Oh oui, un homme battu. Pauvre petite princesse fragile et délicate. Syu l'observe avec un sourire en coin, ressemblant plutôt à une vieille perverse qu'à sa petite amie, à ce moment-là. Néanmoins, elle le laisse croire à sa fragilité s'il en a envie mais continue de ricaner dans sa barbe, tandis qu'il s'énerve sur le pauvre papi conducteur et insiste juste pour avoir le dernier mot et pouvoir se garer où il le souhaite, même s'il n'y a pas de place dans la rue. Heureusement pour lui — car Syu lui aurait ri au nez sans vergogne —, ils trouvent facilement une place dans la rue où se trouve le restaurant. Elle rit quand même et frotte délicatement son bras pour le calmer tandis qu'il se gare, manquant d'emboutir un scooter qui passait sur leur droite. T'es bête... Elle manque d'ajouter un "je t'aime" beaucoup trop romantique pour eux à la fin de sa phrase mais se contente de lui sourire gaiement.

La jeune femme s'apprête à défaire sa ceinture pour quitter l'habitacle de la voiture mais fait claquer sa langue contre son palais en l'entendant. Ah, c'est comme ça ? Bah vas-y, et je t'enverrais pleins de photos de burgers et de frites et tu regretteras de ne pas être venu ! Et, ponctuant sa phrase d'un magnifique hairflip, elle s'extirpe de la voiture. Au moment même où elle referme la porte, elle se remet à ricaner d'un air machiavélique et l'attend sur le trottoir. Il n'oserait pas redémarrer la voiture et s'enfuir comme un lâche, si ? Non, bien entendu. La petite blondie prend la main de son homme alors qu'ils entrent dans le restaurant, se demandant si c'est à elle qu'il ne peut pas résister ou à l'appel de la nourriture. Peu importe, ses réactions sont surtout très drôles et attendrissantes.

Sensiblement, Syu aurait préféré un box plutôt qu'une table pour deux, pour la simple et bonne raison qu'étant une femme, elle a un sac à poser et qu'elle refuse de le poser au sol et ce, même s'il ne lui a coûté que vingt-cinq milles won, mais elle ne proteste pas et s'assoit sans un mot. Un petit regard, en même temps que Jae, au bambin qui gigote à la table d'à-côté, et sourit sans même remarquer que la serveuse a déposé deux menus sur leur table. Ce n'est qu'en entendant la voix de son beau brun qu'elle se retourne vers lui, détachant son regard de l'enfant agité. Moi, tu sais, tant que je te vois boxer torse nu... Elle sourit toute seule et s'empare du second menu pour se cacher derrière brièvement avant de sortir ses larges lunettes de vue, avant d'hausser innocemment les épaules.

En soi, l'entendre dire qu'il est interdit de compétition ne l'étonne même pas. Il a probablement blessé quelqu'un assez fort pour l'envoyer à l'hôpital. Pendant une seconde, elle a un doute. Pourrait-ce être à cause de son dossier ? Alors qu’elle va pour lui demander plus d’explications, la serveuse revient à la charge pour leur demander ce qu’ils désirent boire. Elle demande de l’eau plate avec une rondelle de citron vert et patiente le temps que Jae ait commandé et que la serveuse se soit éloignée d’eux. Qu’est-ce qu’il s’est passé, alors, pour que tu sois interdit de compétition ? C’est dommage, j’ai toujours été curieuse d'en voir une.

J'ai trop d'élèves de sexe féminin. Cette remarque fait légèrement grimacer la jeune femme qui se dit qu'elles doivent bien se rincer l'oeil, ces morveuses. Pendant une seconde, elle se dit qu'elles ne sont probablement là que pour ça, et plisse subrepticement les yeux face à Jae. Puis elle revient à elle. Mais non, enfin. Elles veulent vraiment apprendre la boxe. Si elle a un peu trop confiance en l'humanité, Syu ne s'en rend pas compte.

Ce dont elle se rend compte sans la moindre difficulté, c'est du désir soudain de Jae de ne pas parler des raisons pour lesquelles il a été interdit de compétitions. Étrange. Pourtant, il a été le premier a amené le sujet sur le tapis. Comme d'habitude quand elle réfléchit, elle frotte ses lèvres l'une contre l'autre, tout comme un vieux sage se serait gratté la barbe. Il tente de noyer le poisson mais ça ne prend pas. Quand elle a quelque chose en tête, il est quasiment impossible de la détourner de cet objectif. Sauf quand on lui parle de ces foutus mozza sticks dont elle est dingue. Son visage s'illumine d'un éblouissant sourire et se redresse sur sa chaise. Oui, je veux bien. Et onion rings pour toi ? Voilà, Jae, tu as gagné, elle a complètement oublié de te creuser sur cette interdiction de compétition. Ou presque. Elle se penche vers lui, posant un doigt sur son menu pour l'abaisser légèrement. Tu m'en parleras à la maison. 

C'est le moment que la serveuse trouve pour venir leur servir les boissons puis leur demande s'ils ont fait leur choix. Syu se laisse tenter par un BBQ hot dog. A nouveau, une fois que la serveuse s'est éloignée, Syu prend une gorgée de l'eau citronnée et soupire, comme pour se donner du courage. Moi aussi j'ai quelque chose à te dire... Voilà plusieurs mois qu'elle tente de trouver le bon moment pour lui en parler mais ça ne l'est jamais. Pourtant, ça n'est pas une nouvelle particulièrement grave ou négative, au contraire, mais plutôt très... soudain, surtout pour Jae qui la connait depuis presque quinze ans. Tu sais que ma mère est morte quand j'avais quatre ans... Bon, il s'avère qu'entre ce moment-là et le jour où elle est partie de chez nous, elle a... elle a eu un autre enfant. Donc j'ai un demi-frère.

T'aimerais que l'ambiance que vous deux avez instauré dans ce restaurant reste un moment, voir éternellement. Parfois, t'as du mal à t'ouvrir, parce que t'es comme t'es, mais selon les situations, tu arrives petit à petit à ouvrir ton coeur, même à celle qui le partage. Un vague sourire apparaît sur tes lèvres lorsque tu te fait pincé avec ton détournement de conversation. Comme si t'allais en parler à la maison, et puis quoi encore ? De toute façon t'as d'autres projet en tête et puis vous êtes pas encore prêts de rentrer, Syu aura le temps d'oublier. Cette pensée agrandit ce sourire calculateur sur tes lèvres, te donnant cet air coupable habituel.

Vous prenez le temps de commander, toi, tu voulais faire attention à ta ligne, alors pour changer t'as pris un burger avec 5 steaks histoire de jouer le défi. Contradictoire ? Pas du tout, c'est juste histoire de tester, et puis au pire tu iras vomir un coup avant d'aller faire un tour là ou vous avez prévu d'aller. Sans quitter la serveuse des yeux qui s'éloigne, ton air pensif t'innocente dans ce qu'on pourrait qualifier de "matage de cul", car t'essai en r"alité de préparer ton planning d'après-manger.

Lorsque Syu reprend parole, c'est un léger rappel à l'ordre car tu t'étais un peu engouffré dans tes songes profondes. Un petit sursaut, rien de bien grave, tes yeux se reposent sur elle avec l'attention que tu dois lui porter. Tu sens déjà à son visage que c'est quelque chose de sérieux, car si elle te parle de t'avouer quelque chose, d'une manière quelque peu nerveuse, c'est qu'il y a une part d'importance. Avec le temps, tu as appris à discerner les annonces " blagues" et surtout que tu n'aimes pas ce genre de fausse déclaration. Elle le sait. Tout le monde le sait. Tu aimes le concret, car après tout, le gosse qui est venu la dernière fois disait que tu n'avais pas d'humour. Peut-être une part de vérité ? N'importe quoi. Si tu n'avais pas d'humour, vous n'auriez pas plaisanté en sortant de voiture. Ce gosse ne connait rien.

Bref. T'écoutes. sans vraiment réagir, parce que la réaction, c'est pas ton fort dans un sens, et surtout parce que tu ne sais pas comment faire. T'es figé, comme une statue de marbre, attendant presque la suite par peur de faire une question maladroite. Un demi-frère. Oui, ok. Comment, ou ? Comment, enfin ça tu sais t'as compris que sa mère s'était fait un autre type, mais d'où elle le sait... ? Peut-être qu'en tentant d'avoir l'air ahuri, Syu continuera son explication, alors, tant bien que mal, la statue se défile pour écarquiller un peu les yeux. Finalement, t'attrapes ton verre pour essayer d'humidifier ta gorge sous cette drôle de nervosité, d'ailleurs t'avales de travers et manque de t'étouffer, rendant la situation encore plus bizarre qu'elle ne l'était.

Le pire dans tout ça, c'est que t'avais presque oublié que sa mère était morte. T'avais oublié son existence avec ce père omniprésent.

Rapidement, t'essuie la flotte que t'as mis partout avec la serviette que tu viens de déplier comme un pro une fois que le verre est posé puis, plutôt que de refaire un truc bizarre, tes deux mains sur la table a plat, tu demandes bêtement. C'est qui ?

Malgré toute sa bonne volonté, Syu ne peut que remarquer le regarde de Jae qui suit les hanches de la serveuse. Même si elle tente de son mieux de ne pas réagir, elle ne peut empêcher ses lèvres de se plisser momentanément. Pourtant, elle le connait pas coeur, son Jae. Elle sait qu'il ne la fixait pas vraiment elle, qu'il était perdu dans des pensées dont il la tiendra bien entendu à l'écart. Mais en soit, elle aimerait tellement voir une quelconque réaction de sa part. Son regard est vide et celui de Syu plein d'expectatives.

Des fois, j'ai l'impression que t'es pas là.

Stop. Ça suffit. Elle sait qu'elle se fait mal au coeur toute seule avec de telles pensées. Qu'il ne le fait pas exprès. Il est comme ça et ne voit sans doute même pas que ça lui fait tant de mal pour rien, juste parce qu'elle se dit qu'elle crèverait pour une simple réaction. Et s'il ne se souvenait même plus qu'elle n'avait plus de mère ? En soit, elle n'en a jamais eu. Dans sa vie, il n'y a eu que son père. Aucune figure maternelle. Jamais. Cela explique beaucoup de choses, notamment sans doute son incapacité à cesser d'aimer l'homme assis en face d'elle. Elle ne veut plus arrêter à présent, mais à une époque, elle se serait arrachée le coeur pour ne plus rien ressentir pour lui, si cela pouvait fonctionner.

Et enfin, quand elle s'y attend le moins, une réaction. Elle l'observe avec de grands yeux, comme sortie de pensées bien trop sombres pour elle.

Hein ? Il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits. Ah, je sais pas si tu le connais. Il s'appelle Kwon Shin... La jeune femme joue nerveusement avec sa serviette. A la place, elle aimerait lui prendre la main mais n'ose même pas tendre les doigts vers ceux de Jae. Il est directeur de l'agence de son père mais il travaille surtout au Japon. On ne se voit pas souvent pour cette raison. Il est très occupé. Mais la dernière fois, il m'a amené voir la tombe de ma mère pour la première fois. J'ai trouvé ça très gentil de sa part.

Cette fois-ci, cette pensée la fait sourire. Il est vrai que la dernière fois qu'elle a vu Shin, elle avait demandé à Jae de la déposer en voiture devant un parc sans savoir ce qui l'attendait. Shin l'avait alors emmenée voir la tombe de leur mère pour y déposer des fleurs. Elle l'avait "vue" pour la première fois de sa vie. Certes, elle l'a vue jusqu'à ses quatre ans, mais jusqu'alors elle était incapable de se souvenir de son visage. La photographie encadrée et déposée sur la tombe le lui a remémoré et elle ne l'a plus oublié. Elles se ressemblent comme deux gouttes d'eau. A l'occasion, telle a pris une photo avec son téléphone de ladite photo de sa mère. Elle tend alors son téléphone à Jae pour qu'il la voit. Voilà, c'est elle.

Elle n'a jamais ressenti la moindre animosité envers cette femme, qu'elle ne considérait même pas comme une mère de toute façon. Alors elle arrive à trouver une certaine satisfaction à la connaître enfin. C'est comme mettre un nom sur une partie complètement brûlée d'un arbre généalogique. Si tu le souhaites, un jour, je te la présenterais.