile qui a déjà baissé les bras. Avec Hyukjae pas besoin de faire le fort, il peut se dévoiler.

Et heureusement qu’il est là.

« Désolé de débarquer à l’improviste. » Il esquive la question. Nova se hisse sur une partie du plan de travail pour rester près de Hyukjae, il ramène ses jambes trop fines contre son torse et dissimule avec grande peine une grimace de douleur dans ce geste. Il en a marre. « J’avais juste envie de te voir, pas besoin de raison pour ça, si ? » A qui est-ce qu’il ment ? Tous deux savent parfaitement la vérité. Nova est souvent enfermé chez lui ou ivre dans un bar, s’il vient voir Hyukjae c’est que nécessairement quelque chose s’est passée. « Et j’aime beaucoup tes ramens. » Il rit. Il sait qu’il faudra bientôt donner des explications. Il n’arrive pas à tenir tête au brun très longtemps. Mais il a besoin de vivre encore un moment d’illusion, se dire qu’il est juste venu ici par envie et non parce qu’il a de plus en plus de mal à ne pas craquer.  « Ta famille n'est pas là ? » Il parle. Il meuble le silence, sa bouche ne se ferme pas alors qu'il est habituellement si silencieux.

Il est là, devant toi, les yeux immenses, les yeux intenses. Il est là, devant toi, si triste, si fragile, et tu ne sais pas quoi faire, tu as peur soudain, de le briser, oui de le briser d’un simple toucher. Il est là, Nova, devant toi, il est venu te voir, il s’est tourné vers toi. Pourquoi toi ? Pourquoi ? Parce qu’il a confiance, peut-être ? Et il a raison, Nova, parce que tu l’aimes. L’amour, c’est si compliquer. Les gens ne le comprennent pas, non, ils ne comprennent pas. Pour la société actuelle, il y a l’amitié, oui, et puis l’amour, c’est toi. Personne ne semble concevoir que ce ne sont finalement, pas des notions si différentes. L’amitié, c’est une part d’amour, l’amour, c’est l’extension de l’amitié. Alors oui, Nova, tu l’aimes. Pas de la même façon que Hae Rhyung, pas de la même façon que Hyuk Jae, mais tu l’aimes, lui, à sa façon, pour ce qu’il est. Pour le chat sauvage que tu as appris à apprivoiser, des années en arrières, pour le chaton fragile qu’il est devenu aujourd’hui. Tu voudrais pouvoir le protéger toute ta vie, mais tu sais que là, dehors, rode la tristesse et la violence. Et tu n’y peux rien. Alors t’es là malgré tout, tu lui souris, tu l’effleures, l’approches sans le brusquer. Il frémit, quand ta main touche sa peau, si pâle, si froide. Tu as peur, tout d’un coup, l’angoisse qui monte, ce sentiment d’impuissance, tu ne peux rien empêcher, la vie continue son cours, Nova souffre, et viens te voir, toi qui pense ses blessures et son âme. Mais le cercle vicieux ne s’arrête jamais, et de nouveaux, sur ses joues rondes, se mêlent larmes et sang. Et toi, t’es impuissant. Il rentre à ta suite, il te suit, il te fait confiance, et tu souris, parce que t’es quand même là pour lui. « Va pour des ramens alors. » tu dis, c’est son plat, il te le demande à chaque fois, t’as appris à le faire à son gout, et, tandis que l’eau chauffe, tu te tournes vers lui, tu soupires. « T’excuses pas, t’es toujours le bienvenue. » tu dis, mais c’est un mensonge. Parce qu’il le sait, Nova, que ta famille ne le sait pas, pour ton homosexualité, pour lui, pour les autres. Alors quand il vient, c’est juste un gamin un peu paumé, que tu as pris en affection, et que tu aides de ton mieux, mais une fois dans l’intimité de ta chambre, tu l’étreins, tu lui promets que, pour quelque instant encore, tout ira bien. « bon. » tu ne dis rien de plus, tu ne veux pas le brusquer, parce qu’il sait, que tu ne le crois pas. Mais pas un mot de plus, tu t’affaires simplement en cuisine. « Ce n’est pas ma famille. » tu réponds, sans te retourner. Tu surveilles la cuisson des œufs, avec attention. Et finalement, tu éteins sous la casserole, et verse l’eau chaude dans l’évier. Les pates cuisent encore. Tu te retournes vers lui. « Ma famille, c’est toi, alors dis-moi ce qu’il se passe. Parle-moi. » Et tu souris, parce que t’es sincère, parce que tu ne parles pas sans réfléchir. Ta mère ne t’a jamais prise dans ses bras. Ta mère, elle n’existe pas pour toi, mais lui, il est là pour toi, lui, il te sert quand ça ne va pas. Y’a pas d’ambiguïté entre vous, y’en a jamais eu, vous savez qui vous êtes, c’est tout.

Il n’a qu’à faire un premier pas à l’intérieur de la maison pour tout de suite se sentir mieux. Il n’y a pas la froideur de chez lui, ni le malaise qu’il ressent les rares fois où il daigne se rendre chez ses parents. Ici il se sent bien. Parce qu’il y’a Hyukjae. Et Hyukjae a toujours fait en sorte de s’occuper de lui. Il est comme un oiseau déchu à qui il panse les ailes, qu’il essaye de voir un jour réussir à voler de nouveau. Nova ne s’en pense plus réellement capable. Après tout, les médecins sont catégoriques. Sa maladie n’ira qu’en s’empirant. Il n’y avait aucun remède possible, ses nerfs étaient bien trop touchés. Alors, Nova vit. Ou survit, tout dépend. Dans l’attente, l’appréhension, du jour où il se réveillera pour découvrir que ses mains ne veulent plus s’arrêter de trembler. Il sera handicapé pour de vrai. A ce moment-là, Nova se connait, il préférera se donner la mort que de devenir un plus gros fardeau. Il ne supporte plus sa fragilité, ses mains qui lui font défaut à chaque fois. Il ne s’imagine pas être ainsi dans un état continu. Il déteste encore plus ne pas savoir quand. Dans un mois ou des années. Personne ne peut prédire les réactions de son corps. Et vu comme il le traite bien mal déjà, Nova doute qu’il tienne encore longtemps. Mais qu’importe. Ce n’est pas le moment de penser à cette fatalité. Il préfère profiter de la présence de Hyukjae, à fond. De cet amour qu’il lui offre à chaque fois, un des rares qui ne lui cause pas de douleur. Uniquement de la douceur. Un baume invisible sur chacune de ses blessures. Il le regarder s’affairer en cuisine, un petit sourire sur le visage. Le bruit rassurant de l’eau qui bout, l’odeur des ramens que son ami prépare parfaitement. Et juste la présence de Hyukjae en elle-même. Il aime tout ça. Il voudrait rester ainsi pour toujours s’il le pouvait. Mais avec le brun, il n’a droit qu’à des instants éphémères d’insouciance. Et il s’en contente. Il garde son petit sourire encore, même quand il pose sa main sur son bras endolori et son menton sur ses genoux. La vision de Hyukjae apaise sa douleur physique. Il tique aux mots du brun. Ils ont la même relation avec leur famille, c’est plus des étrangers qu’autre chose. Le père de Nova s’occupe de tout ce qui est financier mais ça s’arrête là. Il ne lui a jamais offert de plus, pas le moindre signe d’affection ou d’attention. Nova n’a jamais eu de repères et peut-être que c’est pour ça qu’il sait si mal aimer les autres. « Désolé. » répéte-t-il encore, les yeux baissés. Il ne s’excuse jamais autant habituellement. Mais avec Hyukjae c’est presque un tic. Il n’y peut rien. Il fait tellement de conneries. Il est sa famille. Nova ferme les yeux. Il apprécie, vraiment, chaque mot. Il ne mérite vraiment pas cet homme. Pourtant, il reste silencieux. Les lèvres pincées comme un enfant pris en flagrant délit. « Je crois que les ramens sont cuits. » Mais il ne peut continuer ainsi très longtemps. Parler pour ne rien dire ou dévier du sujet. « Tu sais bien ce qui s’est passé. Je l’ai vu… » Ashvin. Ce garçon lui est toxique et vital. Ils auront beau se faire du mal, il sait qu’il ne pourra jamais le laisser. « Après, j’arrivais plus à rester seul chez moi, j’avais l’impression de devenir fou. Et il n’y a que toi… » Il n’y a que Hyukjae qui lui fait retrouver un semblant de bon sens.

Nana, ta nourrisse, elle te disait toujours, qu’une maison seule n’est rien. Qu’une maison n’est formée que par les gens qui y habitent. C’est peut-être pour ça que toi, tu n’aimes pas cette maison. C’est peut-être pour ça que Nova, lui, l’aime. Parce que pour lui, cette maison, c’est toi. Et avec le temps, il a compris que tu ne lui ferais jamais de mal. T’en serait bien incapable. Parce que Nova, c’est le trésor que tu dois protéger, que tu protègeras toujours. C’est comme ça. Les gens de peuvent pas comprendre, mais ce n’est pas grave, parce que cette relation si particulière, elle ne vous concerne que tous les deux. Tu le laisses entrer chez toi. Il n’y a personne, de toute façon, alors pas besoin de mentir, tu peux être toi-même, et lui aussi. Vous allez dans la cuisine. Tu vas lui préparer à manger. C’est souvent le cas. Ça ne te dérange pas, c’est toujours mieux de cuisiner pour quelqu’un d’autre, de toute façon.

Tu sais, Jae, pour sa maladie. Tu l’as bien vite remarqué, qu’il ne peignait plus, qu’il ne souriait plus. Alors tu lui as demandé, redemandé, et finalement, il t’a avoué. Tu ne sais pas ce qu’il peut ressentir, mais tu vois qu’il est en colère. C’est normal, tu réagirais de la même façon, à sa place. Y’a un minuteur au-dessus de sa tête, le compte à rebours d’une bombe, qui explosera dans son estomac. T’as peur de ce jour, où quatre zéros s’afficheront. T’as peur de ce qu’il pourrait faire, Nova. Mais vous n’en parlé pas, c’est tabou, un peu. Il sait ce que tu en penses, il sait que tu es là, pour l’aider, et c’est suffisant.

Il s’excuse encore, tu soupires. Tu ne veux pas qu’il ait l’impression qu’il te dérange, non. C’est bien le contraire. T’allais surement virer fous, tout seul dans cette grande maison. Tu te retournes pour éteindre le feu, sortir deux bol et les remplir à la fois de ramen, et d’œuf. Finalement, tu mets les bols sur un plateau, avec des baguettes, et des cuillères, ainsi que de l’eau, des verres et des serviettes. Tes gestes sont de plus en plus secs, tes épaules de plus en plus serré à mesure qu’il parle, et finalement, tu te retournent vers lui, la mâchoire crispée au maximum. Ashvin. Si tu pouvais, tu l’aurais déjà enterré vivant. Mais t’es pas un meurtrier, même si ce n’est pas l’envie qui te manque. Tu dois te le coltiner tous les jours à l’entrainement, avec sa sale gueule décolorée, écouter ses ordres ridicules, et te faire rembarré quand tu proposes quelque chose que, même lui, sait préférable. Mais tu pourrais endurer ça non-stop pour qu’il ne fréquente plus Nova. Savoir qu’il marque sa peau, qu’il marque son cœur, qu’il fait couler son sang et ses larmes, ça te rends fou, littéralement. Alors tu le regardes, dans les yeux. Un moment avant de parler. T’ouvres la bouche, la refermes. Il sait déjà ce que tu en penses, de toute façon. « Alors tu devrais venir ici, avant même de le voir, comme ça, non seulement tu ne deviens pas fous, et en plus, tu ne finis pas avec d’horribles marques dans le cou… » Tu dis en frôlant de tes longs doigts les traces visibles sur la peau laiteuse de son coup. « …ni dans ton cœur. » et ta main se pose sur son cœur finalement. Son cœur blessé et meurtrie, que tu aimerais temps réparé. Mais t’es pas magicien, Hyukjae, et t’as beau faire de ton mieux, ce n’est pas assez.

Tu te recules finalement, et prends le plateau pour le porter dans la salle à manger, adjacente au salon. Il y a ton piano, héritage de ton père, qui trône fièrement devant la bais vitrée, tu souris en le voyant, et, quand nova s’est assis devant son bol, tu vas rejoindre le banc en cuir et les touches bicolores, pour faire, un instant, danser tes doigts. Une mélodie qui apaise, qui soigne les cœurs, une mélodie que t’as composé il y a peu, ta mélodie, tout simplement.

Hyukjae, c’est un baume sur son cœur. Un pansement autour de chacune de ses blessures, grâce à ses simples mots réconfortants, et sa présence. C’est totalement différent de quand il est avec le blond. Assis sur ce plan de travail, il l’observe. Il est comme un chat, attiré par les mouvements du jeune homme et la bonne odeur qui se dégage des ramens qu’il lui prépare. Avec Hyukjae, il arrive à se déconnecter de la réalité. Il vit autrement. Il ne pense plus tellement à sa maladie, il se trouve presque normal. Il n’est plus ce taré qui n’arrive à ressentir des émotions qu’à travers la douleur. Un corps animé mais son vie. Non, il n’est rien de ça. Hyukjae a un effet rassurant. Il aime ça. Certains de ses, très rares, sourires sont souvent dédiés à Hyukjae d’ailleurs. Parfois tristes ou heureux, mais c’est à lui qui les offre malgré tout. Il sait par exemple qu’il n’a jamais autant souri à Ashvin, il n’y a pas tellement de gaieté dans leur relation de toute façon. Loin de tout ça.

Il connait l’animosité que Hyukjae ressent de base envers Ashvin, et il sait qu’il ne fait qu’empirer les choses en venant se réfugier dans les bras du brun à chaque fois que les choses se passent mal avec son amant. Il se demande si un jour on lui demandera de faire un choix. L’un ou l’autre, au risque de perdre les deux. Il sait parfaitement que Hyukjae ne lui demandera jamais ça, mais le blond est une autre histoire. Ils ont cette étrange possessivité entre eux bien que l’un comme l’autre n’hésite jamais à aller visiter d’autres lits, à épouser d’autres corps. Hyukjae finit par le faire parler. Nova ne peut pas se voiler trop longtemps avec lui, surtout qu’il déteste lui mentir. Et il peut déjà sentir la tension que ces mots exercent sur le jeune homme. Venir ici avant d’aller se faire du mal, c’est ce que Hyukjae lui propose, c’est vrai qu’il n’a jamais fait les choses dans cet ordre-là. Les doigts du brun frôlent sa peau, la pression est comme un papillon qui se pose, tellement légèrement qu’elle n’éveille pas la douleur de ses blessures.
« Je crois que je ne peux plus être sauvé, c’est pour ça que je reviens à chaque fois le voir. » Pour qu’il lui fasse du mal, pour qu’il lui brûle le cœur avant d’éteindre son incendie. Il n’est que peine et émois.

Il suit Hyukjae docilement vers la salle à manger et se pose devant son bol. Il souffle doucement avant de prendre une première bouchée. C’est bon, parfaitement comme il aime. La musique attire son attention. Son blond aussi lui joue souvent du piano, quand ils ne sont pas en train de se distraire. Mais Hyukjae joue différemment, il ne ressent que de l’apaisement. Il reste ainsi à profiter de la nourriture et de la musique. Plusieurs minutes. Avant de finalement se lever et marcher jusqu’à Hyukjae. Doucement, ses bras frêles entourent son cou et son front repose contre l’arrière de la tête du brun. Il hume son parfum délicat. « Je suis fatiguée. » C’est autant physique que mental. Ses mains descendent un peu pour avoir un meilleur appui, alors qu’il se laisse presque tomber contre le brun.

Parfois, tu le considères comme un petit frère, une âme à protéger. Et parfois, c’est bien plus, parfois, tu veux le sentir contre toi, peau contre peau, être contre être. Ta relation avec Nova, elle est compliquée, parfois un peu malsaine, mais c’est tienne, et tu y tiens, vraiment. Tu n’es pas amoureux de lui, il n’est pas amoureux de toi, et pourtant, tu ne pourrais pas vivre sans lui, là, tout de suite. Il y a trop de choses compliqués dans ta vie, et tu as cette sale impression de ne compter pour personne, dans cette maison, ou à l’université en général. Mais Nova, t’as l’impression de compter pour lui, d’être important dans sa vie, et ça te met du paume au cœur. Alors il est là, chez toi, parce que c’est toi qu’il vient voir quand tout va mal, quand son monde menace de s’écrouler. Et toi, ce sera lui que tu iras voir, quand à ton tour, tu te sentiras perdu et délaissé. Vous fonctionnez comme ça, et ça te va, tu aimes ça.

Mais là, tout de suite, tu n’es pas si heureux de le voir. Parce que tu sais où il était, avant toi. Tu sais que sur sa peau, près de ces marques, près de ces bleus, il y a toujours l’odeur de cet homme que tu hais. Ashvin, depuis le début, tu ne pouvais pas le sentir. Avec sa petite gueule prétentieuse, tu avais envie de lui donner des claques, et puis il a pris la place que tu convoitais depuis des lustres. Tu l’avais mauvaise. Mais t’es un gars civilisé, t’as essayé d’oublier, vraiment, de passer outre, de faire comme si. Sauf que Nova est entrée dans l’équation, et depuis, rien ne va plus. Votre guéguerre s’est accentuée. Il t’en veut d’accaparer celui qu’il considère comme sa propriété, et tu lui en veux de blesser ton ami, de le briser un peu plus à chaque fois. Vous ne pourrez jamais vous entendre, tous les deux, et tu passeras surement le reste de ton étrange relation avec Nova, à lui demander de ne plus voir son amant destructeur. Mais il revient vers lui, à chaque fois. Tu te mords la lèvre, ce qu’il te dit te terrifie. Tu ne sais pas de quoi il est capable, tu ne sais plus. Et tu as peur, vraiment peur. Alors tu le regardes, droit dans les yeux, et tu secoues la tête. « Nova…Me dis pas ça, s’il te plait. Je te sauverai moi, je ferai tout pour te sauver, alors s’il te plait, ne pense pas ça… » Tu le supplies presque du regard. Tu n’as pas envie de le perdre, pas lui. Tu ne veux pas ressentir le vide dans ton cœur, encore une fois. Il était là, quand ton père est mort, il t’a aidé, soutenu, et il sait à quel point tu étais dévasté. Tu pensais ne plus pouvoir sourire, ne plus pouvoir regardé la vie, droit dans les yeux, et pourtant, tu es là devant lui, et tu ne veux plus subir ça de nouveau. Il se bute et la conversation prend fin. Tu ne cherches pas plus loin, tu ne veux pas le brusquer d’avantage. C’est un chaton, Nova, et il faut l’apprivoiser, comme le renard du petit prince.

Vous allez dans le salon, et tu commences à jouer pour lui. Tu composes tes propres morceaux depuis quelques temps. Ils sont tous très mélancoliques, mais doux également, et tu sais que c’est ce dont il a besoin, là, maintenant. Alors tu joues, tes doigts glissent sur le piano, lentement, trop peut-être. T’es plongé dans ta musique, les yeux fermés, le cœur au bout des lèvres. Elle te transcende, comme toujours. Tu ne remarques même pas qu’il a bougé, Nova, et tu sursaute en sentant ses bras glisser contre ta peau, son odeur, glisser dans ta tête. Tu souris, les yeux toujours clos. «  On va se coucher alors. » tu dis simplement, avant d’arrêter de jouer. Tu te redresses, pour te tourner vers lui et passer une main dans ses cheveux. Tu souris pour lui, parce que tu sais qu’il n’a pas la force de le faire, et finalement, tu te lèves, tu prends sa main, et tu vas dans ta chambre. Il connait l’endroit, depuis le temps, et rien ne change, jamais. Chambre aseptisée, qui ne sera jamais vraiment la tienne.

C’est devenu une habitude. Surtout suite à son accident. C’est vers Hyukjae qu’il se tourne quand il va mal, ou plutôt quand le mec dont il est fou lui fait du mal. Ça revient au même. Parfois, il a peur de donner l’impression de l’utiliser. Ils se rencontrent rarement quand tu vas bien, encore faut-il que Nova aille bien. Il ne se souvient pas lui-même de la dernière fois où ça a été le cas. Il ne voit que des zones d’ombres dans sa vie, tout est à refaire. Comme s’il avait besoin d’une histoire d’amour désastreuse pour arranger le tout. Pourtant, Hyukjae est toujours. Il accepte plus ou moins le fait qu’il vienne à lui quand tout se passe mal, il sait que le fait qu’il soit amoureux ne dérange pas Hyukjae (même si Nova ne dit jamais les mots ouvertement. Il faut le comprendre. Il n’a jamais eu de mal à avoir des relations charnelles avec des hommes, mais c’est autre chose que d’en être réellement amoureux. D’avoir des sentiments qui lui crèvent le cœur et l’âme). C’est plutôt la personne vers qui ces sentiments sont dirigés qui pose un peu problème.
Il est au courant de la haine entre Hyukjae et Ashvin. Une animosité qu’il ne comprend pas réellement, quelque chose par rapport à un club de l’école. Il n’a jamais trop suivi cette histoire. De toute façon, Ashvin s’attire souvent des problèmes avec son caractère de con. Mais Hyukjae, c’est un ange qui frôle la terre de ses pieds, qui lui apporte la paix. Peut-être que Nova l’idéalise trop. C’est un humain avant tout, il a droit d’aimer comme de détester.
« Nova…Me dis pas ça, s’il te plait. Je te sauverai moi, je ferai tout pour te sauver, alors s’il te plait, ne pense pas ça… » C’est, réellement, un ange. Nova sourit. Il aimerait bien que tout ça soit vrai. Il voudrait voir Hyukjae agiter une baguette magique et tout arranger dans sa vie, lui faire oublier tout ce qui lui fait du mal. Il y’a beaucoup à faire. Mais Hyukjae c’est un calmant seulement efficace quand il l’a devant les yeux, quand il lui parle, respire le même air que lui et, finalement, se blottit entre ses bras protecteurs. Quand il part, la douleur revient. Mesquine et entêtante. C’est quasi si elle ne s’amuse pas à lui faire encore plus de mal, comme pour se venger du fait qu’il ait osé tenter de la disparaitre. Il aimerait croire aux beaux mots. Mais il n’est plus un enfant, il arrive à regarder la réalité droit dans les yeux. Il n’y a pas que son corps de détraqué, son cœur aussi l’est. Toute sa vie.
Mais Hyukjae ne force pas plus. Il a toujours su y faire avec lui. Nova se dit que la vie aurait été bien plus simple s’il était tombé amoureux de lui. Ça aurait été tendre et doux. Hyukjae c’est le genre à l’aider à aller de l’avant. Mais le cœur veut ce qu’il veut.
Nova termine son plat, enfin, il y touche à peine. Mais c’est déjà pas mal pour lui. Il finit par rejoindre son ami, ses bras venant l’entourer doucement. Il hoche simplement de la tête et le suit à l’étage, sa main dans la sienne. C’est toujours amusant de voir leur différente perception des choses. Pour Nova, cet endroit est rassurant. Il y a plus de chaleur ici que chez lui. Parce que Hyukjae habite ici. Il enlève lentement ses vêtements, ne voulant pas réveiller ses membres encore légèrement endoloris. C’est comme d’habitude, les nombreuses traces sur son corps. Elles n’ont jamais le temps de disparaitre entièrement, parce que de nouvelles les remplacent tout de suite. Il se glisse dans le lit et tend le bras vers Hyukjae pour l’attirer contre lui. « Reste près de moi. » Un murmure contre son oreille alors qu’il se blottit plus contre lui.