Un souffle de changement avait soufflé sur la fraternité des Gumiho et ce n’était que le début ! En effet suite à la démission de ses fonctions de la part de Tasyr, l’ex vice-présidente désormais, Hera, lui avait succédé. La nouvelle Présidente était bien décidée à toujours progresser dans l’amélioration de sa fraternité, que ce soit en matière de confort, de cohésion ou de fonctionnement, quitte à faire quelque réforme. Il y en avait une d’ailleurs en cours, plutôt simple à mettre en place mais d’envergure important sur le quotidien des renards. À sa surprise, long de devoir batailler pour faire approuver son initiative de réorganisation des dortoirs, la jeune femme avait reçu un avis favorable d’une très forte majorité des gumiho. Elle en était à la fois satisfaite et soulagée. Imposer son autorité était une chose, mais obtenir le consentement de la communauté en était une autre et bien plus appréciable. Finalement, malgré, Hera avait l’impression de vivre relativement en harmonie avec les autres gumiho. D’ailleurs, son passage au statut de Présidente lui suscitait beaucoup moins d’angoisse que lorsqu’elle avait accédé à la vice-présidence six mois auparavant. La singapourienne avait pris confiance en ses capacités à gérer et à être acceptée, pour ce qu’elle est et non pour sa fortune, par un groupe extrêmement hétéroclites. Malgré tous ses heures de labeur que la brunette ressentait parfois comme incomprise, elle avait l’impression désormais que la confiance des gumiho à son égard faisait gage de leur reconnaissance.

Assise derrière son bureau, Hera jeta un regard sur l’écran de son téléphone qui s’alluma. Un nouveau message, mais elle n’avait guère le temps de le lire pour le moment. L’heure s’afficha également lui indiquant celle où elle avait fixé un rendez-vous à la nouvelle vice-présidente élue. Une cadette, tout son opposé mais toujours toute disposée à bien faire. On toqua timidement à la porte. Hera prit une inspiration. Pour elle aussi, ce serait une nouvelle expérience. Apprendre à collaborer à deux, elle qui avait passé ses six derniers mois à botter les fesses de son immature de président. Cela lui manquerait presque. Elle se leva de sa chaise, un regard sur la pièce, si bien rangée maintenant qu’il n’était plus là pour faire des avions en papiers avec les notices officielles ou des origami avec les factures. Si par delà cette porte ne se trouvait pas le dortoir gumiho, la jeune femme en regretterait presque que cette pièce devienne si calme. Presque car le chaos  – jovial mais bruyant – régnait toujours autant au sein de la fraternité et ça, ce n’était pas prêt de changer !

La renarde franchit les quelques mètres qui la séparait de l’entrée. Ses doigts se posèrent sur la poignée. Désormais, elle allait devoir prendre « quelqu’un sous son aile », essayer d’être une bonne mentor. Conseiller, elle savait le faire. Diriger, elle l’apprenait. « Enseigner », ce serait une première, ou du moins, avec une telle charge de responsabilité. Hera ne doutait pas d’y arriver et jamais son visage ne trahirait la moindre hésitation, elle n’était juste pas encore certaine de la manière dont elle devait s’y prendre. La porte s’ouvrit sur la silhouette de la nouvelle vice-présidente…

Soulagée ? Stressée ? Impatiente ou encore dépassée par les événements ? Les émotions se mélangeaient pour ne laisser plus qu’une boule de nerf coincée dans ma gorge. Je me demandais encore comment j’avais pu soumettre ma candidature. Avais-je été inconsciente ? Ou désirais-je seulement trouver ma place au sein d’une fraternité dans laquelle j’évoluais depuis plusieurs mois ? Je rassemblais les quelques vêtements qui composaient ma garde-robe, n’ayant aucune idée de quoi porter pour cette première journée. Je tournais un regard vers le miroir et la jeune femme à la crinière blonde me regardait, perdue et angoissée, elle avait l’air d’une fille fragile à qui l’on confie une trop grande charge de travail, un statut et une mission qui finalement ne lui correspondait peut-être pas. Mais cette fille, c’était bien moi. Je soufflais, j’expirais tout l’air qui emplissait mes poumons comme pour aspirer une dose de courage, celle sans laquelle j’appréhendais de quitter ma chambre, de retrouver les couloirs du dortoir et de voir les regards changer sur mon passage. Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Je secouais la tête, comme si cette élection n’avait été qu’un rêve, mais alors que j’ouvrais de nouveau les yeux, mes vêtements étaient toujours inertes sur mon lit, attendant patiemment que je ne daigne prendre les responsabilités que l’on me confiait. Serrant les poings une dernière fois avant de reporter mon attention sur une robe tout ce qu’il y a de plus simple, je me préparais à découvrir les méandres de la présidence d’une fraternité. Tu as proposé, on t’a élu, tu peux le faire ! Avec précaution, j’empruntais le couloir qui menait au bureau du dortoir, celui dans lequel je devrais sans doute me familiariser, une pièce qui me fascinait autant qu’elle me faisait peur. Mais je ne doutais pas qu’avec l’aide d’Hera, je puisse mener à bien les missions, même les plus périlleuses. J’appuyais la paume sur ma poitrine, sentant le muscle battant s’affoler avant de fermer à nouveau les yeux pour tenter de faire régner le calme sur la tempête d’émotions qui menaçait de me souffler, puis timidement, je frappais sur le battant en bois. La porte s’ouvrit sur Hera, la présidente, Singapourienne et mannequin, égérie d’un sponsor dont le nom et son envergure internationale lui conférait un pouvoir indéniable. Nous n’étions séparées que de quelques années et pourtant, elle exhalait la confiance et le sérieux quand je plongeais encore le nez dans mes livres, rongée par la honte et la timidité. « Bonjour, je… j’espère ne pas être en retard. » J’ignorais comment m’adresser à elle, Présidente ? Eonnie ? Ou juste Hera ? Je tentais un sourire qui ressemblait davantage à une grimace alors que je transpirais la peur et l’incertitude. « Je suis… prête ? » Je brûlais pourtant de lui poser ces questions, celles qui tournaient en boucle dans mon esprit, celles pour lesquelles j’espérais des réponses rassurantes. Mais mes lèvres restèrent scellées. « Qu’est-ce que je dois faire ? »

Kang Eun Mi, tel était le nouveau visage de la présidence gumiho. Une petite qui sans le moindre doute n’avait pas encore les épaules pour endosser une telle responsabilité. Elle avait certainement les qualités de bonne volonté et persévérance pour endosser ce rôle, cependant, il manquait encore beaucoup. Notamment de l’assurance ! Mais peut-être que justement, pareil chamboulement dans sa petite vie monotone — aux yeux de la riche singapourienne – lui permettrait de se forger un peu le caractère.
« Tu es pile à l’heure, mais c’est la moindre des choses, non ? »
Hera avait maitriser à la perfection le sourire commercial, elle ne s’y pliait que dans le cadre professionnel. Ses sourires du quotidien n’étaient que sucre ou réelle sincérité. Or, la situation présente ne lui suscitait pas d’élan de joie. Sans être désagréable, elle faisait preuve de cette distance qui la caractérisait tant dans ses rapports sociaux, de prime abord. Dans le cas, présent, la jeune femme se sentait investie d’un rôle d’ainée vis à vis d’une cadette. Connaissant néanmoins la fragilité de Eun Mi, elle s’efforça d’ajouter :
« Je veux dire, la ponctualité c’est important. »
Sur ce, se doutant que l’intensité spontanée de son regard posé sur elle ne s’avérait certainement pas sans effet sur la petite renarde, Hera se racla légèrement la gorge et s’en détournant, sa chevelure attachée en queue haute accompagnant le mouvement de sa silhouette. La singapourienne n’était pas d’un tempérament tendre et elle pensait sincèrement que brusquer un peu Eunmi ne lui ferait pas de mal. Cependant, elle préférait aussi éviter de la voir s’évanouir de stress dans le bureau face à elle.
« C’est une question ? » releva-t-elle, à l’interrogation émise par la petite blonde hésitante quant à savoir si elle était prête ou non.
Spontanément, la présidente avait brièvement tourné la tête, déposant un regard franc et noble sur interlocutrice avant de laisser ses iris glissés ailleurs. Ses yeux se posèrent une poignée d’instant sur son chiot, actuellement profondément endormi dans son panier. En effet, le calme ne serait que toujours éphémère au sein du dortoir gumiho.
« Pour le moment contente-toi de retenir ce que je vais te dire. »
Hera expliqua alors à Eun Mi comment était rangée le bureau, où se trouvait quoi, les différents documents classés, organisés. Bref, les consignes de rangement à suivre rigoureusement, à respecter et surtout pas déroger ! Maintenant que la présidente avait plein pouvoir en cette pièce, elle pouvait enfin y appliquer son perfectionnisme et sa rigueur. Les informations défilaient du bout de ses lèvres. Catégorique et d’un tempérament naturellement autoritaire, elle débitait de posée, stricte et sans ménagement. Puis, son attention finit par se reposer sur la nouvelle vice-présidente. Hera constata à quel point elle pouvait être pâle. La jeune femme prit une profonde inspiration et tenta de se radoucir :
« Assurément, non, tu n’es pas prête. »
Ces mots claquèrent, avec fermeté et sans la moindre once de pitié, puis elle ajouta :
« Mais je vais te former pour que tu le sois ! »
La voix optimiste et sûre, emplie de son assurance habituel, un sourire confiant s’épanouit sur ses lèvres. Oui, Hera avait en confiance, elle parviendrait à former Eunmi parce que c’était son devoir. Parce qu’elle était Zhang Hera et refusait de connaitre l’échec !