La lumière vive agresse cruellement ses prunelles encore dissimulées sous ses paupières. Les mèches ébènes couvrent son front, se glissent parmis ses cils tant il néglige fréquemment de les couper -à la fois par manque de temps, et par manque de motivation. Il retrousse la pointe de son nez en laissant un grognement rauque s'échapper de par ses lippes : il ignore l'heure, n'est pas en possession d'une motivation nécessaire à s'en informer, mais se doute qu'il est bien trop tôt pour se lever ; tout son corps le lui clame. Alors il tend les bras, rapproche sa femme de son corps jusqu'à plaquer son dos contre son torse dans une étreinte possessive, presque névrosée de jalousie. Bien qu'elle soit la première à craindre son départ (bien qu'il ait été le premier à désirer s'enfuir), le syrien partage désormais quelques peurs similaires dont il laisse les angoisses s'exprimer d'une façon qui lui est propre. Enfouissant son visage dans son cou dans l'espoir d'échapper à la luminosité de la pièce, il remonte légèrement sa jambe droite entremêlée à la sienne, laisse ses doigts dessiner de douces arabesques sur sa peau. Cette semaine encore, il a pris quelques jours pour se permettre de souffler, mais aussi -surtout- de passer du temps avec Soonae dont le ventre prend peu à peu son ampleur naturelle ; pourtant, l'habitude est si puissamment ancrée qu'il peine à profiter de ses mâtinées par un sommeil réparateur. Qu'il peine à profiter de ses journées, en vérité. Tasyr, depuis l'annonce de cette grossesse inattendue, ne cesse d'osciller entre les craintes et les joies, les prévisions et les désillusions. Hors, depuis peu, un nouvel élément se mêle avec énergie à sa routine : les hormones. Si sa femme n'a jamais été dotée d'un caractère facile, les mois passant semblent la rendre d'autant plus difficile - il en fait souvent les frais. Disputes injustifiées, reproches infondés, remarques désobligeantes et enfin quelques pleurs sans raison ; jamais les mots de Jihoon ne l'avaient assez mis en garde. Mais si les moments ne sont pas toujours évidents, le libraire refuse de la laisser seule dans un tel combat et se contente bien souvent d'encaisser. Il écrase un soupire contre la peau de sa nuque, cherchant vainement à replonger, à succomber une fois de plus à Morphée sans que celui-ci ne se sente d'humeur à l'accueillir. grognements, soupires, râles, insultes, abandon. Il pose un baiser dans le cou de son épouse, remonte dans une douce caresse jusqu'à son lobe qu'il mordille tendrement. « tu dors ? » ça n'est pas une question, Tasyr aussi est un homme de caractère. C'est un ordre : réveille toi, je m'ennuie. Taz retourne plus bas, ses dents viennent jouer avec l'épaule fine de Soonae qu'il espère réveiller de cette façon. Son timbre, capricieux, glisse peu à peu vers celui d'un enfant à qui l'on refuserait de l'attention ; boudeur. « tu dors ? J'ai faim... Il reste du poulet ? T'as racheté des céréales ? On a fait du café hier soir avant d'aller dormir ? Soon... tu dors pas hein ? »  

Elle n’avait pas dormi de la nuit. En fait, elle ne dormait plus depuis longtemps, en témoignait ses yeux sombres ourlés de cernes, qu’elle arborait au petit matin. Ses nuits étaient empreintes de cauchemars récurrents, de terreur répétée et d’une anxiété latente dont elle ne parvenait pas à se défaire. Laissant mourir un soupire sur le tissu de son oreille, la jeune femme tira la couette sur elle, comme pour cacher la vision de son ventre toujours plus bombé. Cette silhouette l’effrayait, rongeait son sommeil, occupait ses pensées en permanence. C’était simple, Soon Ae n’avait que cette idée en tête, cette chose qui se développait dans ses entrailles et qui pointerait le bout de son nez dans moins de trois mois, à sa plus grande horreur. Elle avait peur, la plus jeune Yu, peur de ce que deviendrait sa vie quand le bébé serait là, et ça la minait sincèrement. Depuis qu’elle avait été déchargée de son travail d’interne, forcée à s’arrêter par des nausées trop fréquentes, elle n’avait plus rien pour lui occuper l’esprit, simplement ses doutes et la solitude de l’appartement lorsque Tasyr partait travailler. Aujourd’hui il était resté, il n’avait pas disparu avant l’aube. Elle percevait son souffle, quelques grognements dans son dos, et la chaleur de son corps tout près du sien. Epuisée, elle ne réagit pas lorsqu’il la ramena contre lui, appréciant simplement l’étreinte. Elle avait peur qu’il ne la relâche s’il comprenait qu’elle était réveillée. Ces derniers temps, l’ennuis et les hormones n’avaient pas aidé à la rendre tendre, l’étudiante avait bien conscience d’être odieuse, et son époux était le premier à en faire le frais. La nervosité la rendait imbuvable, et la Yu n’en appréciait que davantage les moments comme celui-ci, une étreinte silencieuse et chaleureuse. Elle se retint de frissonner lorsqu’il soupira dans sa nuque, excessivement irrité qu’il ne dorme pas. Ces temps-ci, la moindre déconvenue l’agaçait, et en l’occurrence, elle aurait voulu que Tasyr se repose encore un peu. Il était tôt, bien trop tôt, et il travaillait trop. Mais non, il était réveillé, et s’échinait visiblement à en avertir son épouse, jouant de ses dents sur sa peau, faisant réagir son épiderme sensible. Attendrie par son impatience, elle se tortilla entre ses bras, résignée à cesser de faire semblant lorsqu’il prit la parole, la voix éraillée par le sommeil. « Comment veux-tu que je dorme ? » Répondit-elle en se retournant lourdement pour lui faire face, encombrée par ce ventre dont elle ne savait plus vraiment quoi faire. Elle déposa un baiser à la commissure des lèvres de son époux en guise de salut, et peut-être aussi comme une excuse pour cette énième mauvaise humeur dont elle avait fait preuve la veille. « J’ai racheté des céréales, y a du riz dans le cuiseur, et oui, on a fait du café.  Il ne reste pas de poulet, je l’ai mangé cette nuit. » Avoua-t-elle en énumérant les réponses à ses questions. Ces derniers temps, elle comblait ses insomnies en allant grignoter, ce qui n’était probablement pas la meilleure façon de soigner ses nausées, mais qu’importait. « Tu veux que j’aille t’en chercher ? » Demanda-t-elle, prenant appui sur sa main pour se redresser.