Les lumières ne s'étaient pas encore rallumées dans la salle, lorsque mon regard se tourna vers les autres, comme pour observer les réactions de chacun, face aux dernières scènes. Alors ? Qu'est-ce qui leur trottait en tête ? Qu'est-ce qui les faisaient tous avoir la larme à l'oeil, voir même plus ? En quoi leurs sensibilités avaient-elles été touchées ? Est-ce que demain, ils se réveilleront en se sentant différents ? Vis-à-vis d'eux-mêmes, vis-à-vis du monde ?

C'est aussi silencieusement que d'habitude que je tendis le bras pour prendre le sac de Nora posé à côté de moi, afin de le lui donner. Surement besoin de mouchoirs. Coup dur pour les émotions, hein ? Sans doutes. Sans mots, je récupérais les vestes, laissais tout le monde se lever. La séance était terminée, il fallait quitter la salle. D'une certaine façon, je n'en n'avais pas envie. S'ils avaient pu tous s'en aller et me laisser un moment tout seul, ça m'aurait arrangé... mais ça n'était pas possible, n'est-ce pas ? Alors voila. Hansoo, il est insensible. Hansoo, il a l'air d'avoir regardé le film comme un robot. Comme s'il ressortait d'un Marvel. Hansoo, il dit rien et il suit derrière les autres.

Après quelques discussions pour débriefer sur le film (auxquelles je ne m'aventurais même pas à participer : face aux questions qu'on me posait sur mon appréciation de la séance, je me contentais de hausser les épaules ou hocher la tête), je repartis finalement de notre côté, pour aller vers la moto et en sortir les casques. 'On rentre, je suis fatigué'. Vagues explications, peut-être même un peu plus que d'habitude. Distance. Peut-être même un peu plus que d'habitude. Longue journée épuisante : l'excuse parfaite.

Au fil des feux rouges, puis verts, je nous ramenais donc en directions des dortoirs, mais plus les kilomètres passaient et plus les bruits du moteur furent parasités par des voix face auxquelles je me bornais à ne pas répondre. Peut-être qu'en allant plus vite, je n'entendrais pas. Peut-être qu'elle arrêterait... peut-être qu'elle me laisserait tranquille. Je ne voulais pas écouter, entendre, ni voir.... et puis... ça faisait mal. Sans faire attention au chemin, je partis alors à gauche, au lieu d'emprunter la droite, puis à nouveau, nous éloignant de notre objectif jusqu'à ce que finalement, une ligne droite me permette d'accélérer librement. N'importe quoi, mais... que ça se stoppe. Et juste là, pour la première fois depuis longtemps, le sentiment d'être en train de perdre le contrôle total sur la situation, sur moi-même, sur mes émotions, commença à se répandre comme un venin qu'on ne peut arrêter. Alors...

Alors, je...

C'était mon idée. D'aller au cinéma. De nous rassembler, pour ce film en particulier. La trame je ne la connaissais pas. On m'avait simplement dit : « Nora va voir ce film » Les films tristes j'en avais vu un paquet. Des films émouvants aussi. Mais celui-ci, il avait quelque chose qui m'avait arraché le cœur. Quelque chose que je n'avais pas réussi à contenir. J'avais donc pleuré et pleuré encore. Pleuré d'émotion, ou d'empathie. Quelque chose de signifiant. Lorsque les lumières de la salle se rallumèrent je relâchai la main de Myunshin que je tenais fermement depuis un moment maintenant. Vu l'état dans lequel j'étais, Hansoo compris vite que des mouchoirs seraient indispensables. Il me donna donc mon sac et sans plus attendre je terminai de pleurer entre deux feuilles de tissus, la tête à moitié dans mon sac à main. Il fallait qu'on sorte. Mon cœur battait un peu trop fort. Pourquoi ? Je n'en savais trop rien. Mais Myungshin était apparemment dans le même cas que moi. Je lui tendis mon paquet de mouchoirs, puis silencieusement nous quittâmes la salle. Mes larmes ne s'arrêtaient pas pour autant. J'adressai un petit sourire aux autres après avoir fait quelques commentaires sur ce qu'on venait de voir. Bien sûr que c'était génial. C'était émouvant, c'était beau, c'était touchant. C'était quelque chose de rare.

Le silence de Hansoo ne m'inquiéta pas plus que ça. Il n'avait sûrement pas aimer. Ce n'était sans doute pas son style. Il préférait les trucs d'actions pas vrai ? Désolée pour sa chemise qui en avait pris un coup à un moment. C'était un peu la honte, mais je n'allais pas me contenir. J'en avais eu besoin. Arrivés au parking, j'eus à peine le temps de poser une question à Jaehwan que Hansoo me fit comprendre avec ses mots qu'il était temps de rentrer. « Je suis fatigué, on rentre ». ça au moins c'était clair et précis. Je lui demanderai pour le film une fois qu'on serait rentrés. Je saluai mes amis, insistant sur un bon câlin pour Myungshin, avant de lui faire un bisou sur la joue.


Le casque enfilé à la va-vite, je m'agrippai à mon copain le plus fortement possible alors qu'il démarrai. Mon état n'était pas en train de s'améliorer. Mes mèches étaient collées sur mon visage, un mélange de larmes salées et peut-être bien d'autres liquides en tout genre s'étant formé sur ma peau. J'étais sûrement pas belle à voir, mais qu'est-ce que je m'en fichais là-tout de suite. A chaque feu rouge, mes mains se resserraient un peu plus contre mon copain. Comme si je ne voulais pas qu'il m'échappe.. Non je ne voulais définitivement pas qu'il m'échappe.

Le chemin fût anormalement court. Ou peut-être anormalement long. J'en savais trop rien. La moto s'arrêta. Je descendis après lui, retirant mon casque, les cheveux en pagaille «...Qu'est-ce qu'il se passe ? » marmonnai-je en le suivant du regard, essuyant autant que je pouvais mon visage humide et bien trop rougis par les larmes. Vu qu'il n'avait pas l'air d'avoir été trop émotionnellement touché par le film, ce n'était pas la peine de passer pour une pleurnicharde pas vrai ? Je le faisais bien trop souvent, moi, Nora l'hypersensible. «Tu veux que je conduise à ta place ?» demandai-je en me rapprochant de lui, ma main glissant alors dans ses cheveux. C'était bien entendu de l'ironie. «hey...ça va pas ? »

Une fois arrivés du côté de la rivière, j'éteignis rapidement le moteur et laissais Nora descendre, avant de faire de même, un soupir aux lèvres. Je n'étais pas sûr de ce qu'il y avait de mieux à faire, mais dans tous les cas, est-ce que les larmes de ma copine pouvaient vraiment être stoppées ? Non. C'était un film, donc il lui fallait le temps de se remettre de ses émotions. Questionnement ridicule, alors que j'étais en train de lui passer à côté à grandes enjambées, pressé de quitter le trottoir et de rejoindre un rocher planté un peu plus loin de là... rocher sur lequel je pris rapidement place, tout en retirant mon propre casque, laissant alors enfin entrevoir mon visage fermé. Est-ce qu'elle voulait que je la laisse conduire ? Je secouais lentement la tête pour répondre, alors que mes mains commençaient à jouer entre-elles, à la recherche de cuticules à arracher. « Ca va... » Pourtant, je devais lutter de plus en plus fort pour rester calme, alors qu'elle s'amusait avec mes cheveux. Oh, c'était peut-être le geste de trop, c'était sûrement le geste de trop... et dans un dernier effort pour me reprendre, je fermais les paupières. Rideau face au monde, rideau face à l'instant présent.

Dans un petit frisson, j'ouvris finalement les yeux pour fixer le sol et croiser mes bras, tandis que cette boule coincée dans ma gorge ne semblait pas décidée à descendre. Si ça n'avait pas été Nora, je crois que j'aurais repoussé cette main qui se voulait réconfortante d'un geste vif, afin de la faire cesser sa torture. Car oui, c'était de la torture, à l'instant présent... et sans que j'aie le temps de m'en rendre vraiment compte, voila qu'une sensation mouillée frôla ma peau du poignet. Puis, une autre. Et une troisième. C'est la mâchoire et les poings serrés que je laissais finalement échapper un sanglot, peut-être le premier depuis longtemps, avant de m'appuyer lourdement contre sa jambe pour cacher ma tête. Juste là, je crois que c'était sérieusement en train de m'insulter mentalement pour ce craquage qui n'aurait jamais dû arriver. Une recherche stupide de réconfort à laquelle j'avais été... éduqué à ne pas céder. C'est pas que les gens comme nous ne devraient pas avoir le droit à de la compassion de ce genre, mais... si, en fait. J'avais pas le droit de pleurer. J'étais pas du côté de ceux qui avaient une bonne raison de pleurer et pourtant...

Pourtant, garde-moi juste encore un peu dans tes bras, là où je me sens à la maison.