Assis au bar devant un verre de whisky qu'il se refuse de boire, un soupir s'échappe de ses lèvres. Massant son front, il finit par fermer les yeux, pas vraiment prêt à tout ça. Son premier réflexe avait été de commander un verre. Il avait envie de noyer son chagrin dans l'alcool, ne plus penser, abdiquer. A quoi bon continuer ? A part dans son travail où on le compare souvent à un gladiateur dans l'arène, toujours debout malgré tout, il ne s'était jamais autant battu. Il la voulait. Il la veux encore. Il l'aimait. Il l'aime toujours. Mais à quoi bon lutter encore ? Déjà un an qu'il essaie, qu'il a changé, qu'il s'est révélé aussi mais dans les paroles de Myung, il avait l'impression de n'être qu'un homme éteint, bon chien-chien à sa copine. Comment est-ce qu'on peut en arriver à ce degré de différence dans une même relation ?

« Il n'est pas bon ? » Redressant la tête, il observe alors le barman qui lui montre son verre. Silencieux durant plusieurs secondes, il caresse alors doucement et discrètement sa cicatrice du bout des doigts. « Je pourrai avoir autre chose ? Je le payerai quand même. » « Bien sûr, nous avons des sojus d'exception. » « Sans alcool, s'il vous plaît. » « Bien Monsieur. » Le verre repart et il fixe alors le support sur lequel il était déposé afin de ne pas faire de trace sur le comptoir. Sa tête se tourne vers deux jeunes femmes, jeunes femmes qu'il aurait abordé il y a un an de cela avec un afflux d'aplomb et de confiance en lui, mais avec Myungshin qui a ouvert toutes ses cicatrices et ses barricades, il n'y arrive plus. Il n'en a même pas envie. Et puis, qui voudrait d'un balafré cancéreux pas encore en rémission hein ?

Sa tête se tourne lorsqu'une mélodie se fait entendre. Lorsque le barman revient vers lui, il le remercie simplement tout en fixant le jeune homme. Son boulot et Inha, c'est sans doute ce qui le raccroche le plus à la vie lorsque rien ne va. Lorsque le jeune homme finit de chanter, il avale alors la moitié de son verre, comme pour se donner du courage, trouvant que ça manque de tequila, avant de se donner une gifle mentale. Finalement, il se redresse et va le voir, verre dans la main, carte professionnelle dans l'autre, qu'il tend au minot. « C'était intéressant à entendre. Je t'offre un verre ? Professionnellement parlant, bien entendu. C'est juste pour discuter. »

Ce soir, il n’a pas envie d’être là et de faire tous ces efforts qu’il fait toujours. Il n’a pas envie d’être parfait, de jouer les petits artistes bien dans ses baskets, il ne veut pas être ce qu’il n’est pas. Alors il chante aussi simplement que possible, il ne s’écoute pas vraiment, il ne réalise même pas que ses doigts bougent d’accord en accord sur sa guitare. Tout se fait tout seul parce qu’il n’a pas envie. Ce soir, il ne fait que chanter et si ce n’est pas parfait, eh bien tant pis. Ce sera authentique. Et puis c’est tout.

Une fois la chanson terminée, il se lève et quitte la scène comme si de rien n’était, sa guitare toujours en main. Chanter sans se soucier de rien fut libérateur mais maintenant il est temps de revenir à la réalité. Archie s’empresse de ranger l’instrument dans son étui et attrape son sac avec l’intention de rentrer le plus vite possible pour que cette sale journée se termine. Demain sera un autre jour.
Mais c’est sans compter la silhouette qui s’arrête à son niveau en lui tendant une carte, sortie de nulle part. Le jeune homme lève les yeux puis s’empare de la petite carte qu’il vérifie à peine. Intéressant ? Lui ? Sa voix ? Sa musique ? « Heu… » Ce manque de spontanéité et de répondant montre bien qu’il n’est pas dans son assiette. Jamais on ne l’a approché ainsi pour “professionnellement” parler de musique. Il ne faut pas qu’il s’emballe, il ne faut pas qu’il fasse tout foirer.
« Bien sûr. » L’envie de rentrer chez lui est, à cet instant, déjà bien loin. Il fait un petit signe de tête à l’inconnu avant de s’installer au bar et de demander un simple Ice Tea, histoire de garder la tête sur les épaules et de pas se bourrer la gueule devant quelqu'un qui pourrait changer sa vie. Bon d'accord, c'est peut-être trop précipité comme conclusion. Mais il a bien dit "professionnellement" !

Mais Archie ne sait pas trop quoi dire, il n’a jamais vécu ça. Il joue maladroitement avec le coin de la carte restée dans sa main. Un rapide coup d’œil lui apprend le nom de cet homme : Cha Ilhoon.
« Producteur ? » Il n’est pas sûr d’en croire ses yeux fatigués. C’est bien la première fois qu’un tel professionnel s’intéresse à ce qu’il fait et au vu de sa prestation de ce soir, il ne comprend pas très bien comment cela a pu arriver. Alors il lance un regard perplexe à ce Cha Ilhoon, incapable de dire quoi que ce soit d’autre. Il se connait, moins il parle et mieux c'est. Et si ce n’est pas ce qu’il espère, ça sera douloureux. Il attrape le verre qu’on lui sert sans quitter l’homme des yeux, attendant la grande discussion qui, vraiment, pourrait tout changer.

A vrai dire, il adore voir ce petit moment de surprise intense dans le regard des jeunes lorsqu’il se décide à s’intéresser à eux. Un producteur qui vient vous voir ? Wow ! Cela dit, il a déjà eu des cas inverses où on lui jetait carrément sa carte au nez en le traitant de salaud, d’imposteur et en lui faisant remarquer qu’il devrait avoir honte de jouer avec les sentiments des gens. Parfois, son pseudo d’artiste n’aide pas, et par moment, il le dit et la personne commence à se détendre.

Là, il ressent bien la nervosité du jeune homme face à lui, ce mélange d’espoir infini et de méfiance extrême malgré tout. Il sait ce que ça fait, il est aussi passé par cet ascenseur émotionnel trop de fois durant sa vie et il n’aime pas vraiment l’imposer à quelqu’un d’autre, mais il doit bien avouer aussi que jouir de ce petit pouvoir peut être un peu trop agréable. Durant l’espace de quelques secondes, c’est comme s’il avait l’avenir de quelqu’un dans le creux de ses mains. Au moins, ça l’aide à oublier ses propres soucis. De toute façon, il le sait, avec elle, c’est fini et rien ne changera ça. On ne peut pas passer sa vie à attendre un fantôme ou un souvenir.

La leçon est comprise. Il n’arrive pas encore lui souhaiter d’être heureuse sans lui, mais il se sent incapable de lui souhaiter l’inverse aussi. Au revoir alors.

Son cerveau semble s’agiter et il redresse sa tête, l’air un peu hagard avant de froncer ses sourcils. « Excuse-moi. » il ne se pensait pas autant perdu dans ses songes. « Je ne suis pas encore un grand producteur, je veux dire par-là, que je ne fais pas parti des big 3 ou de prods ayant des groupes connus, mais je travaille avec eux et je produis des artistes underground aussi. Sans compter le nombre de personnes avec qui j’ai travaillé comme auteur-compositeur. En gros, j’ai du vécu, des contacts et de la ressource. Dans ce monde, on a rien sans rien. Si je propose un artiste à un ami producteur, il prendra ma demande en compte avec attention. » Croisant ses bras, il se met à sourire. « Et j’ai apprécié ce que j’ai entendu. Tu penses en faire ta vie, ton métier ou c’est simplement une passion comme ça ? » Parce qu’il n’a pas de temps à perdre avec une simple passion.